« L’expérience religieuse est absolue. Elle est au sens propre indiscutable. On peut seulement dire qu’on n’a pas fait une telle expérience et l’interlocuteur répondra : «Je regrette, mais moi je l’ai faite.» Et la discussion sera terminée.
Peu importe ce que le monde pense de l’expérience religieuse ; celui qui l’a faite possède l’immense trésor d’une chose, qui pour lui, est devenue une source de vie, de signification et de beauté et qui a donné une nouvelle splendeur au monde et à l’humanité. Il a la foi (Pistis¹) et la paix. Où est le critère qui permettrait de dire qu’une telle vie n’est pas légitime, qu’une telle expérience n’est pas valable, et qu’une telle foi est une simple illusion ? Y a-t-il en fait une meilleure vérité sur les choses ultimes que celle qui nous aide à vivre ?
Aussi longtemps que la religion est seulement croyance et forme extérieure, et tant que la fonction religieuse n’est pas une expérience de l’âme personnelle, rien d’essentiel ne s’est produit. Il reste encore à comprendre que le mysterium magnum (le grand mystère²) est non seulement une réalité en soi mais qu’il est avant tout enraciné dans l’âme humaine. Quiconque ne sait pas cela par expérience personnelle peut bien être à la rigueur un théologien des plus doctes, mais il n’a pas la moindre idée de ce qu’est la religion, et encore moins de ce qu’est l’éducation des hommes.
…
Nous autres, modernes, sommes placés devant la nécessité de refaire l’expérience vivante de l’esprit, c’est-à-dire d’en refaire l’expérience originelle en partant de rien. »
« L’âme et la vie »
Chapitre « Sur l’expérience religieuse »³
C’est peut-être là que la Vision du Soi selon Douglas Harding a son grain de sel à vous proposer …
Comme cette expérience est en fait la dé-couverte, le dé-voilement de notre véritable nature, de notre identité la plus centrale, de ce que nous sommes véritablement au centre de nous-même, en-deçà des nombreux revêtements du Soi (koshas hindous ou « peaux de bœufs » de Maître Eckhart), il est possible de la favoriser par quelques expériences d’attention bien conçues, pratiquées dans la bonne direction et avec l’esprit de « l’enfant de sept jours » évoqué par l’évangile de Thomas (logion 4).
Vous ne serez peut-être pas persuadés, mais vous aurez au-moins essayé.
Et si d’aventure vous regrettiez que cette expérience ne vous soit pas arrivée plus « naturellement », comme à Paul de Tarse sur le chemin de Damas, que puis-je vous dire d’autre que vous n’êtes pas lui … ? « Saul se releva et, bien qu’il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien. » (Ac 9, 3-19). Il ne voyait pas une chose, mais, vraisemblablement la non-chose, l’espace d’accueil inconditionnel et illimité qu’il était et que nous sommes tous. Nous ne sommes pas lui, mais comme lui, nous n’avons pas d’autre choix pour nous relever de la chute dans l’illusion de n’être que ce petit humain si limité que de nous appuyer sur le … rien, le vide ! N’en croyez pas un mot, essayez !
Comme l’écrit ci-dessus ce bon C. G. Jung, le jeu en vaut largement la chandelle, individuellement et collectivement. C’est d’ailleurs, sans aucun doute, le seul jeu qui en vaille vraiment la chandelle.
Cordialement
¹ – Pistis, « πίστις », de « πιστεύω » : croire, accorder sa confiance … L’exposé de l’éventail de significations de ce verbe dépasse de loin ce modeste article. Mais peu importe, puisque la Vision du Soi se réfère essentiellement au verbe voir. Ce voir nous lie au Grand, à l’espace d’accueil inconditionnel et illimité que nous sommes au moins aussi bien que le croire. Mieux … ? N’en croyez pas un mot, vérifiez !
² – Ou … le mystère du Grand, de l’espace d’accueil inconditionnel et illimité, du Je Suis … que nous sommes tous.
³ – « L’âme et la vie »– Textes essentiels réunis et présentés par Jolande Jacobi – Éditions Buchet/Chastel 1963 – Et également Livre de Poche, collection Références.
Le fin connaisseur de Jung qu’est Michel Cazenave introduit ces textes de 1945, anciens dans l’ensemble de l’œuvre de Jung, mais très utiles pour bien comprendre les travaux ultérieurs. Il cite d’ailleurs le passage ci-dessus dans sa dernière intervention aux Racines du Ciel.
Mais, si « … Jung … est ainsi capable de maintenir simultanément ouvertes par sa définition de l’âme comme monde intermédiaire, sa liaison à la chimie même du corps et son étroite parenté au souffle de l’Esprit« , vous ne bénéficierez néanmoins pas de la clarté de la conception anthropologique tripartite, Corps Âme Esprit, traditionnelle et si bien représentée par Michel Fromaget.
Ces deux livres sont à lire … Comme vous savez, « lire des livres … ! »