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4 - Méditation

Multiplier nos sens – Jacques Lacarrière

Multiplier nos sens (0)

« Il est de tradition de dire que le plus fertile des voyages s’effectue toujours en soi-même. À condition que ce soi ne cache pas celui des autres, que cette visite au cœur de l’être abolisse les miroirs de la complaisance au lieu de les multiplier¹.

C’est cela qui, à mon sens, différencie la méditation des autres formes de rencontre avec soi-même, telles que l’introspection ou l’auto-analyse ; elle est parfois un isolement mais jamais une isolation, elle doit rendre poreux au monde et à autrui au lieu d’étendre autour de soi un écran de mutisme et d’enfermement². En écrivant ces mots, il me revint une phrase d’un moine byzantin dont je ne sais plus le nom, un moine – poète donc, qui dit que “Dieu est une parole à l’extrémité du silence”.

J’ai toujours été impressionné par cette phrase car elle dit bien, elle éclaire bien le cheminement de la méditation, lorsque celle-ci est réussie : percevoir, grâce au silence, les bruits de l’éveil, les rumeurs de la conscience et même l’envers des bruits, des rumeurs et des sons qu’est toute voix ou parole ordonnée, essentielle. Méditer, ne serait-ce pas veiller au centre d’une toile non pour y capturer des proies – j’entends par là acquérir un pseudo-détachement ou des pouvoirs dérisoires – mais pour ressentir au contraire tout ce à quoi nous sommes reliés ? Rejoindre ce qui nous était, nous est extérieur, imposé ?³

Je n’ai pas choisi de vivre dans ce siècle et c’est pourquoi je l’aime. Je n’ai pas choisi ceux que le hasard me fait rencontrer chaque jour, c’est pourquoi je leur porte attention. Et puis, quitte à méditer aujourd’hui, les grottes se faisant rares et le silence aussi, autant le faire là où nous sommes, au milieu des autres, avec eux parfois, à sa fenêtre ou dans la rue. Pourquoi la méditation aurait-elle besoin de lieux particuliers ? Elle n’est pas pour moi une voie à part, marginale, mais une voie que rien en apparence ne distingue des voies profanes. On peut méditer en marchant autant qu’en restant immobile, on peut méditer en se rendant à son travail comme à sa liberté. Tout comme ouvrir ses yeux en grand la nuit, pendant des heures, la rend éblouissante. (4)

La méditation n’a pas besoin d’aucune référence, d’aucun exemple – surtout si notre tête en est pleine. N’étant pas une voie intellectuelle, mais mentale, elle n’a que faire des citations. On ne médite pas à travers les autres, ni à travers les textes des autres. (Je suis d’ailleurs le premier à donner le mauvais exemple puisque j’ai cité moi-même un texte/souvenir.) Non, ce n’est pas une voie intellectuelle, elle ne peut donc abolir le sensible en nous. Je dirais au contraire qu’elle peut nous rendre hypersensible au caché, à l’invisible, à l’inaudible. Multiplier nos sens et par là notre fraternité au monde. Bien méditer, c’est se sentir, à un certain moment (et si faible que soit la durée de ce sentiment), contemporain du grand silence qui précéda notre naissance. » (5)

Jacques Lacarrière

Jacques Lacarrière

Ce texte est extrait du numéro 67 de la revue « Question de » parue en 1986 et aujourd’hui épuisée.

 

Cordialement

 

0 – Dans le billet « Tirer la couverture … au Soi », j’avais signalé l’existence de quelques textes intéressants & utiles consacrés à la méditation, anciennement regroupés dans un numéro épuisé de la revue « Question de », et désormais accessibles sur le site de la nouvelle revue.

Ces textes ont également été regroupés dans « Méditer et agir » (Albin Michel, collection « Espaces Libres ») et « L’art de méditer et d’agir » aux éditions du Relié.

Comme la curiosité n’est pas un « vilain défaut » si répandu que cela, il me semble que ces textes ont également toute leur place sur volte-espace, assortis de quelques commentaires en lien avec la Vision du Soi selon Douglas Harding.

¹ – Pour effectuer ce voyage en soi-même de manière fructueuse, il est nécessaire de disposer d’une bonne carte. A mon humble avis, celle dessinée par Douglas Harding est, de loin, la meilleure :

NB : Le « cœur de l’être » ne se trouve pas dans la zone périphérique « je suis humain ».

² – La vie n’est pas facile, certes, et encore moins en cette période de confinement. Mais méditer n’a jamais consisté, ne consiste pas et ne consistera jamais à construire une bulle autour du petit moi périphérique pour le protéger des tribulations du monde. Méditer, ce n’est pas soigner l’ego mais guérir de l’ego. Méditer c’est s’établir consciemment en ce non-lieu que nous sommes vraiment, tous, « Je Suis », l’espace d’accueil illimité & inconditionnel, ou quelque autre nom que vous souhaiterez lui donner …

³ – Comme je l’ai déjà souvent écrit, « ressentir » est une fonction des plus fluctuantes, ça va, ça vient … Faire quelques-unes des expériences – simples, concrètes, joyeuse – de la Vision du Soi permet à quiconque le veut vraiment de Voir clairement sa vrai nature, son « Visage Originel », son « autoportrait » … Considérable proposition : n’en croyez pas un traître mot, essayez, vérifiez !

Valoriser ces expériences initiales permet peu à peu de vivre pleinement, en totalité, plus rien ne nous est « extérieur, imposé ».

« Le sage a pour corps l’univers entier ».

4 – Méditer partout & tout le temps ? Oui, c’est l’évidence même, mais un peu de méthode ne saurait nuire à cet objectif. « Méditer … Quand ? » de Karlfried Graf Dürckheim est susceptible de vous aider.

Tout comme « Deux façons de pratiquer … »

5 – Si la tête est pleine « de références …d’exemples », il est impossible de méditer. Je me demande même s’il est possible de méditer avec une tête, à partir d’une tête … ? En tous les cas c’est beaucoup plus difficile. Encore une fois, essayez, vérifiez !

« Il ne peut y avoir de Zen sans l’espace vide du “sans tête”. »

&

Cf. aussi ces deux textes de Jacques Lacarrière :

Chemins faisant – L’association des Amis de Jacques Lacarrière.

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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