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Genèse du fratricide : Caïn en danger – Marie Balmary

Je suis heureux de mettre à disposition de tous ceux qui apprécient la recherche de Marie Balmary ce texte datant de 2013 :

Genèse du fratricide : Caïn en danger (0)

Encore un texte beaucoup trop long pour figurer sur volte-espace, mais Marie Balmary ne « twitte » guère, heureusement, et si vous faites l’effort de le lire et, vraisemblablement, de le relire encore et encore, vous verrez qu’il n’y a rien de superflu dans ce récit d’expédition.

NB : comme d’habitude les sur- et sous-lignages, les liens hypertextes et les commentaires sont de ma seule responsabilité. Il y a [six notes internes au texte] et (13) notes de bas de page. Ces 13 là ne prétendent nullement épuiser les « mille choses qui nous passent et nous dépassent » lorsque l’on commence à relire les Écritures avec l’aide de Marie Balmary.

&

« Je vous invite à revisiter un célèbre récit de fraternité¹, célèbre et ignoré, puisqu’il ne fait plus partie de nos connaissances officielles : l’histoire de Caïn et Abel n’est pas lue dans les écoles publiques, et il n’en est à peu près jamais question dans les grands axes de la culture. Cependant, la trace de cette histoire demeure dans nos esprits – rien n’est venu la remplacer. Même si, bien souvent, nous ne savons pas très bien à quoi elle peut nous servir, elle reste dans les monuments et la littérature des siècles passés. Un tel récit a le statut des écrits oubliés sans l’être – une connaissance négligée, voire refoulée. Nous ne sommes plus obligés de le connaître, c’est donc un bon moment pour l’aborder autrement. Bien sûr, ce récit continue d’intéresser des théologiens, des exégètes, des moralistes … Aucun de ces points de vue n’est le mien, le nôtre. Je vous le présente rapidement.

Avec d’autres chercheurs, j’ai formulé l’hypothèse que la psychanalyse peut, dans ces récits anciens, trouver du nouveau et nous avons choisi, comme les ethnologues, de monter des expéditions, non pas dans des pays lointains, mais dans des écrits lointains, pour voir s’ils pourraient nous donner d’autres outils de pensée – des idées neuves, des connaissances perdues peut-être – ou si, au contraire, ces écritures méritent le discrédit dans lequel souvent elles se trouvent.

Notre hypothèse de recherche tient donc en une question : ces récits d’origine parlent-ils aussi de l’origine du sujet ? Question à propos de l’humain, mais aussi du divin : ce dieu est-il lui-même sujet ou bien est-il du type « père de la horde primitive », du type Grand Œil qui poursuit l’homme de son omniscience ?² Cette question du sujet posée à la Bible est propre à la psychanalyse, on ne pouvait pas la poser de cette manière avant elle – même si on peut dire aussi, dans l’autre sens, que sans la judéité de Freud, et donc la Bible, la psychanalyse n’aurait probablement pas été inventée. Il ne me sera pas possible ici, évidemment, de reprendre les interprétations et les commentaires foisonnants de la tradition [1] Je vais plutôt vous dire ce que nous avons trouvé d’autre, en nous servant, pour interroger ce texte, de l’expérience psychanalytique et de l’intelligence de l’inconscient. Nous prenons le texte tel qu’il se présente, sans ajouter de mots ni de personnages, comme peut le faire la tradition midrachique, par exemple. Si nous voulons réfléchir ensemble selon l’optique clinique qui est la nôtre à ce mythe du fratricide, il me faut vous donner les éléments essentiels de ce mythe.

L’énigme de l’offrande refusée

Lorsque nous évoquons cette histoire de frères telle qu’elle se trouve bien souvent dans nos mémoires, cela tient en trois lignes : au début de la Bible, Adam et Ève, le premier couple ayant commis une faute, ont été chassés du paradis. Ils ont deux enfants, Caïn, l’aîné, et Abel, le second. Les deux frères présentent chacun une offrande à Dieu. Il agrée celle d’Abel – des animaux – tandis qu’il n’agrée pas celle de Caïn – des fruits. Caïn alors tue son frère. Dieu le maudit et le chasse. Fin du récit mythique. Comment comprendre le fratricide à partir de là ? Jalousie, dit-on. Cela ne suffit évidemment pas à des psychanalystes.

Une première question : pourquoi ce dieu refuse-t-il l’offrande de Caïn ? Caïn cultive la terre tandis qu’Abel est berger. Pour résoudre l’énigme du refus divin, une multitude de commentaires s’interrogent à propos de l’objet offert, du métier de celui qui offre … Mystère de l’arbitraire divin ? Si tel est le cas, nous laisserons le texte aux religieux.

Notre question – celle du sujet – n’avait pas encore été posée à ce texte. N’a-t-elle rien à faire ici ou bien, au contraire, est-ce qu’elle peut ouvrir une autre interprétation ? J’en viens maintenant au texte lui-même, chapitre 4 de la Genèse, dans la traduction littérale et râpeuse d’André Chouraqui :

« Et c’est Abel, un pâtre d’ovins.
Caïn était serviteur de la terre (adamah).
Et c’est au terme des jours : Caïn fait venir
des fruits de la terre en offrande pour YHWH.
Abel fait venir lui aussi des aînées de ses ovins
et leur graisse. »

Je commente : « c’est au terme des jours ». Que peut signifier « la fin des jours » pour le sujet lorsqu’il s’agit d’un travail ? On peut penser que c’est le jour où le travailleur a obtenu la chose qu’il voulait produire et qu’il vient se faire reconnaître en tant qu’auteur de son travail. Ici, dans ce récit de création, ce peut être le jour où la créature vient présenter au créateur ce qu’elle a fait avec ce qu’il a mis à sa disposition.

Cela commence très tôt, ce désir de faire reconnaître son travail : l’enfant auquel on donne une feuille de papier et un crayon dessine. À un moment fixé par un signal que l’adulte ne perçoit pas, un signal intérieur au sujet-enfant, celui-ci revient vers l’adulte pour lui montrer : « Regarde ce que j’ai fait … » On peut penser qu’il en est de même avec tout don. Il importe à l’humain de ne pas rester seulement récipiendaire, créature de l’autre, mais créateur à son tour et répondant au don. Tu m’as donné la terre, tu m’as donné les animaux : vois ce que, à partir d’elle, j’ai produit, ce que j’ai créé, ce que j’ai acquis.

Pour Caïn et Abel donc, un jour vient où le travail de chacun a atteint son terme, son but – les fruits pour l’aîné, les ovins pour le cadet. Pour la première fois, chacun apporte un produit de son travail en offrande au dieu (je relis ce passage à la juive en prononçant « Adonaï » lorsque je rencontre les quatre lettres du nom divin) :

« Caïn fait venir
des fruits de la terre en offrande pour YHWH.
Abel fait venir lui aussi des aînées de ses ovins
et leur graisse.
YHWH considère Abel et son offrande.
Caïn et son offrande, il ne les considère pas. »

Pendant longtemps, je n’ai rien compris à ce texte. Jusqu’à ce que j’écrive les deux phrases racontant les offrandes de chacun des frères, en plaçant bien les uns au-dessous des autres les mots qui se correspondent :

« Caïn   apporte                des fruits de la terre.
 Abel    apporte lui aussi des aînées de son troupeau et leur graisse. »

La différence apparaît alors : Abel offre quelque chose qui est à lui, il apporte des aînées de son troupeau … C’est son troupeau, et ce qu’il présente, ce sont des bêtes qui proviennent de son propre travail. Tandis que Caïn offre quelque chose qui n’est pas à lui, il apporte littéralement du fruit (mot collectif, comme en anglais) de la terre … Ce ne sont ni ses fruits, ni sa terre. Contrairement à son frère, Caïn n’est pas présent lui-même dans son offrande. Le point de vue du sujet se révèle alors pertinent pour lire cette histoire puisqu’il fait apparaître une nouvelle différence dans les deux offrandes : Abel est sujet de son offrande, Caïn ne l’est pas.³

On voit bien, d’ailleurs, la présence ou l’absence du sujet dans la façon dont est détaillée ou non, l’offrande. Caïn apporte une offrande sans limite, sans spécificité. Deux mots : du fruit de la terre. Des mots universels, mais impersonnels : dans ces mots, il n’y a personne. Abel, au contraire, arrive avec une offrande limitée, singulière, qui parle. En trois mots, il est là, lui et l’intelligence de son travail : des aînées [femelles] de son troupeau et leur graisse. Il utilise pleinement le langage, distinguant entre des aînés et des plus jeunes, des mâles et des femelles, et même les parties de l’animal. « Leur graisse » signifiant, dans cette culture, le meilleur de la bête. Il se sert de la différence des sexes, de l’ordre de naissance, du meilleur et du moins bon.

Nous voilà devant une nouvelle question, pas évidente pour des héritiers de Freud parce qu’elle porte maintenant non pas sur les deux frères humains, mais sur le dieu de ce récit. Qui est-il, ce personnage divin qui semble déterminer sa conduite du même point de vue que le psychanalyste : le point de vue du sujet ? Il ne se présente pas comme on l’attendrait, côté gendarme, côté Surmoi. Serait-il là, lui, spécifiquement en tant que sujet, agréant le sujet lorsqu’il se présente à lui et n’agréant pas l’absence du sujet ? (4) En tant qu’analyste, je ne m’étonne pas alors de ce qui pouvait apparaître au premier abord comme injuste :

« YHWH agrée Abel et son offrande
Caïn et son offrande, il ne les agrée pas. »

Si le dieu de la Genèse est concerné par le sujet Caïn, si c’est à cela qu’il s’intéresse, il doit ne pas agréer – ou ne pas considérer – ce que celui-ci lui apporte. En effet, s’il acceptait l’offrande telle qu’elle lui est présentée – alors Caïn, cet homme qui travaille sans savoir que c’est lui qui travaille, qui donne sans connaître que c’est lui qui donne, le sujet Caïn qui se nie dans son don, n’existerait plus. Si le dieu acceptait une telle offrande, ce serait comme s’il lui disait : « Moi, le dieu, j’atteste que toi, Caïn, tu n’existes pas et j’accepte que tu me le signifies toi-même par ce don sans nom. »

Mais comment Caïn pourrait-il comprendre que ce que le dieu refuse, ce n’est pas son existence, mais au contraire sa non-existence ? Il ne va pas le comprendre en effet. Je lis :

« Cela brûle beaucoup Caïn. Ses faces tombent. »

Deuxième énigme : pourquoi Caïn est-il absent de son offrande ?

Nous ne sommes pas étonnés que Caïn ne dise pas : « Je suis en colère contre toi … » ou « Je suis triste … » Non. « Cela brûle beaucoup Caïn ». Pas de visage, pas de sujet qui puisse parler en première personne. (5) Un dieu qui serait du côté du Surmoi n’ajouterait rien. Il laisserait l’autre à son mutisme, sa brûlure et sa honte. En revanche, si le dieu est du côté du sujet, après le refus de l’offrande vide, il doit aller rechercher le sujet là où il est tombé. C’est ce qu’il fait.

« YHWH dit à Caïn :
« Pourquoi cela te brûle-t-il ?
Pourquoi tes faces sont-elles tombées ? » »

Les mots décrivent ce que Caïn éprouve, mais le sujet effondré ne peut les saisir. Le dieu n’attend d’ailleurs pas de réponse, il ajoute d’autres mots, étonnants, réputés très difficiles à traduire. D’après les rabbins, ce verset est l’un des cinq versets de la Torah où l’on ne sait pas où mettre la virgule …

Comme presque toujours quand il s’agit de la parole du dieu et qu’elle est obscure, les traducteurs tirent le texte dans le sens moralisateur. Je prendrai comme exemple la traduction de la Pléiade. Dieu, selon le traducteur, dit à Caïn : « Si tu agis bien, ne te relèveras-tu pas ? Que si tu n’agis pas bien, le Péché est tapi à la porte : son élan est vers toi, mais, toi, domine-le ! » Or, le verbe « agir » ne figure pas dans le texte. Je retraduis le plus littéralement possible ces paroles du dieu :

« Si tu rends bon, élévation. Si tu ne rends pas bon, à l’ouverture une faute étant tapi, vers toi sa passion, toi tu le gouverneras. »

Si tu rends bon … Nous dirions en français : prendre bien … Le dieu met Caïn devant un choix : prendre bien ou ne pas prendre bien le refus de son offrande par le dieu. « Si tu rends bon ou si tu prends bien [que je refuse ton offrande], élévation. » ; Élévation : c’est l’élévation de ce qui vient de tomber, sans doute, le visage. La face de Caïn pourrait se relever maintenant s’il « rendait bon », s’il prenait bien le non-agrément de son offrande. S’il lisait ce refus comme signe d’intérêt véritable pour lui, le sujet Caïn disparu.

Relisons la phrase en donnant le genre grammatical des mots en hébreu et nous comprendrons pourquoi les rabbins disent qu’on ne sait pas où mettre la virgule. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’exagèrent pas. Dieu dit à Caïn :

« à l’ouverture une faute (féminin) étant tapi (masculin), vers toi son (masculin) passion, toi tu le gouverneras. »

Une faute menace Caïn. Description du monstre

Comment démêler cette incroyable confusion ? En tout cas, me voilà parvenue au titre de mon intervention : Caïn est en danger. Dans cette phrase se trouve le premier emploi du mot « faute » dans la Bible. On pourrait croire qu’il a été employé auparavant, lors de ce qu’on a appelé le fameux « péché originel ». Et bien, non. Ici, le Surmoi a encore perdu : dans le texte hébreu, rien n’a été qualifié de « faute » au paradis, quand ils ont mangé de l’arbre interdit. (6) En revanche, le mot vient ici pour avertir Caïn d’un danger, avant qu’il n’ait commis quoi que ce soit de répréhensible. Ce qui s’appelle « faute » selon le dieu de la Genèse, c’est ce qui menace Caïn, non pas ce qu’il commet.

À l’ouverture, une faute étant-tapi : le mot faute (hattat) est féminin et « tapi » (rovets) masculin. Pourquoi cette faute du texte, juste au moment où il s’agit d’une faute dans le texte ?

Hattat, faute, en hébreu, c’est une erreur de tir, c’est rater la cible. Ce n’est pas d’abord moral, c’est balistique. Mais vous savez que le « symbole », c’est aussi balistique – lancer ensemble … Ou la parole, symbolique, atteint son but avec l’autre ou, diabolique, elle le manque. (7)

Vers toi sa passion. Toi, gouverne-le ou tu le gouverneras. Le verbe traduit par « gouverner », c’est mashal en hébreu. Verbe intéressant pour un psychanalyste : il veut dire « gouverner », mais aussi « comparer, faire une parabole ».

Para-boliser, premier temps du sym-boliser, permet non pas de maîtriser par la force, mais de gouverner par la parole. Le dieu invite Caïn à paraboliser, parolier cet incroyable mélange masculin féminin, tapi comme un animal avant de bondir [2], qui le convoite masculinement.

Nous sommes devant un monstre grammatical. (8) Un monstre qui peut évidemment nous en rappeler d’autres … Ici, dans la Genèse, le monstre n’est pas une créature fantastique donnée à voir, mais une anomalie dans le langage donnée à entendre, donnée à lire … Le monstre biblique paraît bien éloigné de la sphinge d’Œdipe – mélange de lion, d’aigle et de femme. Pourtant, il est fabriqué de la même façon que la sphinge. Une confusion entre des mots de l’humain (faute) et de l’animal (tapi), entre le féminin et le masculin, « une faute tapi … gouverne le … » Dans cet assemblage de mots, les deux premières différences qui fondent la vie humaine sont mélangées, et donc désymbolisées, détruites : celle qui sépare l’humain de l’animal, et celle qui sépare le masculin et le féminin. Œdipe lui aussi a trouvé une « faute tapi » à l’ouverture, un danger qui le menace et dans un moment tout à fait analogue à celui de Caïn, un « terme des jours [3]. En effet, le destin d’Œdipe s’enclenche quand l’heure est venue pour lui de passer par l’ouverture, de sortir de son lieu d’enfance et d’aller en adulte vers un dieu. Comme Caïn présentant sa première offrande à YHWH, Œdipe va vers le dieu Apollon dont la pythie de Delphes lui communiquera la parole. Pourquoi ? Que cherche-t-il ? Œdipe consulte la voix divine pour connaître la vérité de sa filiation. De qui est-il vraiment le fils – puisqu’un ivrogne l’a appelé « enfant supposé » ? C’est sur cette route vers le temple d’Apollon qu’il deviendra parricide.

Quand, dans les Écritures, on tire le fil que nous avons choisi de tirer, ce qui est vrai pour Œdipe l’est aussi pour Caïn. C’est aussi lorsque Caïn essaie d’atteindre le dieu qu’il devient fratricide. Et le monstre qui le guette au moment où il présente son offrande, c’est pour lui aussi sa filiation faussée. Je voudrais maintenant vous le montrer. Le monstre qui convoite Caïn est peu compréhensible si l’on n’en cherche pas l’origine à la génération précédente. Ce que nous, cliniciens, n’avons aucun mal à penser.

Formation du monstre à la génération précédente

Pour travailler de tels textes, il faut, comme en analyse, être patient et ne pas se lasser de revenir en arrière … Je reprends ce qui s’est passé à la génération des parents en suivant toujours notre fil d’interprétation – il y en a d’autres … Dans le jardin d’Éden, donc, Adam et sa femme reçoivent le droit de manger de tous les arbres, sauf un. Cette loi, posée entre eux deux dans le texte, peut être lue du point de vue du sujet, comme loi de relation, un interdit de connaître l’autre comme un objet qu’on mange – c’est-à-dire qu’on dédifférencie de soi. Un interdit unique qui garde l’écart de leur différence. La loi qui leur permet d’être chacun sujet en face de l’autre. (9)

Mais le serpent – symbole phallique s’il en est – fait croire à la femme (celle qui n’a pas le « serpent » justement) que cette loi n’est pas une loi pour la vie, mais qu’elle n’est qu’une injonction du dieu jaloux de sa toute-puissance. La femme, puis l’homme, comme vous savez, transgressent l’interdit, Alors, ils se découvrent nus – pas de la nudité heureuse des amants, mais de la nudité peureuse de ceux qui ne sont pas sujets dans leur corps. Ils cachent alors leur différence par des ceintures et se cachent devant le sujet Dieu, croyant sans doute avoir affaire désormais à un dieu qui peut les manger eux-mêmes. L’ogre, en quelque sorte. Le sujet humain, caché et apeuré, apparaît tout de même ici pour la première fois « J’ai entendu ta voix dans le jardin et j’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché », dit Adam …

Le dieu leur énonce alors les conséquences de leur acte et il me semble qu’en fait, elles peuvent toutes être rapprochées du malheur de « ne pas être sujet ». Pour l’homme, la terre étant désormais maudite, mal dite, le travail deviendra pénible – comme il l’est pour celui qui ne domine pas, ne « parolise » pas son travail. Le serpent a donc dépossédé l’homme de la souveraineté qu’il devait avoir sur la création face au créateur. Il lui a fait perdre l’accès à sa place de sujet dans la relation qui devait lui donner accès à la vie divine.N’advenant pas en première personne, il restera mortel et retournera à la terre d’où il a été tiré. (10)

Pour la femme, la transmission de la vie lui causera de la peine – « dans le chagrin tu enfanteras des fils ». Il ne s’agit pas, me semble-t-il, dans cette célèbre phrase qu’on tronque habituellement, d’accouchement, mais de filiation. Elle aura de la peine à reconnaître des enfants en tant que fils. En effet, ni Caïn ni Abel ne seront appelés « fils ». Il faudra attendre le troisième enfant du couple pour qu’apparaisse le mot « fils ». Enfin – et c’est là que je voulais surtout en venir – le dieu dit pour finir à la femme :

« Vers ton homme, ta passion, lui, il gouvernera en toi. »

Autrement dit : au lieu que tu gouvernes/parolises en toi-même, « Lui, ton homme gouvernera/parolisera en toi ». La femme a été trompée par le serpent phallique ; désormais, la logique phallique est en marche. En elle, la femme, il y a la convoitise pour le porteur du phallus et c’est lui qui gouvernera en elle. Ai-je tort de penser que tous ces éléments forment un monstre psychique ? un mélange d’esprit, un esprit impur, dit-on ailleurs dans les Écritures. On voit ici se composer le monstre qui guette Caïn : en un féminin – se trouve un masculin – qui la parle. Le monstre, ce n’est pas Adam, ce n’est pas Ève. C’est le monstrueux qui s’est formé dans leur rapport, je ne dirais pas dans leur relation puisque, justement, ils ne vont pas y atteindre.

Nous pouvons rapprocher maintenant ce que le dieu a dit à la femme – « vers ton homme, ta passion, lui, il gouvernera en toi » – et ce qu’il dit ensuite à Caïn, ce sont presque les mêmes mots : « vers toi, sa passion, toi, tu gouverneras en lui. » Difficile position de l’aîné sur qui pèse en premier l’insymbolisé des parents. Le transgénérationnel joue ici à plein. Caïn, cultivateur du sol comme son père, est dans l’ombre portée par la transgression de ses parents. Il ne peut pas s’approprier la terre « mal dite » à la génération de son père. Il ne peut pas symboliser le travail de cette terre où la parole a perdu sa loi et n’a plus cours. Et comme sa mère, il est convoité lui-même, menacé par ce qui a mangé sa mère et qui fait d’elle quelqu’un qui convoite et qui est gouvernée par un autre.

Les deux malheurs des parents de Caïn sont maintenant dans sa vie à lui, l’offrande vide et le monstre faute réunissent et représentent les deux zones où Adam et Ève ne sont pas parvenus à la parole en première personne. Comment ces deux malheurs lui ont-ils été transmis ? Nous arrivons enfin à ce que j’ai laissé de côté jusqu’à maintenant, le début de l’histoire des frères. Là a commencé le meurtre, mais il ne se voyait pas. Je lis et je commente ces deux phrases qui nous restent à lire.

Les noms des enfants d’Ève : Caïn ou l’homme-dieu possédé

« Adam connaît Hawah, sa femme. »

Connaissance sexuelle, dit-on un peu partout. Mais on ne peut nier que cette connaissance est unilatérale. Adam sujet grammatical connaît Ève, complément d’objet, mais Ève ne connaît pas Adam. Il y a ici rapport sans réciprocité, rapport sans relation. Le sujet femme n’existe pas. Adam, pas davantage, même si la force sexuelle est de son côté, puisqu’il n’a pas une personne en vis à vis – comme c’était pourtant le projet du créateur au commencement. En ce qui concerne la parole, dans ce couple d’un homme et d’une femme, il n’y a personne.

« Grosse, elle enfante Caïn.
Elle dit : « J’ai acquis un homme [ish] avec YHWH. » »

Maintenant, la force est du côté de la femme avec l’enfantement. Et là, c’est le père qui disparaît. Ève ne reconnaît pas Adam comme père de Caïn. Le nom de Caïn vient de qaniti, « j’ai acquis » ou « j’ai produit », ne le réfère qu’à Ève seule et l’attache à elle. Elle a acquis un ish avec Dieu … Cet « avec » présente l’instrument avec lequel le sujet a produit l’objet. Comme lorsqu’on dit : j’ai écrit cette phrase avec ce stylo. Au moyen de. Ève n’a pas fait naître hors d’elle un enfant humain, conçu d’une relation avec un homme. Elle a acquis un homme-dieu. Caïn apporte à sa mère apparemment les deux valeurs qui lui manquent : la masculinité (ish) et la divinité (YHWH). Mais que valent ces valeurs devenues emblèmes phalliques ? Ce sont des erreurs de tir. Rien de tout cela ne marche sans reconnaissance d’une altérité. Quant à Caïn, sa naissance est annulée, c’est un enfant sans enfance appelé homme avant de l’être. Possédé. En lui, c’est elle qui dit JE.

Quant au dieu, il n’occupe pas la place d’Un-origine, mais du phallus comme puissance-instrument. Dans la logique phallique en effet, pas de père (puisque ce titre implique mère et donc différence des sexes), mais seulement une toute-puissance. Pas de sujet père, ni mère.

La psychanalyse avec Freud a vu dans l’enfant l’équivalent du pénis pour la femme. Freud lui-même en avait quelque expérience, ayant été l’aîné survalorisé d’Amalia Freud. Le récit de la Genèse, sur ce point, ne lui donne pas tort. Elle dit seulement que c’est imaginaire. Et malheureux.

Dans le mythe de la Genèse, la femme est montrée trompée par le serpent/phallus, trompeuse à son tour, puis niée comme femme et faussement promue comme mère [4], et enfin connue comme objet. Que peut faire un être-objet sinon nier ce qui le nie, objectiver comme il a été objectivé, utiliser ce qu’il peut, pour posséder enfin comme il est possédé ? Faire ce qu’on lui a fait à défaut de pouvoir dire ce qu’on lui a fait. Selon la loi, universelle, semble-t-il, de la répétition du mal tant que sa révélation n’est pas possible

Abel, un rien, sujet malgré tout

Après avoir nommé Caïn, je lis comment Abel est annoncé. Pour lui, ni conception ni accouchement. Il n’est qu’un ajout au premier enfant. Littéralement : « elle ajouta à enfanter son frère Abel. » Le père n’est pas nommé non plus. Tandis que le nom de Caïn concentrait toute la valeur (ish, homme, avec YHWH, dieu) – tout cela repris par sa mère -, Abel, lui, est affublé du nom le plus inconsistant et sans valeur qui soit. L’écart entre les deux noms va paraître d’autant mieux que, cette fois, l’autre n’est pas une fille, mais encore un garçon. La différence des sexes ne joue plus ici, mais une nouvelle différence, pas encore lue : la différence entre l’aîné et le cadet.

Abel, en hébreu Hével : un souffle, une vapeur, une buée, ce qui est vain. Qohélet (l’Écclésiaste) commence par ces mots son livre : Havel havalim ha kol havel, « Vanité des vanités, tout est vanité ». Chouraqui traduit « Fumée de fumées, tout est fumée ». Pour dire le rien que sont les idoles, le même mot sera employé. On ne peut guère être moins … Et pourtant, ce moins que rien d’Abel réussit. Travaillant ailleurs qu’à la terre perdue par son père, il n’est pas non plus pris dans la toute-puissance de sa mère, mais inscrit dans sa dépression. Et c’est lui qui parvient à la parole. Résilience du maltraité, souveraineté subjective d’un handicapé dont on n’attend aucune prouesse ? Peut-être que c’est de ce côté-là.

Comme Freud a écrit MOSHE (Moïse) avec les initiales des prénoms donnés à ses enfants, Ève parle dans les noms des siens. Que dit-elle ? En Éden, ish, l’homme, est apparu en premier ; isha, femme, en second. À la génération suivante, Ève qualifie aussi de ish son premier (« j’ai acquis un ish »), Caïn est un ish comme Adam. Le second enfant, lui, se trouve à la place qu’Ève occupait à la génération précédente et peut la représenter elle-même. Qui s’étonnerait de ce que, dans une famille de deux enfants, l’un représente plutôt le père, et l’autre plutôt la mère ? Selon cette voie d’interprétation, Ève dit dans le premier enfant ce qu’elle voudrait avoir. À l’avertissement du dieu : « Vers ton ish ta convoitise, lui dominera en toi », elle répond : « j’ai acquis un ish » – c’est moi qui vais dominer.

Dans le second enfant, Ève révèle cette fois ce qu’elle croit être elle-même en tant que femme, en tant que seconde : un hével, un souffle, ce qui est vain. Ève serait-elle à ses propres yeux une « ajoutée », comme elle ajoute Abel ? Le deuxième enfant ne vaudrait rien, comme le deuxième sexe. Cela nous confirme le ressort profond de la docilité de la femme envers le serpent. Pourquoi aurait-elle obéi à la figure du signe plus, si, avec son signe moins, elle ne se voyait pas comme une buée, souffle inconsistant en face de lui ?

Une des mises en garde de la Genèse me semble celle-ci, qui est une évidence première : pas de fraternité sans filiation. S’ils ne sont pas des fils, ils ne seront pas des frères.

Pourquoi le meurtre ? Ces enfants situés aux extrêmes de la valeur – phallus divin contre néant – comment seraient-ils fraternels ? Autre question : pourquoi l’être qui n’existe pas comme sujet veut-il tuer celui qui existe ? Que Caïn ait été tué psychiquement, nous le comprenons par son nom et dans son offrande. Encore une question : comment le sujet qui a été tué pourrait-il le dire, puisqu’il n’est pas sujet ? (11)

Comment lui, qui n’a accès qu’à la parole vide, pourrait-il paroliser le monstre, gouverner la faute qui le menace comme le dieu l’invite à le faire ? Face à ce danger, cette nécessité de raconter sa propre mort et ce qui dans son origine le tue, il n’a que le meurtre, la violence. Il l’adresse à celui qui parle avec le dieu et qui peut le représenter, lui, Caïn, mort : son frère, la seule chose finalement qui lui soit propre (« elle ajouta à enfanter Hével son frère »). Aussi ce fratricide est-il bien proche du suicide, un suicide encore impossible peut-être, car ne faut-il pas être un peu sujet – un peu souverain – pour se suicider ? (12)

Retour un instant vers Œdipe : pour se débarrasser du monstre, il ne suffit pas de le vaincre intellectuellement. Il ne suffit pas d’être astucieux. Le monstre a l’air d’avoir disparu. Certes. Mais maintenant, le monstre, c’est Œdipe. Il a avalé la sphinge comme Adam et Ève avalent le serpent ou plus exactement la parole du serpent.

Comment gouverne-t-on la faute ? Par la parole. Laquelle ? C’est là que la psychanalyse est vraiment une affaire intéressante. Que se passe-t-il dans les cures ? Mille choses qui nous passent et nous dépassent, sans doute. Mais aussi, ne rencontrons-nous pas, nous, cette chose obscure qui menace le patient et qui nous fait chercher avec lui ce qui le tue dans les défaillances inévitables de ses origines ? Dans le meilleur des couples, il y a toujours au moins une trace du meurtre mutuel des parents. Ou bien nous serions au paradis. Ce qui nous a le plus frappés dans cet engrenage du fratricide, c’est son rapport avec la filiation faussée. L’origine différenciée a été détruite – Caïn n’est pas né d’un homme et d’une femme, mais d’une Ève non reconnue par l’homme, d’un père non reconnu par la mère. Il est né d’une femme avec la force procréatrice divine [5]

En terminant de préparer cette intervention, j’ai voulu relire ce qu’il est dit de la filiation du meurtrier Adolphe Hitler. Ironie : Adolphe vient du grec adelphos qui veut dire : frère. Hitler, qui a fait crier son nom dans toute l’Europe, n’avait aucun droit à s’appeler ainsi. La généalogie de son père est faite d’une reconnaissance trafiquée. Alors qu’il était enfant illégitime, Aloys Sichklgruber, le futur père d’Adolphe, est devenu tardivement le fils de son beau-père mort, Hitler – sa mère étant morte depuis longtemps – sur le faux témoignage du frère de ce beau-père qui n’avait pas d’enfant, faux témoignage fait auprès de deux autorités à peu près complices de ce mensonge et qui l’ont inscrit : le notaire et le curé … Cet homme, devenu Alois Hitler, après divers mariages, liaisons, enfants illégitimes, a fini par épouser la nièce de son faux père, qui mettra au monde Adolphe. Et là encore, il a fallu trafiquer le droit pour que le mariage soit possible puisqu’elle était, d’après les registres, sa parente. La mère de Hitler appelait le père de Hitler : « Mon oncle. » Formation du monstre … (13)

Qui est coupable du fratricide ? Le meurtre était déjà là et ne se voyait pas encore, disais-je plus haut. Il ne fera qu’apparaître en Caïn. Le fratricide de Caïn est la conséquence sur deux générations du « meurtre d’âme ». Qui a tué le premier ? Les humains ? Non pas, dit la Bible. Et c’est là que le texte peut nous surprendre : le serpent à la première génération, le monstre-faute à la deuxième, sont les auteurs des crimes dont les humains ne sont que les acteurs, avertis pourtant, mais aveuglés. Je ne dis pas irresponsables, mais conscients après coup.

On peut continuer de voir le dieu de ces Écritures comme le Grand Œil qui poursuit Caïn, que Victor Hugo appellera « la conscience ». Je crois pour ma part qu’il y a plus intéressant à lire dans ces Écritures.

Alors se pose une nouvelle question, dont je ne connais pas la réponse : pourquoi ce dieu ne peut-il pas empêcher les monstres de manger les humains ? S’il y a une réponse cependant, elle est peut-être à chercher dans le combat annoncé dès que l’homme et la femme ont mangé de l’arbre interdit [6] :

« YHWH Elohim dit au serpent : « Je placerai l’inimitié entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. » »

Le combat pour la parole est ouvert.

Marie Balmary

Notes

[1] Pour cela, je renvoie par exemple au livre de Josy Eisenberg et Armand Abecassis, « Moi, le gardien de mon frère », Albin Michel, 1980.

[2] « tapi : (robes en hébreu), étant prêt à bondir sur le passant, comme le démon rabisu chez les Babyloniens. » Note de la TOB.

[3] Genèse 4, 3 : Et c’est au terme des jours : Caïn fait venir des fruits de la terre en offrande pour YHWH. Abel fait venir lui aussi des aînées de ses ovins et leur graisse (trad. Chouraqui).

[4] Avant toute conception, Adam l’appelle Ève, vivante « parce qu’elle a été la mère de tout vivant ». Elle serait alors aussi la sienne.

[5] Termes que nous retrouvons aujourd’hui, par exemple, dans les nouvelles lois sur la filiation au Québec (Code civil – 7 juin 2002) : « 538. Le projet parental avec assistance à la procréation existe dès lors qu’une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d’avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d’une personne qui n’est pas partie au projet parental … »

[6] Genèse 3, 15.

Mis en ligne sur Cairn.info le 06/01/2020
https://doi.org/10.3917/lspf.029.0023

 

Cordialement

 

0 – Il s’agit d’un article de la revue « Les Lettres de la SPF » repris sur Cairn Info :

Balmary Marie, « Genèse du fratricide : Caïn en danger », Les Lettres de la SPF, 2013/1 (N° 29), p. 23-35. DOI : 10.3917/ lspf. 029.0023.

SPF : Société de Psychanalyse Freudienne.

¹ – Le thème de la « fraternité » a beaucoup retenu l’attention de Marie Balmary et continue sans doute de le faire. Comment pourrait-il en être autrement ? Nous n’avons guère d’autre choix que celui si bien résumé par Martin Luther King :

« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères,

sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »

Et il est vrai que retenir ce principe – ce devoir – dans la devise républicaine, puis l’écrire partout (en le proclamant nettement moins : sa connotation religieuse n’y étant sans doute pas pour rien) ne s’est guère montré suffisant pour l’établir.

² – Comme Marie Balmary le souligne, nous gardons principalement en mémoire le dernier vers du poème de Victor Hugo, « La conscience » :

« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. »

Enfant, Douglas Harding faisait une expérience similaire : il se régalait de grands bols de chocolat chaud, mais son inquiétude augmentait au fur et à mesure que le fond se rapprochait. Parce qu’au fond du bol familial apparaissait alors un « œil » sévère accompagné de l’inscription « God see you » ! « Vision » et l’ensemble de la Vision du Soi sont peut-être sa réponse créative – ô combien – au souvenir de ces pénibles dégustations ?

« Le Grand Œil omniscient » n’est qu’une pitoyable « invention » humaine périphérique ; la réalité centrale de tout être humain est d’être … œil unique, espace d’accueil illimité & inconditionnel de … tout. Pourquoi devrait-on avoir peur d’une telle source de paix & joie ?

³ – Cette « différence » première n’est-elle pas en réalité La Différence Majeure entre les humains ? « Dieu » – ou le mot que vous préférez utiliser – sait pertinemment qu’aucun monde viable n’est possible avec des … ? non-sujets absents à eux-mêmes. Cette mise en scène nous dit très clairement ce qui arrive dans ce cas : la violence et le meurtre.

Comme il est impossible de ne pas constater que l’histoire Lui donne assez largement raison, il serait peut-être temps de remettre Cain & Abel au programme, dans une version rebalmarysée bien sûr !

4 – Honnêtement, avez-vous trouvé ailleurs que sous la plume de Marie Balmary plus exacte définition du cœur de la fonction divine ?

    • « Serait-il là, lui, spécifiquement en tant que sujet, …
        • agréant le sujet lorsqu’il se présente à lui …
            • et n’agréant pas l’absence du sujet ? »

5 – « Pas de visage, pas de sujet qui puisse parler en première personne. » Ou alors pas de visage périphérique en relation profonde, complète, consciente avec le Visage Originel central, notre « autoportrait » à tous … ?

Ce « tes faces » – panim en hébreux, un étonnant pluriel sans singulier – reste pour moi un mystère linguistique auquel il faudra bien se colleter un peu plus sérieusement un jour ou l’autre.

6 – Marie Balmary a également beaucoup travaillé sur cette fameuse « faute introuvable ». Outre ses ouvrages, il en est résulté notamment une pièce de théâtre, visible librement dans cette captation vidéo.

A peu près tout le monde se contrefiche aujourd’hui de la Genèse, à tort, mais parmi ceux qui restent combien parieraient sur la non-concomitance de la « faute » et du « péché originel » ?

7 – Ce « balistique » gène un peu le modeste tireur sportif que je suis (pistolet libre). Il me semble qu’il ne s’agit pas d’une petite erreur de tir, mais carrément d’une erreur de cible ! Ou, pour se référer à l’inépuisable carte de la note n° 5, d’une visée uniquement en zone périphérique « je suis humain » et pas dans le véritable cœur de cible : « Je Suis ».

8 – Ce qu’une trop rare Marie Balmary parvient encore à faire en fructueux échanges avec d’autres, suite à de nombreuses et patientes lectures & relectures, dans différentes langues et traductions, est-ce que cela sera encore possible suite au désintérêt grandissant pour la langue et la lecture et, peut-être aussi, pour le dialogue entre êtres soucieux de leur humanité commune ? Cette magnifique aventure humaine qui vient du fond des âges, est-ce que « la nuée de sauterelles électroniques qui s’est abattue sur le monde » et ce nouveau « monstre » technologique qu’est ChatGPT vont y mettre fin … ?

Il n’est peut-être pas inutile ici de rappeler aux « modernes » ce qu’est un livre :

9 – Je vous invite à tenter l’expérience de prendre connaissance des actualités de n’importe quel jour, relatées par n’importe quel média, avec cette « loi de relation, un interdit de connaître l’autre comme un objet qu’on mange – c’est-à-dire qu’on dédifférencie de soi » bien présente à votre conscience. Juste pour constater à quel point elle peut être piétinée, niée, violée … en permanence.

Cette vieille « loi de relation » – cet « interdit unique » – n’a sans doute été posée, dans une connaissance extrêmement fine de l’humain et de la fragilité de son humanité, que pour éviter d’en arriver là où en sont nos (dis)sociétés aujourd’hui … « Connaître l’autre comme un objet qu’on mange », est désormais une option parmi d’autres, plus perverse donc plus excitante … Le sujet humain commence à devenir surnuméraire …

10 – Pour « dominer et paroliser son travail », il faut disposer, en plus du désir de le faire, d’un peu de temps. L’obsession contemporaine de la croissance et de la productivité – soi disant indispensables pour conserver notre mode de vie non négociable et notre puissance, pour triompher dans la guerre économique et « make our nation great again » … – a détruit jusqu’au sens même du travail. Pour sortir la société française (et bien d’autres) du marasme lié à ce problème, il y aurait sans doute plus d’intérêt à s’inspirer de notions comme le « seva » du karma-yoga ou le « samu » du zen plutôt que de commander des rapports (gratuits … à condition d’être élu président !) à MacQuiC’est. Ces gens-là sont surtout spécialistes pour mettre en place des structures & modes de management garantissant le « ne pas être sujet » à tous … même au chef !

&

    • « N’advenant pas en première personne,
      • N’advenant pas en ce « Je Suis » central (Cf. dessin de la note n° 5 ci-dessus), ne parvenant pas à demeurer dans ce Non-Lieu, à s’appuyer sur ce Vide …
    • il restera mortel …

      • il restera prisonnier de la mort dans la seule zone périphérique « je suis humain » : un plus ou moins long parcours dans ce qui n’est qu’un étroit « couloir de la mort »
    • et retournera à la terre d’où il a été tiré. »
      • et retournera « corps & mental » – poussière étrangère à la dimension de l’Esprit – à cette matière d’où il a été tiré et qui constitue pour lui la totalité du réel.

N’en croyez surtout pas un traître mot, essayez, vérifiez !

11 – Quatre points d’interrogation dans ce bref & dense paragraphe …

« A cette question Marie ne répond pas. Marie répond rarement finalement. Elle lance des pistes. Elle déroule des chemins sur lesquels nous avançons ensemble. »

« Ouvrir Le Livre – Une lecture étonnée de la Bible »

La première question continuera vraisemblablement de hanter très longtemps les consciences humaines … La deuxième nous indique l’axe de travail – déjà évoqué plus haut – qui devrait urgemment devenir l’unique objectif de tout projet éducatif :

« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »

La troisième est de la plus haute importance pratique. Elle gagne à être replacée dans le contexte des grands massacres dont la modernité a le secret : guerres mondiales, Shoah, génocide rwandais, Yémen, guerre russo-ukrainienne, … Le seul moyen de mettre un terme définitif à la guerre semble bien être la construction d’une véritable culture du « sujet qui existe », de celui que la Vision du Soi nomme « Première Personne ». Il semblerait que ce soit « le seul espoir »

Enfin la quatrième devrait nous engager à refuser tout fatalisme et à réorienter la société pour qu’elle soit toute entière – des structures autour de la naissance et de la petite enfance jusqu’aux grandes écoles & universités, de l’organisation du travail jusqu’à celle des loisirs, … – au service de l’advenue du « sujet qui existe ». Nous en sommes actuellement très très loin, nous organisons même plutôt soigneusement l’inverse … Saurons-nous collectivement mettre en place ce nouveau paradigme avant « la grande implosion » ?

Quelque sujet tué & muet surgira sans doute encore de temps à autre, mais il deviendra l’exception.

12 – Paragraphe vertigineux et pourtant si indispensable … Nous sommes désormais de plain pied dans un monde de la « parole vide », de « la parole humiliée », que les nouvelles technologies de l’information et de la communication favorisent … La prolifération des « hommes creux » dans de nombreux me(r)dias & la diffusion continuelle de ce qui est le contraire d’une « parole » représente ainsi un réservoir de violence effrayant, insensé … C’est au « suicide » même de millénaires de réflexion et de grande culture – de culture du « Grand » – auquel nous assistons là en direct …

Que faire ? Se préserver & se régénérer par le jeûne médiatique, le silence dans une nature préservée ou lors de la méditation … Se recentrer sur les paroles débordant de la plénitude intérieure de ces grands vivants que sont les êtres de spiritualité & sagesse. Soigner sa relation à soi-même & tous nos frères humains … S’engager entièrement – « Corps & Âme – Esprit » – dans « une transformation totale du sens de la grandeur ». … Maintenir « ouvert le combat pour la parole » : immense et magnifique chantier !

13 – Jacques Brosse s’est colleté à la « formation du monstre » dans « Hitler avant Hitler – Essai d’interprétation psychanalytique ».

Toutes les « expérimentations » modernes fragilisant les frontières du sexe et des générations ne vont pas systématiquement engendrer des « monstres », non. Pour ce faire un plus large contexte « favorable » sera aussi nécessaire. Mais restons « optimistes » : des conjonctions « positives » se produiront, nous aurons alors de nouveau « réussi à échouer »

Je suis certain que la modernité occidentale n’a pas fait tout le travail nécessaire sur les racines & conséquences du désastre de la période nazie : si la part historique factuelle, objective, est faite, il reste les dimensions plus intimes à creuser encore et encore, dans la lignée d’ouvrages comme :

Une preuve de cette nécessité ? Cette « opération spéciale » que la Russie de WP mène actuellement en Ukraine … Hitler et ses sbires ne faisaient eux-aussi que dans le « sonder-« , refusant soigneusement  de nommer l’innommable pour mieux parvenir à le mettre en oeuvre.

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

4 réponses sur « Genèse du fratricide : Caïn en danger – Marie Balmary »

La prochaine fois, cher Jean-Marc, il faudra changer de format pour que votre page puisse être ne serait-ce qu’un peu lisible!! Pensez à vos lecteurs, ayez compassion de ceux qui font l’effort de vous lire et de vous suivre! Une telle longueur de texte décourage! De plus, autant de références, d’annotations, de renvois, de notes, de réflexions et de commentaires, dans un ordre qui fait plutôt désordre, dessert totalement votre intention initiale, et contredit la présentation de votre pratique comme quelque chose de simple et d’efficace. Si vous avez autant de choses à dire quasiment sur tout, et si chaque auteur cité vous donne l’occasion à chaque fois de vous répandre sans retenue sur vos sujets préférés, écrivez plutôt un livre! Et par pitié, apprenez à vous discipliner et à ménager vos lecteurs! La quantité de textes que vous nous imposez est disproportionnée, et proportionnellement inverse à la qualité de la sagesse que vous préconisez. Cette ascèse d’écriture fait aussi partie de la « fraternité » et du rapport à l’autre comme n’étant pas de l’ordre du consommable. À ce sujet, et pour une référence datant d’avant les commentaires bibliques de M. Balmary, il aurait fallu mentionner le maître par excellence de l’altérité qui fut et reste E. Levinas. Sans quoi, on aurait l’impression que votre égérie aurait puisé uniquement en elle-même ses idées sur autrui et son visage, ce qui serait totalement injuste. Enfin, je me contenterais de dire que le visage d’autrui, au sens biblique, n’a rien du visage originel dont vous parlez, lequel s’apparente à une vacuité impersonnelle que vous tentez de personnaliser comme « espace d’accueil », ce qui représente un véritable oxymore, car aucun « espace » par définition n’a la capacité d’accueillir qui ou quoi que ce soit. Ce geste relève uniquement de notre humanité et de rien d’autre. Il y aurait beaucoup à dire sur l’interprétation judaïsante de la Bible de M. Balmary, mais ce sera pour une prochaine fois ou sur un autre site…
Bien à vous.
Bruno

Bonjour Bruno,

Vous n’appréciez pas trop la recherche de Marie Balmary, vous me l’avez déjà écrit à de nombreuses reprises. C’est votre droit.

Mais moi je l’apprécie au plus haut point, elle me nourrit, et c’est mon droit de lui consacrer de la place sur volte-espace. Bien entendu si elle disposait d’un peu plus d’espace dans les médias, comme elle le mérite amplement, je serais sans doute plus raisonnable. Mais elle demeure un trésor caché … et il faut bien que quelqu’un se charge de relayer ces merveilleuses trouvailles !

Quand on aime, on ne compte pas ! Je continuerai donc à relayer ses écrits autant que faire se peut. Merci de faire suivre à tous vos contacts sa page sur volte-espace.pedia !

Levinas, bien sûr, mais il me faudra un peu plus de temps. J’ai l’intuition que concernant le « visage » il dit exactement la même chose que Douglas Harding, bien que l’on puisse penser le contraire si l’on se contente de la lettre.

« vacuité impersonnelle » … portée par une personne & qui porte cette personne ! L’immanence du Tout Autre est à la fois parfaitement simple & très élaborée. Encore faut-il avoir le désir de « progresser » dans la direction de ce non-lieu là pour y parvenir & demeurer. « Venez et voyez » comme disait l’Autre …

Grande question : est-il possible d’être véritablement humain sans être divin ? (Il existe d’autres formulations plus acceptables … je sais !)

Bonne journée

Jean Marc

« Venez et voyez! » Votre leitmotiv, toujours increvable! Mais qu’ont donc vu exactement les disciples puisque cette parole s’adressait à eux? La Vision du Soi ou celle du « Sans tête »? Sans rire? Il suffit de se reporter aux textes sans rien extrapoler ni surimposer pour comprendre qu’il ne s’agit pas là d’une expérience mystique, transcendante, ni métaphysique. Les disciples sont juste invités à voir (Jean 1,39) le lieu où demeurait Jésus, un lieu bien physique, normal, où ils sont restés pendant une journée. Rien d’autre. On peut mieux concevoir ainsi votre propre délire interprétatif, comme le fait que ce site n’est nullement à l’intention d’autrui, dont vous vous contrefichez, mais seulement à votre propre usage personnel. Mais en ce cas, pourquoi y invitez-vous des visiteurs à qui vous demandez de surcroît de ne pas croire un traitre mot (second leitmotiv) de ce que vous racontez, comme s’il existait effectivement une trahison en ces paroles qui sont vôtres et qui répètent à l’envi celles de vos maîtres? Une trahison qui serait celée dans votre site? À moins qu’il s’agisse d’un appel à la dissidence, à devenir un traître ou un transfuge, mais pour quoi? Tout cela est d’une parfaite ambiguïté, comme cette soi-disant vacuité porteuse d’une personne! « Être humain sans être divin », mais oui, cher Jean-Marc, c’est d’ailleurs précisément la vocation de l’être humain de se garder des extrêmes comme le disait si bien Pascal, un vrai génie qui avait compris qu’en voulant se faire ange, l’homme pouvait très bien devenir bête et sombrer dans la bêtise… Bien à vous. Bruno

Bonjour Bruno,

 » Les disciples sont juste invités à voir le lieu où demeurait Jésus, un lieu bien physique, normal, où ils sont restés pendant une journée. Rien d’autre. »« Sans rire ? »

Dans le contexte de l’évangile de Jean, dans la continuité du Prologue, il me semble déceler ici un « délire interprétatif » très étroitement matérialiste …

La Vision du Soi est-elle « une expérience mystique, transcendante, métaphysique » ? Absolument pas : il s’agit simplement de Voir ce que je vois et seulement ce que je vois, de constater objectivement ce que je vois en tant que sujet. Il se trouve que la description de cette expérience coïncide assez bien avec de très nombreux récits de la Philosophie Éternelle. Ça permet de vérifier (l’unique & essentiel leitmotiv de la Vision du Soi) si « les experts ont bien pigé le truc ». Ça permet de ne pas se contenter d’expériences de seconde main, de ne pas essayer, vainement, de les imiter.

Je ne me « contrefiche » de personne sur volte-espace : j’essaye très honnêtement de partager un trésor absolu, une méthode moderne d’accès à cette « lumière » et à ce « Je Suis » (ego eimi) dont parle Jean. Le « monde » en a désespérément besoin & le « monde » n’en veut pas, il « préfère les ténèbres à la lumière ». Donc je persévère tranquillement … sans me prendre une tête que je n’ai pas ! Je n’oblige personne à venir sur volte-espace, surtout pas des gens comme vous qui semblent s’être donné pour mission de prouver l’inanité de cette Voie sans même l’avoir essayée. J’essaye d’accueillir tout un chacun avec « infinite patience & infinite love », les deux pouvoirs secrets de Swâmi Prajnânpad. Pas toujours facile …

La Vision fait peur à beaucoup parce qu’elle permet de « mettre un terme au maître » (!) Elle permet de Voir rapidement, simplement, concrètement, joyeusement, avec quelques outils bricolés, « high concept & low technology », qui permettent aussi de demeurer en ce Non-lieu, de partager l’accès … Une véritable percée, une révolution ! Vous n’en voulez pas ? Aucun problème. Si vous préférez errer & souffrir en périphérie, c’est triste pour vous mais je n’y peux rien.

« Cette soi-disant vacuité porteuse d’une personne … d’une parfaite ambiguïté » : eh oui, un « mystère » que la Vision n’explique pas plus que n’importe quelle autre sagesse & spiritualité, mais – excusez du peu – qu’elle permet de vivre dans son absolue Réalité. C’est comme cela et pas autrement : tout être humain est porteur de cette transcendance et l’immanence de cette dernière le porte également. C’est beaucoup plus simple à vivre, à réaliser, qu’à décrire à peu près correctement, même pour les vrais pros du langage et de l’écriture.

Ne faites pas de Pascal un promoteur d’un faux juste milieu. En bon scientifique il aurait certainement apprécié de pouvoir disposer d’une méthode éprouvée de Vision, plutôt que de devoir se contenter du Mémorial

Bonne journée

Jean Marc

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