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« Les nourritures silencieuses » d’Yvan Amar – Jean-Marc – Revue VST n°10/01-2002

  «Avoir quelque chose devant soi, c’est se tourner le dos»

Dans le cinquième numéro de la revue Vivre Sans Tête, Patrice Lajus avait consacré une page à l’ouvrage d’Yvan Amar « Les Béatitudes ». Assez bien résumée, me semble-t-il, par :

« La vision de Dieu n’est pas voir Dieu, mais le voir de Dieu par mes yeux »

…, aphorisme extrait du recueil « Les nourritures silencieuses », paru aux Éditions du Relié en février 2000, collection de « phrases choc » issues des carnets personnels de l’auteur.

Les écrits d’Yvan Amar ont toujours profondément retenti en moi, et d’autant plus fort depuis que la Vision du Soi proposée par Douglas Harding me permet de les goûter vraiment. Difficile donc de ne pas tenter un rapprochement entre ces deux « amis spirituels », reliés avant tout par leur totale exigence sur le chemin. Venus en effet, comme un illustre prédécesseur, apporter « non pas la paix, mais l’épée », pour trancher l’illusion de la symétrie, du face à face, et le mensonge de la relation évitée.

Yvan Amar & Douglas Harding

Face to no-face & Face à Espace

« On veut bien être des deux fois nés, mais pas des trois fois morts… En quelque sorte, on veut bien être des deux fois quelque chose, mais pas des trois fois rien ! »

« Le risque dans la voie de l’illumination est aux antipodes du risque habituel, qui affirme l’importance de celui qui le prend. Car ce risque fait disparaître celui qui le prend. Le risque de l’humilité. C’est un risque qui non seulement est un risque pour rien, mais qui en plus fait disparaître celui qui le prend. »

« L’enseignement ne permet pas, il oblige. Il oblige à ce qui est, il oblige à soi, il oblige à cette absolue sincérité, à cette absolue simplicité. Il oblige à ce que nous sommes maintenant. »

Proches aussi par la puissante originalité de leurs enseignements, tellement a-traditionnels qu’ils en rejoignent aisément la source même du Réel. Aisément … du moins pour nous qui avons le bonheur de bénéficier d’un résultat qui a coûté bien des tourments à ces deux « trouveurs ». Puissante parce que située bien au-delà de la compréhension :

« Je ne vous propose pas de comprendre le Mystère, mais de devenir le Mystère. »

« La connaissance divise, le Mystère rassemble – unit. »

« La compréhension est un fantasme inventé par la peur. »

« L’enseignement n’est pas une explication, parce que l’éveil n’est pas une compréhension.»

« Voulons-nous être informé, performant, ou transformé, conscient ? Être informé n’est pas être conscient. »

J’ai été particulièrement heureux de découvrir dans « L’Effort et la Grâce » le passage suivant, qui me paraît éclairer un aspect important de la parenté de recherche de ces « témoins et conducteurs du Réel » :

« Un éveillé pour moi est celui qui est à la fois contagieux de ce qu’il vit, et en même temps capable de le transmettre, et par conséquent de transmettre les pratiques, les structures conductrices qui correspondent au temps, au lieu où il se trouve. C’est quelqu’un qui est traditionnellement un traître. Il va trahir les anciennes formes pour révéler les nouvelles. Il va actualiser l’éternel dans l’enseignement qu’il transmet. »

Voici resurgir une loi d’airain dans le domaine qui nous intéresse : « La lettre tue, l’esprit vivifie », que bon nombre d’« exclusifs » de toutes traditions ont parfois tendance à minorer, voire oublier … Mais « l’esprit souffle où il veut. » Pour Yvan :

« Un instructeur n’est pas le souffleur, il est le souffle, l’Esprit. Le souffle décoiffe …, cela nous dérange parce que nous aimons être bien coiffés, car nous voulons plaire et séduire. »

Il nous engage à devenir « des lieux de transformation, des lieux de mort des mots afin que la vie des actes soit. » Pour Douglas, le souffle décoiffe d’ailleurs tellement qu’il emporte les têtes sur son passage …

J’ignore comment Yvan Amar transmettait ce qu’il exprime de façon si percutante, sans doute par ce subtil miracle, en partie théorisé par Carl Rogers : vision positive inconditionnelle (oh combien … !), congruence et empathie, ainsi que par un don des mots qui rend ses ouvrages si agréables à lire et relire.

Mais la vision du Soi me permet réellement d’apprécier à leur juste valeur des formules comme celle que j’ai retenue en guise de titre, véritable koan … Et celles-ci en retour viennent nourrir cette vision … qui en a bien besoin ! Il existe bien sûr d’autres moyens que la lecture, tant il est vrai que TOUT a la capacité de nous ramener ICI, « sarvam annam », tout est nourriture. Mais la lecture demeure un moyen puissant et commode de confirmation de la vision, à partir des textes, traditionnels ou sauvages, des diverses aires culturelles de toutes les époques. La vision a besoin de nourriture car elle ne constitue qu’un commencement, essentiel, qui va nécessiter des années d’incarnation, pour que le verbe devienne chair. Pour que peu à peu « disparaisse de l’esprit le poison du doute, du cœur le poison de la colère, du corps le poison de la peur. »

Quelle autre proximité me semble importante ? La dimension collective assurément, qu’Yvan Amar exprime en écrivant qu’ « on ne peut grandir qu’en grandissant ensemble », et que :

« Le plus beau cadeau de l’éveil ce n’est pas de s’ouvrir à une dimension de conscience qui serait la liberté, c’est de s’ouvrir à l’immense responsabilité de l’amour ».

Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que Douglas ouvre son premier article dans la revue Vivre Sans Tête, « Communauté », par cette citation du Nouveau Testament : « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères. » Sans cette dimension test de l’éveil, nous ne faisons que « prospérer spirituellement » sans changer réellement.

Également cette insistance première sur « le Royaume des cieux et sa justice », tout le reste venant de surcroît. Je me souviens d’une discussion avec Douglas à propos de psychothérapie en général et de Carl Rogers en particulier. Après m’avoir dit tout le bien qu’il pensait de cet auteur, de ses formules pertinentes qu’il cite à l’occasion (« Facts are friendly »), il est devenu beaucoup plus grave pour clore notre échange sur cette phrase : « My job is quite the opposite ». C’est à dire : mon boulot est tout le contraire, l’exact opposé … Yvan Amar formule ainsi quelque chose de comparable :

« Celui qui attend de l’enseignement une solution à sa souffrance n’écoute pas avec l’oreille de l’aspiration à l’être … L’aspiration à l’être est la faculté naturelle de l’être, et c’est en fait l’aspiration de l’être. Un enseignement doit d’abord réveiller cette aspiration, y répondre, la nourrir, et non pas répondre aux revendications des contrariétés des aspirations habituelles, qui constituent l’expérience ordinaire de la souffrance. … Il est malsain d’entretenir les gens dans la croyance qu’un enseignement est destiné à les sortir de la souffrance, et que c’est cela qui doit motiver leur démarche. »

Il y aurait sans doute encore beaucoup à dire sur nos deux amis. Sur leur humour décapant peut-être :

« L’enseignement, ce n’est pas : « Détendez-vous, et vous serez réalisés », mais : « Vous êtes tous réalisés, alors détendez-vous ! « 

« Le menu, on le lit, le plat, on le mange – ne pas passer son temps à manger le menu. »

Mais à vous de faire votre miel maintenant.

Juste un dernier petit signe, découvert en lisant Les Psaumes traduits par André Chouraqui : dans le commentaire de 4, 5 :

« Le verbe amar, « dire », a pour premier sens « voir » en acadien et en ougaritique. »

Comment imaginer plus beau programme : voir, aimer, et dire comment cela est possible et éminemment souhaitable !

&

« Ouvrez l’œil par lequel Dieu se voit. N’essayez pas de voir Dieu.
Prêtez-lui plutôt votre œil et laissez-Le voir, laissez-Le Se voir. »

« Les Nourritures silencieuses »

Yvan Amar

Éditions du Relié.

Cordialement

by-nc-sa

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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