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Cet étrange absolu qu’est un bébé – Christian Bobin

Christian Bobin a écrit à maintes reprises son émerveillement devant les bébés – ce qui n’a jamais été de nature à faire remonter sa cote auprès de l’intelligentsia (parisienne … évidemment !). Étant devenu récemment grand-père, je ne peux que confirmer ses constats. Quelques extraits ci-dessous.

« Je pourrais parler nuit et jour avec un bébé :
Quelqu’un arrive qui est absolument indemne des fausses vérités et des habitudes. (0)
Les bébés ont quelque chose qui est comme fondé en sagesse, tels des “Bouddhas”.
Ils nous donnent des nouvelles d’une étoile très lointaine et cette nouvelle n’est pas encore ralentie par les mots.
Les bébés s’autorisent aussi à fixer, ce que nous ne nous permettons pas.
On croit que la naissance est finie, mais non : leur regard continue d’avancer sans ralentir sa vitesse.
Si on regarde cet étrange absolu qu’est un bébé, on voit qu’il est presque heurté par le langage convenu que nous employons pour lui parler.
On voit une lueur d’incongruité dans son regard quand on lui dit des petits mots bêtes.
Cela produit la même impression que si, devant un sage au visage aussi vieux qu’une carapace de tortue, on se mettait à dire des choses sans intérêt.¹
Les bébés sont des métaphysiciens absolus, et c’est une misère que de ne leur accorder qu’une admiration conventionnelle.
C’est une insulte faite à la pénétration très fine de ces sages.
Je suis fasciné par le visage des nouveau-nés, mais en même temps je n’arrive pas à les atteindre.
Cet espace de vingt centimètres qu’il y a entre mon visage et le leur est infranchissable, comme la distance entre une étoile et la planète Terre.
Il est très difficile de soutenir leur regard, car dedans le faux naturel n’existe pas.
Leur regard vient du bout du monde et va au bout du monde, et nous sommes pris dans le court-circuit.²
Tout leur corps est rassemblé comme une pensée dans leur tête qui est elle-même résumée dans les yeux …³
Le bébé a un grand étonnement de tout ce qui vient vers lui.
Il est ravi par le jeu d’un feuillage comme par une fête milliardaire.
Il laisse volontiers venir le rire.
Quand un tout-petit rit, c’est toute sa personne qui est secoué comme un grelot.
Son regard pétille, comme si on avait versé dans ses yeux une minuscule coupe de champagne. »

« La Lumière du monde »

Paroles recueillies par Lydie Dattas

&

« Je ne sais rien de plus sidérant que le spectacle d’un nouveau-né dans son berceau. C’est quelqu’un qui vient d’une nuit insondable (4) et ouvre sur nous la prunelle noire de ses yeux. Je suis fasciné par la fascination qu’éprouve le nouveau-né devant le visage de sa mère, devant les sourires étrangers, mais aussi devant une simple tache de lumière, ou face à la surprise d’un bruit inconnu. Je sais que je contemple là la plus grande sagesse terrifiée de la vie. Je dis terrifiée, car tout peut écraser la vie naissante : les sorcières de la mélancolie et de la détresse se penchent sur tous les berceaux. Mais je parle de sagesse, parce que l’espérance clouée dans ce petit visage ne peut être définitivement enlevée ni effacée. Il y a une force atomique dans chaque berceau, dans chaque surgissement d’un nouvel être au monde. Et c’est avec une centrale atomique que nous produisons de la lumière. Ce n’est pas plus lourd qu’un souffle, un bébé. Mais c’est un souffle qui change tout, qui emporte tout. C’est un souffle 10 000 fois plus fort que la plus forte des tempêtes. » (5)

« C’est l’enfant en moi qui écrit »

Entretien avec Marie Chaudey, La Vie – 19 décembre 2018

&

« Nous faisons les malins mais nous en savons plutôt moins que les nouveaux-nés au fond de leur berceau. Nos yeux sont moins ouverts, nos craintes moins pures et nos joies moins aigües. … »

« L’époustouflante vertu contemplative des tout-petits : ils sont arrimés au réel. Rien pour eux de négligeable. »

« Savoir vraiment quelque chose c’est savoir, comme les nouveaux-nés et les vieillards, que nous baignons dans une lumière d’ignorance. » (6)

« Les ruines du ciel »

Cordialement

0 – Il est généralement dit et accepté que « le bébé vient au monde »Douglas Harding insistait sur le fait que c’est plutôt le monde qui vient en lui. Notamment dans « Vivre Sans Stress », mais je reviendrai plus longuement là-dessus dans un autre billet.

¹ – Rien ne nous oblige à adopter un tel comportement, à imposer au bébé « des petits mots bêtes … un langage convenu …  des choses sans intérêt ». Dès son plus jeune âge on peut – on devrait … – lui offrir infiniment mieux … mais pas dans la seule & étroite perspective d’éducation. Les mots justes de Christian Bobin peuvent nous aider à changer radicalement de perspective envers lui et à nous établir dans un échange mutuellement fécond, une communion …

² – Il me semble que chaque visage de bébé constitue pour l’adulte qui s’en approche une puissante invitation à sortir de l’habituel & délétère « face à face » pour s’établir dans le « face à espace » (« Face to no-face ») de la Vision du Soi. Le bébé est encore tout espace, sans la moindre conscience de la valeur absolue de cet état certes, mais il est pur « contenant », « capacité », « essence transparente comme le cristal ».

Chaque adulte conserve bien entendu l’entière liberté soit de refuser, soit de consentir à ce renversement total de perspective, à cet effacement subit d’un « infranchissable » qui n’est qu’une construction mentale. Il est non seulement possible de retrouver le bébé dans cet espace, dans ce mystère du Visage Originel, mais c’est chaleureusement recommandé, surtout pour l’adulte qui, la plupart du temps, a complètement occulté cette dimension première !

Il n’est donc pas question « de soutenir leur regard », mais plutôt de se retrouver avec & comme eux à la Source de celui-ci, en & en tant que « Je Suis » central du dessin ci-dessous. Connaissant & appréciant le peu de cas que Christian Bobin fait du « monde », je me permets de modifier quelque peu sa formulation :

« Leur regard vient de la Source du monde et va jusqu’aux confins de l’univers, et nous sommes pris dans le court-circuit. »

« Le monde veut le sommeil. Le monde n’est que sommeil. Le monde veut la répétition ensommeillée du monde. Mais l’amour veut l’éveil. L’amour est l’éveil chaque fois réinventé, chaque fois une première fois. Le monde n’imagine pas d’autre fin que la mort, cette extase du sommeil, et il considère tout à partir de cette fin. … L’enfant va à l’adulte et l’adulte va à sa mort. Voilà la thèse du monde. Voilà sa pensée misérable du vivant : une lueur qui tremble en son aurore et ne sait plus que décliner. C’est cette thèse qu’il te faut renverser. »

« Le Très-Bas » (avant-dernier chapitre)

La Vision du Soi selon Douglas Harding constitue un outil particulièrement efficace pour « renverser la thèse du monde », pour « court-circuiter » notre ignorance habituelle. N’en croyez pas un traître mot, essayez, vérifiez …

³ – Non Christian, ce que tu as écrit là est beau, mais faux. « Tout leur corps … » n’est pas « rassemblé comme une pensée dans leur tête » ; pour eux-mêmes ils n’ont pas de tête – juste quelques difficultés à tenir son absence ! – et comme tous les sages & saints et autres pratiquants de la Vision du Soi ils ont pour véritable corps rien de moins que l’univers entier. Ils vivent – sans en être conscients – ce que Douglas a décrit dans « Vision » :  » J’avais perdu une tête et gagné un monde. »

4 – Étonnant que Bobin n’ait pas plutôt écrit ici : « C’est quelqu’un qui vient … «  d’une lumière ou d’un mystère insondable ? Un pas encore tout à fait « quelqu’un » toujours immergé dans la Source, dans le « Je Suis », un « Youniverse » … Un véritable maître : « Demeurer dans le face à espace avec tout bébé soigneusement tu dois » !

5 – Effectivement : « Ce n’est pas plus lourd qu’un souffle, un bébé. Mais c’est un souffle qui change tout, qui emporte tout. » Si ces mots ne vous convainquent pas, si vous avez perdu la mémoire de la chose et n’avez pas facilement accès à un tout petit, alors contemplez donc des images de « Nativité » – celles de la tradition chrétienne ou d’autres.

Vous pouvez aussi lire « Le sacre de la naissance » de Frédérick Leboyer, réédité au Éditions du Seuil en 2007 sous le titre « Célébrer la naissance ».

6 – Nous en savons beaucoup plus que « les nouveaux-nés au fond de leur berceau » mais nous sommes infiniment moins.

Que voilà une belle définition de la méditation sans objet, ou contemplation dans le cadre de référence chrétien : être « arrimé au réel ». Ne rien négliger.

Il n’y a sans doute pas de meilleure façon de partager cette « lumière d’ignorance » avec un bébé que de le masser : « Shantala, un art traditionnel. Le massage des enfants ».

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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