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Une dictature administrative – Blog Arfuyen

Une dictature administrative (0)

« De toutes parts sont dénoncés les méfaits ravageurs de nos modes de vie. Pour la santé des hommes, pour la survie des espèces, pour l’avenir de la planète. Et l’étonnant est de voir combien lentement progresse la prise de conscience, et plus lentement encore le changement des comportements. Comme si une certaine forme de confort était anesthésiante et nous avait tous rendus passifs et veules. Comme si les médiocres querelles et les vaines paroles nous étaient, en réalité, autant de moyens de ne pas agir.1

Cet engourdissement des consciences et des volontés, Bernanos (sur lequel nous publions en cette rentrée, par les soins de Gérard Bocholier, un Ainsi parlait Georges Bernanos), l’a mieux que personne en son temps analysé et dénoncé.

« Ce n’est pas, note-t-il, la servitude qui fait les esclaves, c’est l’acceptation de la servitude. Et il y a une chose pire que l’acceptation de la servitude, c’est d’y conformer sa vie au point d’y trouver ses aises, et, finalement, de l’ignorer. »2

Il est étrange que ceux-là mêmes qui ont en leur jeunesse dénoncé avec la plus grande véhémence la société de consommation en soient devenus les promoteurs et les garants. Que cette même génération qui prétendait changer la vie soit aujourd’hui accusée d’avoir, par son incurie, organisé au niveau planétaire son extinction.

Par quelle somme d’inconséquences et de lâchetés en est-on arrivé là ? Par quel aveuglement volontaire ?

« La Civilisation mécanique, observait Bernanos, finira par promener autour de la Terre, dans un fauteuil roulant, une Humanité gâteuse et baveuse, retombée en enfance et torchée par les Robots. »3

À de rares exceptions près, la glorieuse génération soixante-huitarde aura connu cette morne décadence, entraînant avec elle, qui pis est, sa progéniture. Que restera-t-il de ce grand et mémorable sursaut de liberté que des images et des textes. Mais qui les lira ?

« Le temps vient, notait déjà Bernanos, où, dans un monde tout entier gagné au conformisme totalitaire, le moindre texte emprunté aux plus classiques, aux plus tolérants, aux plus humains de nos penseurs – Montaigne, par exemple, ou Montesquieu – retentira aux oreilles des imbéciles comme un tonnerre et aux oreilles des tyrans comme un tocsin. » 4

Ne voit-on pas déjà combien ces grands textes se sont éloignés de nous, combien ils semblent déjà appartenir à un monde aussi lointain que l’Antiquité ? Et combien déjà leur nourriture forte et salubre commence à nous manquer ? Car ne nous leurrons pas :

« L’État moderne est une dictature administrative toujours encline à se transformer en dictature policière. »


Nous avons mieux à faire que de lire les « romans de la rentrée », laissons les industriels de la communication à leurs misérables calculs de ventes potentielles. Lisons, relisons « les plus classiques, les plus tolérants, les plus humains de nos penseurs ». Shakespeare, Novalis, Leopardi, Hugo, Flaubert, Rilke, Bernanos … Et, avant tout, lisons, relisons les poètes. Car, disait Bernanos,

« ce monde hideux ne se soutient que par la douce complicité – toujours combattue, toujours renaissante – des poètes et des enfants. » 5

Et il mettait en garde :

« Soyez fidèle aux poètes, restez fidèle à l’enfance ! Ne devenez jamais une grande personne ! » » 6


Cordialement


0 – Un passage sur le site des éditions Arfuyen pour établir des liens d’un précédent billet m’a rappelé que quelques textes de leur blogue méritaient largement un rappel sur volte-espace, et quelques commentaires. Ce texte-ci date de septembre 2019. Ne vous semble-t-il pas que nous y sommes désormais, dans cette « dictature administrative », et qu’elle se renforce à marche forcée à la faveur de la Covid-19 ? Bernanos annonçait cette dégringolade démocratique & spirituelle voici déjà plus de quatre-vingts ans …

Quel évènement a bien pu motiver son écriture et, surtout, son titre ? Avons-nous suffisamment conscience, après (avoir lu et … relu) « Nous (autres) » de Zamiatine, « Le meilleur des mondes » de Huxley, « 1984 » d’Orwell, pour ne citer que les œuvres les plus célèbres, que « l’administration » – et plus largement la plupart des « organisations », tend véritablement à occuper tout l’espace disponible pour contrôler & parasiter le maximum d’interactions vivantes ? Que les technologies numériques renforcent cette logique implacable d’une manière extraordinairement efficace ?

Un enchaînement de bonnes intentions visant à « organiser & administrer » pour optimiser tel et tel fonctionnement, le rendre plus fluide, plus harmonieux, plus ceci et moins cela … aura pavé peu à peu un enfer réellement dictatorial.

  1. Ne serait-ce pas, plus essentiellement, parce que l’immense majorité « se contente de trop peu » ? Parce que comme les « termites » d’André Suarez du billet précédent, ou les individus restés au stade larvaire corps & mental étudiés par Michel Fromaget, elle se confine volontairement dans la zone périphérique « je suis humain » de la carte maîtresse de la Vision du Soi selon Douglas Harding ?
    « Méfaits ravageurs » pour la « santé », mais également pour cette santé globale de l’être communément appelée le salut, l’éveil, la réalisation, … « Nos modes de vie » sont – tout simplement mais entièrement – opposés à la vie, à la grande Vie possible qui est pourtant notre dignité et notre destin ; il n’y a pas vraiment d’autre choix que de rompre avec leur obscurité. Et c’est impossible en restant confiné dans la zone périphérique « je suis humain ». Le salut, l’éveil, la réalisation, etc … passent nécessairement par l’expérience du « Je Suis » central.
    La Vision du Soi me semble constituer une assez bonne « entrée principale » sinon « le seul espoir ». C’est en tout cas une turbo-méthode efficace pour accélérer « la prise de conscience » de Ce que nous sommes vraiment, tous, espace d’accueil illimité & inconditionnel. Vérifiez !

    NB : Il n’est pas inutile de se souvenir, surtout en campagne électorale, de ces paroles de Bossuet :
    « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »
    La citation exacte serait en fait la suivante :
    « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit. » (« Histoire des variations des églises protestantes » – Livre IV) ↩︎
  2. Pouvons-nous vraiment consentir à « trouver nos aises » d’esclaves dans cette zone périphérique « je suis humain » où il n’y a aucune liberté possible, où tout n’est que conditionnement ? Alors même que « coïncider silencieusement » avec notre « autoportrait » est désormais si évident, si simple, si concret, si joyeux ? Tous les problèmes, difficultés, échecs, souffrances, … qui nous poussent à quitter cette zone de servitude sont autant de bénédictions.
    Cette citation est à méditer soigneusement à l’issue de deux premières années de pandémie de Covid-19. Et si cette dernière, bien réelle, avait donné à la « caste d’anormaux » qui prétend nous diriger une occasion extraordinaire de booster cette « acceptation de la servitude » ?
    Quelle pourcentage de la population française peut bien aujourd’hui « conformer sa vie à l’acceptation de la servitude, au point d’y trouver ses aises, et, finalement, de l’ignorer » ? e serait-il pas temps de décider enfin de réellement sortir pour de bon d’Égypte ?
    NB : une bonne partie des billets consacrés à Georges Bernanos sur volte-espace s’originent dans cet « Ainsi parlait Georges Bernanos ». ↩︎
  3. Est-ce que cet « aveuglement volontaire » de l’immense majorité des soixante-huitards ne proviendrait pas du fait qu’ils ne sont pas allés au bout de leur remise en cause de « la société de consommation » ? Si, comme ils le prétendaient, ils avaient vraiment voulu « détruire le capitalisme », n’auraient-ils pas mieux fait de lire soigneusement Jacques Ellul et d’appliquer quelques-unes de ses radicales recommandations :
    – « … donner à l’activité économique une place accessoire, freiner le progrès technique, placer au premier plan la vie personnelle et spirituelle … »
    – « Le plus haut point de rupture envers cette société technicienne, l’attitude vraiment révolutionnaire, serait l’attitude de contemplation au lieu de l’agitation frénétique. »
    Après quelques semaines « d’agitation frénétique », nos joyeux lurons ont donc réintégré la zone périphérique « je suis humain » et repris, pour la plupart, le « business as usual », de manière d’autant plus forcenée & désespérée qu’ils avaient entraperçu quelque (non)chose de tout autre, infiniment plus satisfaisant. Considérer que seule cette zone-là existe finit par engendrer un tel désespoir qu’il impose nécessairement une consommation compensatoire, de loisirs, de « grandes » vacances, des spectacles & drogues en tous genres, … Vérifiez !
    La menace très réelle « d’extinction de la vie » nous signifie que cette « incurie »-là est une impasse, qu’il faut désormais nous réorienter résolument vers l’autre (non)chose. Il n’est peut-être pas encore tout à fait trop tard …
    C’est pour de telles phrases qu’on aime, ou déteste, Bernanos ! Un peu d’excès, mais finalement si peu. Notre « humanité » contemporaine ne vous semble-t-elle pas retombée dans la plus totale immaturité (plutôt qu’« en enfance ») ? Cette citation ne dénonce-elle pas toute la folie du projet transhumaniste … ? Ne vous a-t-il pas semblé qu’une large part des (mauvaises) décisions de gestion de la pandémie ont été prises par des représentants de cette « humanité gâteuse » et immature ? ↩︎
  4. Quelques textes parmi d’autres initiés à cette époque :
    « Les choses comme elles sont – Une initiation au bouddhisme ordinaire » d’Hervé Clerc – Folio Essais n° 553 – Épilogue.
    « Je veux regarder Dieu en face : vie, mort et résurrection des hippies », « Le jeune lion dort avec ses dents : génies et faussaires de la contre-culture », « Julien des fauves » de Michel Lancelot – Albin Michel
    Gary Snyder« Zen et poésie, conversation avec Gary Snyder et Jim Harrison » – Wildproject
    – etc … mais pas tant que cela !
    « Montaigne ou Montesquieu » sont plus anciens et peut-être un tantinet moins sensibles & suspects, mais va-t-il être encore longtemps possible de lire les textes évoqués dans la note n° 0, Ellul, Charbonneau, etc … ? De lire Douglas Harding et de pratiquer ses géniales expériences de Vision du Soi ? La puissance des outils au service du « conformisme totalitaire » suivent eux-aussi la loi de Moore … De médiocres pseudo-politiques surfent sur toutes les peurs pour, sous couvert de sécurité, renforcer « l’État moderne … dictature administrative … policière » et se maintenir au pouvoir & favoriser les intérêts particuliers de leurs donneurs d’ordres.
    ↩︎
  5. Concernant les poètes : « Voir – Poésie et mystique » – Christian Le Dimna. Mais aussi Les Cahiers d’Arfuyen et Neige.
    Concernant les enfants, le mieux consiste sans doute à se remémorer Matthieu 18, 2-3 :
    « Iéshoua‘ appelle un petit enfant. Il le met au milieu d’eux et dit :  Amén, je vous dis : si vous ne retournez pas et ne devenez pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas au royaume des ciels. »
    [και προσκαλεσαμενος ο ιησους παιδιον εστησεν αυτο εν μεσω αυτων και ειπεν αμην λεγω υμιν εαν μη στραφητε και γενησθε ως τα παιδια ου μη εισελθητε εις την βασιλειαν των ουρανων]

    Pour vous « retourner », cf. le geste dessiné ci-dessus. Vous vérifierez en le faisant que pour eux-mêmes les « petits enfants » sont en réalité très grands : espace d’accueil illimité & inconditionnel, « contenant », « capacité », « essence transparente comme le cristal ». Vérifiez !
    Là encore, nous y sommes, y compris dans notre « patrie des droits de l’homme » arborant fièrement sur ses édifices publics une devise qui ne semble plus vraiment d’actualité … à l’heure de la répression féroce des gilets jaunes et de « l’emmerdement » présidentiel des non-vaccinés. Et là encore le poète a toujours raison …
    « La France est un pays de flics
    À tous les coins d’rue y’en a 100
    Pour faire régner l’ordre public
    Ils assassinent impunément …

    Être né sous l’signe de l’hexagone
    C’est vraiment pas une sinécure
    Et le roi des cons, sur son trône
    Il est français, ça j’en suis sûr … »

    « Hexagone »
    Renaud ↩︎
  6. Les « happy few » lecteurs de volte-espace comprennent aisément que cette dernière citation m’est difficile à accepter sans ajouter mon grain de sel.
    « Restez fidèle à l’enfance », bien sûr. Parce que l’enfant possède l’intuition, assez peu consciente certes, de son « autoportrait », la représentation de sa véritable nature d’espace d’accueil illimité & inconditionnel.
    « Ne devenez jamais une grande personne », au sens suivant : ne renoncez jamais à cette juste intuition de départ, n’acceptez jamais d’être réduit aux seules dimensions du corps & mental, à l’étroite zone périphérique « je suis humain » du dessin, refusez de tout votre être cette amputation de la part la plus essentielle de vous-même, l’Esprit, le « Je Suis » central qui, sitôt réintégré, explose aux dimensions de l’univers et vous restitue votre « grandeur » de « Youniverse »
    « Le sage a pour corps l’univers entier » comme dit l’Upanishad.
    « Une grande personne » au sens que Bernanos donne à cette expression c’est un échec absolu. Visez plutôt le sage ou, comme il aurait dit, le « saint » … La Vision du Soi selon Douglas Harding peut vous faciliter grandement la tâche. Vérifiez ! ↩︎

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

2 réponses sur « Une dictature administrative – Blog Arfuyen »

Bernanos nous prévenait des risques majeurs sur le long terme de l’évolution technique.Tout comme les savants de la fin du 19 e prévenaient que bruler pétrole gaz et charbon serait très nuisible a long terme.Il prêchaient dans le désert car hormis les Amish,qui aurait rejeter train auto et avion ? Seul un petit pourcentage des 8 milliards ne deviendrons pas des crétins numériques, échapperons au désastre matérialiste. L’humanité est ainsi, elle aurait pu ne pas être du tout. Nous on y est,alors tant qu’a être autant honorer au mieux cette malgré tout rare et précieuse existence humaine.

Bonjour Denis,

Volte-espace propose un billet relatif aux Amish, suite à malheureuse sortie de notre Président. Je suis certain qu’il va te plaire.

Le problème c’est surtout cette insupportable inégalité : une grande partie de l’humanité manque de « matière » pour se nourrir, pour se construire un habitat et un avenir décents … alors qu’une minorité souffre d’une pléthore de biens. Personne n’est heureux … tout est douleur/dukkha, le Bouddha avait vu juste.

Belle & bonne journée

Amitiés

Jean Marc

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