Rappel : « Pratique du zen vivant » relate les alternances d’exposés (« teishô »), suivis de questions & réponses, de treize sessions intensives de zazen dirigées par Jacques Brosse entre le 26 décembre 2000 et Pâques 2004.
Je présente lors de la séance hebdomadaire de Méditation dans l’esprit du zen & sur ce site quelques points saillants de ces exposés, bien entendu en lien direct avec la pratique de la Vision du Soi selon Douglas Harding. Libre à vous de déposer ensuite vos questions et/ou commentaires, de lire (et relire …) ce livre de Vie. Je me permets cependant de vous recommander de le lire pour vérifier si « les experts ont bien “pigé le truc” ».
&
Qu’a donc exposé Jacques Brosse cette fois-ci ?
- « Le zen, c’est le bouddhisme, l’essence du bouddhisme, l’enseignement silencieux du Bouddha Shâkyamuni. Et l’on ne peut pas plus détacher le zen du bouddhisme qu’une branche d’un arbre, sans que cette branche se dessèche et meure. … Dès que l’on sépare la pratique de la méditation du bouddhisme, dès que l’on fait quelque chose de séparé que l’on baptise zen, elle ne peut que dépérir. … »
- Si vous n’êtes pas totalement au clair avec ce « bouddhisme » (qui peut vraiment l’être ?), l’article wikipedia correspondant peut vous aider … ou vous embrouiller ! Vous pouvez également vous référer au « petit » livre d’Hervé Clerc : « Les choses comme elles sont – Une initiation au bouddhisme ordinaire » (Folio Essais n° 553). Surtout, pas d’inquiétude excessive, « quand on s’intéresse au bouddhisme … », c’est qu’on commence à réfléchir au sens de sa vie.
- Revenons à la citation de Jacques Brosse, étonnante à au moins deux titres. Historique d’abord, puisque le « zen » actuel est en effet le résultat du « voyage » du bouddhisme originel « inventé » et développé en Inde sur presque un millénaire, avant d’aller se faire « digérer » en Chine (Tch’An), de passer au Vietnam et en Corée, avant d’être « transplanté » au Japon entre le 6° et le 13° siècle, puis de « s’implanter » aux États-Unis, en Europe, partout. Si au cours de ces impressionnantes pérégrinations l’absence de forme – le « vide » ou espace d’accueil central – demeure, les formes périphériques ont nécessairement été soumises à la loi de l’impermanence. Et ça continue et continuera, heureusement !
- Naturaliste ensuite, puisque le fin botaniste qu’était Jacques Brosse ne pouvait ignorer l’existence du procédé de greffe. Il est possible de prélever un greffon (épibiote), de prendre les précautions nécessaires pour éviter qu’il ne se dessèche, pour l’enter ensuite sur un porte-greffe (hypobiote). C’est non seulement possible, mais c’est pratiqué depuis très longtemps à grande échelle par les pépiniéristes avec d’excellents résultats. C’est, me semble-t-il, la métaphore technique correspondant le mieux à l’exhortation de Yuho Seki Roshi : « N’imitez pas les Japonais ! ». Le greffon du zen pourrait régénérer bien des « portes-greffes » aux formes en voie d’épuisement …
- Est-ce que le zen versus Vision du Soi est « quelque chose de séparé … qui ne peut que dépérir » ? Ce blogue propose bien des éléments de réponse à cette légitime interrogation. Ceux de Douglas Harding d’abord : « Objections et réponses 5 », « Objections et réponses 2 », « Objections et réponses 3 », « Objections et réponses 10 », … tous ses écrits en fait. Ceux de John Toler : « The zen of seeing ». Ceux d’Alain Bayod : « Satori, c’est gris ». Ceux que j’ai rassemblé dans ce billet : Contributions de la Vision du Soi à la méditation dans l’esprit du Zen, mais également dans la plupart de ceux qui évoquent méditation et zen. Cependant la seule véritable réponse, c’est celle qui engage ma responsabilité en pratiquant cette activité hybride de « Vision & méditation » et en observant les « fruits » produits dans ma vie par cette nouvelle « variété ». Donc … vérifiez !
- « … Le zen, fondamentalement, c’est la transmission mystérieuse de l’Éveil du Bouddha à travers les siècles, depuis deux millénaires et demi, la transmission exacte, certaine, de maître à disciple. … »
- « Mystérieuse » : voilà ce qui est le plus important dans l’extrait ci-dessus. Le désir d’une « transmission exacte, certaine » et même certifiée par un « maître » soigneusement nidé dans une lignée établie, instituée, n’est peut-être que la superbe ruse d’un ego motivé par la peur et souhaitant avant tout être rassuré. Cette « transmission exacte, certaine » peut passer par bien des canaux, la pèche à la ligne ou l’entretien des motocyclettes, etc., et c’est fort heureux ! Là encore l’histoire du zen, lue de très près, constitue un bel enseignement des limites de ce sacro-saint principe « de maître à disciple » si souvent invoqué : cf notamment l’épisode fameux du 6° Patriarche Houei-Neng (« Les Maîtres zen »). Qui osera dire que ce principe, très souvent lié à un lieu, à des ressources, à des protections, bref à une structure, est de nature à renforcer un « pouvoir » temporel … dont il convient pourtant de se libérer complètement ? L’ai-je écrit … !
- Une citation d’Yvan Amar peut venir utilement illustrer mon propos : « Un éveillé pour moi est celui qui est à la fois contagieux de ce qu’il vit, et en même temps capable de le transmettre, et par conséquent de transmettre les pratiques, les structures conductrices qui correspondent au temps, au lieu où il se trouve. C’est quelqu’un qui est traditionnellement un traître. Il va trahir les anciennes formes pour révéler les nouvelles. Il va actualiser l’éternel dans l’enseignement qu’il transmet. » Cf. « Les nourritures silencieuses ». « Actualiser l’éternel … », c’est le sens même du mot « teishô », c’est le sens même de la Vision du Soi … Vérifiez !
- « … Un nouveau Bouddha doit descendre sur terre à son tour, son nom est Maitreya, « celui qui aime », le « tout-amour ».
- A vrai dire vous le connaissez aussi bien que moi ce nouvel-advenu : c’est toi, moi, nous … lorsque nous demeurons dans notre véritable nature d’espace d’accueil illimité & inconditionnel, lorsque nous consentons à assumer notre « autoportrait ». Seul cet ancrage dans le « Je Suis » central (ou quelqu’autre dénomination que ce soit) garantit d’être « amical, bienveillant, … » envers tous & tout. Mais … vérifiez !
- « Tout le Dharma du Bouddha, tout l’enseignement véritable repose sur cette transmission directe, … pas seulement de la méthode de l’Éveil mais l’Éveil lui-même … impossible à comprendre par l’esprit, le mental, que le mental récuse, qu’il refuse. »
- En zazen comme dans un atelier de Vision du Soi, « la pratique c’est l’éveil, l’éveil c’est la pratique » (Dogen). La pratique véritable n’est pas pratique d’un moyen pour se rapprocher progressivement d’une fin, mais pratique – simple, concrète, joyeuse – de la fin elle-même. La véritable méditation, ce n’est pas moins que cela ; sinon ce n’est qu’une préparation à …
- « l’esprit, le mental … ». Dans le même exposé, Jacques Brosse écrit aussi « l’esprit, le mental limité … ». Tant que nous restons dans la confusion de ces deux mots – absolument distincts, opposés même -, nous ne comprendrons rien à ce qui nous intéresse ici. Il nous faut voir clairement que corps et mental relèvent conjointement de la zone périphérique « je suis humain », tandis que « Esprit » est une des dénominations possibles pour le « Je Suis » central. La tripartition anthropologique de Michel Fromaget, « Corps & Âme – Esprit » est fondamentale … et pas si difficile à intégrer à l’aide d’un peu de Vision du Soi !
- D’ailleurs dans l’échange de questions & réponses qui suit cet exposé, Jacques Brosse écrit : « Le mental est une émanation de notre cerveau, il meurt avec lui. L’esprit, lui, n’est pas localisable, il est immortel, impersonnel et la mort le libère. » L’essentiel est dit, même si je ne saisis pas vraiment ce « … la mort le libère. » Liberté étant un autre nom possible de l’Esprit, du « Je Suis ».
- Cette « transmission directe » est traditionnellement condensée dans l’expression japonaise « ishin-denshin » (NB : le contenu de ce lien est assez faible …), elle-même traduite par transmission « de cœur à cœur », voire parfois pire : « transmission face à face » ! Je suis persuadé – mais il reste un peu de travail pour le démontrer – qu’il s’agit très exactement d’une relation mutuelle « face à espace » & « face to no-face » … et de rien d’autre. Ce qui se transmet dans ce mode de relation si simple, si évident, si naturel, si joyeux … c’est la certitude – contagieuse – d’être espace d’accueil illimité & inconditionnel. Il ne reste plus qu’à rester vigilant pour demeurer Cela, toujours, partout, en toutes occasions.
- Cet exposé n° 17 particulièrement dense contient encore quelques points saillants à explorer, mais ce billet est déjà suffisamment copieux. Ils se retrouveront certainement plus loin dans le livre.
Cordialement
9 réponses sur « Pratique du zen vivant, « exposé » 17 – Jacques Brosse »
Se tenir dans l’espace illimité, dans l’espace inconditionné de l’accueil illimité, dans le soi, dans cette absoluité sans commencement ni fin, est-ce aussi se tenir dans l’origine même de toute chose et de tout être ? Est-ce se tenir au-dessus du monde, de l’existence, de la vie, tout en étant dans le monde dans l’existence et dans la vie ? Est-ce se tenir donc dans l’origine, la nôtre comme dans celle du monde ou de l’univers avec lesquels nous ne faisons plus qu’un ? Et cette aspiration, ou plus exactement cette réalisation de cette aspiration, est-elle celle qui est en nous depuis toujours, ou est-ce celle de l’origine elle-même qui nous appellerait ainsi à revenir à elle-même ?
Bonjour Bruno,
Alors oui en réponse à toutes ces questions.
Mais plutôt que « … se tenir au-dessus … », je préfère nettement : se tenir en-deçà. Dans l’évidence, sur « le terrain solide du voir », …
« Revenir » à nous-même & revenir à l’origine. Blanc bonnet et bonnet blanc. Bingo !
Cordialement
Se tenir ainsi dans l’Ouvert, dans l’Origine, dans le « Je Suis », dans le Soi, l’Absolu, l’espace inconditionnel de l’Accueil, ou encore l’Accueil inconditionnel et spacieux, est ce rejoindre l’origine même, c’est-à-dire ce qui se situe hors du temps, hors de l’espace même, hors de l’histoire et hors de toutes les vicissitudes de la vie et de l’existence ? Est-ce rejoindre ce qu’on ne peut rejoindre ordinairement et normalement ?Est-ce aussi se situer hors du monde tout en étant dans le monde, comme le disait le Christ, et se tenir ainsi dans ce qui est au-delà de tout et permet au tout d’advenir ici même et en nous ?
Bonjour Bruno,
Désolé pour ces réponses décalées dans le temps, mais je suis fort occupé ces temps-ci.
A votre « se tenir » je préfère le verbe « demeurer ». Demeurer dans Ce que nous sommes, tous. C’est-à-dire, effectivement, être « l’origine ». Demeurer en-deçà des « tribulations » des Évangiles … ou des vrittis du Yoga.
Pourquoi serait-il impossible de « rejoindre ordinairement et normalement » Ce que nous sommes, tous, Ce qui constitue notre véritable nature, le « sahaja state » des écritures de l’Inde traditionnelle ? Pourquoi serait-il impossible d’accomplir notre destinée, de faire notre part de travail en réunissant ressemblance et image ?
Demeurer « hors du monde tout en étant dans le monde » : c’est consentir à notre « autoportrait », vivre conjointement le « Je Suis » central et le « je suis humain » périphérique, tout aussi précieux l’un que l’autre.
Oui, demeurer dans ce qui est plutôt en-deçà « de tout et permet au tout d’advenir ici même et en nous ». Cela paraît un peu grandiloquent exprimé ainsi, mais c’est l’expérience d’un atelier de Vision du Soi, d’une vraie séance de méditation & contemplation ou d’une vraie pratique de qi gong ou de yoga. Ça peut devenir l’expérience quotidienne courante … avec bien sûr quelques sursauts sporadiques du « je suis humain » !
Je n’ai jamais dit que c’était facile … de consentir à Ce que nous sommes. Mais existe-il une autre possibilité, un autre chemin de paix et de joie ?
Cordialement
« L’ai-je écrit … ! »
Oui, et j’en suis moi-même témoin ainsi que tout votre site et ses lecteurs, vous l’avez écrit et réécrit, cher Jean-Marc, des dizaines de fois!
Et pourtant!… Oui, et pourtant! La question d’une transmission directe, de maître à disciple ne laisse pas d’interroger, surtout pour une sagesse comme le Bouddhisme où, faut-il le rappeler, le premier éveillé n’a jamais été le réceptacle passif d’une quelconque transmission. Ce fut d’ailleurs l’un de ses titres de gloire toujours répété dans toutes les écoles depuis des siècles. Et cela sur fond de transmission d’une expérience qui est par nature… intransmissible! En effet, rien de celle-ci ne peut jamais être vraiment transmise, puisqu’elle concerne le « mystère » d’une personne qui s’ouvre non pas à l’expérience d’une autre, mais à un Autre qu’elle et qui n’est pas humain, lequel, comme vous le rappelez très justement, se passe de tous les moyens humains pour s’éprouver. Toutefois, pour se perpétuer et ne pas se déliter dans l’air du temps et dans les remous de l’histoire, toute sagesse est obligée un jour ou l’autre d’abandonner sa dimension charismatique et spontanée, pour s’institutionnaliser. Manière aussi, et on ne le dit pas suffisamment, d’accepter d’abandonner son utopisme et son sectarisme, certes fascinants et chaleureux mais toujours dangereux, et de mûrir… dans la sagesse. Sans quoi, nous ne saurions pas en quoi consiste le Zen ou le Chan, et le Bouddhisme encore moins. C’est aussi cela le mystère de la transmission, orale ou écrite. Et c’est peut-être ce qui arrivera à un courant comme celui de D. Harding s’il veut franchir les fourches caudines du temps dont il se croit un peu trop dégagé…
Bien cordialement. Bruno
Bonjour Bruno,
Oui, je l’ai bien écrit, la question n’était qu’une coquetterie … On doit même retrouver dans volte-espace une citation d’un ami, Anaël Assier, qui m’a transmis une formule amusante, et donc facile à retenir : « Il est temps de mettre un terme au maître » … surtout quand on a la fièvre !
D’ailleurs cette proposition rejoint celle de Marie Balmary : « un messie à ne pas suivre » dans « La divine origine. Dieu n’a pas créé l’homme », une traduction & interprétation neuve de Matthieu 10, 38 et 16, 24. Pour l’instant nous restons pour la plupart assez éloignés de cette position, nous restons fidèles au mythe, confortable, de l’homme ou de la femme providentiels, du sauveur. Comme des ados immatures en recherche d’identification …
Cette « expérience par nature … intransmissible! », la Vision du Soi selon Douglas Harding permet de placer celui & celle qui la désire plus que tout dans une posture qui permet de la vivre – simplement, concrètement, joyeusement. Nous avons eu de très nombreux échanges à ce propos, donc pas la peine de recommencer. Ceux que ça intéresse vitalement trouveront le moyen d’accéder aux expériences, les autres continueront de lire des livres, d’écouter et de suivre des « maîtres » …
« … un Autre qu’elle et qui n’est pas humain, …, [qui] se passe de tous les moyens humains pour s’éprouver ». Il me semble que cet « Autre » cherche, souvent désespérément !, un « petit » humain pour l’incarner … avec, nécessairement, des « moyens humains ». Comment est-ce que ça pourrait se passer autrement ? Dans notre ignorance et notre prétention nous pensons souvent que nous sommes responsables de tout le processus … En réalité c’est d’abord la Source qui a soif d’être bue …
Quels sont, globalement, les résultats de cette « institutionnalisation » ? Sinon une dégradation considérable de l’intuition, et plus précisément de la Vision originelle. Des couches de lourdeur, des tonnes de commentaires, du cléricalisme, des règles absurdes, des abus nombreux, des réformes sans cesse à re-réformer. Cela Qui Est en-deçà de l’espace et du temps n’a rien à craindre « de l’air du temps et des remous de l’histoire ».
Le Zen ne s’en sort pas si mal … tant que l’on considère que « le Zen c’est zazen ». Demeurer aussi proche de l’expérience originelle que possible, surtout ne rien rajouter … Il me semble que la Vision du Soi aide considérablement le Zen dans cette optique.
Douglas Harding craignait toute forme d’organisation de la Vision comme la peste. Il n’avait pas tort.
Voilà. Un peu brut de décoffrage, mais mon jardin donne à profusion.
Cordialement
Etrange billet sur une figure bien ambiguë du zen français!
Jacques Brosse, que j’ai rencontré au dôjô de Paris et à La Gendronnière, a fait précisément partie de ces experts qui croyaient avoir « pigé le truc » en colportant deux idées particulièrement erronées :
d’abord, que le zen qu’il a pratiqué serait l’essence même du Bouddhisme (avant de l’affirmer péremptoirement, il serait nécessaire, je pense, de se poser la question de savoir s’il existe bien une essence du Bouddhisme, et si celui-ci peut se définir à partir de votre schéma binaire : centre/périphérie).
Et que ce même Bouddhisme serait condensé à son tour dans cette seconde idée selon laquelle l’enseignement le plus pur et le plus élevé du Bouddha aurait résidé… dans son silence.
Or, cette idée d’une transmission silencieuse de l’éveil par le Bouddha n’est rien d’autre… qu’une vision et une invention des bouddhismes Ch’an et Zen que ces derniers se sont faits fort de propager pour légitimer leur prétention à représenter… l’essence même du Bouddhisme !
Voilà un cercle pour le moins peu vertueux!
Bien évidemment, pour les zenistes, toute objection à cette idée, devenue un dogme indiscutable, est déplacée. Et pour mieux vous en convaincre, ils ont l’art, très zen, de vous renvoyer à la pratique de la méditation zen et au silence que celle-ci impose…, pour mieux vous réduire au silence.
Personnellement, je me suis maintes fois confronté à cette pénible réalité, je l’ai aussi maintes fois vérifiée, et elle n’a malheureusement jamais été démentie.
Or, il suffit de lire quelques pages des sûtras les plus anciens pour constater que le Bouddha n’a jamais été un sage silencieux. Tout au contraire!
Et que dans ses pérégrinations prosélytiques, il n’a cessé d’enseigner par la parole, de converser et d’échanger verbalement avec autrui, et de tenter de toutes les façons possibles de convaincre ses adversaires, c’est-à-dire de les convertir, sans jamais avoir eu recours au silence.
Le nom de « Sakyamuni », accolé généralement à celui du Bouddha, n’a jamais signifié « le silencieux – muni en sanscrit – du clan des Sakya », clan auquel il appartenait. Mais bien « le sage du clan des Sakya ».
Ce qui change tout et invalide cet adage zen plutôt fumeux. Comme il disqualifie l’idée simpliste que le Bouddhisme se résumerait à une simple pratique méditative, alors qu’il est une religion d’une grande complexité où tous les aspects, secondaires comme primaires, comptent.
Essayez! – Vérifiez! Et vous verrez à votre tour, cher Jean-Marc….
P.S. Je vous recommande le dernier livre de Marion Dapsance : « Le bouddhisme des bouddhistes: La véritable religion des asiatiques » paru aux éd. du Cerf et qui vous éclairera.
Fort bien, cher Jean-Marc, et je vous remercie de ces appréciations positives, comme de ces précisions.
Revenir à soi-même ou à nous-même signifierait donc revenir aux origines. Et revenir au origines serait une manière de revenir à soi, ou au Soi, c’est-à-dire aussi de coïncider avec nous-même.
Mais si j’ai bien lu la Bible, il est clairement spécifié que nous ne sommes justement pas nos origines, que celles-ci ne se confondent jamais avec nous, et que nous ne pouvons pas nous « originer », si je puis dire, en nous-mêmes. Car nous provenons d’un Autre que nous, une altérité qui n’est pas nous et que nous ne sommes pas. Et que c’est cette altérité, et non un Soi impersonnel, qui nous constitue au-delà de nous et de notre désir. Ce qui implique qu’une éventuelle coïncidence avec soi, avec le moi ou avec le Soi, celui des origines, est et reste impossible…
(Vous comprendrez j’espère que sont écartées a priori toutes les réponses bancales qui font la part belle au «en même temps », propre à la sophistique marconienne, et qui feraient valoir par exemple que ces origines seraient et ne seraient pas nous, surtout lorsque nous nous identifions au petit « moi », mais qu’elles seraient bien nous, lorsque nous nous identifions au grand Soi…)
D’après non seulement ma propre expérience, mais aussi celle d’autrui comme la vôtre, sur lesquelles je commence à être particulièrement bien documenté grâce à vous et à votre site, la vision sans tête est une vision sans pensée, c’est-à-dire une expérience d’être sans ego, sans acte de penser, ni penseur.
C’est le « je suis » qui prédomine au coeur de celle-ci et qui efface ou englobe tout le reste. Et si ce « Je suis » est aussi prédominant, c’est parce qu’il écarte toute différence et toute altérité qui se présenterait comme un « tu es », lequel n’apparaît jamais dans une telle vision. De même qu’il est inexistant dans les phénomènes d’éveil ou d’illumination. D’ailleurs, aucun maître du Vedanta, de Sankara à R. Maharshi, et d’A. Desjardins à D. Harding ne l’a, à ma connaissance, jamais mentionné. Et le Bouddha, comme les maîtres du ch’an, du zen ou du dzogchen, non plus.
Face à ce « Je suis », il n’y a donc rien ni personne, ce qui ne laisse pas d’être paradoxal, puisque ce « Je suis » n’est pas une parole entendue, ni prononcée par quelqu’un (et par qui le serait-elle? puisqu’il n’y a personne dans cet espace vide, surtout pas le moi). Ne reste que l’espace d’accueil inconditionnel et inconditionné, mais qui n’accueille apparemment que ceux qui s’apprêtent eux-mêmes à entrer dans cet espace. Or, cet espace n’existe que grâce à la projection de celui qui s’extasie dans cet espace même, vécu comme émanant d’un Soi apparemment impersonnel, mais que le méditant produit en fait à son insu comme un état d’être total, sans faille, ni différenciation. Et si un autre se présente dans cet espace inconditionné, il est aussitôt accueilli en celui-ci non pas comme une altérité, mais comme l’une des nombreuses manifestations du Soi. Autrement dit, il est intégré et assimilé à la vision même de ce Soi, comme un même que soi, ou encore un même être que le Soi. De sorte que rien ni personne ne peut venir troubler cette vision, puisqu’en elle il n’y a rien ni personne.