Catégories
7 - Actualité des valeurs monastiques Fondamentaux Actualité des valeurs monastiques

La « stabulation libre » ou quatrième lettre aux amis confinés

Je vous propose ci-dessous la quatrième lettre de la série partagée au cours de l’année 2020 par le moine (d)étonnant qu’est François Cassingena-Trévedy. J’ai découvert l’existence de ce dernier par hasard & nécessité dans « Le goût du vrai », Tract Gallimard d’Étienne Klein, et évoqué un de ses textes dans le billet « Épopée désinvolte ».

&

La « stabulation libre » ou quatrième lettre aux amis confinés

« Chers amis, encouragé par votre invisible présence, par les manifestations si nombreuses de votre assentiment, par la belle densité de vos réponses (j’aimerais pouvoir répondre à chacun de vous), je reviens au rendez-vous et me sens désormais votre obligé. Saurai-je vous dire assez combien vous m’êtes précieux et combien vous me donnez à espérer en ces temps où notre espérance est parfois mise si rudement à l’épreuve et où l’on peut rencontrer, à l’occasion, une étonnante hostilité ? Il me semble que nous formons désormais une réelle communauté qui prend de la consistance, de la cohésion, de la profondeur. Serait-ce là, au-delà de toutes sortes de frontières territoriales et confessionnelles, une « paroisse » d’un genre nouveau et dont l’avenir révélera toute la pertinence ? Une «paroisse» particulière, exigeante, indéfiniment extensible, bien moins provisoire qu’il ne paraît, fondée, non sur la simple assistance, ni sur le spectacle, mais sur la réflexion partagée. Je perçois de plus en plus l’appel qui vient de vous, comme j’obéis, de mon côté, à une nécessité intérieure qui vient modifier, en cet état d’urgence, en ces circonstances exceptionnelles de notre commune destinée, le cours et la matière ordinaire de mes travaux. Vous et moi nous pouvons expérimenter à nouveaux frais l’importance que pouvait revêtir la correspondance – les lettres apostoliques et patristiques – dans la vie et le soutien des premières communautés chrétiennes.

C’est en la fête de sainte Catherine de Sienne que j’ai commencé ce billet, non sans me souvenir combien cette grande mystique avait su se tenir au plus près de l’actualité politique et religieuse de son temps. Notre époque se met d’ailleurs à ressembler étrangement à la sienne, marquée par les épisodes à répétition de la Grande Peste. Comment travailler, comment prier, comment vivre, en ces jours qui sont les nôtres, sans entendre la basse continue de l’information, sans porter, comme un souci, comme une responsabilité, l’air du temps et la difficile aventure de notre humanité aux prises avec un insaisissable ennemi ? Notre vie spirituelle, en ce moment, c’est d’abord l’intensité de cette préoccupation, la présence réelle du Monde à notre cœur et à notre pensée. Nous voici entrés de nouveau dans un âge de la Peur, comme l’histoire de notre Occident en a traversé d’autres. Je pense à l’ouvrage de E. R. Dodds, Païens et chrétiens dans un âge d’angoisse (1965) qui examinait le climat de l’Empire romain entre Marc-Aurèle et Constantin. Je pense naturellement aux études magistrales du regretté Jean Delumeau qui avait fait de la peur collective l’un des principaux centres d’intérêt de ses recherches historiques (La Peur en Occident, 1978). Naguère encore nous éprouvions la peur de la menace nucléaire, plus récemment celle du terrorisme international : la peur du Covid 19 ne fait qu’en masquer momentanément une autre, avec laquelle d’ailleurs elle se combine : celle du bouleversement climatique. Bref, parce que nous sommes mortels, et que la peur est toujours, in fine, peur de la mort, quelque peur nous accompagne toujours. (0) Réaction naturelle et universelle, la peur inhibe pour commencer, mais elle déclenche aussi l’action : après avoir paralysé, elle se découvre motrice. Encore faut-il qu’elle mobilise de façon rationnelle et maîtrisée, car nous savons combien elle peut susciter d’irrationalité et de pulsions plus mortifères que son motif originel. Elle peut alimenter la stupidité, la violence, éveiller et réveiller des fondamentalismes de toutes sortes et de tout bord. Autant de dangers qui nous guettent sérieusement aujourd’hui. Comme tous les mouvements spontanés de notre sensibilité – ce que l’on appelait jadis les « passions » – la peur, qui doit avoir son temps légitime, demande à être dépassée pour entrer dans une synthèse supérieure, pour servir aux petits comme aux grands édifices d’une action vraiment humaine : à ce que l’on nomme volontiers aujourd’hui la «résilience»¹. L’homme n’avance dans l’histoire que comme un rescapé de quelque grande peur qui le précède ou  
l’accompagne : cela humilie nos rêves d’invulnérabilité, mais représente aussi l’hypothèse de départ de nos progrès.

Touchant à nos pouvoirs publics, j’évoquais récemment nos atermoiements entre impatience, défiance et postures plus sereines, toutes choses que je traverse avec vous, autant que vous. Je crois opportun d’y revenir. Car moi-même j’accepte de me laisser modifier, bousculer, déplacer, au fil de ces semaines éminemment éducatrices, avec la perspective de vous inviter aux mêmes déplacements. La situation dans laquelle nous sommes engagés est d’une complexité sans nom. Volontiers, nous attendons de l’État des solutions immédiates et miraculeuses qui nous garantissent la possibilité – le « droit » – de reprendre nos aises, de satisfaire au plus tôt toutes nos envies, d’appuyer de nouveau sans réserve sur le champignon, dirais-je en usant d’une image empruntée au langage des automobilistes. Or l’État, pour mener à bien sa tâche d’une difficulté hors du commun, a besoin de chacun de nous. Nous concevons volontiers l’État comme une instance extérieure, contrariante, voire hostile, alors qu’en bonne logique démocratique, l’État devrait nous être intime, comme nous devrions nous sentir responsables de lui, si modestes que soient notre place et notre efficience dans le corps social². Il y a là, une fois dépassée la tentation contestataire, un exercice de solidarité qui concerne autant notre vie spirituelle que notre vie civique ; du reste, la première ne peut se développer à l’écart ni à l’encontre de la seconde. Tâchons donc, par notre discipline et notre maturité, de jouer le jeu de l’empirique qui s’impose actuellement comme une nécessité aux autorités qui nous gouvernent et auxquelles il faut faire crédit, par principe, d’une volonté sincère de nous délivrer du mal. La peur se cherche d’instinct des boucs émissaires et peut s’en trouver un, à bon compte, jusque dans l’État : c’est pourtant l’union, et l’union seule, qui nous empêchera de mourir. Quittons l’opposition systématique pour constater que le chemin de la santé – du « salut » – se découvre en ce moment au jour le jour, qu’il demande à être sans cesse ajusté, et que notre collaboration est indispensable à l’apparition comme au ferme établissement de son tracé³. En observant entre nous la « distance » sanitaire, en prolongeant le temps de la « distance », sachons inventorier ce que cette attitude physique obligée révèle métaphysiquement de notre vie relationnelle et ce qu’elle est susceptible de lui apporter : essentiellement le « respect » et l’attente de l’autre. Un Levinas n’a-t-il pas attiré notre attention sur la transcendance du visage ? Mais comment puis-je accueillir, approcher, désirer le visage de l’autre si je ne demeure pas d’abord à distance de lui ? (4) Le Ressuscité lui-même n’ajourne-t-il pas un contact trop possessif ? Ne me touche pas … » (Jn 20, 17). (5) Le conjoncturel même, l’accidentel même, intelligemment assumé, peut servir à notre éducation sentimentale et à l’élévation de notre degré humain. Notre capacité à convertir la contrainte en outil, l’épreuve en exercice, le destin en festin, compte parmi nos industries les plus raffinées : elle atteste, non pas seulement notre supériorité, mais notre génie. (6)

Compte tenu de l’inévitable érosion des gestes préventifs et de l’universelle étourderie (dont sont loin d’être exempts ceux qui fréquentent les églises …), le déconfinement, évidemment nécessaire à plus ou moins longue échéance, suscite de légitimes inquiétudes, et l’on s’étonne de la naïveté de ceux qui veulent le marquer comme une fête, s’imaginant qu’il s’agit de la fin de l’épidémie elle-même. Car il faut bien nous le redire : nous sommes entrés pour longtemps dans un âge d’austérité et de minoration de nos libertés chéries, absolues, mais avec la chance de pouvoir explorer une tessiture plus grave et plus émouvante de notre vie. (7) La prolongation qui vient d’être signifiée par les autorités civiles quant à la fermeture des églises au culte public soulève actuellement dans le monde catholique un mouvement très sensible de désapprobation. Je ne vous cache pas – et j’ai vraiment besoin de le dire ! – qu’il m’afflige profondément et que je ne me sens pas du tout en consonance avec lui, au point que ces jours-ci j’en ai perdu le sommeil. J’ai vu, j’ai lu çà et là beaucoup d’agitations. J’ai même surpris d’effarantes vulgarités. On aimerait que quelques voix, que davantage de voix haut placées s’élèvent pour suggérer une attitude plus coopérante, pour promouvoir une parole plus constructive. Quelle tristesse ! quelle déception ! quel ennui ! Faut-t-il que la voix catholique soit si souvent, si spontanément, au cœur d’un bien-vivre ensemble qui se cherche péniblement, celle de la riposte, de la contrariété et de la revendication ? Pourquoi cet esclandre d’enfants gâtés et ces aboiements de tribuns ? On attendait un lever de visionnaires et de prophètes, et c’est une cacophonie de caprices. Tout cela est petit, dérisoirement petit, lamentablement petit. Nouvelle manifestation de ce catholicisme du « non » instinctif que j’avais identifié dans l’une de mes chroniques pour la revue Études (numéro de juin 2014). Vieille histoire franco-française dont les rebondissements ne se comptent plus, faux héroïsme du refus, posture pour laquelle d’aucuns confisquent volontiers le patronage de Péguy et de Bernanos, mais sans avoir leur altitude, ni leur audace, ni leur esprit. Ni leur style … Est-ce là vraiment un spectacle dont la société qui nous environne peut s’édifier, alors que le monde attend une parole largement, chaleureusement, véhémentement humaine, comme celle, solitaire, du pape François ? Pourquoi toujours ce catholicisme de l’entre-soi, du pour-soi, qui hésite à embrasser le monde, à s’avouer pauvre, balbutiant, désemparé, comme tout le monde, devant le mystère énorme de la vie, à faire entendre une voix qui passe réellement le mur du son, qui se distingue par une véritable pertinence historique et sociale ? Prétention déplorable à se croire le centre du monde au lieu que de tâcher obscurément d’en être l’âme, selon la magnifique expression de la Lettre à Diognète (IIe siècle) ? Il est injuste de soupçonner le gouvernement de quelque malveillance laïciste ou de quelque partialité, alors qu’il fait ce qu’il peut, très respectueusement, avec un paysage religieux français dont le catholicisme n’est pas, n’est plus (ne l’oublions pas !) l’unique composante. Il est grotesque de prendre, dans la circonstance, des airs de persécutés. Il est présomptueux de dénoncer chez nos gouvernants une lacune anthropologique et un vide, quand le vide que nous laissons, que nous faisons autour de nous, avec toutes nos inanités, devrait nous faire honte. (8)

La suspension actuelle du culte public, grâce d’un genre paradoxal et inédit à saisir comme telle, nous invite à creuser les fondements de notre vie sacramentelle et à réaliser que nos cérémonies ne seraient rien, n’était la densité, la vérité des « provisions » humaines que nous y apportons comme un lest. Vivons, et puis, quand les pouvoirs publics « qui viennent de Dieu » (Rm 13, 1) le permettront, nous célébrerons, fidèles et laïcs réunis, nous concélébrerons dans la joie des retrouvailles. En attendant, tâchons de faire de notre vie ordinaire et contrainte une célébration « en offrant nos personnes en hosties vivantes, saintes et agréables à Dieu », puisque tel est « le culte spirituel que nous avons à rendre » (Rm 12, 1). S’il est vrai que, selon le plus haut magistère de l’Église, l’Eucharistie est « source et sommet de toute la vie chrétienne » (Vatican II, Constitution Lumen gentium, § 11), faisons contre mauvaise fortune bon cœur, tirons parti de ce temps un peu prolongé pour découler par nos actes et nos paroles de cette « source » et pour monter calmement vers ce « sommet ». L’exercice, comme le désir, feront du bien à notre régime. Au demeurant, Jésus-Christ n’est enfermé, obligatoirement enfermé, ni dans les hosties de pain azyme, ni dans les tabernacles, ni dans les ministres, ni dans l’Église catholique. La messe qui se célèbre dans nos églises ne se soutient pas sans l’immense messe qui se célèbre au dehors, dans le monde, sur le monde, comme l’avaient compris un Teilhard de Chardin et une Madeleine Delbrêl. Je pense à certaines « fractions du pain », tout à fait inofficielles, exorbitantes, que j’ai vécues ici ou là, à la dure, et qui, avec le recul, m’apparaissent, fulgurantes, comme de véritables eucharisties. Je pense à tant d’amis non pratiquants, agnostiques, athées, qui sont tellement beaux dans leur humanité toute simple et laborieuse, tellement avancés dans l’intuition de ce qui fait l’essentiel de nos vies … Bref, la crise que nous traversons révèle un clivage dangereux et place l’Église à la croisée de deux chemins possibles, dont l’un est une tentation : ou bien la perpétuation introvertie d’un certain fonctionnement religieux, ou bien la dilatation joyeuse et aventureuse de la vieille tente (Isaïe, 54, 2) à d’autres dimensions du monde réel et de la pensée. (9)

Au-delà de toutes ces agitations superficielles, gagnons les assises profondes et silencieuses où s’entend et s’élabore la « parole bonne et constructive » (Ep 4, 29). L’évangile du quatrième dimanche du Temps pascal, évangile dit du « Bon Pasteur », est à cet égard d’une saisissante actualité. Nous pouvons vérifier une fois de plus la teneur prophétique des Écritures, admirer les ressources offertes par une parole que nous reconnaissons comme celle d’un Vivant. Je ne cite que quelques versets de ce chapitre dixième de l’évangile de Jean qui retentira, par péricopes successives, au fil de la semaine à venir. « En vérité, en vérité Je vous le dis : Je suis la Porte des brebis. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira, et trouvera un pâturage … Moi je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait en abondance. Je suis le bon pasteur … J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi il faut que je les mène : elles écouteront ma voix … » Dans les Synoptiques, Jésus bâtit son Église (Mt 16, 18) : dans le quatrième évangile il déploie un pâturage. Les deux images s’équilibrent, se complètent et doivent être entendues ensemble, dans un même accord, une même harmonie évangélique. Là un édifice, ici un espace. L’édifice ne se conçoit, n’est tenable que comme spacieux. Ce dimanche, en tout cas, nous fait retenir et approfondir – en plein temps de confinement ! – l’image du pâturage à ciel ouvert, de l’espace appétissant dans lequel les « brebis » intelligentes entrent et sortent, circulent en parfaite liberté : autrement dit ce que, en terme d’éleveurs, on appelle la « stabulation libre ». Image magnifique de ce qu’est, par vocation, l’Église. Le Christ nous met à l’aise, au large, dans un espace qui n’a d’autres dimensions que les siennes, illimitées. (9)  La « pastorale » qu’il instaure et qu’il nous confie ne fait ni des toutous, ni des consommateurs, ni des assistés, mais des brebis attentionnées qui ont l’oreille fine. Elles entendent la voix du pasteur qui connaît leur mot de passe le plus intime, comme elles entendent la voix des autres brebis, parfois très lointaines. L’espace qui leur est ouvert n’est pas un espace rationné : c’est un espace infini de vie, d’interprétation, de liberté. Car le Peuple de Dieu n’est pas un peuple de répétiteurs, mais un peuple d’interprètes, au sens quasi musical du terme. Ce qui peut nous mobiliser, nous enthousiasmer, nous réconcilier désormais n’est ni un ghetto, ni un fief, ni une propriété privée : c’est la proposition chrétienne au milieu du monde, le christianisme comme latitude, comme espace, comme instance d’interprétation touchant non seulement aux Écritures (Lc 24, 27 et 45), mais à la vie, à nos vies personnelles, à toutes nos vies qui se rencontrent pour construire, à la douloureuse et magnifique histoire du monde. Cette proposition chrétienne, inaugurée dans le Ressuscité, est laissée à notre responsabilité pour que nous révélions ce qu’elle a d’ouvert, pour que nous ne cessions de faire d’elle une ouverture. Vert et vrai paradis de l’ouverture sur le seuil duquel je demeure avec vous, chers amis, plein d’espérance et d’émerveillement. (10)

En guise d’illustrations, un détail de la mosaïque absidiale de la basilique des saints Côme et Damien, à Rome, et un détail de la Résurrection de Fra Angelico. Aujourd’hui, accouru de l’océan, un grand vent passe sur les frondaisons et les herbages de la campagne poitevine, âge d’or du vert : je me livre tout entier à son souffle, comme pouvait le faire jadis notre François-René, et je vous le livre à mon tour. Gai savoir. Il est tellement exaltant de se sentir, en dépit du double conditionnement de la vie monastique et du confinement, ou plutôt grâce à lui, à l’heure exacte de son siècle ! « 

François Cassingena-Trévedy

Cordialement

 

0 – C’est ce qu’avait remarqué, avec humour, Woody Allen : « Tant que l’homme sera mortel, il ne sera jamais véritablement détendu. »

Mais nous ne sommes pas que « mortels », n’est-ce pas ? Le « Je Suis » central du dessin de la note n° 6 ci-dessous ne relève pas de la création : il ne saurait disparaître. Et nous sommes, d’abord et essentiellement, ce « Je Suis ».

¹ – Le mot et surtout le concept de «résilience» tel que développé notamment par Boris Cyrulnik est une aide. Mais il conviendrait de ne pas en faire un usage excessif, au risque de le transformer en injonction contre-productive, en entrave. Cf. à ce sujet le récent ouvrage : « Contre la résilience – À Fukushima et ailleurs » de Thierry Ribault.

² – « … en bonne logique démocratique », oui. J’ai tendance à penser que l’exemple devrait venir d’en haut, des instances dirigeantes de l’État, comme lorsqu’on balaye un escalier. Mais il semblerait qu’en France nous ne soyons pas encore si éloignés de l’absolutisme royal d’un Louis XIV. Si l’authenticité de la formule célèbre, « L’État c’est moi », est contestée, sa pratique ne l’est guère. Nous sommes en quelque sorte passés d’un « Roi-Soleil » à un « Président-Foudre », fulminator & fulgurator

Ce dernier pourrait méditer cette réflexion du premier : « il faut se garder contre soi-même, prendre garde à son inclinaison et être toujours en garde contre son naturel ». (Acte d’ondoiement de Monseigneur le Dauphin du 5 septembre 1638). Le naturel d’Emmanuel Macron serait, selon lui-même, « la liberté »

Je pourrais me « sentir responsable de l’État » si ses dirigeants me faisaient confiance, s’ils écoutaient réellement les propositions des consultations citoyennes et autres recueils des avis locaux, si toute l’organisation parlementaire était organisée pour faire remonter les besoins et ressentis des citoyens et notamment des « provinciaux » … Comme nous en sommes très loin, nous risquons de persévérer dans l’erreur perdant & perdant encore quelque temps. A moins que la pandémie ne parvienne à bousculer un peu le statu-quo …

³ – Il n’y a qu’un moine pour encore associer ainsi « santé » et « salut ». On pourrait dire que le salut est une grande santé, une santé qui advient par le Grand, ouvre à la vraie grandeur. Et qu’en retour la « joie spacieuse » favorise la santé. C’est pourtant une notion des plus anciennes & des plus modernes : pas de santé partielle sans santé totale, One Health, santé non-duelle … Marie Balmary évoque dans un de ses livres cette nécessité d’être « guéri » avant de pouvoir être « soigné »

4 – « Levinas … » Il faudra bien un jour que votre serviteur relise ce massif de la pensée philosophique de manière un peu plus suivie que dans ce billet, toujours en lien avec la Vision du Soi …

Je peux certes être espace d’accueil pour le visage de l’autre, ceux de tous les participants d’une réunion « zoom ». Mais, à mon humble avis, la médiation de l’écran change à peu près tout …

Et, en réalité, je ne peux « accueillir le visage de l’autre », et plus précisément l’autre dans son entièreté, qu’en étant à zéro centimètre de moi-même, (en) ce « Je Suis » central du dessin de la note n° 6 et, de fait également à zéro centimètre de « l’autre ». Sinon … ? Je demeure dans une caricature de relation. Considérable proposition, à essayer et vérifier !

5 – Cette confirmation de la distanciation sociale par le « Noli me tangere » me semble excessive. Marie Balmary, avec d’autres, préfère d’ailleurs retenir l’autre possibilité de traduction par « Ne me retiens pas ». (Semeur, Bible en Français courant et TOB.)

[λεγει αυτη ο ιησους μη μου απτου ουπω γαρ αναβεβηκα προς τον πατερα μου]

6 – Cela rejoint ce que Douglas Harding aimait à répondre à ceux qui l’interrogeaient sur les circonstances favorables pour valoriser la Vision du Soi : « Having problems » ! Ces problèmes il ne les appelait pas de ses vœux, mais il avait suffisamment vécu pour savoir que la zone périphérique « je suis humain » du dessin ci-dessous en est prodigue.

« Having problems » constitue effectivement une excellente opportunité pour revenir en ce Centre que nous n’avons en réalité jamais quitté : problèmes en tous genres dans la zone « je suis humain » & paix absolue en l’espace d’accueil central de tous ces problèmes que « Je Suis », que nous sommes tous …

Cependant, il importe aussi d’écrire clairement que personne n’a le droit d’imposer cette discipline à quelqu’un d’autre. « La stratégie du choc » constitue à cet égard une politique absolument détestable. L’utilisation faite en Chine de la pandémie de Covid-19 pour achever de verrouiller le contrôle social est scandaleuse … et elle donne des idées et des solutions techniques à bien d’autres pays. Nos « démocraties » libérales ne seront peut-être pas épargnées …

Ceci dit, pour cesser de persévérer dans l’erreur, pour cesser d’aggraver les problèmes, il conviendrait que nos dirigeants acceptent de ne plus « faire toujours plus de la même chose », ce qui, comme chacun sait, est « la meilleure façon de réussir à échouer ». Ainsi déclarer « la guerre » au(x) virus et agir ensuite dans cette logique me semble insensé. Il conviendrait plutôt de tout mettre en œuvre afin de pouvoir vivre en paix avec eux.

7 – Nos « libertés chéries, absolues » étaient surtout les libertés de produire & consommer. Cette réduction aux seuls besoins du complexe corps & âme constituait un esclavage destructeur de notre dignité d’être humain. Allons-nous saisir « la chance de pouvoir explorer une tessiture plus grave et plus émouvante de notre vie » … alors que la plupart de nos contemporains ignorent à peu près tout de la complétude anthropologique « Corps & Âme – Esprit » ? J’aimerais être aussi optimiste que François Cassingena-Trévedy … Mais le constat du peu d’empressement de la plupart de mes contemporains à se saisir de la Vision du Soi, moyen habile de découvrir la « joie spacieuse » et d’y demeurer, me désole et m’attriste …

8 – Avec de tels constats, malheureusement justifiés, notre ami moine n’a pas du se faire que des amis dans son propre … « camp » : « On attendait un lever de visionnaires et de prophètes, et c’est une cacophonie de caprices. Tout cela est petit, dérisoirement petit, lamentablement petit. … Prétention déplorable à se croire le centre du monde au lieu que de tâcher obscurément d’en être l’âme, … ». Mais le christianisme n’est pas un camp, un club, une communauté, un parti … C’est un feu, et il importe que quelqu’un attise régulièrement les braises de son souffle. François Cassingena-Trévedy va sans doute se faire d’abord énormément critiquer et, dans quelques dizaines d’années tant l’inertie de l’institution est grande, l’évidence de ses intuitions sera reconnue. Espérons qu’il subsiste encore quelque public pour s’en souvenir et apprécier … « quand le vide que nous laissons, que nous faisons autour de nous, avec toutes nos inanités, devrait nous faire honte. »

9 – La Vision du Soi selon Douglas Harding va – entièrement, radicalement, simplement et concrètement – dans le sens de cette « dilatation joyeuse et aventureuse de la vieille tente ». Pas seulement de la « tente » chrétienne d’ailleurs, mais de toute « tente » spirituelle. Ce n’est certes qu’un outil de découverte de la « joie spacieuse », de pratique d’un « spaciement » illimité, de … « stabulation libre » ! Mais c’est un outil magnifiquement adapté & affûté, dont je persiste à penser qu’il fait défaut à beaucoup. Il est pourtant libre d’accès, de droits … partagés par quelques-uns dont votre serviteur … Qu’attendons-nous, qu’attendez-vous ? Que risquez-vous ? Tout vaut mieux que « la perpétuation introvertie d’un certain fonctionnement religieux ».

10 – Là encore, la Vision du Soi selon Douglas Harding va – entièrement, radicalement, simplement et concrètement – dans le sens de l’ouverture et de l’émerveillement.

Peut-être est-elle encore insuffisamment reconnue parce qu’elle propose, non pas de « demeurer sur le seuil de l’ouverture », mais d’incarner réellement et concrètement cette ouverture, d’être « ouvert à l’Ouvert ». Il ne s’agit pas d’une présomptueuse prétention ; juste  reconnaître & réaliser que c’est l’évidence même, que nous sommes, tous, construits comme cela …

&

Sous le titre « Chroniques du temps de peste. Donner un sens à ce que nous vivons », viennent de paraître (25 mars 2021) l’intégralité des chroniques des temps de confinement de François Cassingena-Trévedy, un moine « à l’heure exacte de son siècle », aux Éditions Tallandier.

« Nous sommes appelés à vivre une triple transition. Une transition écologique (passer de l’abus du monde à la coexistence pacifique avec la création).

Une transition théologique (passer de la mythologie chrétienne et de la consommation religieuse à la foi nue)

Une transition existentielle (passer de la mondanité machinale à la conscience vive et à la mise en œuvre de l’essentiel de notre vie)

C’est cette triple pâque que je vous souhaite »

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

5 réponses sur « La « stabulation libre » ou quatrième lettre aux amis confinés »

Merci à vous pour ce long commentaire cher Jean-Marc.
En vous lisant, il m’est venu une idée au sujet de votre vision du Soi ou ‘Sans tête ». Apparue à une époque de bouleversements civilisationnels, les années 60 dont D. Harding fu l’un des très nombreux acteurs, celle-ci signifie aussi quelque chose de cette révolution culturelle qui nous touche encore. Car une vision « sans tête » – notez qu’une telle appellation ne serait jamais venue à l’esprit des sages du vedanta, même contemporains, pour dire la vision du Soi… -, cette vision sans tête » donc, pur regard d’Un Soi sans mental ni corps encombrants, est une vision d’un monde sans tête non plus et d’une humanité littéralement « décapitée », c’est-à-dire sans « capitale » – que celle-ci soit une Cité ou une manière d’écrire orthographique -, et sans hiérarchie non plus. Un monde anarchique, sans ordre précis et dépourvu de chef (« caput » en latin), qui ne ferait peut-être que « capituler » devant l’ordre des choses auquel il ne pourrait que se soumettre ou s’unir mystiquement, et où les instances psychiques de l’esprit, situées, elles, dans la tête, auraient miraculeusement disparu. Pas de gouvernement ni de Loi venant d’une capitale ou d’un chef absents non plus, dans une telle société sans socius, et où il serait impossible d’envisager la moindre altérité, ou de dévisager un autre que Soi (référence à vos mentions de la philosophie lévinassienne) , ou d’en appeler à autre chose que ce Soi sans tête…
Toute en vous souhaitant en bonne santé, je vous laisse réfléchir aux conséquences éventuelles d’une telle révolution mentale que vous appelez sans cesse de vos vœux. Bien cordialement. Bruno

Bonjour Bruno,

J’ai approuvé votre commentaire … parce que j’en ai déjà trop de vous en attente de modération et réponse !
Mais je ne suis bien entendu pas du tout d’accord avec tout ce que vous avancez là … en ignorant tout de la Vision du Soi/Vision Sans Tête.

Dès que j’aurai un peu de temps je m’efforcerai de vous répondre point par point.
Cela me semble indispensable vu l’état présent du monde « avec tête » !

Une citation pour nourrir le débat :

« … Mais le fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. » [ο δε υιος του ανθρωπου ουκ εχει που την κεφαλην κλινη]

Cordialement

Jean Marc

Bonjour Bruno,

Me voilà revenu de 16 jours de randonnée (Grande Traversée du Mercantour) et disposé à répondre à votre commentaire.

Une vision superficielle peut en effet laisser croire que Douglas Harding n’est qu’un des nombreux acteurs de cette période parfois qualifiée de « new-âgeuse », voire « nuageuse », propice à l’éclosion de personnalités rebelles et superficielles … ou d’opportunistes soucieux de prendre le train en marche. Ce serait bien sûr faire une grossière erreur de jugement. Douglas est né en 1907, et on peut estimer que sa recherche « obstinée » démarre autour de ses vingt ans, soit plus de 30 ans avant les « sixties ». Que « On having no head » ait paru en 1961 et ait rencontré un certain succès lors de cette période ne doit pas gommer cette antériorité. Le « Post-scriptum autobiographique » du « Procès de l’homme qui disait qu’il était dieu » et la vidéo « Douglas Edison Harding, l’homme sans tête, philosophe, homme de science, artiste, mystique » expliquent tout cela en détail.

Vision Sans Tête/ Vision du Soi … je me suis expliqué dans ce billet des raisons de mon propre choix : Vision du Soi – (Vision Sans Tête)

 » … une telle appellation ne serait jamais venue à l’esprit des sages du vedanta, même contemporains, pour dire la vision du Soi » : Douglas s’est plus appuyé sur la tradition du zen, dans laquelle on retrouve des expressions très similaires. Et en cherchant un peu, sans a priori, on en trouve dans toutes les traditions spirituelles, la plus étincelante étant sans doute cette citation de Rûmi : « Décapite-toi ! Dissous ton corps entier dans la Vision : deviens vision, vision, vision. »
De toute façon ce n’est pas l’expression qui importe, même si celle retenue par Douglas a le mérite de faire réagir, c’est l’expérience. Je suis en train de relire, une fois de plus, « Je Suis » de Nisargadatta Maharaj. Avant d’avoir expérimenté la Vision Sans Tête, je n’y comprenais rien, et désormais c’est un livre grand ouvert. Je suis en mesure de vous affirmer que Nisargadatta vivait lui aussi « sans tête » ! Jetez donc un œil à ce billet de mon ami Alain Bayod.

« … cette « vision sans tête » donc, pur regard d’Un Soi sans mental ni corps encombrants … » ! Permettez-moi de vous rappeler, gentiment mais fermement, qu’à défaut d’avoir fait la moindre expérience de Vision du Soi (Vision Sans Tête) vous risquez d’avoir bien du mal à en dire quoi que ce soit de censé. Je vous l’ai déjà écrit à de nombreuses reprises, mais il semblerait que vous éprouviez un malin plaisir à persévérer dans l’erreur. Dommage. La Vision, comme d’ailleurs toutes les spiritualités que je connais, se propose de remettre corps & mental, infiniment précieux et nullement « encombrants », à leur juste place : périphérique et seconde, de bons serviteurs.

Quant au reste de votre commentaire, cette projection vers l’extérieur d’une Vision Sans Tête que, j’insiste, vous ne comprenez pas faute d’en avoir fait l’expérience, elle relève, pardonnez-moi, d’un délire particulièrement mal intentionné. La Vision Sans Tête permet au contraire d’espérer retrouver un ordre juste, une « Hiérarchie », avant que le désordre de notre monde moderne ne finisse par tout saccager, la nature et la culture.

La « Hiérarchie » constituant un « maître-livre » particulièrement copieux, je vous invite à considérer de manière plus pratique et plus immédiate votre « autoportrait », notre autoportrait à tous, que nous en soyons conscients ou pas. Ce dessin montre clairement les positions respectives de l’homme sans tête central (« Je Suis ») et du complexe corps & mental périphérique (« je suis humain »). Il va de soi que ce nouvel (et très ancien) « habit » ne peut être passé que subjectivement : il n’y a pas d’hommes sans tête qui se baladent dans la nature, comme certaines images du wouèbe le laissent (imbécilement) penser. Le wouèbe est une immense poubelle, vous le savez tout aussi bien que moi.

J’ignore ce que sont « … les instances psychiques de l’esprit, situées, elles, dans la tête, … » ? Je tiens dur comme fer à la tripartition anthropologique traditionnelle « Corps & Âme – Esprit ». Si mon mental est bien situé dans ma tête, (« la plus grande collection de chauves-souris dans le plus petit des beffrois » disait malicieusement Douglas), c’est la Vision Sans Tête & du Soi qui m’a permis de découvrir la dimension essentielle de ce qu’en Occident on nomme Esprit.

Ce n’est pas d’une « révolution mentale » dont nous avons, désespérément, besoin, c’est d’une révolution spirituelle. La Vision du Soi (Vision Sans Tête) nous en offre, peut-être pour la première fois dans toute l’histoire humaine, les moyens – simples, concrets, joyeux.

Cordialement

Jean Marc

J’ai lu votre réponse et vous en remercie. Comme vous citez dans votre dernier billet NIsagardatta Maharaj, je me permets de vous envoyer un extrait d’une de mes réflexions sur la question de la vérité dont parle ce guru dans son livre « Je suis » que j’ai lu et longuement parcouru. Mais comme cet extrait est un peu long, je préfère vous l’envoyer sur votre adresse-mail.
Bien cordialement. Bruno

Bonjour Bruno,

J’ai transformé votre texte en billet, pour l’instant à l’état de brouillon. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je lui apporterai mes commentaires en lien avec la Vision du Soi ultérieurement.

Bonne journée

Cordialement

Jean Marc

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.