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A propos de Ce lieu en nous que nous ne connaissons pas – Patrick Corneau


Ce lieu en nous que nous ne connaissons pas – Patrick Corneau

Voilà un nouveau commentaire du livre de Marie Balmary, « Ce lieu en nous que nous ne connaissons pas – A la recherche du Royaume ». Pas de réelle nouveauté par rapport à ceux déjà relayé sur volte-espace, sauf qu’il n’est pas strictement lié au seul univers catholique comme les précédents. Le Lorgnon mélancolique est en effet un site littéraire :

Hors la théologie et la publicité, il ne fait guère de doute que les traits majeurs de notre univers sont la pénurie de sens et l’absence de tout objectif discernable. Ce blog est la tentative aussi présomptueuse que naïve de prêter un semblant de sens et d’ordre au monde en faisant le pari de la littérature, maîtresse de connaissance et de vérités humaines, d’autant plus réelle qu’elle est virtuelle, de la prendre comme bréviaire ou plutôt comme « dysangile » dont la devise pourrait être : “Cliquez, lisez et vous verrez …”

Merci à Patrick Corneau d’avoir rendu possible ce premier pas. Espérons que d’autres suivent.


« C’est en lisant la chronique d’Emmanuel Godo dans La Croix (“Le pain-parole”, 27 mars) que j’ai eu envie de lire le dernier ouvrage de Marie Balmary. Comme quoi les chroniques sont des coups de cœur qui s’appellent, se répondent … Depuis plus de 40 ans, la psychanalyste Marie Balmary qui a appris l’hébreu biblique et le grec ancien scrute les Écritures. Dans Ce lieu en nous que nous ne connaissons pas – À la recherche du Royaume, elle relit certains passages des évangiles que nous croyons connaître par cœur et invite à les traduire et revisiter autrement.

Le parcours intellectuel et spirituel de Marie Balmary est tout à fait singulier. La musique lui a appris à écouter la parole, l’écoute l’a conduite à la psychanalyse, la psychanalyse l’a conduite au judaïsme. Marie Balmary, qui a grandi dans une famille catholique, ne s’est pas convertie au judaïsme mais elle y a trouvé “un pays où la parole avait cette valeur-là” qu’elle n’avait “trouvé nulle part ailleurs”. C’est une phrase du Talmud qui lui a fait sentir qu’elle était arrivée dans son pays : “Tout homme qui renie l’idolâtrie est un juif” (traité Meguila, 13a). Se considérant déjà comme “une réfugiée spirituelle en Israël”, la tradition juive qui donne une grande importance à l’interprétation des textes, ainsi qu’à la pluralité des interprétations lui a permis d’interroger son christianisme. D’ailleurs les Écritures, “ce sont des textes à interpréter, précise Marie Balmary, cette interprétation permet à chacun de se situer, de se confronter à d’autre, c’est une mise en relation de gens.” Le touchant message de reconnaissance et d’adhésion à la tradition juive qu’elle cite en ouverture est réconfortant en ces temps de repli identitaire et confessionnel …

Au sein d’un petit groupe d’amis aussi passionnés qu’elle, Marie Balmary a donc entrepris de relire très attentivement la Bible. Jusqu’à présent, elle s’était surtout penchée sur les mythes du livre de la Genèse, se rapprochant d’ailleurs plus souvent des interprétations juives que de celles de sa tradition chrétienne. De là est né notamment Le Sacrifice interdit – Freud et la Bible où elle questionne un passage célèbre où Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils unique. On en a fait l’exemple du parfait croyant soumis à Dieu, et qui, bien que choqué par cette demande, va jusqu’au bout. Une interprétation qui donnait l’image d’un Dieu sadique ou pervers, pour reprendre l’expression de Maurice Bellet. Et qui empêchait de voir le récit d’une “guérison”. Abraham vivait à une époque où il était courant de faire des sacrifices d’animaux, voire d’humains : “Il sort d’un monde d’idolâtrie, explique Marie Balmary. Puis, le tétragramme lui apparaît et lui dit de ne faire aucun mal à l’enfant”. On bascule alors dans un autre paradigme civilisationnel. 1

Publiée en 1986, la relecture du sacrifice d’Isaac par Marie Balmary a eu un fort impact sur la vie de foi de milliers de chrétiens. Car on a beaucoup dit que Dieu, avec Jésus, était allé au bout du sacrifice qu’Abraham n’avait fait qu’à moitié. Cette interprétation la révolte : “Ça me fait hurler quand j’entends ça, confie la psychanalyste, je me dis qu’on démolit l’humanité ! Maintenant, on est en train de voir toutes sortes de conséquence des questions de soumission et d’emprise, j’espère que ça va permettre de dire : Attendez, Jésus n’est pas une victime offerte en expiation !” Certes, il est difficile de comprendre l’acceptation de Jésus lors de sa Passion. Pourquoi a-t-il accepté de souffrir sur la croix ? Quand il dit “Pourquoi m’as-tu abandonné ?” (Mc 15, 34), selon la psychanalyste, “ce n’est pas à son Père” qu’il le demande, mais si l’on se réfère au texte-source “au créateur”. “Le créateur, il nous abandonnera tous parce que ce corps-là, il va disparaître. Il a fini sa création.” Le Père, lui “n’abandonne pas”, il attend le fils de l’autre côté … 2

L’insigne leçon de ces douze commentaires sur les Évangiles est qu’ils amènent sans cesse à questionner les traductions, à se reporter au texte original et sonder les infléchissements de sens de l’hébreu au grec, du grec au latin, du latin au français, et d’une langue à l’autre à relever des nuances sémantiques. Être attentif aux Écritures, c’est traquer dans les traductions courantes les détournements de sens moralisateurs dont la psychanalyste peut, dans son cabinet constater les redoutables effets. L’enjeu est de taille, une “mauvaise traduction” peut facilement être une forme d’instrumentalisation des textes – délibérée ou pas – pour cautionner une vision de l’existence doloriste, culpabilisante, fataliste, amoindrissante. Par exemple : on a souvent traduit le verset 3 du chapitre 16 de la Genèse par : “Tu enfanteras dans la douleur”. Avec une phrase pareille, s’indigne la psychanalyste, on reste bloqué sur une punition de la femme. Pour Marie Balmary, il faudrait traduire par : “Dans le chagrin tu enfanteras des fils”. Cela n’a rien à voir avec la souffrance de l’accouchement, explique-t-elle, mais avec la difficulté pour les êtres humains de laisser advenir en l’autre et particulièrement l’enfant, sa propre vie, sa propre parole. Cela fait écho à l’épisode que raconte Luc, quand Jésus a douze ans et que Joseph et Marie le conduisent au Temple de Jérusalem. Ils ne retrouvent plus sa trace et le perdent pendant trois jours. Jésus les accueille sans s’excuser. Et même il renverse la situation : “… Ne saviez-vous pas qu’il me faut être à ce qui est de mon Père ?” S’il demeure bien à sa place dans sa généalogie, il a désormais accès à son origine divine. Les parents de Jésus “acceptent de ne pas comprendre, nous dit la psychanalyste, un sujet, un fils c’est quelqu’un qui a dépassé l’emprise de ses parents, qui accomplit son propre désir, qui accède à lui-même.” 3

Autre traduction dangereuse, celle du verset 48 du chapitre 5 de l’évangile de Matthieu : “Soyez parfaits comme votre père est parfait”. En hébreu, nous dit Marie Balmary, le verbe n’est pas conjugué à l’impératif mais à l’inaccompli, c’est-à-dire au futur. On a fait un ordre de “ce qui était une promesse, une prophétie” : “Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait”. Or, le mot “parfait” peut avoir un effet pervers. Nous sommes des êtres profondément inachevés, nous ne serons jamais “parfaits” ! Et pourtant, il y a souvent cette injonction dans les religions d’être parfait, d’être des purs, totalement fidèles à Dieu en tout. Ce type de traduction a pu engendré une culpabilité mortifère. Il est très difficile de mettre dehors le faux Dieu de la culpabilité, celui qui juge et qui punit, reconnaît Marie Balmary. Dans la Bible, ce qui libère, c’est d’être en relation : avec le Père, avec les autres.4

Au fond, le fil qui relie ces récits évangéliques (re)parcourus et qui court à travers toute la Bible est ce qui permet à l’être humain d’entrer en relation de parole avec d’autres. Ce qui dans ce monde-là commence à nous faire entrevoir le Royaume, est le souci d’autrui, l’amour, la charité, autrement dit l’accès à la fraternité. “Ce lieu en nous que nous ne connaissons pas” du titre est précisément le lieu de la métamorphose, du passage du “moi-je” au “Nous” de fraternité. Aucune théorie darwinienne ou autre ne peut en rendre compte ni nous y introduire, excepté peut-être la psychanalyse qui, travaillant sur le symbolique, peut en situer les contours … Seuls le mythe, la parabole ou la fable peuvent nous coordonner au mystère. « De quoi avons-nous besoin d’être sauvés, conclut Marie Balmary, sinon de notre condition de mortels ? La révélation nous sauve du statut d’objets dans le monde. En tant que créatures, nous sommes des êtres connaissables. En tant que “fils”, de l’un et l’autre sexe, nous ne le sommes pas. La filiation – et la fraternité qu’elle rend possible – apparaît comme l’au-delà de la création. » 5

Ce qu’énonce en poète, Emmanuel Godo :

« Lire la Bible comme un texte vivant, c’est sentir se frayer en nous des passages. Vers de l’inconnaissable qui ne nous égare pas mais qui, au contraire, nous remet sur le chemin de l’homme. »


  1. Ce « Jusqu’à présent … » me paraît contestable : les allers et retours réguliers entre « l’un et l’autre testament » constituent une vieille … habitude, sinon technique, de Marie Balmary.
    Cette « sortie d’un monde d’idolâtrie » vient en quelque sorte tangenter les travaux de René Girard. Il me semble d’ailleurs que leurs deux recherches se confortent mutuellement. ↩︎
  2. Cette (mis)interprétation me révolte également. Mais, pour aller (trop) souvent ces temps derniers dans des églises catholiques assister à des messe de funérailles, il me semble constater que ce qui y est montré et dit continue en quelque sorte de glorifier ce (pseudo) « sacrifice de Jésus » … Rares sont les officiants capables de parler sereinement de « décréation », d’une manière utile à ceux qui restent …
    Les « conséquences des questions de soumission et d’emprise », Marie Balmary les connaît de près pour avoir participé aux travaux de la Ciase. Malheureusement certains signes ne sont guère encourageants quant aux mesures de suivi tant de ces travaux que de ceux de la Ciivise. Il semblerait qu’un leitmotiv du style « grâce à Dieu les faits sont prescrits » demeure d’actualité … ↩︎
  3. Marie Balmary rappelle souvent cette possibilité de traduction d’un extrait du Psaumes 62, 12 : « Dieu a dit une chose et j’en ai entendu deux ». Pourquoi est-il si souvent « entendu » et transmis la version la plus « malsaine » – celle qui divise plutôt que celle qui unit ? Mystère … de la liberté humaine et de la puissance du surmoi.
    Tout humain dispose en fait d’une « généalogie » double : ses parents biologiques dans l’horizontalité de la zone périphérique « je suis humain » et, dans une dimension plus « verticale », le « Je Suis » central (le « Père » ou quelque autre nom, de toutes façons insuffisant – que l’on veut bien lui donner). Le symbole de la croix contient en fait l’essentiel, mais il n’est pas inutile de se référer à notre « autoportrait » commun pour visualiser clairement de quoi il retourne. ↩︎
  4. Impossible d’être « parfait » dans la seule zone périphérique « je suis humain » évoquée ci-dessus. Mais pourquoi serait-il interdit de viser une certaine « perfection » humaine de & dans la connexion à ce « Je Suis », central et … « parfait » ? D’être « intègre » (selon la traduction d’André Chouraqui), voire « intégral », « entier », … en refusant de « se contenter de trop peu » ? Est-il possible d’être en relation libératrice avec les autres en périphérie sans passer par le « Je Suis » central … ? Il semblerait bien que non. ↩︎
  5. Cette accès à la fraternité est étudié en détail dans « Abel ou la traversée de l’Éden ». Jamais semble-t-il des sociétés humaines de plus en plus fragmentées, fracturées, fragiles et déstabilisées par de multiples crises formant système n’ont eu autant besoin de retrouver ce chemin-là … Est-ce encore possible … ?
    Dans cet entretien, « Le Dieu que l’on s’invente est bien plus terrible que le Dieu révélé », Marie Balmary pose une rafale de questions pour le moins dérangeantes :
    « L’Occident serait-il le seul lieu sur terre où l’infini n’est plus un sujet ?
    La démocratie peut-elle se passer de verticalité ? …
    Avons-nous conquis quelque chose de formidable en éliminant tous les dieux ?
    Ou bien, est-ce que l’on a jeté la Vie avec l’eau du bain, jeté quelque chose d’indispensable à notre vie ensemble ?« 

    Et ceux qui connaissent ses écrits savent déjà qu’elles répond rarement … ! Mais … « Wo aber Gefahr ist, wächst das Rettende auch. & Mais dans le danger croît aussi ce qui sauve. » : je choisis de voir dans la reconnaissance (encore trop timide) de la qualité des travaux de recherche de Marie Balmary, dans la diffusion (encore trop lente) de la Vision du Soi selon Douglas Harding, … des indices de l’avènement de « ce qui sauve ». Il y en a d’autres, heureusement … mais pas tant ! ↩︎

Cordialement

NB : je n’ai pas retenu dans ce billet les deux autres livres de cette chronique d’Alain Corneau. Ce sera sans doute pour bientôt.

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

3 réponses sur « A propos de Ce lieu en nous que nous ne connaissons pas – Patrick Corneau »

Une pensée me traverse l’esprit en vous lisant : et si nous étions vraiment l’ego, le moi? Et si notre identification à notre corps n’était pas erronée et exprimait la vérité très humaine de ce que nous sommes? Une telle perspective n’aurait-elle pas de quoi faire chavirer tous les spirituels et leurs visions mystiques?
Par ailleurs, je ne crois pas que les théories de R. Girard puissent corroborer en quoi que ce soit les idées de M. Balmary.
Lui insistait, au contraire, sur la faute comme réalité incontournable et sur le péché comme vérité de fait universelle. Il croyait au sacrifice victimaire, chrétien, dans la droite ligne de la théologie classique et s’appuyait non pas sur des interprétations libertariennes de la Bible, mais sur les vérités exprimées notamment dans des textes comme l’épître aux Hébreux et qui étayent la croyance en un serviteur souffrant et un messie venant libérer les êtres humains prisonniers de leurs péchés, et incapables de se sortir de leurs misères par leur seule volonté. Aux antipodes donc de la vision sans tête, de l’hindouisme du Vedanta, du Zen, du yoga et de toutes les sagesses naturelles qui encouragent les hommes à ne compter que sur eux-mêmes.
J’apprends le décès d’A. de Souzenelle, proche de vos idées par son hébraïsme biblique, mais aussi d’Irène Grosjean, la papesse de la naturopathie. Tout un monde qui disparaît…
J’ai bien lu votre réaction négative à mon idée d’institutionnalisation des mouvements, et que vous exécrez comme tout bon libertaire ou anarchiste écolo. Ce que vous ne percevez peut-être pas, et c’est la raison pour laquelle j’ai mentionné le décès de ces deux figures de la contre-culture contemporaine, c’est qu’en voulant échapper à un tel destin, tous les adeptes qui tentent de façon romantique de préserver l’intuition originale de leur sagesse, comme de leur communauté et de son fondateur, se condamnent à disparaître encore plus rapidement qu’ils ne sont apparus. Et sans guère laisser de traces…
Qui sait si dans un avenir proche ou lointain, quelques curieux ne découvriront pas par hasard votre site et nos échanges, en se posant la question de ce que pouvait bien représenter mais aussi valoir cette sagesse « sans tête » et cette vision du soi ?…
Bruno

Bonjour Bruno,

Et bien laissez « cette pensée vous traverser l’esprit » … pour en sortir aussi vite que possible ! Cette « identification exprime la vérité très humaine de ce que nous sommes » … très partiellement. Elle coexiste avec une identité d’un autre ordre qui vient compléter le tableau, depuis toujours et dans toutes les civilisations. Divine … ? Notre modernité déboussolée est la première à remettre en cause cet invariant anthropologique … plutôt pour le pire, comme Bernanos l’avait très bien vu.

Je préfère laisser Girard un peu de côté pour l’instant. Je suis en train de le relire : c’est à la fois très simple & terriblement (et peut-être inutilement) compliqué … Juste écrire que comme Balmary il a eu l’audace d’une lecture subjective,en Première Personne, des Écritures, ce qui en renouvelle considérablement l’usage.
Plus que la « faute » et le « péché » il me semble que Girard met en avant la primauté du risque de la violence mimétique, de la « montée aux extrêmes ».
Il ne me semble pas qu’« il croyait au sacrifice victimaire, chrétien …« . Il en a étudié soigneusement le mécanisme et l’a en quelque sorte démonté. Le Jésus de Girard comme celui de Balmary ne sont en aucun cas des victimes sacrificielles.

« interprétations libertariennes » : tout de suite des gros mots, très excessifs !

Il ne me semble pas que « la vision sans tête, l’hindouisme du Vedanta, le Zen, le yoga et toutes les sagesses naturelles encouragent les hommes à ne compter que sur eux-mêmes ». Vous englobez dans une seule, vaste et réductrice « catégorie » des choses trop différentes pour que votre jugement soit pertinent. Et dans toutes ces pratiques, quoiqu’on en dise souvent par ignorance et/ou malveillance, les dimensions de l’autre (du prochain) et d’un Autre (immanent & transcendant) sont très présentes pour ne pas dire essentielles.

Laissons aussi de côté A. de Souzenelle et Irène Grosjean. Le travail de la première continuera avec Arigah. Et l’intérêt pour la naturopathie n’est pas près de faiblir …

Le problème de l’institution ne date pas d’hier (cf. Matthieu 23, 13) ! Nous aurions besoin d’institutions qui soutiennent & promeuvent systématiquement ceux qui les contestent ! Je pense personnellement que ça contribuerait à consolider la confiance dans leur utilité. Mais nous en sommes encore très loin … Les institutions roulent pour elles-mêmes, s’auto-entretiennent, comme de stériles parasites.

Nombreux sont les « hérétiques » d’hier à figurer parmi les succès de librairie et de pratique d’aujourd’hui. Les autorités institutionnelles sont, trop souvent, ces « guides aveugles, qui filtrent le moucheron et avalent le chameau. » Résultat : « Voici, votre maison vous est laissée déserte. » Matthieu 23 encore.

Rappel : pour découvrir ce que peut bien « valoir cette sagesse « sans tête » & vision du soi », il n’y a qu’une seule solution : essayer, goûter, avoir l’audace d’oser … Peut-être que dans un siècle ou deux elle sera devenue la norme de la santé mentale !

Cordialement

Pour étayer mes propos précédents, et appuyer mes hypothèses, je recopie ici un logion de l’évangile gnostique de Thomas (logion 22) :« Jésus vit des petits qui tétaient. Il dit à ses disciples : « Ces petits qui tètent sont comparables à ceux qui entrent dans le Royaume. » Ils lui dirent : « Est-ce qu’en étant petits nous entrerons dans le Royaume ? » Jésus leur répondit : «Lorsque vous ferez des deux un, et que vous ferez l’intérieur comme l’extérieur, et l’extérieur comme l’intérieur, et le haut comme le bas, de sorte que vous fassiez de l’homme et de la femme un seul, pour que l’homme ne soit pas homme et la femme ne soit pas femme, lorsque vous ferez des yeux à la place de l’œil, une main à la place d’une main, un pied à la place d’un pied, une image à la place d’une image, alors vous entrerez dans la Royaume. » Je me réfère à la traduction et au commentaire de André Gagné. Malgré certains rapprochements, ce logion est différent des évangiles qui lui ressemblent. En effet, contrairement à nombre de textes évangéliques, le Royaume ici n’est pas qualifié « de Dieu » ni « des Cieux », car il se situe déjà là, et vise celui Fils plutôt que du Père. De plus, il ne s’agit pas de redevenir des « petits » ou des « enfants » pour entrer dans le Royaume, comme dans l’évangile johannique et ainsi que les disciples de ce logion le croient. Mais d’imiter les « petits » dans leur geste de la tétée. Interprété gnostiquement, cela signifie que le disciple qui veut entrer dans le Royaume doit « boire » les paroles de son maître et fusionner avec lui. En ce cas précis, il s’agit pour les disciples, premiers chrétiens, de fusionner avec Jésus : « La clé interprétative réside dans la portée symbolique de l’agir des petits » écrit A. Gagné. L’agir, et non pas la « foi » ou la « grâce », ni la « vue », la « contemplation » ou la « vie », et l’agir seul, permet donc de connaître le salut et d’entrer dans le Royaume. Mais ce logion évoque aussi autre chose. À l’instar de l’androgyne primitif, évoqué déjà par Platon et connu dans la Gnose, ce texte fait clairement allusion, tout d’abord, à l’abolition des différences et de la dualité – extérieur/intérieur ; haut/bas ; – puis de la différence sexuelle – homme/femme, destinés à devenir « un » -, enfin, des différences spécifiques destinées à s’unifier elles aussi : yeux, main, pied, en une image quasi divine, puisque l’image de l’homme et celle de la femme, créées par Dieu, s’unifieront. Mais cette abolition et cette unification ne pourront se réaliser que par un « faire » ou un « agir » semblable à l’action des petits en train de téter : « Pour entrer dans le règne de Dieu, le disciple doit procéder à l’abolition de la différence et de la dualité. » Ainsi : «Pour Jésus, le résultat ultime de cette abolition donne accès au Royaume. » Mais ce sur quoi n’insiste pas A. Gagné, c’est que ce faire ou cet agir implique de reconstruire entièrement l’être humain, afin d’effacer la différence sexuelle et de l’androgyniser. Et que, pour ce faire précisément, les disciples doivent employer des moyens qui doivent déconstruire l’être humain en vue de le reconstruire. Cette reconstruction de l’être humain devenu ou redevenu ensuite « un », ou une image unitaire, lui permettra d’entrer dans le Royaume. On n’entre donc pas dans ce Royaume en tant qu’homme ou femme, c’est-à-dire en conservant sa différence spécifique et sexuelle, mais grâce à l’abolition de celles-ci et à une reconstruction intégrale de l’homme et de la femme, désormais unis et fusionnant ensemble, sans séparation, ni distinction. Autrement dit, il faut passer par une étape de destruction et d’éradication de l’humanité homme/femme, et ensuite à sa reconstruction unitive, pour pouvoir prétendre à accéder au Royaume. Mais sans cet acte de destruction et de reconstruction, pas de Royaume et pas de salut. L’agir proposé par ce logion semble très éloigné, du moins en apparence, du message évangélique retenu par les Églises et le canon des Écritures. Mais en fait, en y regardant de plus près, il s’inscrit au contraire dans le prolongement des annonces christiques, évangéliques et pauliniennes, où l’être humain est conçue comme une étape d’un processus spirituel beaucoup plus vaste, que les miracles, la foi et la grâce, sous la motion de l’Esprit-Saint, de la liturgie, de la prière et de l’agir chrétien, doivent transformer et même transfigurer, et dont la résurrection est désignée comme le point ultime. Un trans-humanisme, au sens strict du terme, apparaît ainsi très clairement dans la croyance des premiers chrétiens et qui connaîtra ensuite des développement inédits, mais qui n’auraient jamais pu émerger sans ce précédent spirituel et littéraire.
Nous en reparlerons… Bruno

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