Catégories
4 - Méditation

Méditer, c’est aimer – Michel Cazenave

Méditer, c’est aimer (0)

« Méditer.

Méditation.

Qui se souvient encore que l’étymologie de ces mots, c’est le sens d’une mesure ? Parce que la méditation, des l’abord, c’est la mesure que l’on fait de l’absolue transcendance, et de la splendeur du divin.¹

D’où l’association qui me vient sur le mot de religion. Celui-ci, on le sait, on le fait dériver d’habitude du latin religare : relier – ce qui fait pont, ce qui nous réaccorde, ce qui fait sens et cohésion avec notre vie, notre destin, notre cosmos, et notre Dieu.
Confusion entretenue, et contre laquelle déjà saint Augustin s’élevait : religion, cela vient de religere, c’est-ci-dire de l’acte d’évaluer, avec scrupule, avec rigueur, le numineux qui nous fonde, c’est d’en prendre la mesure par un jugement du cœur. Méditation, religion, ces deux termes vont de pair dans leur sens originel qui est en même temps le plus pur et le plus profond – à tel point que je me demande s’ils ne sont pas les deux faces du même indissoluble mystère, qui est celui où l’homme se découvre comme bâti sur l’abîme d’une présence qui se donne et échappe dans un seul et même mouvement.²

Ainsi comprise, en effet, toute religion implique une méditation dans laquelle elle prend chair et frémit dans notre âme. De même que toute méditation implique une attitude religieuse quelle que soit l’institution par ailleurs, ou le manque d’institution : peu importe de ce point de vue – c’est-a-dire la découverte, le ressouvenir et l’expérience mêlés de ce que l’Autre, de ce que le plus grand Autre insondable est tout au fond de nous-même.³

Parce que, par-delà les principes logiques, il est précisément, et c’est sa marque distinctive, à la fois totalement étranger et totalement confondu au jaillissement de notre être.

Dans “Le Pèlerin chérubinique”, Angelus Silesius n’a pas craint d’écrire que nous créons Dieu par nous-mêmes, tout au fond de nous-même, et que sans nous, peut-être, Dieu n’existe-t-il pas ? Étrange algèbre apophatique, mais on aperçoit bien quelle en est la signification véritable : entre l’Homme et son Dieu, entre Dieu (ou la Déité, la Gottheit, le fond sans fond du divin, par-delà toute parole, et par-delà même tout silence qui cerne cette parole), entre Dieu donc et son monde, il existe un rapport secret d’identité fut-elle différentielle, qu’aucun des deux ne va sans l’autre, et que le lien est irréductible qui s’affirme de la sorte. Ici, la religion devient en effet une relégation, mais dans un sens différent de celui qu’on avait coutume de lui donner, elle devient un lien comme sentiment mystique de la nécessité de l’homme pour Dieu, et de Dieu pour l’homme. (4)

Inutile de dire des lors que la méditation s’y révèle comme un acte d’amour comme un art érotique ou l’éros est le miroir du désir qui agite sans cesse la créature pour sa lumière essentielle, et de ce désir indicible par lequel le divin se dévoile en essence : le désir infini de son propre désir. (5)

Je ne crois à personne qui ne sache d’abord aimer. »

Michel Cazenave

Michel Cazenave – 9 juin 1942 & 20 août 2018 – Photo INREES

 

Cordialement

 

0 – Dans le billet « Tirer la couverture … au Soi », j’avais signalé l’existence de quelques textes intéressants & utiles consacrés à la méditation, anciennement regroupés dans un numéro épuisé de la revue « Question de », et désormais accessibles sur le site de la nouvelle revue.

Ces textes ont également été regroupés dans « Méditer et agir » (Albin Michel, collection « Espaces Libres ») et « L’art de méditer et d’agir » aux éditions du Relié.

Comme la curiosité n’est pas un « vilain défaut » si répandu que cela, il me semble que ces textes ont également toute leur place sur volte-espace, assortis de quelques commentaires en lien avec la Vision du Soi selon Douglas Harding.

¹ – Cette « absolue transcendance » m’évoque un autre billet : « L’expérience religieuse est absolue », un texte de C. G. Jung découvert grâce à Michel Cazenave.

L’insistance de ce dernier sur la notion de « mesure » risque d’en choquer plus d’un, dans un monde où tout est sans cesse mesuré, pesé, numérisé … jusqu’à l’écœurement. Tout ? Non, puisque l’essentiel – la « Non-chose » centrale représentée dans le dessin de la note suivante – échappe justement à toute mesure. Ce qui ne signifie pas qu’il serait impossible d’en prendre la juste mesure par expérience personnelle, bien au contraire. Les expériences – simples, concrètes, joyeuses – de la Vision du Soi existent précisément pour cela. Aurez-vous l’audace de vouloir les faire ?

² – Même s’il lui manque un point d’interrogation, la conclusion de ce paragraphe est superbement écrite : « … les deux faces du même indissoluble mystère, qui est celui où l’homme se découvre comme bâti sur l’abîme d’une présence qui se donne et échappe dans un seul et même mouvement. »

Elle parlera en clair à certains et demeurera rigoureusement incompréhensible à d’autres. C’est en lisant de telles phrases que j’apprécie la valeur incomparable de la carte ci-dessous, la carte maîtresse de la Vision du Soi, notre « autoportrait » à tous.

Un atelier de Vision du Soi permet de voir parfaitement qu’il s’agit là de notre « propre équation écrite noir sur blanc ». Coïncider avec ce « mystère » est difficile, pas impossible. Essayez, vérifiez !

³ – Il y aurait tant à écrire à propos de ce court paragraphe … ! Je vais me limiter à l’essentiel :

  • « chair … âme » : la tripartition anthropologique « Corps & Âme – Esprit » s’avère beaucoup plus claire et utile, dans tous les domaines de la vie. Là encore, essayez, vérifiez !
  • la « méditation » court un risque mortel en devenant à la mode. Ce qui est vendu sous ce nom et qui se situe uniquement dans la zone périphérique « je suis humain » du dessin ci-dessus … n’a absolument rien à voir avec la véritable méditation. Cette dernière ne risque rien ; vous si. Soyez extrêmement vigilant.

4 – Il me semble que ce paragraphe gagnerait en compréhension si une distinction nette était établie entre « Dieu » et « la Déité, la Gottheit, le fond sans fond du divin ». Il me semble que le « ou » induit de l’imprécision dans un domaine qui ne la tolère guère. Maître Eckhardt et Jacob Boehme ne l’auraient sans doute guère appréciée, eux qui quelques siècles auparavant ont fait tant d’efforts pour, justement, bien mesurer la différence …

Il ne me semble pas non plus qu’il soit très juste d’écrire : « … par-delà même tout silence qui cerne cette parole ». D’après mon expérience, le silence ne cerne rien. En-deçà de tout, non-chose, non-lieu, il est espace central d’accueil illimité & inconditionnel de toute parole et de tout son. Essayez, vérifiez !

5 – Impossible de commenter un tel paragraphe ! Peut-être me contenter d’inviter à le lire et relire plusieurs fois … pourquoi pas en s’aidant de la carte ci-dessus. La « créature » se situe dans la zone périphérique « je suis humain » ; « sa lumière essentielle » & « l’essence du divin » dans le « Je Suis » central. Pas si compliqué que cela finalement … Vérifiez !

 

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.