NB : quelques billets de ce site reprennent des articles de Paul Chefurka, traduits ou non, commentés ou non. Il me semble en effet que les propositions de cet homme sont des plus utiles en cet « âge de fer planétaire » qui est le nôtre… Mais, comme d’habitude, vérifiez ce qu’il en est pour vous.
I HELP (avril 2007)
« Lorsque les gens me demandent ce qu’ils devraient faire personnellement pour se préparer aux changements à venir, je leur propose un acronyme simple (et, je pense, accrocheur) : I HELP. Voici ce que cela signifie :
I : Je m’implique
H : J’humanise
E : J’économise
L : Je localise
P : Je produis
Voici comment cela fonctionne :
I : Je m’implique
Je participe à des groupes locaux de défense de l’environnement et de justice sociale. Je trouve une cause (ou plusieurs) qui correspond à mes valeurs, qui aura un impact sur ma communauté et je rejoins un groupe local qui la défend. Ce type d’engagement est particulièrement puissant, car il permet de faire partie d’un énorme mouvement social mondial décentralisé. On estime à trois millions le nombre de groupes de ce type dans le monde. Chacun d’entre eux a ses propres préoccupations locales, mais tous travaillent dans le même but général : faire du monde un endroit où il fait bon vivre. Bien qu’il soit non coordonné, local et sans chef, il a été qualifié de « plus grand mouvement social que le monde ait jamais connu » et de « deuxième superpuissance ». Parce qu’il est décentralisé et que les groupes individuels n’ont pratiquement aucun lien entre eux, il est extrêmement résistant et impossible à arrêter. Les gouvernements ne contrôlent pas ces groupes et la propagande n’a que peu d’effet sur leurs centaines de millions de membres volontaires. Ces groupes existent dans tous les pays de la planète, et il y en a un ou plusieurs dans chaque ville. Il y en a beaucoup près de chez vous, et ils sont faciles à trouver lorsque vous commencez à chercher.
En rejoignant un tel groupe, vous pourrez contribuer à d’importants efforts environnementaux et sociaux qui feront de votre communauté un meilleur endroit où vivre. Ces groupes vous donnent également accès à des réseaux de personnes et de ressources qui vous aideront à faire la prochaine chose sur la liste :
H : J’humanise
Développez et renforcez votre réseau social. Faites-vous de nouveaux amis et renforcez les liens avec ceux que vous avez déjà. Vous pouvez le faire de manière purement sociale (en organisant un barbecue, en accueillant un dîner d’Amnesty International « Le goût de la justice », en créant un cercle de baby-sitting ou un club de lecture ou de discussion, par exemple), ou en rejoignant l’un des nombreux groupes de défense de l’environnement ou de la justice sociale que j’ai décrits plus haut.
L’essentiel est que les amitiés ajoutent du plaisir aux bons moments et de la sécurité aux mauvais. Les amis partageront vos joies et vous aideront dans les moments difficiles. Vous avez tout à gagner avec de meilleurs et plus nombreux amis.
E : J’économise
Réduisez la quantité de « choses » et d’énergie dont vous avez besoin pour maintenir votre qualité de vie. Réduire, réutiliser, recycler, réparer.
C’est à ce niveau que se situent la plupart des « conseils d’action » en matière d’environnement de nos jours. Nous avons tous entendu les conseils suivants : réduire, réutiliser et recycler ; installer des ampoules basse consommation ; améliorer l’isolation de votre maison ; baisser un peu votre chauffage et votre climatisation ; opter pour une voiture plus efficace ; marcher, faire du vélo ou prendre le bus au lieu de conduire ; rejoindre (ou commencer) un covoiturage ; manger moins de viande ; réduire vos déplacements en avion. Des centaines de sites web proposent des listes de suggestions.
Ces actions seront payantes à trois égards. Tout d’abord, elles réduiront vos dépenses quotidiennes, ce qui vous permettra de disposer de plus d’argent pour d’autres activités. Prises avec précaution, elles peuvent même réduire vos dépenses tout en améliorant votre qualité de vie. Deuxièmement, ils vous apporteront une certaine sécurité en vous permettant de faire face à toute baisse inattendue de l’économie. Enfin, elles vous procureront un sentiment de grande satisfaction et feront de vous un exemple pour les autres dans notre quête commune de marcher plus légèrement sur la planète.
L : Je localise
Réduisez le nombre de déplacements nécessaires dans votre vie. Cela signifie que vous devez réduire vos déplacements personnels ainsi que la distance que vous devez parcourir pour obtenir ce dont vous avez besoin. Vous pourriez réduire vos déplacements personnels en vous rapprochant de votre lieu de travail ou en travaillant depuis votre domicile, par exemple.
Toutefois, c’est en relocalisant votre consommation que vous obtiendrez les meilleurs résultats. Achetez autant de biens et de services que possible auprès de fabricants et de fournisseurs locaux. Fréquentez les magasins locaux et les petites entreprises locales. Évitez autant que possible les grandes chaînes de distribution multinationales. Les quelques dollars supplémentaires que vous dépenserez ainsi resteront dans votre région et profiteront à d’autres entreprises locales. Ce faisant, vous renforcez également vos réseaux humains en apprenant à mieux connaître les commerçants locaux.
Surtout, localisez votre consommation alimentaire. La valeur calorique moyenne des aliments que nous consommons contient 7 à 10 % de « calories fantômes » provenant des combustibles fossiles utilisés pour la production et le transport des aliments. Afin de minimiser ces calories fantômes, achetez des produits biologiques locaux qui ont utilisé moins d’engrais et de pesticides lors de leur production et qui n’ont pas eu à voyager si loin pour arriver dans votre assiette.
Pour vous aider, vous pouvez adopter le « régime des cent milles », qui consiste à consommer autant que possible des aliments cultivés dans un rayon de cent soixante kilomètres autour de votre domicile. Si vous avez des enfants (ou si vous êtes vous-même un enfant), faites un jeu d’achats en découvrant la provenance des aliments et en choisissant ceux qui sont les plus proches de chez vous.
Vous pouvez également adhérer à une coopérative CSA. CSA est l’acronyme de Community Supported Agriculture (agriculture soutenue par la communauté). [NB : ou une AMAP]. L’agriculture soutenue par la communauté consiste en une communauté de personnes qui s’engagent à soutenir une exploitation agricole de sorte que les terres agricoles deviennent, légalement ou spirituellement, la ferme de la communauté, les producteurs et les consommateurs se soutenant mutuellement et partageant les risques et les bénéfices de la production alimentaire. En règle générale, les membres de la coopérative s’engagent à l’avance à couvrir les coûts anticipés de l’exploitation agricole et le salaire de l’agriculteur. En retour, ils reçoivent une part des produits de la ferme tout au long de la saison de croissance, ainsi que la satisfaction de se reconnecter à la terre et de participer directement à la production alimentaire. Les membres partagent également les risques liés à l’agriculture, notamment les mauvaises récoltes dues à des conditions météorologiques défavorables ou à des parasites. En vendant directement aux membres de la communauté, qui ont fourni à l’avance un fonds de roulement à l’agriculteur, les producteurs obtiennent de meilleurs prix pour leurs récoltes, acquièrent une certaine sécurité financière et sont déchargés d’une grande partie du fardeau de la commercialisation. Nous disons déjà « mon médecin », « mon dentiste », « mon comptable » et « mon avocat ». Désormais, nous pouvons aussi dire « mon agriculteur ».
P : Je produis
La dernière clé d’I HELP est de produire autant que possible sa propre nourriture et sa propre énergie. Cela peut impliquer de créer son propre jardin. Mon partenaire et moi pratiquons un « aménagement paysager comestible » autour de notre petit bungalow urbain. Il s’agit de n’utiliser que des plantes comestibles (herbes, fruits, légumes et fleurs) à la fois comme nourriture et comme décoration. Les plantes purement ornementales ont été remplacées par des espèces plus utilitaires. Il va de soi que le compost fournit l’engrais, qu’aucun pesticide n’est utilisé et que l’eau de pluie recueillie sert à l’irrigation.
Produire une partie de son énergie personnelle est un peu plus difficile pour ceux d’entre nous qui vivent en ville. Les technologies bien connues que sont les panneaux solaires et les éoliennes sont encore trop chères et risquent d’enfreindre les règlements municipaux. Vous pouvez cependant installer un chauffe-eau solaire et l’utiliser pour préchauffer l’eau de votre réservoir d’eau chaude afin de réduire l’énergie nécessaire pour les douches chaudes et la vaisselle.
Vous pouvez également vous inscrire auprès d’une société d' »électricité verte ». Ces entreprises investissent dans la production d’électricité verte en votre nom et l’injectent dans le réseau. Vous continuez à vous alimenter normalement sur le réseau. Bien qu’un tel arrangement ne vous protège pas contre les pannes de réseau, il vous donne la satisfaction de savoir que votre part d’électricité dans le réseau n’a pas émis de gaz à effet de serre lors de sa production. Prenons l’exemple de la société que j’utilise, Bullfrog Power.
Pour quelque chose d’un peu plus exotique, vous pourriez essayer de brasser votre propre biodiesel pour l’utiliser dans la voiture diesel que vous avez achetée lorsque vous faisiez des économies. Beaucoup de gens le font et c’est une compétence très utile.
Conclusion
Il existe de nombreuses façons de se préparer aux effets à venir du pic pétrolier, du réchauffement climatique, de l’augmentation des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, ainsi qu’à l’instabilité sociale qui pourrait en découler. Les mesures que nous choisissons de prendre dépendent de notre situation personnelle et de nos préférences. Mais lorsque quelqu’un nous demandera ce que nous faisons pour nous préparer, nous et ceux que nous aimons, aux changements qui se profilent à l’horizon, nous devrons tous être en mesure de dire :
Cet article peut être reproduit en tout ou en partie à des fins de recherche, d’éducation ou autre utilisation équitable, à condition que la nature et le caractère de l’œuvre soient maintenus et que la mention de l’auteur soit faite par l’inclusion dans la reproduction de son nom et/ou d’un lien électronique vers l’article sur le site web de l’auteur. Le droit de reproduction commerciale est réservé.
NB : traduction avec l’aide (précieuse) du site Linguee.fr, légèrement revue et … améliorée !
« When people ask me what they should do personally to prepare for the coming changes, I offer a simple (and I think, catchy) acronym : I HELP. Here’s what it stands for :
I : Involve Yourself
H : Humanize
E : Economize
L : Localize
P : Produce
Here is how it works :
Involve Yourself
Get involved in local environmental and social justice groups. Find a cause (or more than one) that resonates with your values and will have some impact on your community, and join a local group that champions it. This kind of involvement is especially powerful, as you will become part of an enormous, decentralized, global social movement. Estimates of the worldwide number of such groups run as high as three million. Each one has its own local concerns or issues, but all work toward the same general goal: to make the world a better place to live. Although it is un-coordinated, grass-roots and leaderless, it has been called “the biggest social movement the world has ever seen,” and “the second superpower.” Because it is decentralized and the individual groups are largely unconnected with each other, it is extremely resilient and unstoppable. Governments do not control these groups, and propaganda has little effect on their hundreds of millions of volunteer members. These groups exist in every nation on the face of the planet, and one or more exists in every city. There are many near you, and they are easy to find when you start looking.
Joining such a group will allow you to contribute to important environmental and social efforts that make your community a better place to live. These groups also give you access to networks of people and resources that will help you do the next thing on the list:
Humanize
Expand and strengthen your social networks. Make new friends and strengthen ties with existing ones. You can do this purely socially (organize a street BBQ, host an Amnesty International “Taste for Justice” dinner, start a babysitting circle, or start a book review or discussion club for example), or you can do it by joining one of the many environmental or social justice groups I described above.
The key is that friendships add pleasure to good times, and security to bad times. Friends will share your joys and help you in times of trouble. You just can’t lose by making more and better friends.
Economize
Reduce the amount of “stuff” and energy you need to support your quality of life. Reduce, reuse, recycle, repair.
This is where most of the environmental “advice action” is these days. We have all heard the advice: reduce, reuse and recycle; put in low-energy light bulbs; improve your home’s insulation; turn down your heating and air conditioning a bit; switch to a more efficient car; walk, bike or bus instead of driving; join (or start) a carpool; eat less meat; reduce your airplane travel. There are hundreds of web sites with lists of suggestions.
These actions will pay off in three ways. First, they will reduce your daily living expenses, so you may have more money available for other activities. Done carefully, they can even lower your expenses while improving your quality of life. Second, they will provide you a measure of security by positioning you to weather any unexpected downturns in the economy. Third, they will give you a feeling of great satisfaction and make you a guide for others in our common quest to walk more lightly on the planet.
Localize
Reduce the amount of travel required in your life. This means reducing the amount of personal travelling you do as well as reducing the distance the things you need must cover to get to you. You might be able to reduce personal travel by moving closer to work, or working from your home, for example.
Localizing your consumption is where the big payoff is, however. Buy as many goods and services as you can from local manufacturers and providers. Patronize local shops and local small and home businesses. Avoid large multinational retail chains wherever possible. The few extra dollars you might spend as a result will stay in your local area and benefit other local businesses. Doing this also strengthens your human networks as you get to know more of the local businesspeople.
Above all, localize your food consumption. The average calorie of food we eat contains 7 to 10 “ghost calories” from the fossil fuels used in the production and transportation of the food. In order to minimize those ghost calories, buy local organic produce that used less fertilizer and pesticide in its production and didn’t have to travel so far to land on your plate.
To help in doing this you could adopt the “Hundred Mile Diet,” a diet that consists as much as possible of food grown within one hundred miles of your home. If you have children (or are a child yourself), make a shopping game of finding out where foods come from and picking those that come from closest to your home.
You could also join a CSA cooperative. CSA stands for Community Supported Agriculture. Community Supported Agriculture consists of a community of individuals who pledge support to a farm operation so that the farmland becomes, either legally or spiritually, the community’s farm, with the growers and consumers providing mutual support and sharing the risks and benefits of food production. Typically, members of the cooperative pledge in advance to cover the anticipated costs of the farm operation and farmer’s salary. In return, they receive shares in the farm’s bounty throughout the growing season, as well as satisfaction gained from reconnecting to the land and participating directly in food production. Members also share in the risks of farming, including poor harvests due to unfavorable weather or pests. By direct sales to community members, who have provided the farmer with working capital in advance, growers receive better prices for their crops, gain some financial security, and are relieved of much of the burden of marketing. We already say « my doctor », « my dentist », « my accountant » and « my lawyer ». Now we can say « my farmer » as well.
Produce
The last key to I HELP is to produce as much as you can of your own food and energy. This could involve starting your own back yard garden. My partner and I practice “edible landscaping” around our little urban bungalow. This involves using nothing but edible plants (herbs, fruits, vegetables and flowers) as both food and decoration. Purely ornamental plants have been displaced by more utilitarian species. It goes without saying that compost provides the fertilizer, no pesticides are used and collected rain water is used for irrigation.
Producing some of your personal energy is a bit more difficult for those of us who live in the city. The well-publicized technologies of solar panels and wind turbines are still too expensive and may run afoul of city bylaws. You could install a solar water heater, though, and use it to pre-heat the water in your hot water tank to cut down the energy needed for hot showers and dishes.
You can also sign up with a “green electricity” company. These companies invest in green electricity production on your behalf, and feed it into the grid. You continue to draw your power from the grid normally. While such an arrangement doesn’t protect you from grid crashes, it does give you the satisfaction of knowing that your bit of electricity in the grid did not release any greenhouse gases in its production. For an example, look at the company I use, Bullfrog Power.
For something a little more exotic, you could try brewing your own biodiesel to use in the diesel car you bought when you were economizing. Many people are doing it, and it’s a very useful skill to have.
Conclusion
There are many ways we can prepare ourselves for the coming effects of Peak Oil, Global Warming, rising food and energy costs and the social instability that may follow in their wake. The things we each choose to do will be governed by our individual circumstances and preferences. But when someone asks us what we do to prepare ourselves and those we love for the changes on the horizon, we must all be able to say :
This article may be reproduced in whole or in part for the purpose of research, education or other fair use, provided the nature and character of the work is maintained and credit is given to the author by the inclusion in the reproduction of his name and/or an electronic link to the article on the author’s web site. The right of commercial reproduction is reserved.
© Copyright 2007, Paul Chefurka
Cordialement
7 réponses sur « I HELP & J’aide ! – Paul Chefurka »
Merci pour ce billet, cher Jean-Marc, qui nous invite à passer à l’action lorsque le danger se précise, comme dans les moments de guerre ou dans les dystopies pré ou post-apocalyptiques. Tous ces conseils judicieux, délivrés à la façon d’un programme militaire ou scout, nous engagent dans la voie fascinante de la survie dans un monde dévasté. Reste tout de même la question essentielle que ce genre de programme « survival » et constitué de kits de survie contourne ou ignore délibérément : dans une telle situation, qu’est-ce qui vaut vraiment d’être vécu? Ou encore : faut-il absolument tenter de survivre dans de telles conditions inhumaines? Ne vaudrait-il pas mieux se détacher de tout et de ce lien stupide à la vie qui ne peut que nous entraîner vers la mort? La question,dès lors, qui se pose n’est plus de savoir si l’on doit choisir la vie ou la mort, car tout le monde un jour mourra. Mais elle est de savoir quel genre de mort nous devons choisir en cette vie même… Bien cordialement Bruno
Bonjour Bruno,
Comme je ne l’ai pas précisé dans mon billet, cet article date … d’avril 2007! Mea culpa.
Il ne me semble pas que le lien soit si direct que cela entre cet article et ce que l’on entend habituellement par « survivalisme ». Ce bref programme en cinq points assez généraux ne me parait pas non plus relever du « kit de survie ».
Et « la survie dans un monde dévasté » qui se précise jour après jour me semble moins « fascinante » que très inquiétante …
Ce qui est assez drôle, c’est que la démarche de Paul Chefurka répond on ne peut plus précisément à votre légitime question du sens. En tant que spécialiste de ces diverses questions fort complexes & inquiétantes, il estime qu’il n’y a pas de solution(s). Du coup il a décidé, il y a longtemps déjà, de réorienter complètement sa vie selon un axe spirituel (dans la tradition bouddhiste, mais peu importe la tradition).
La seule véritable & effective solution est la contemplation !
Vos accents schopenhaueriens m’inquiètent … Lisez donc le dernier Balmary pour retrouver de l’élan !
La question ne serait-elle pas plutôt d’emprunter un chemin de vie qui nous permette de dépasser – simplement, concrètement, joyeusement – la mort ?
Cordialement
« Joyeusement »?… Je ne crois pas qu’aucun chrétien, même votre cher Thomas, ne se soit jamais avancé joyeusement vers la mort. C’est plutôt en songeant à l’après-mort qu’il est possible d’envisager la mort plus sereinement…
A ce propos, je me permets de vous présenter une synthèse de mes recherches sur le premier christianisme, mouvement unique de l’Histoire religieuse.
Quatre temps, selon mes recherches, ont scandé ce christianisme des origines: 1er temps/ celui du mouvement initié par un certain Jésus de Nazareth. Ses visions, ses annonces prophétiques comme ses paroles et ses actes visent d’abord et avant tout la restauration du Royaume d’Israël. Il ne s’agit pas de visions spirituelles, mais d’un geste politique de nature apocalyptique : »convertissez-vous et croyez, car le Royaume est déjà là ». Jésus est celui qui annonce un tel Royaume très terrestre et politique et qui doit advenir incessamment et de son vivant. 2ème temps/ La mort de Jésus sur la Croix. Alors que la théophanie et la fin des temps tant attendues ne sont pas advenuew, notamment lors de ce moment terrible que fut la Passion, les disciples les plus fidèles ne purent admettre un tel échec et ont ressuscité par leur foi leur maître qui est devenu par sa mort un Messie et un Sauveur. Celui qui annonçait le Royaume est ainsi devenu celui qui était annoncé par les Ecritures. Jésus devient alors le Christ, le Fils du Dieu vivant. Ce mouvement de transfiguration d’un mort injustement condamné a été longuement analysé par R. Girard. 3/ Le temps des communautés et de leur division. La foi n’est plus suffisante, l’espérance non plus, reste l’amour et les puissances de l’amour. Chaque communauté chrétienne, en butte à la fois aux adversaires extérieurs – Juifs, Romains… – aux luttes intercommunautaires comme aux luttes fratricides internes et intracommunautaires, défend sa doctrine contre celle des autres. Chaque croyant est alors invité à se joindre à une communauté précise pour soutenir la foi de celle-ci et sa tradition. C’est le temps des premières théologies : paulinienne, johannique…, et de leurs spéculations mystiques. 4/ Dernier temps: celui des visions personnelles. Déjà présentes dans les communautés johanniques et pauliniennes, elles prennent très vite un essor remarquable. La littérature des évangiles apocryphes et celle des communautés gnostiques s’épanouissent ainsi au détriment du premier canon des Ecritures chrétiennes, brouillant les pistes, semant la discorde déjà présente, et invitant fortement chaque croyant à développer et à partager ses propres visions surnaturelles. Les communautés se déchirent et ce que l’on appellera la « Grande Eglise » (Irénée de Lyon, Papias, les premiers Pères de l’Eglise…) tentera de définir un canon unique et clos auquel chaque communauté devra adhérer, tout en fustigeant et en excommuniant les récalcitrants.
Plus on se dirige vers ce 4ème moment, plus le Jésus de l’Histoire disparaît au profit du Christ de la foi, celui qui se révèle dans les visions intimes et les expériences personnelles sans se opréoccuper de dogme ou de tradition…
Ces 4 temps ne clôturent évidemment pas l’Histoire chrétienne qui s’est poursuivie jusqu’à présent, mais je crois qu’ils offrent un tableau plus clair que la mutiplicité décourageante des interprétations herméneutiques, et apportent un peu d’intelligibilité là où on ne perçoit habituellement que bruit et fureur…
Depuis que je vous lis, je pense que ce n’est pas vous faire violence ni me tromper que de dire que vous appartenez à cette 4ème période de l’histoire chrétienne que vous tentez de répandre et de faire connaître, tel un apôtre contemporain de la Gnose. Qu’en pensez-vous? Bruno
Bonjour Bruno,
Un peu compliqué d’approuver ce commentaire avec lequel je suis en désaccord. Je vais tâcher de préciser un peu .
– « Joyeusement » est important pour moi : pourquoi, très concrètement et simplement, vouloir accéder à cette « joie sans objet » (Jean Klein, mais bien d’autres chercheurs également), à cette « joie spacieuse » ? Parce que cet état constitue une autre façon, peut-être plus aisément compréhensible, de nommer le satori & kensho, le nirvana, l’Éveil, le Royaume, etc. Et il semblerait pour le moins étrange que le chemin qui mène en ce « (non)lieu » paradoxal – le « Je Suis » central – soit lui-même ennuyeux, triste, contraignant. La joie doit nécessairement être tout à la fois le moteur, le chemin et la destination.
– « Avancer joyeusement vers la mort » : si l’on considère de manière étroitement matérialiste qu’il n’existe qu’une seule « mort », effectivement. Mais si l’on considère que le contexte qui nous intéresse ici évoque une « nouvelle naissance » (Jean 3,1-9), il devient nécessaire d’envisager au moins deux « morts ». L’ensemble de la spiritualité considère que cette 1° mort, en fait celle de la suprématie & indépendance de l’ego, est la suprême bénédiction. Mourir à l’impasse de la dualité corps & mental (traditionnellement qualifiée de « mort ») pour renaitre en la plénitude Corps & Âme – Esprit … La seconde mort, physiologique, ne pose alors plus guère de problème, juste l’inévitable tristesse des proches. La Vision du Soi n’a aucun autre objectif que répondre à la question de Nicodème : « Comment cela peut-il advenir ? ».
– votre interprétation n’engage que vous. Mais il me semble bien qu’une certaine unanimité est faite à l’encontre de votre 1° point : « Jésus est celui qui annonce un Royaume très terrestre et politique qui doit advenir incessamment et de son vivant ». Jésus ne cesse plutôt de détromper & décevoir tous ceux qui souhaiteraient que ce soit le cas. Jésus est certes un « agitateur », mais absolument pas « politique ». Qu’il puisse y avoir et qu’il y ait des répercussions politiques à son passage, c’est une autre histoire.
– l’insistance occidentale sur la Passion du Christ incite à l’envisager comme un « échec ». Mais dès que l’on considère la globalité crucifixion – tombeau vide – résurrection, il s’agit alors d’une sacrée réussite, non ? L’Orthodoxie met plus l’accent sur la résurrection, et tout le monde oublie un peu vite ce tombeau vide, cette matrice extraordinairement féconde … René Girard … joker ! Ses travaux semblent déconstruire le christianisme et contribuent à le ramener sur le devant de la scène, de manière plus fine, plus adulte (comme ceux de Balmary finalement !). En cette époque de « montée aux extrêmes » la lucidité & force de cet homme remarquable fait cruellement défaut.
– « reste l’amour et les puissances de l’amour » : il me semble plutôt qu’agapé est l’essence première de toute cette « bonne nouvelle ». Et qu’elle fait toujours aussi cruellement défaut. Ni la politique ni l’IA ne nous y conduiront … La Vision du Soi peut constituer une excellente fondation pour agapé, à condition de franchir le pas.
– la 4° période propose bien un foisonnement, mais peut-être avons-nous du mal à discerner aussi une certaine décantation & simplification dans ce temps long. Ainsi, pour parler de ce que je connais un peu, la Vision du Soi ne « se préoccupe ni de dogme ni de tradition », mais elle me semble revenir à l’essence évoquée plus haut … « Gnose » ? Non. Sans en être un fin connaisseur, je ne crois pas. Une seule chose à connaître par des expériences accessibles à tous : mon absence de tête, et ce qui est ainsi découvert, commun à tous les vivants, reste totalement mystérieux, inconnaissable. Difficile de parler de « gnose » dans ces conditions, non ?
Cordialement
Oui, bien évidemment !
Et comment aussi ne pas songer, en ce qui concerne la mort, à l’affirmation pour le moins péremptoire du Christ : »celui qui croit en moi, fût-il mort vivra, et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais! » (évangile de Jean 11, 25-26).
Je souligne deux choses au sujet de ce verset :
tout d’abord, qu’il s’agit bien de croire et non pas de voir, la foi étant la condition sine qua non au salut. Ensuite, que tous ceux qui ont entendu cette parole de foi christique sont tous morts et qu’aucun d’entre eux n’est revenu. Même Lazare, puisqu’il s’agit de cet évangile, a dû de nouveau mourir après avoir re-suscité…
Précisément, l’une des caractéristiques de tous les mouvements gnostiques a été de privilégier les expériences mystiques et les « visions » spirituelles au détriment de la foi et des croyances. C’est, entre autres, ce qui les a marginalisés vis-à-vis des autres communautés. Et puisque vous ne cessez de privilégier le voir et les visions spirituelles par rapport au croire et à la foi, c’est donc que vous appartenez à la catégorie des gnostiques.
Les communautés que j’ai personnellement connues ou dans lesquelles je me suis engagé n’ont pas eu besoin de moi ou de mes idées pour péricliter ou disparaître. Elles se sont sabordées elles-mêmes sans qu’aucun agent hostile n’a eu besoin d’intervenir (je vous rappelle d’ailleurs que l’une d’entre elles fut l’ashram du Siddha-yoga de Lyon dirigé par un certain Alain Chevillat…).
Enfin, je ne vois pas ce qui différencie A. Desjardins et D. Harding des autres gurus, puisqu’ils ont pris la suite de ceux qui les ont précédés tout en engageant leurs disciples à faire de même. D’ailleurs, sauf votre respect, je trouve que vous pourriez très bien en devenir un à l’imitation de vos modèles et sans déroger aux règles en vigueur dans ce domaine de la filiation spirituelle.
Bien cordialement
Bruno
Bonjour Bruno,
Je décline la proposition de ferrailler à propos du « croire » et de la « foi ». Je dis simplement qu’après avoir « vu » on bascule & demeure naturellement dans l’évidence de la confiance.
Tout ce dont il est question ici ne tient pas une seconde sur l’hypothèse d’une seule « mort ». Il en faut nécessairement deux.
Si vous voulez me caser parmi les « gnostiques », c’est votre pb.
Je n’ai pas vocation à défendre les choix d’Arnaud Desjardins. Voyez directement avec les Amis d’Hauteville.
Douglas dit effectivement la même chose que Ramana ou Nisargadatta (et bien d’autres), mais lui dispose de quelques outils particulièrement simples & efficaces pour faire Voir clairement de quoi il retourne. Ça change à peu près tout.
Cordialement
J’entends bien ce que vous dites, cher Jean-Marc et ne tiens pas particulièrement à polémiquer une fois de plus sur ces sujets avec vous. Si je comprends bien ce que vous écrivez, le « voir » précède le « croire », et c’est après avoir vu directement l’évidence même que la foi advient en entérinant la vision. La foi devient alors elle aussi une évidence, puisque croire ce que l’on a vu revient à voir ce que l’on a cru. Et le cercle – herméneutique, mystique ou autre – ainsi se referme.
Ce qui est toujours surprenant de la part de spirituels expérimentés comme vous, c’est votre refus ou votre incapacité à interroger, analyser cette vision d’évidence. C’est à partir d’elle que vous jugez tout le reste, puisque cette vision est par nature prégnante et englobante. Or, selon moi et mon expérience, c’est elle aussi qu’il faudrait, au moins par honnêteté, interroger pour savoir « de quoi il en retourne ». C’est-à-dire pour savoir si ce retournement est bien ce qu’il prétend être dans la vision plénière du Soi comme dans le crédit qu’on lui attribue automatiquement et qui semble aussi s’imposer à la conscience comme une évidence. C’est ce qui n’apparaît jamais dans les nombreux témoignages des grands spirituels, toujours certains d’eux-mêmes et de leur expérience à laquelle ils accordent une confiance pour le moins aveugle et qui peut poser problème. De sorte qu’entre leur expérience et eux-mêmes, il n’y a plus aucune différence. Ce qui est l’une des définitions de la non-dualité que vous recherchez, mais aussi de certaines pathologies mentales.
Sans doute trouverez-vous une fois de plus mes doutes injustifiés en raison de mon inexpérience, mais je pense, pour ma part, que la grandeur de l’être humain ne consiste pas uniquement dans cette expérience du Soi, dont les effets chez ceux qui l’ont vécue sont souvent très ambigus ainsi que je l’ai souvent remarqué, mais aussi dans la conscience qu’il peut en avoir afin de s’en distancier pour honorer sa propre humanité, sans risquer de la perdre dans ce qui pourrait n’être qu’un fantasme spirituel…
Bruno