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La racine du mauvais monde – Christian Bobin

« La racine du mauvais monde dans lequel nous nous trouvons, c’est la négligence, c’est le défaut d’attention, un manque d’attention, ce n’est que ça. (0)

C’est peut-être pour ça que la poésie est une chose vitale, parce que la poésie est une pierre à aiguiser l’attention, une sorte de pierre de sel, pour se frotter les yeux, pour se frotter les paupières, pour revoir le jour enfin, pour revoir ce qui se passe, pour revoir le jour et les nuits et la mort en face, cachée derrière le soleil, voir tout ça. Le voir s’en trop s’en inquiéter, s’en trop s’en alarmer.C’est ça je crois la racine du mal d’aujourd’hui qui est grande, c’est juste un défaut panique d’attention, qui suffit pour engendrer tous les pires désordres et les maux les plus terribles. Juste ça, l’attention.¹

Ça ne sert à rien de se plaindre, tout le monde va vous dire que c’est insupportable, tout le monde va vous dire ça, mais tout le monde y participe. Juste faire attention aux siens, faire attention à ce qui se trouve mêlé à nous dans la vie banale. Ceux qui sont là, pas ceux qui sont à dix milles kilomètres et avec lesquels on fait semblant de parler à travers un écran, ça n’a pas de poids ça.²

Mais simplement faire en sorte que les gens qui nous entourent ne dépérissent pas, et peut-être même les aider, les conforter. … Voilà …

Faire simplement attention au plus faible de la vie, parce que c’est le plus faible qui est le plus réel et parce que c’est ça qui est digne de vivre, et qui vivra toujours d’ailleurs.³

Recueillir ces choses là, porter soin, prendre soin, faire attention, voilà. Ce sont des pauvres verbes mais ce sont des verbes comme des armées en route si vous voulez, ce sont des verbes de grande résistance, et ce qui pour moi est en œuvre dans ce qu’on appelle la poésie.

La poésie pour moi, ce n’est pas une chose désuète, ce n’est pas un napperon de dentelle sur la table, ce n’est pas un vieux genre littéraire … C’est la saisie la plus fine possible de cette vie qui nous est accordée, et un soin de regard porté à cette vie. Voilà, c’est ça la poésie. Ce n’est pas une chose qui même est tout de suite dans les livres, ce n’est pas une chose de littérature en tout cas, c’est simplement chercher à avoir un cœur sur-éveillé. Sur-éveillé ! » (4)

Christian Bobin

&

NB : Je n’ai pas trouvé la référence de ce texte de Christian Bobin présent en de nombreux endroits du wouèbe. A priori un entretien plus qu’un extrait d’un de ses livres … N’hésitez pas à me la communiquer si vous la connaissez.

0 – C’est Michel Serres qui me semble avoir écrit que « la négligence est le contraire de la religion », ou l’inverse … ! Re-lier ou ne pas re-lier, telle est la question.

Avec feu Douglas Harding et dans le contexte de la Vision du Soi que je m’efforce de partager, je pense que la négligence-racine c’est celle de la Source de l’attention, l’oubli de notre Identité Centrale, quel que soit le nom qu’on lui donne.

Le geste décisif permettant de la dépasser est fort simple :

Ce geste permet de re-coïncider silencieusement avec notre « autoportrait » :

Et lorsque vous demeurez en ce « Je Suis » central, c’est l’attention de cet espace d’accueil illimité & inconditionnel qui s’applique naturellement aux « autres » et à l’ensemble de l’univers, pas seulement celle du petit « dividu » confiné dans la seule zone périphérique « je suis humain » du dessin ci-dessus.

Devenir qui nous sommes vraiment : vaste programme, certes ! Mais si simple, concret, joyeux … et tellement nécessaire pour remédier au chaos actuel. Essayez, vérifiez !

¹ – « La poésie est une pierre à aiguiser l’attention … » : sur volte-espace il en est principalement question dans « Voir – Poésie et mystique » de Christian Le Dimna et « La “méta-poésie” : verbe de la première personne » de Richard Boyer, « Zen et poésie ». Mais aussi dans les billets consacrés à Rainer Maria Rilke, à Christian Bobin … bref, un peu partout !

La Vision du Soi est elle aussi une sacrée « pierre à aiguiser l’attention » … Essayez, vérifiez !

Christian Bobin rejoint ici « La seule chose vraie » de Simone Weil.

² – Cette attention au quotidien, à son prochain …, c’est ce sur quoi insistent la plupart des sagesses et spiritualités du monde. Quelque chose de très simple et d’infiniment difficile à maintenir.

³ – « Faire simplement attention » au plus affaibli de la vie peut-être. A cette dimension d’intériorité que, pour la plupart, nous ne cultivons plus, que nous confondons avec le mental – conscient & inconscient. Je le réécrit souvent sur volte-espace : aucun espoir en dehors d’une anthropologie ternaire « Corps & Âme – Esprit ».

Plus rien de banal pour qui demeure dans le « Je Suis » central, dans la dimension de l’Esprit … Un « festival of newness » s’ouvre, qui ne se refermera plus.

4 – Parmi ces « pauvres verbes … comme des armées en route » se trouve le verbe Voir. Swâmi Prajnânpad l’a soigneusement discerné et remis en valeur : cf. « La grandeur de l’Inde ».

Mais Douglas Harding a en quelque sorte poussé la démarche jusqu’à son aboutissement :

« Voir suffisait & To look was enough. » (« Vision »)

Un atelier de Vision du Soi ne sert qu’à réapprendre à Voir comme résumé par le premier dessin ci-dessus. A permettre ce « soin de regard porté à cette vie »« à avoir un cœur sur-éveillé ». Essayez, vérifiez !

 

 

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

8 réponses sur « La racine du mauvais monde – Christian Bobin »

Le « mauvais  » monde. On peut donc en déduire qu’il en existe un bon, sur le mode augustinien de la cité céleste opposée à la cité terrestre. Mais plus encore, car l’on constate que pour Christian Bobin une opposition et un combat ont lieu entre les deux mondes, sur un mode gnostique, comme je le suggérais récemment. Et que lui-même s’est considéré « jeté » en ce monde, pour reprendre une expression gnostique, où il a vécu comme un étranger, mais comme tant d’autres…
M. Serres ne fait que répéter ce que des auteurs comme Varron ou Cicéron dans l’Antiquité écrivaient au sujet des étymologies du verbe religare ou relegere pour dire la religion : faire en retenant, avec scrupule, en faisant attention. L’acte religieux, c’est-à-dire rituel et sacrificiel avant tout, est effectivement le contraire de neglegere : faire avec négligence. Cela étant, la religion romaine est totalement étrangère au domaine poétique d’un Ch. Bobin… Si l’on veut que l’Histoire nous respecte, il faut d’abord respecter l’Histoire…
Merci à vous pour ce texte.
Bruno

Bonjour Bruno,

Il me semble que ce serait plutôt analogue au samsara & nirvana du bouddhisme. Le « mauvais » et le « bon » monde ne sont en réalité qu’un seul et même monde : mais vu & vécu uniquement par un « moi-je » périphérique « endormi » pour le 1°; par un Soi éveillé, un « Bouddha », un « Je Suis » central, une plénitude Corps & Âme – Esprit dans le 2°. Tout un chacun est en capacité de passer d’un stade à l’autre, à condition de le vouloir vraiment … Le « salut » de chacun de nous construit ainsi un « salut » du monde … qui en a bien besoin !

Je crois plutôt que Bobin a été intensément présent au monde, extraordinairement attentif aux moindres détails, aux arbres, aux oiseaux, aux « gens ». Et certains se sont reconnus dans ses écrits et ont peut-être eux aussi, grâce à lui, intensifié leur présence au monde …

De Michel Serres je préfère retenir cette répétition que « Petite poucette » …
Mais pourquoi « rituel et sacrificiel avant tout » ? Il me semble que le seul « sacrifice » réellement utile est celui de la primauté du « moi-je ». Voir « avec scrupule, en faisant attention » que « Je Suis » espace d’accueil illimité & inconditionnel, que nous sommes tous construits comme cela, voilà une manière assez simple & concrète de se relier à tous et à tout.
Pourquoi n’y-a-t-il que si peu « d’ouvriers pour cette moisson abondante » ? Mystère …

Cordialement

Jean Marc

Vous savez contourner les obstacles par des réponses qui invitent toujours à la pratique, la vôtre notamment.
« La religion est une invention de fils » disait Fliess à Freud. Ces fils et ces frères qui se positionnent envers le Père chacun à sa façon. J’aurai une question à ce sujet, si vous voulez bien : dans votre spiritualité du Soi et sans tête, si l’on perçoit bien la place des fils et des frères (ou des filles et des sœurs) réunis en fraternité et en communautés par des Fils ou des Frères aînés (comme D. Harding, A. Desjardins, le Christ…) ou encore si l’on voit bien la place des Mères (M. Balmary, Ch. Singer…), omniprésentes avec la Nature et le Soi, on ne voit en revanche jamais la figure du Père. Non pas celui de Jésus qu’on ne voit jamais et qui est plus une Mère qu’un Père. Mais le Père, le vrai? Où est-il exactement? Et ne se confond-il pas avec les autres figures spirituelles fraternelles et maternelles qui l’ont noyé ou étouffé?
Merci à vous
Bruno

Bonjour Bruno,

Je vais essayer d’apporter quelques précisions à votre commentaire … mais sans pouvoir répondre à la considérable question du « Père, le vrai ».

A la question « what is your theory ? » Ramana Maharshi répondait en un mot : « Practice ». N’importe quelle mise en pratique sérieuse, mise en relation consciente avec les autres, le monde …

La Vision du Soi n’est pas « ma » pratique. Douglas l’a conçue comme essentiellement démocratique et partageable, un vrai plus, assez rare … Un bon critère pour se démarquer de l’envahissant développement personnel.

Elle ne me semble ainsi pas mettre en valeur des « aînés » majuscules. Douglas disait souvent en conclusion d’un atelier : maintenant vous avez toutes les clés en mains, vous êtes des experts. Allez-y, pratiquez. « Arrosez-vous de nombre » comme disait Valéry. Ou encore « démerdez-vous ! ».

A. Desjardins n’a pas fait la place qu’elle méritait à la Vision du Soi, il n’a pas compris à quel point elle était en mesure « d’accomplir » la voie de Svâmi Prajnânpad. Ou alors il l’a trop bien compris …

Je ne suis pas sûr que Marie Balmary apprécierait d’être considérée comme une « Mère » de la « spiritualité du Soi » ! J’imagine qu’elle pourrait dire que ce « Vrai » est plutôt à chercher & trouver dans la relation père & mère, homme & femme … Dépasser sexes, fonctions et rôles dans et par l’Esprit Un …
Cadeau : « Le créateur, un père ? Où est la mère ? »
(Article non encore repris sur volte-espace)

Dans le billet « autoportrait », la carte de la Vision du Soi propose en dessous du « Je Suis » central une flèche vers le haut. D’autres versions proposent le mot « mystère » ou un point d’interrogation. C’est peut-être là le (non)lieu du « Père, le vrai »

Nous n’y arriverons jamais rien qu’avec des mots, Bruno. Seule l’expérience unitive permet de dépasser la dualité inhérente à nos vocabulaires et à nos grammaires.

Belle & bonne journée

Cordialement

Jean Marc

Le seul sacrifice serait celui du « Je-Moi » ainsi que le prétendent les gurus du néo-vedanta? Mais le Christ lui-même, que vous tenez à honorer, ne s’est pas contenté de sacrifier son ego sur la Croix, que je sache! Mais il a sacrifié toute sa personne et en est réellement mort! Que d’autres puissent prendre prétexte de ce vrai sacrifice de soi pour le transformer abusivement en sacrifice « du moi », qui ne coûte pas cher et peut rapporter gros en termes de reconnaissance et de jouissance narcissique notamment, en dit long sur leur imposture, ne pensez-vous pas? Quant au Bouddha, sa vision a surtout consisté à ne voir que la vacuité, c’est-à-dire à ne rien voir du tout, comme nous le rappellent tous les sûtras. Aucun sacrifice dans son cas, sinon celui de la réalité pour conforter sa « vue » irréelle du monde.
Si vous tenez aussi à chercher du côté de l’étymologie, sachez que les termes désignant la religion ou le religieux – comme sacré, rite, sacrifice, brahman, karma, loi, droit… – connotaient non pas la « reliance », la communion, l’union mystique avec le Tout ou l’illumination spirituelle, encore moins la disparition dans le Soi, mais désignaient la différenciation des choses et des êtres, leur distinction, leur séparation, leur nomination aussi (c’est ce à quoi d’ailleurs s’emploie l’Elohim du livre de la Genèse dans les premiers chapitres, inspirés des mythes et des rites mésopotamiens) conditions essentielles pour vivre en harmonie et dont les rites et les sacrifices, réels et non mentaux, formaient le soubassement quotidien de ces sociétés. Les fantasmes de fusion mystique et cosmique propres aux spiritualités récentes leur auraient fait horreur ou paru ridicules… Le « Je suis », celui de l’autofondation, est réservé à Dieu seul et non à nous qui ne nous sommes pas donnés à nous-mêmes notre vie ni notre être. Cette caractéristique, qui implique une dette existentielle, est le propre de notre condition humaine que vous tentez de rejeter en vous absorbant dans le Soi ou dans la « soie » maternelle, si je puis dire, Alors que vous devriez plutôt tenter de préserver votre être qui commence avec votre moi, et à accepter votre finitude qui impose de faire le deuil de la toute-puissance infantile, de l’infinitude et de la complétude béatifique. Votre moi – expression de votre Esprit ou manifestation de votre Âme – peut très bien exister. Il suffit de le limiter lorsqu’il devient tyrannique. Mais il n’est pas le mal, même s’il doit être éduqué et corrigé… En revanche, prétendre connaître le Soi divin et s’identifier à lui est au pire une faute, un péché, au mieux une illusion…
Cordialement. Bruno

Re-bonjour Bruno,

Juste un mot pour vous dire trois choses :

– excellente cette « soie » maternelle !

– Est-ce que « Le « Je suis », celui de l’autofondation, est réservé à Dieu seul et non à nous qui ne nous sommes pas donnés à nous-mêmes notre vie ni notre être » ? Pas sûr du tout … la vieille histoire de l’image & ressemblance creusée, entre autres, par notre chère Marie Balmary.

– comment parvenir « à accepter votre finitude » quand vous Voyez votre vraie nature d’espace d’accueil illimité & inconditionnel ?

Je reviendrai sur cette réponse très partielle à ce riche commentaire.

Belle & bonne journée

Cordialement

Jean Marc

Je crois surtout mon cher Jean-Marc, si l’on veut être honnête, qu’il y a des expériences qui sont irréductibles et des manières de voir qui sont et seront toujours divergentes et ne pourront être harmonisées, quels que soient les moyens employés. Et ce sont d’ailleurs ces différences qui sont en soi remarquables et ne doivent nullement à être abrasées. Certes, dans la vision unitive, rien de tout cela n’apparaît puisque les différences, les altérités et les divergences ont disparu, comme j’ai pu moi-même le constater. Mais c’est le signe que cette expérience totalisante n’est peut-être rien d’autre que le degré zéro ou un de la vie spirituelle et non pas son sommet ni sa finalité. J’espère que votre famille, qui s’est récemment agrandie se porte bien. Cordialement. Bruno

Bonjour Bruno,

La famille se porte bien, merci.

Il ne me semble pas rechercher à tout prix une quelconque « harmonisation », un œcuménisme. D’ailleurs l’enthousiasme très relatif pour la Vision du Soi prouve que son côté plutôt dérangeant, voire tranchant, est assez bien perçu. La plupart de nos contemporains tiennent mordicus à leur « tête » !

Je crois que vous avez une regrettable conception de la « vision unitive » si pour vous elle consiste à faire disparaître « les différences, les altérités et les divergences ». Il me semble que sa façon, unique, de les accueillir de manière inconditionnelle les respecte au plus haut point et permet leur libre et positif jeu. Le contraire absolu d’une « expérience totalisante », un remède possible à tous les totalitarismes – spirituels, politiques, économiques, etc …

« Degré zéro … ». Douglas a beaucoup répété & écrit que la Première Personne – Ce que nous sommes en coïncidant silencieusement avec le « Je Suis » central – compte toujours à partir d’un zéro qui s’énonce « love » au tennis ! A partir du vide, du rien … Peut-être de la « Gottheit » de Maître Eckhart …?

Cordialement

Jean Marc

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