« Ces citations¹ émanent de mystiques de toute traditions et sont centrées sur la perspective de Qui nous sommes réellement, l’Essentiel, la Réalité Éternelle au cœur de tous les êtres.
[…]
« Pas de bord, ni en haut ni sur les côtés, à ce que je vois de mon être. Mon essence est Capacité.²
Le monde est plus en moi que Je ne suis en lui.
N’est-ce pas votre tendance naturelle de dire que le monde est à vous ?
Jamais vous n’apprécierez le monde à sa juste valeur tant que la mer elle-même ne coulera pas dans vos veines, que vous ne vous vêtirez pas du paradis, ni que vous ne vous couronnerez pas des étoiles ; percevez vous comme l’unique héritier du monde tout entier.
Les rues étaient miennes, le temple étaient mien, les gens étaient miens, leurs vêtements, leur or et leur argent étaient miens, tout autant que leurs yeux étincelants, leur peau claire et leur visage rubicond. Leurs cieux étaient miens, tout comme le soleil, la lune et les étoiles, le monde entier étaient à moi.
Ô richesse de ton infinie bonté qui fait de mon Âme un temple sans fin, hors duquel rien n’existe, où rien ne manque, dont rien n’est éloigné ; mais où toutes choses sont à proximité immédiate de manière réelle, véritable et vivante. »
Commentaire
Le prêtre anglican Thomas Traherne (1636 – 1674) fut aussi un poète métaphysique. Ce fils d’un cordonnier pauvre naquit à Hereford en Angleterre. Son œuvre précieuse, découverte dans les années 1670, disparut jusqu’à la publication tardive de ses Poems (1903) et Centuries of Meditations³ (1908).
Traherne était né dans l’extase de ce que chaque être de l’univers partage, cet espace illimité ou « Capacité » qui est notre essence la plus intime. Plus près de chacun de nous que notre propre souffle demeure cette Conscience. En apparence seulement, chacun de nous semble une « chose » limitée dans le monde, mais la réalité de chacun d’entre nous est le Soi – ce que Traherne dans l’une des citations ci-dessus appelle son « Âme ». Cette Âme nous donne à tous la vie, le mouvement et l’être. Certes, nous pouvons choisir d’autres termes pour notre identité la plus intime : Esprit, Divinité, Véritable Nature, Nature de Bouddha, le Bien-Aimé … A ce niveau nous pouvons tous honnêtement dire : « je ne suis pas dans le monde, mais le monde est en moi ».
Lorsque nous nous éveillons à Qui nous sommes vraiment, nous trouvons que rien n’est distant de nous. Parce que la conscience est le lieu de toute chose, le lieu qui inclut toute chose. L’étoile la plus éloignée est ici même, dans notre être. Cette perception inspire à Traherne émerveillement et joie.
Puisque toute chose est directement donnée dans la Conscience, toute chose appartient au Soi – pas à ce petit moi humain que nous voyons dans le miroir et qui ne possède évidemment pas le monde – mais à notre vrai Soi. En tant que « Capacité » nous contenons – nous sommes – toutes choses. Du grain de sable ou d’une fleur de la haie jusqu’à la lune et les étoiles – nous sommes tout ceci. N’ayant aucune apparence Ici au centre, nous sommes véritablement revêtus de cet univers vivant .
L’éveil à notre pleine identité n’est pas aussi difficile que nous pouvons parfois le penser. Comme le disait le grand Ramana Maharshi :
« Il est plus facile de voir le Soi que de voir une groseille dans la paume de votre main »
Si chaque objet est intrinsèquement une chose infiniment complexe, le Sujet est la simplicité même. Voir le Soi, c’est voir l’état de « Non-Chose » [No-thing] au centre de notre être, l’endroit d’où nous regardons en ce moment même, notre Visage Originel, notre non-visage.
Tant que nous ne sommes pas éveillés au Soi, nous ne « savourons pas le monde correctement ». Nous continuons de vivre dans l’illusion d’être séparé du monde. Pas étonnant que nous nous sentions aliénés. Mais quand nous sommes éveillés à notre véritable nature de « rien & tout », alors, comme l’a dit si joliment Traherne, « la mer elle-même coule dans vos veines ». En nous éveillant à cet espace d’accueil infini que nous sommes, nous retrouvons une profonde et paisible « Solitude », seule à même d’inclure toutes choses, de ne rien exclure. Pas le moindre atome de tout le cosmos n’est étranger à notre être. Donc, lorsque nous levons les yeux dans la nuit noire – Ô phénomène merveilleux ! – nous contemplons notre couronne d’étoiles. »
Cordialement
¹ – Ces « Citations de mystiques commentées par Richard Lang » figurent intégralement sur le site visionsanstete.com
La partie consacrée à Thomas Traherne s’intercale entre celles consacrées à Lao Tseu, Upanishads, Jan de Ruysbroeck et celles dédiées à Maître Eckhart et à Rûmî.
Le texte a été initialement traduit par Laurent Sarthou. J’ai légèrement modifié par endroits cette traduction.
² – « Mon essence est Capacité » : sans doute la plus belle expression poétique de cet espace d’accueil illimité et inconditionnel que Je Suis, que nous sommes tous.
³ – Le nom de Thomas Traherne est déjà apparu à quelques reprises sur volte & espace :
- dans The Douglas Traherne Harding Song
- dans le chapitre neuf du Procès, où l’avant-dernière citation est très utilement complétée par le verset suivant : « Je suis seul à jouir de toutes choses, Moi le seul spectateur. »
- dans un très long (trop …. ?) texte de Richard concernant the headless way
Cf. aussi :