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6 - Lectures essentielles

L’Orient perdu – Blog Arfuyen février 2020

Voici un autre magnifique billet découvert sur le blog des éditions Arfuyen, consacré à Thomas Traherne. (0)

L’Orient perdu

« Il est aussi Facile de voir les Choses dans une Vitrine que la Vitrine Vide : et chaque Chose enclose en chaque Point de l’Espace est aussi facile à voir que le point d’Espace en lui-Même Vide. »

Traherne est un extraordinaire contemplateur : d’un même regard il sait voir en toutes choses le plein et le vide qu’elles sont. La vitrine pleine et la vitrine vide. Quelle curieuse image aussi ! C’est que le père de Traherne était cordonnier, tout comme Jacob Boehme, et que son oncle, qui l’éleva, était aubergiste. De quoi forger un solide imaginaire de boutiquier. Fort heureusement cette boutique-là est toute céleste et métaphysique.¹

« Dans mes plus Intimes Retraites, s’émerveille Traherne, certaines années, c’était comme si Personne d’autre que moi n’avait été dans le monde. Tous les Cieux étaient à moi, rien qu’à moi. Et je n’avais rien à faire d’autre qu’à cheminer avec Dieu, comme s’il n’y avait personne d’autre que Lui et Moi. »²

Durant les 37 années de sa vie terrestre, Traherne a cheminé dans une prodigieuse lucidité, conscient de l’infini en toutes choses et de la saveur merveilleuse de chaque instant.

« Se goûter Soi-même complètement est une expression recelant un Infini mystère : aucune créature ne peut le faire, Ni le comprendre tout-à-fait sans Explorer les Hauteurs, Profondeurs et Abîmes d’Éternité. »

Traherne a choisi de vivre autant que possible retiré de tout, en pleine campagne anglaise. Il n’a cessé de noter ses méditations et ses extases, pour les percevoir avec plus d’acuité encore, mais il a fait le choix, comme Emily Dickinson à qui il ressemble tant, de ne rien publier. Et ce n’est que deux siècles plus tard que ses manuscrits, miraculeusement conservés, ont commencé de ressurgir des limbes.

« Quand, arrivé à la Campagne, assis parmi les Arbres silencieux, je Disposais de tout mon Temps, je résolus de le passer tout entier, quoi qu’il m’en coûte à la Recherche du Bonheur et de rassasier cette Soif brûlante que la Nature avait Allumée en moi depuis ma prime jeunesse. »³

Heureux homme digne de Virgile qui se contente de reposer « sous le couvert du hêtre », heureux car doué de vision comme peu d’hommes l’ont été un en Occident. (4)

Et non seulement voyant, mais vibrant de tous ses sens, goûtant le monde avec une jubilation et une candeur édéniques :

« Les Anges peuvent Adorer, Rendre Grâce et aimer. Cependant sans l’Entremise et la médiation de l’homme, ils ne peuvent goûter ce monde Admirable car, sans Corps, sans odorat, sans toucher, vision, sans Yeux ni Oreilles, sans besoin d’Air, de mets ni de Boisson, tout est Superflu pour eux comme cela l’est pour Dieu. »

Seul l’homme est capable de goûter vraiment chaque chose et, en chaque chose, c’est l’infini même qu’il goûte :

« Une créature qui peut goûter l’Infinie Béatitude a une compréhension illimitée pour toute l’Éternité ; des facultés très claires et distinctes pour pénétrer les Entrailles de chaque centre ; en chaque point, Il trouve une Déité, et pourtant un seul Dieu dans la Sphère entière. » (5)

Dans cette clairvoyance extrême, l’homme

« est Lui-même un Dieu pour Dieu, ce qui est un Délice, une Image magnifiée et Exaltée jusqu’au point le plus Haut. »(5)

Lire Traherne, c’est trouver en soi l’Orient perdu. Savoir qu’il y a eu, non loin d’ici, au fin fond de la campagne anglaise un parfait éveillé, un homme délivré de la servitude et de l’ignorance. Faut-il s’étonner qu’il ait été presque complètement oublié ? À son époque déjà – celle des trois guerres civiles anglaises (1642-1651), bien avant le barnum médiatique contemporain – il avait compris ce qu’il en coûte d’être connu.(6)

 

Cordialement

 

0 – Thomas Traherne chez Arfuyen :

Et, plus modestement, sur volte-espace :

¹ – « La vitrine pleine et la vitrine vide » … C’est la clé universelle du « Contenant ultime » et de tous ses contenus. Si simple, et pourtant si éclairante et si efficace dans toutes les situations. L’extraordinaire outil d’asymétrie, qui permet – à condition de l’utiliser – de vivre le sûtra du cœur, partout & tout le temps, et pas seulement d’en réciter les paroles. Essayez, vérifiez !

² – Thomas Traherne me donne ici l’occasion de redire qu’il n’y a qu’un Seul « Je Suis » central et des milliards de « je suis humain » périphériques. Le dessin ci-dessous, notre « autoportrait » à tous, est pourtant des plus clairs :

Mais il va de soi – du Soi ! – que chacun d’entre nous peut rejoindre le Centre et vivre la même expérience que Traherne. « L’essence » de chacun d’entre nous est également « capacité ». Rien n’est en réalité plus démocratique que la spiritualité en général et que la Vision du Soi selon Douglas Harding en particulier. Essayez, vérifiez !

³ – La « Soif brûlante » est présente en tout un chacun parce que nous sommes construits à « l’image » du dessin ci-dessus. Si nous ne travaillons pas à « la ressemblance » … nous ne connaîtrons jamais le « Bonheur », la joie sans objet, la paix. C’est assez rude à entendre, c’est contraire à toutes les fallacieuses promesses du monde moderne … mais c’est ainsi.

Répondre à cet appel ne « coûte » qu’un peu « d’audace » initiale, suivi d’une « discipline assidue » … Essayez, vérifiez !

4 – Plutôt que de corriger cette coquille du texte, d’ôter ce « un », je préfère m’en servir pour enfoncer le clou : toute véritable « vision » spirituelle – celle de Traherne comme celle de Douglas Harding – est unifiée & unifiante. Elle est toujours perception du « Un », sans fusion ni confusion entre le centre et la périphérie. Elle permet à celui qui l’adopte « d’avoir pour corps l’univers entier », comme le sage des Upanishads.

Ce genre de vision représente « le seul espoir » pour un monde moderne qui dégringole désormais la pente à grande vitesse … Mais les « responsables » pragmatiques qui président à sa destinée préfèrent se réfugier derrière la boutade d’Helmut Schmidt :

« Celui qui a une vision doit consulter un médecin. »

En réalité, celui qui est dépourvu de cette Vision là est déjà mort …

5 – Les nombreuses occurrences du mot « Dieu » dans ces paragraphes et dans le reste de l’œuvre de Traherne ne doivent pas dissuader de le lire. Un poète & saint anglican du 17° siècle ne pouvait pas en faire l’économie. Le dessin de la note n° 2 ci-dessus peut aider à mieux comprendre ce qu’il nous dit, à mieux Voir ce qu’il nous propose de Voir comme lui, à ne pas jeter le bébé spirituel avec l’eau (parfois bien sale) du bain de la religion. Essayez, vérifiez !

« Goûter vraiment l’infini même en chaque chose … » : la Vision du Soi et la méditation dans l’esprit du zen n’ont aucun autre objectif.

6 – « Savoir qu’il y a eu, non loin d’ici, au fin fond de la campagne anglaise un parfait éveillé, un homme délivré de la servitude et de l’ignorance. » … Il y a eu Thomas Traherne, certes, mais il y a aussi eu plus récemment Douglas Harding. S’il vous importe vraiment de « trouver en vous l’Orient perdu », les expériences du second vous seront plus qu’utiles … une « entrée principale » ! Elles vous permettront également de lire Traherne un peu différemment, en « vérifiant si cet expert a bien pigé le truc » ! Essayez !

La Vision du Soi selon Douglas Harding n’est pas très connue. Je m’efforce avec d’autres à faire en sorte qu’elle ne tombe pas complètement dans l’oubli. Ce serait dommage … notre époque en a désespérément besoin.

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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