Préface
« Ce livre contient plusieurs livres. (0)
Il contient de la pensée, de la pensée sur un crime qui d’abord vous ôte la pensée – l’inceste, un meurtre d’âme auquel la victime doit assister alors qu’elle est jetée vive hors généalogie, à l’une des limites extrêmes de la terre humaine.
Ce livre contient aussi un diagnostic aigu sur une maladie de la parole, dans une culture qui a perdu le nom de ce crime (le mot « inceste » ne figure pas dans le code pénal)¹. Crime que la justice alors ne peut ajuster à la loi. Il arrive même un jour qu’une victime est condamnée pour diffamation envers son père violeur parce qu’elle a parlé au-delà du délai – étroit – prévu alors². Histoire à devenir fou, n’est-ce pas ?
Dans ce tribunal où Eva Thomas est venue témoigner pour une autre, cette parole qu’elle avait retrouvée pour elle-même avec son premier livre, elle la perd une seconde fois. Devant des juges qui ne peuvent que sanctionner la victime – tandis que la salle et la presse s’indignent.
Ce livre informe et interroge le législateur, les juges, en leur donnant d’entendre de multiples témoignages sur le vécu de l’inceste, sa réalité psychologique, familiale, sociale mais aussi le parcours singulier d’une victime qui sort de la position de victime pour apporter à la culture des yeux et des oreilles jusque là mal ou pas ouverts à ce sujet.
Il contient un étonnant récit – je ne dirai pas de « guérison » : quand on a été tué sans mourir, il ne s’agit pas tant de guérir, même si des symptômes apparaissent, que de se « sauver », d’être sauvé. Ce terme peut nous étonner. L’association qu’Eva Thomas a fondée s’appelle SOS Inceste. S.O.S. : Save Our Souls, sauvez nos âmes. Avons-nous perdu ces mots-là ? Dans un livre comme celui-ci, ils nous reviennent, dégagés de tout catéchisme, dans toute la force de leur sens pleinement humain. Le sens que cherchait peut-être André Malraux lorsque, rencontrant un homme rescapé des camps, il lui dit comment il comprend ce que l’autre a subi : « Il s’est agi de vous faire perdre l’âme, au sens où l’on dit : perdre la raison (Que signifie âme ?)1. »
Le voyage d’Eva Thomas vers ce salut de l’âme passe par la parole, la possibilité de reconstituer, pour chaque victime d’inceste, ce qui lui est arrivé, de le dire et d’être entendue. Établir la vérité généalogique – c’est-à-dire que le père « est mort » dans son acte criminel. Témoigner d’une désinscription du père en son lieu, et de l’inscription de sa fille, de son fils, nouvellement dans « l’état civil ».³
Et cependant, ce livre ne souffle ni la haine ni la vengeance, même si la colère est là, dans tous ses cris, sous toutes ses formes. L’auteur, et ceux et celles au nom desquels elle parle, ne réclament pas la mort du criminel, mais que devant le juge, il accède lui aussi à la parole. Eva Thomas nous révèle par exemple que les violeurs autrefois violés eux-mêmes, font les mêmes cauchemars que leurs victimes. Elle écrit encore :
« Que fait un père qui reconnaît avoir violé son enfant ? Il met des mots séparateurs sur un acte de confusion, de dévoration. Ce procès, pour le coupable, est comme un nouveau départ. »
Ce livre est aussi un étonnant document clinique. Pour sortir du cauchemar, retrouver la vie qui parle, le monde, les autres, l’auteur se sert de tout : ses rêves, ses symptômes, ses créations artistiques – tout son imaginaire – mais également des récits que lui font tant d’autres victimes. Elle se sert aussi de tout ce que peuvent offrir les cultures passées ou présentes, proches ou lointaines, tragédies grecques aussi bien que mythes africains. (Toutes proportions gardées, Freud a-t-il agi autrement dans son auto-analyse ?) Elle nous raconte aussi ces temps de rires partagés avec d’autres victimes retrouvant les liens vitaux que l’interdit de parler avait rendus impossibles. Tout seul, on peut peut-être guérir mais assurément, on ne se sauve pas sans les autres.
Ceci autorise Eva Thomas à poser des questions – et non des moindres – à la théorie psychanalytique. Pour le dire rapidement, la première découverte de Freud lui venait de l’écoute des victimes d’inceste. Puis il cesse de les croire, abandonne cette découverte et construit une théorie qui lui permet de ne plus entendre les enfants abusés que comme souffrant de leurs désirs inconscients. (4)
Cette théorie, longtemps considérée comme seule vraie, a fait des freudiens les plus orthodoxes de mauvais écoutants sur ce point : ils n’ont pas cru à la réalité des actes incestueux. Les victimes se trouvaient alors renvoyées à leur inconscient, parfois même à leur famille … le suicide venant alors comme dernière possibilité de libération, parfois même comme seule façon d’éviter le parricide. Eva Thomas, qui a fait elle-même l’expérience de « ne pas être crue », en connaît tout le danger, « pire que l’inceste ». Elle et d’autres se sont affrontées à la surdité des psychanalystes, et même parfois à leur perversion : certains thérapeutes se trouvaient répéter dans la cure l’inceste dont ils niaient la réalité dans l’histoire de leurs patientes en ayant des relations sexuelles avec elles …
C’est sur cette mise en question des fondations théoriques de la psychanalyse que nous nous sommes rencontrées, Eva Thomas et moi, au début des années 1980. (5)
De mon côté, je venais de faire une longue enquête : découvrant, grâce à d’autres auteurs, des secrets sans doute méconnus de Freud lui-même dans sa propre famille, j’avais rapproché ces méconnaissances de ses choix théoriques. J’en étais venue à proposer l’hypothèse – refusée comme thèse par l’université de l’époque – que Freud aurait abandonné les victimes d’inceste et de façon générale, les offensés, faute de pouvoir soutenir dans sa famille et dans la culture de son temps sa découverte première. Cette thèse refusée, un ami et Maurice Clavel me persuadèrent de la publier. Eva Thomas put ainsi la lire et vint me voir. Nos chemins se confirmaient l’un l’autre. À mon tour, je l’encourageais dans son écriture. La parole circule ainsi par des alliances imprévisibles. (6)
Comment imaginer qu’une discipline comme la psychanalyse n’ait pas avancé depuis ? (Le « cas Dora » a maintenant cent ans …) Ces pages intéresseront, je l’espère, ceux qui s’interrogent sur les effets d’un traumatisme psychique majeur : le fait de ne pas être cru.
Republié après dix ans, ce livre pourrait être dépassé. Il n’en est rien. Il est toujours d’actualité. Comme les livres de ceux qui sont revenus des camps, même si les camps sont aujourd’hui déserts. Il rejoint des paroles toujours présentes comme celles d’Antigone ou des psaumes … Tous les victimes/témoins du meurtre d’âme, revenus des frontières de l’inhumanité absolue, se rejoignent : Primo Levi, Elie Wiesel … Eva Thomas reconnaît leur voix et s’appuie sur eux. Leurs écrits, textes civilisateurs, font entendre l’âme humaine, quel que soit le genre de torture qui a failli la leur faire perdre. Avec tous ceux-là, mot à mot, maille par maille, Eva Thomas répare le filet déchiré du langage.
Il ne s’agit donc pas ici que d’inceste. Il y va de la culture et de la civilisation. Si nous n’écoutions pas de telles voix, demain notre conscience aurait rétréci et ce sont d’autres crimes qu’un jour, nous ne nommerions plus, dont nous ne pourrions plus être « sauvés ». Sans des voix comme celle-ci, qui, heureusement, se sont toujours levées, qui sait si les hommes n’auraient pas perdu la parole, à force d’effacer de leurs lois, de leurs langues, les mots par lesquels l’offensé peut dire l’offense, le meurtrier connaître son crime, la justice faire son œuvre de sanction, mais d’abord de vérité, de dignité, pour l’un comme pour l’autre. (7)
1. André Malraux, Antimémoires, Folio, p. 623.
Cordialement
0 – Éva Thomas a publié « Le viol du silence » en 1986. Puis en 1992, « Le sang des mots », réédité en 2004 sous le titre « Le sang des mots. Les victimes, l’inceste et la loi ».
¹ – Effectivement, « avant la loi du 8 février 2010, le terme inceste ne figurait nulle part dans le Code pénal. » Dans « L’inceste en droit pénal : de l’ombre à la lumière ».
² – Affaire Claudine Joncour. Cf. l’article «Un père incestueux attaque sa fille en diffamation» – Le procès de St. Brieuc, 23 juin 1989.
Cf. aussi l’archive INA 1989 : « l’affaire Joncour, le cas d’inceste qui posa la question du délai de prescription ».
³ – Les « happy few » lecteurs de volte-espace savent à quel point ce mot « âme » est d’un emploi difficile en ces temps de grande confusion. Pour ceux que la clarté intéresse, la tripartition anthropologique étudiée par Michel Fromaget, « Corps & Âme – Esprit », représente une aide majeure.
En vérifiant l’histoire du SOS, je me suis aperçu que la réalité est un peu plus compliquée que l’explication communément admise. Toutes les victimes hurlent sans doute « Mayday Mayday Mayday » … : qui que vous soyez, si vous m’entendez venez « m’aider », immédiatement parce que je suis en situation de détresse absolue.
Les divers criminels – inceste, camps, … – n’ont-ils pas complètement perdu conscience de la dimension de l’Esprit pour détruire et ne rien voir, ne rien entendre, ne rien faire ? Cela rejoint « la capacité à s’absenter à soi », creusée notamment par Michel Terestchenko, dans « Un si fragile vernis d’humanité – Banalité du mal, banalité du bien ». Quelques échos de cet ouvrage dans ce billet.
NB : Il me semble possible & utile de relier ce paragraphe avec cette récente « famélie » de Marie Balmary.
4 – Cf. « Freud et l’inceste : l’abandon d’une découverte ». Mis à part ce très bref sursaut de lucidité dans une tribune en ligne de L’Obs, comment expliquer l’assourdissant silence de tout ce que la France compte d' »experts » en tous genres sur la recherche claire, nette et précise de Marie Balmary ? Pourquoi, en dépit de cette enquête soigneusement étayée – et confortée par d’autres chercheurs, reste-t-elle, au moins partiellement, toujours exposée au fait de « ne pas être crue » ? La « culture de notre temps », sous l’apparence d’une permissivité quasi totale, est-elle toujours aussi déficiente & contraignante que celle de la Vienne bourgeoise du temps de Freud ?
Ce dernier n’a en effet pas été capable de soutenir les deux étapes essentielles mises en avant par Charles Péguy dans « Notre jeunesse » :
« Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »
Eva Thomas, Marie Balmary – et bien d’autres heureusement – en ont été capables.
Douglas Harding avec « Vision » – et bien entendu tout le reste de son œuvre : articles, livres, dessins, ateliers, toute la Vision du Soi – a lui aussi parfaitement accompli cette proposition de Péguy.
5 – Il y a donc 43 ans … La CIIVISE, installée le 11 mars 2021, vient de rendre son rapport « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit » le 17 novembre 2023 … Que de temps perdu et de souffrances majeures … qui auraient – peut-être & sans doute – pu être évitées !
Mais en « haut-lieu » il semblerait qu’on souhaite transformer cette commission en coquille vide … comme si on ne la « croyait pas ». Décidément cette présidence Macron est un désastre à tous les points de vue.
6 – « L’homme aux statues – Freud ou la faute cachée du père ». Grasset 1979 et Le Livre de Poche Biblio Essais n° 4201.
« Marie Balmary applique à Freud lui-même la démarche qu’il suivait avec ses patients. Sa méthode, des Grecs à la Bible, de la vie de Freud à ses écrits, est fidèlement freudienne. Elle nous convie à une reconsidération de tout l’édifice psychanalytique. »
Ma formulation est sans doute un tantinet grandiloquente, mais à mon sens cette « reconsidération » vise moins à « abolir » qu’à « accomplir » … Vérifiez !
7 – En « réparant le filet déchiré du langage », Eva Thomas fait véritablement œuvre de « culture et de civilisation … de vérité, de dignité ». A l’heure où la parole est au moins aussi polluée que la plupart des eaux – l’heure de la « post-vérité » et du « en même temps » macronien – au moment où il n’a jamais été aussi nécessaire de « donner un sens plus pur aux mots de la tribu » (Mallarmé – Tombeau d’Edgar Poe), où ceux qui ont le pouvoir devraient avoir pour priorité de « redonner leur sens aux mots » (Confucius), nous ne pouvons que la lire, l’apprécier et la remercier.
Comme nous ne pouvons que remercier Marie Balmary de nous démontrer à quel point « la Bible est une gigantesque station d’épuration de la parole » !
4 réponses sur « Le sang des mots 2, Eva Thomas – Préface de Marie Balmary »
« Très beau billet, cher Jean-Marc, sur un sujet aussi terrible et toujours malheureusement d’actualité. Deux remarques rapides, si vous le voulez bien : tout d’abord, que le regard analytique de M. Balmary sur cette question de l’inceste fait l’impasse sur une dimension relevée justement par Freud et ses successeurs, à savoir la distinction entre le trauma biologique et le trauma psychologique. De fait, toutes les victimes n’éprouvent pas exactement les mêmes émotions ni les mêmes sentiments envers leur agression, voire leur agresseur, et ne développent pas les mêmes symptômes. Et chacune réagit selon son histoire et son tempérament (j’en sais personnellement quelque chose…). C’est ainsi que certaines victimes ont des personnalités très résilientes, d’autres absolument pas… Et le traitement proposé ne peut être le même pour toutes, en sachant aussi ce qu’il y a d’incurable en nous. Ainsi, les scandales devenus des procès ne soulagent pas automatiquement toutes les victimes, ce qui serait d’ailleurs miraculeux…
Ensuite, et sauf votre respect, que s’il me paraît beau et noble de se porter au secours des victimes d’inceste ou de leur donner la parole, comme vous le faites, via les auteures que vous tenez à faire connaître, il me semble qu’un regard un peu plus lucide sur les pratiques non-duelles et la spiritualité qui prône la non-dualité ferait valoir combien celles-ci sont entachées de désir incestuel jusque dans la vision du Soi où l’on ne se différencie plus de rien ni de personne et où l’on ne se différencie même plus de l’Absolu ou de Dieu lui-même. Ce qui représente bien un cas d’union incestueuse, que l’on peut qualifier de symbolique ou de spirituel, notamment pour en dissimuler la dimension transgressive. Si vous avez la possibilité un jour de contacter M. Balmary, ne serait-ce pas l’occasion de lui demander son avis sur ce sujet (surtout si vous ne partagez pas mon point de vue…)?
Bruno
P.S. : je vous recommande la lecture du livre génial d’Otto Rank « Le traumatisme de la naissance » qui complète très bien les positions de M. Balmary.
Bojour Bruno,
Très belle préface plus exactement. Je poursuis simplement mon projet de rassembler ici tout ce que le wouèbe peut proposer d’intéressant concernant Marie Balmary. Et certainement aussi un très beau & grave livre d’Eva Thomas, que je n’ai pas encore lu.
Mais concernant vos remarques plus techniques, je suis totalement incompétent.
« … ce qu’il y a d’incurable en nous » : la Vision du Soi, d’autres approches, Viktor Frankl – et Marie Balmary sans doute aussi – s’appuient sur ce « lieu » en nous qui ne peut être affecté en rien. Les habitants de notre monde moderne en auraient grand besoin, malheureusement, pour la plupart, ils ne croient pas qu’un tel « lieu » puisse exister … Ils sont conditionnés à croire qu’il ne s’agit là que d’une illusion …
Je vous l’ai déjà écrit cent fois, il ne vous est pas possible d’exprimer quoi que ce soit de cohérent concernant la Vision du Soi puisque vous ne la connaissez pas & ne la pratiquez pas. Si c’était le cas, vous verriez clairement qu’il ne s’agit pas d’une confusion « incestueuse » … « où l’on ne se différencie plus de rien ni de personne » ! Tout simplement parce ce que ce n’est pas quelqu’un qui réalise qu’il est tout – les autres, l’univers – mais le « ? », le mystère, le « Rien », la vacuité, l’espace d’accueil … C’est le Soi qui réalise le Soi, la fameuse équation atman & brahman. Cela passe nécessairement par une vérification personnelle.
Il s’agit certes d’une « transgression » de la manière habituelle de voir et de vivre (mieux !), mais je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit d’incestueux dans ce profond désir de liberté et de communion.
Ou est-il permis de penser que l’inceste est un épouvantable & criminel dévoiement de ce désir profond … ? Là encore ça dépasse largement mes compétences.
En contrepoint du livre de Rank, ces billets consacrés à Frédérick Leboyer où il est question du « sacre de la naissance » :
https://volte-espace.fr/entree-dans-une-autre-dimension-frederick-leboyer/
https://volte-espace.fr/cet-etrange-absolu-quest-un-bebe-christian-bobin/
Belle & bonne journée
Merci beaucoup pour ces précisions et votre réponse. Je prends votre avertissement en ce qui concerne mon ignorance obstinée de la vision du Soi pour une injonction spirituelle (destinée peut-être à m’imposer quelque silence thérapeutique..) et pour un interdit bienveillant. Avant de vous souhaiter de bonnes fêtes de fin d’année en famille (et j’espère que le petit dernier membre de celle-ci ainsi que ses parents se portent bien), j’aimerais vous soumettre une hypothèse que j’ai proposée à votre comparse José Le Roy sur la vision du Soi dans la version de R. Maharshi (visible sur le lien https://www.youtube.com/watch?v=bCtel7WwYi4 où il explique ce qu’est cette vision) et qui éclaireront peut-être mon propos ou mon approche :
A quel moment précis de notre vie n’étions-nous ni notre corps, ni identifié à lui, ni projeté vers l’extérieur? Ne serait-ce pas au moment crucial et essentiel de la vie intra-utérine, lorsque nous n’étions plus différenciés de notre mère et cela sans rien savoir d’autre? L’expérience du Soi de R. Maharshi ne serait-elle que la réactivation, voire la répétition à l’âge adulte des états de conscience et d’inconscience de la vie intra-utérine? Et sans ce temps d’avant le temps, ce temps béni où rien ne se différenciait de nous ou de soi, comment serait-il seulement possible de vivre l’expérience du « Soi », de l’identifier, d’en parler et de se la remémorer? Cordialement. Bruno (qui n’est pas un ennemi de vos visions…)
Juste un ajout pour vous remercier d’avoir joint des liens dans votre réponse, cher Jean-Marc. Dans l’entretien de Frédérick Leboyer, que je ne connaissais pas et que je viens de consulter, je trouve ceci qui est simplement extraordinaire et remarquable (je recopie l’extrait) :
« quand une femme attend un bébé, à partir d’un certain moment, elle entre dans un état extraordinaire, elle n’attend plus rien, elle est comblée ». Dans la vie nous attendons toujours quelque chose, un livre, un film, un amant, un enfant … Elle, elle était sortie de la durée, dans la mesure où elle était complète. Cet état de plénitude où enfin on n’attend plus rien parce que plus rien ne manque est indescriptible …
Sans doute rejoint-il l’expérience mystique …
Exactement. Et les hommes essaient de revivre ce qui vient naturellement à la femme. Ils ne peuvent y parvenir qu’en retournant à leur propre naissance puisqu’eux-mêmes ne peuvent pas accoucher. Tous les chemins initiatiques sont des retours au sein de la mère pour revivre cet état de fusion totale.
Pour que la femme puisse vivre pleinement cette dimension ne fallait-il pas que certaines préoccupations plus terre-à-terre d’ordre physiologique ou médical puissent être oubliées ou mises de côté … ?
Non ! Quand vous êtes amoureux, est-ce que vous vous occupez de votre physiologie ? Vous n’avez plus besoin de rien, rien ne vous touche. Beaucoup de femmes que j’ai rencontrées ont vécu ainsi leur grossesse à partir du cinquième ou sixième mois. Elles étaient dans l’état de grâce.
C’était des enceintes, des forteresses !
Oui, rien ne pouvait les atteindre, rien ne pouvait leur arriver. »
« Tous les chemins initiatiques sont des retours au sein de la mère pour revivre cet état de fusion totale. »
Mais n’est-ce pas exactement ce que je m’évertue depuis des années à faire valoir à propos des expériences mystiques, toutes tendances confondues ? Et qu’un sage obstétricien vient confirmer par sa pratique et ses idées? Otto Rank ne dit pas autre chose (son livre a été écrit il y a un siècle…)
Le jeu de mot sur « enceintes » était peut-être involontaire, mais il dit exactement ce qu’est un tel état que l’on retrouve dans les expériences non-duelles. Mais de quoi serait enceint celui qui éprouve cette expérience (le Soi ?) ? Ne serait-il pas plutôt une enceinte ou une forteresse dans sa vision du Soi où il est Tout et Rien, tout à la fois ou successivement ?
Serait-il possible d’émettre l’hypothèse que dans cet état parfait se trouve reproduit l’état de grossesse, mais sans le substrat corporel ni la présence réelle d’un enfant à naître ? Un état où l’on peut reproduire celui-ci indéfiniment sans les inconvénients et les souffrances qui lui sont naturellement liés ?
Il faut croire qu’en cherchant avec ténacité, on finit enfin par trouver…
Merci encore à vous. Bruno