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1 - Pratique de la Vision du Soi Fondamentaux Vision du Soi

Commentaire sur quelques citations de Rûmi – Richard Lang

« Ces citations¹ émanent de mystiques de toute traditions et sont centrées sur la perspective de Qui nous sommes réellement, l’Essentiel, la Réalité Éternelle au cœur de tous les êtres.

[…]

Rûmî

« Personne n’habite la maison, sauf Dieu. »

« Lorsqu’un homme s’éveille, il fond et périt. »

« Dissolvez tout votre corps dans la Vision : devenez vision, vision, vision !² »

« Je suis libre de ma tête. »

« Tout le monde aime son miroir, sans connaître la véritable nature de son visage. Mais comment une image réfléchie pourrait-elle être un but ? Mettez en pratique l’observation de la source de la réflexion. Cette joue et ce grain de beauté retournent à leur source. »

« Sa forme s’est éteinte, il est devenu miroir : rien n’existe ici, que l’image du visage d’un autre. »

« Celui qui reconnaît son propre visage – sa lumière est plus grande que la lumière des créatures. Bien qu’il meure, sa vision est éternelle, parce que sa vision est la vision du Créateur. »

« L’homme est en apparence un dérivé du monde, mais intrinsèquement, c’est l’origine du monde. »

« Le Qutb (Pôle) est celui qui tourne sur lui-même ; autour de lui se fait la révolution des sphères célestes. »

 

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Djalâl ad-Dîn Rûmî (1207-1273) est né dans la région devenue l’Afghanistan. Lorsqu’il eût cinq ans, devant la menace imminente de l’invasion mongole, son père s’enfuit avec sa famille et vint s’installer à Konya, en Turquie en 1220. Rûmî se maria en 1226 et eu un fils, le sultan Veled.

Marchant dans les traces de son père, théologien réputé, Rûmî entreprit l’étude de la religion. A la mort de son père, en 1230, il poursuivit ses études sous la direction d’un ami de son père durant plusieurs années. Il étudia également avec quelques-uns des plus grands esprits de l’époque à Alep et Damas.

Jeune encore, Rûmî avait déjà acquis une belle respectabilité comme enseignant religieux, à l’instar de son père avant lui. Mais tout changea en 1244 lorsqu’il rencontra Shams de Tabriz, un derviche (soufi) à l’air sauvage qui sortit un jour de nulle part. Shams eut une profonde influence sur Rûmî. Dès le début, ils furent pratiquement inséparables. Ce que Shams révéla à Rûmî fut la conscience directe du Bien-Aimé intérieur.

En d’autres termes, avec l’aide de Shams, Rûmî s’éveilla à qui il était vraiment : il passa de l’étude de textes consacrés à l’Unique à la vision de l’Unique. Il réalisa que dans les profondeurs de son être, il était l’Unique.

Mais les élèves de Rûmî étaient jaloux de Shams. Ils le chassèrent et Shams dut s’enfuir à Damas. Rûmî demanda à son fils de le ramener. Mais la jalousie des disciples perdurait. Shams disparut à nouveau, définitivement, dans des circonstances mystérieuses. Certains affirment que les élèves de Rûmî l’ont assassiné³.

Rûmî avait cependant vécu une profonde métamorphose. Il s’était éveillé à sa vraie nature – le plus haut accomplissement d’une vie. Consécutivement à cet Éveil, Rûmî commença à composer de la poésie. Cela émanait de lui dans presque toutes les situations. (ses disciples se mirent à prendre note de ces effusions spontanées). Il fut également à l’origine de ce qui est maintenant la célèbre danse tournoyante derviche, le sama. A sa mort Rûmî était le plus grand poète de l’Islam ; c’est encore le cas aujourd’hui.

Mais revenons à sa rencontre avec Shams de Tabriz, le tournant de la vie de Rûmî. Que s’est-il passé entre eux ? Nous ne connaissons pas les détails de leur relation, leurs conversations, les sentiments, les rires, les larmes. Cela reste inconnu de nous, comme ce le fut aussi probablement pour les disciples de Rûmî. Mais l’Essence de leur relation : l’Unique dont ils firent l’expérience, ne doit pas rester secrète. Parce que cet Unique est au cœur de chaque être, et est aussi disponible pour nous aujourd’hui qu’il le fut alors pour eux.

Qui nous sommes vraiment est la Source, l’Origine infiniment créative de laquelle toute chose s’écoule ; pas uniquement l’immense production de poésies mystiques de Rûmî, mais toutes choses. Mystérieusement, dans la profondeur de chacune de nos âmes réside le Bien-Aimé. Personne n’habite notre cœur, sauf Dieu.

Rien d’étonnant à ce que Rûmî fasse grand cas de l’amitié de Shams : ce dernier partagea avec lui, éveilla en réalité chez lui, le phénomène le plus précieux au monde : la présence du Bien-Aimé intérieur. Comme Rûmî, nous avons tous été élevés dans l’idée que nous sommes une personne comme ceci ou comme cela. Nous regardons dans le miroir et y voyons notre reflet. Tous ceux qui nous entourent nous renvoient notre unique (et précieuse) identité humaine. L’insupportable fardeau des opinions, voilà ce que nous sommes.

Mais imaginez que vous êtes Rûmî, en face de ce Shams au regard sauvage, débordant d’énergie et de compassion. Imaginez que Shams vous montre la chose la plus simple du monde : que vous ne pouvez pas voir votre propre visage.

Regardez dans votre miroir : il y a votre visage. Mais ici, l’endroit à partir duquel vous regardez, il n’y a qu’une absence de visage. Regardez dans l’autre sens et vous verrez votre absence de joue. Ici, rien de visible. Rien sauf le Vide, l’Origine du monde.

En voyant qu’il n’avait pas de visage propre, Rûmî a du simplement s’apercevoir que le visage de Shams était le sien. Il n’était pas vraiment face à face avec Shams, mais face à « non-face », face à espace. Rûmî avait le visage de Shams et Shams celui de Rûmî. Quelle évidence !

Pourtant le fondement de l’amour est cette vérité simple, parce qu’il n’existe pas plus profonde intimité que celle-ci : disparaître au profit de son ami. En découvrant cela, on passe d’une identification principale aux apparences (l’image dans le miroir, ou l’image de son propre esprit ou celui d’un autre) à une expérimentation et une identification à notre réalité centrale qui n’a pas d’image – sans image et en même temps espace pour l’image de l’autre, espace pour le monde.

Quelle joie cela a du être pour ces deux-là de s’éveiller à ces vérités si simples mais si profondes.

Après la disparition de Shams, Rûmî créa la danse tournoyante derviche, au son de la flûte et du tambour. Quelle est la signification de cette danse ? Voyez que si vous faîtes vous-même l’expérience en tournant en rond sur place, il est possible que vous constatiez que c’est le monde qui tourne alors que vous restez immobile (voir l’expérience « Faire tourner le monde »). Ici, en notre Centre, demeure pour toujours l’Immobilité.

Quand Rûmî tournait et tournait, il devait voir tourner autour de lui les arbres, le sol, ses disciples, le soleil, la lune et les étoiles. Il devait voir son corps, ses bras étendus, ses pieds, tout en mouvement. Mais plus près que cela il y avait l’Immobilité, le Silence, la Paix. Pendant qu’il tournait et qu’il tournait, pendant qu’il lâchait prise dans le tournoiement du monde, son sens le l’unité avec la Source s’approfondissait probablement. La profondeur, le joyau et le mystère de l’Immobilité ont dû l’engloutir  vague après vague. Dans cet Océan d’Amour où il se noya, il s’est dissout jusqu’à ce que seul l’Océan subsiste. Alors que l’Immobilité réside au centre du monde tourbillonnant, sans rien qui ne vient ni ne va, un rocher toujours présent et sûr, tout alentour la joie jaillissait, l’extase de la danse. Au milieu du monde flou, filant son train, il capitula, ivre de la beauté, de la sagesse et de l’amour du Bien-Aimé.

Rûmî devint un poète et un mystique intensément passionné. Par chance, il découvrit le Bien-Aimé, éveillé à son intimité la plus intime par le sauvage Shams. Mais plus profondément, comme le montre clairement sa poésie, c’est le Bien-Aimé intérieur qui s’exprima en lui, lui faisant signe inlassablement de rentrer à la Maison. En fait, au niveau le plus profond, c’est le Bien-Aimé qui se retrouvait Lui-même à travers Rûmî. Dieu redécouvrait Son propre Être merveilleux, et inexplicable, au centre de cet extraordinaire cosmos si mystérieux, inattendu et vivant.

Puissions-nous, chacun, entendre l’appel du Bien-Aimé. »

 

Cordialement

 

¹ – Ces « Citations de mystiques commentées par Richard Lang » figurent intégralement sur le site visionsanstete.com

La partie consacrée à Rûmi fait suite à cinq autres : Lao Tseu, Katha Upanishad, Jan de Ruysbroeck, Thomas Traherne et Maître Eckhart.

Le texte a été initialement traduit par Laurent Sarthou. J’ai légèrement modifié par endroits cette traduction.

² – Cette citation figure dans une forme encore plus explicite au tout début de « Vivre Sans Tête » :

« Décapite-toi ! Dissous ton corps entier dans la Vision : deviens vision, vision, vision. »

En troisième position, juste après une citation d’Attar et une seconde de Kabir. Le soufisme utilise presque autant que le zen cette même expression & image de « Vivre sans tête », ce qui est étonnant sans l’être vraiment, non … ?

³ – « Soufi mon amour » est le titre d’un superbe roman d’Elif Shafak qui relate merveilleusement toute cette histoire.

 

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Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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