Chanson de Charles Aznavour découverte dimanche dernier dans la rediffusion par France Culture de « Charles Aznavour (1924-2018), le roman d’une vie » 1. Avec notamment la participation de Robert Belleret, auteur de la biographie de référence « non autorisée » : « Vie et légendes de Charles Aznavour ».2
Dans le film « Monsieur Aznavour », j’ai surtout vu la tragédie de cet homme dont les qualités et le talent certains, les efforts acharnés et le succès dans de nombreux domaines ne lui permettent nullement de « rentrer chez lui ». Il semble demeurer éternellement insatisfait, voire malheureux … Peut-être à force de chanter l’amour dans de nombreuses formes, chansons et langues pour son public, sans jamais pouvoir rejoindre l’amour & agapé pour lui-même et y demeurer … Il semble avoir jusqu’au bout porté « l’insupportable fardeau » d’un moi-je tyrannique sans parvenir à s’en dégager …3
Je ne peux pas rentrer chez moi
Car mon passé y est déjà
Dès que j’ouvre la porte
Il me vient me faire escorte
Et me suit partout pas à pas 4Me parlant sans cesse à mi-voix
Me montrant les choses du doigt
Et comme j’appréhende
Sa présence obsédante
Je ne peux pas rentrer chez moi 5Les gens me dévisagent
S’apitoient
D’autres au passages
Rient de moi
On me bouscule
On me bafoue
Mais je l’avoue
Après tout je m’en fous 6Que m’importe ces inconnus
Je vais sans espoir et sans but
Mon cœur est en faillite
Ma peine est sans limite
L’amour m’a filé dans les doigts
Je ne peux pas rentrer chez moi 7Je ne peux pas rentrer chez moi
Plus rien ne m’attire là-bas
Et de la solitude
N’ayant pas l’habitude
J’aime mieux traîner çà et là 8Le monde entier est contre moi
Le grand lit pour deux est trop froid
Quand tout seul je m’y vautre
Elle est avec un autre
Je ne peux pas rentrer chez moiDans un moment de haine
J’ai jeté
Au fond de la Seine
Cette clef
Qu’était la chaîne entre elle et moi
Pour qu’elle s’y noie 9Comme moi je me noie
Dans l’alcool que j’prends dans les bars
Pour surmonter mon désespoir
Et l’on verse en mon verre
Du bonheur éphémère
Qui créé en moi de fausses joies
Je ne peux pas rentrer chez moi 10Je voudrais bien rentrer chez nous
Pour sentir ses bras sur mon cou
Étouffer ma colère
Écarter ma misère
Sécher mes larmes sur ses joues
Je voudrais bien rentrer chez nous 11
- Vu la qualité de sa composition, la page de France Culture en lien vaut le détour pour les amateurs d’Aznavour : de la belle ouvrage vraiment !
Il semblerait que cette chanson – prémonitoire … ? – date au moins de 1958. ↩︎ - Cet écrivain est également l’auteur de la biographie de référence de Léo Ferré : « Léo Ferré, une vie d’artiste », ainsi que d’un « Dictionnaire Ferré ». Et de : « Jean Ferrat – Le chant d’un révolté ». On n’entend plus guère ces grandes, ces immenses voix inspirées sur les ondes des radios & télés françaises … comme c’est étrange ! La censure du talent & de l’engagement pour un monde meilleur fonctionne très bien, et ce n’est que le commencement : Bolloré arrive, Bolloré est là ! ↩︎
- Cet « insupportable fardeau » fait bien évidemment référence au dernier paragraphe de « Vision » : « C’était une attention nue, sans jugement, à une réalité qui n’avait pas cessé de me « dévisager » : mon absence totale de visage. Bref, tout cela était parfaitement simple, ordinaire et direct, au-delà du raisonnement, de la pensée, et des mots. En dehors de l’expérience elle-même ne surgissait aucune question, aucune référence, seulement la paix, la joie sereine, et la sensation d’avoir laissé tomber un insupportable fardeau. » Les nombreuses expériences de Vision du Soi permettent à tout un chacun – s’il le désire … plus que tout – de déposer à son tour le « fardeau ». Vérifiez … soigneusement ! ↩︎
- « Rentrer chez soi » : cet accomplissement ne peut advenir qu’au présent. Il ne s’agit pas d’oublier ou de renier le « passé », mais de s’en libérer consciemment. ↩︎
- Il est effectivement possible de considérer que le « passé », en « me montrant les choses du doigt », maintient mon attention – préférentiellement sinon exclusivement – vers l’extérieur. Comme l’indiquent depuis longtemps divers textes spirituels, il est possible de faire autrement et de compléter l’observation. Par exemple la Katha Upanishad : « Dieu a fait les sens tournés vers l’extérieur, l’homme, par conséquent, regarde vers l’extérieur, pas en lui-même. Maintenant, une âme audacieuse, désirant l’immortalité, a retourné son regard et s’est trouvée elle-même. » La Vision du Soi selon Douglas Harding n’a d’autre ambition que de permettre à ceux que cela – Cela – intéresse de franchir – simplement, concrètement, joyeusement – le pas. Vérifiez ! ↩︎
- Peu importe que « les gens me dévisagent », qu’ils considèrent objectivement que j’ai une tête sur les épaules et que, vu de l’extérieur, je suis fait exactement comme eux. Ce qui m’importe, c’est de vivre ma vie subjectivement, à la première personne du singulier et, de préférence, au présent. Et lorsque je retourne mon regard de 180°, vers l’intérieur comme indiqué dans la note précédente, je découvre instantanément que je suis radicalement différent d’eux, que « Je Suis » : je perds une tête et je gagne un monde ! (« Vision » encore). Les gens peuvent alors me prendre pour un original, un hurluberlu, un excentrique (!) … « Après tout je m’en fous » ! ↩︎
- Description très réaliste d’une vie confinée en périphérie de soi-même, dans la seule zone « je suis humain » de notre « autoportrait » commun. ↩︎
- Ce « Plus rien ne m’attire là-bas » – en périphérie – est un moment essentiel de la recherche spirituelle. En quelque sorte le « monde » renonce à nous (ainsi que l’exprimait Swami Prajnanpad). Il serait dommageable de ne pas saisir ce véritable moment de grâce en continuant de s’infliger des distractions forcées … Alors certes la « solitude » fera effectivement parti de l’aventure, mais dans « l’immensité intérieure » que nous sommes, dans cet espace d’accueil illimité & inconditionnel, il y a aussi de la place pour elle. ↩︎
- Ne pas pouvoir « rentrer chez soi », ne pas pouvoir rejoindre ce « Je Suis » central que nous sommes, tous, ne serait-ce pas le principal facteur de « haine » et de violence ?
L’humanité refusera-t-elle encore longtemps de se saisir de l’exceptionnelle « clé » qu’est la Vision du Soi, à la fois « seul espoir » et « entrée principale » ? ↩︎ - L’alternative proposée à tout un chacun s’avère on ne peut plus simple : « désespoir … bonheur éphémère … fausses joies » dans la zone périphérique « je suis humain » du dessin ci-dessous, ou bien « rentrer chez soi », coïncider silencieusement avec cet espace-source central qui est notre Véritable Nature. Cette dernière proposition ne serait dommageable que pour les innombrables marchands de paradis artificiels et de distractions en tous genres … et bénéfiques pour tous les autres & la nature. ↩︎
- Bien au-delà du couple évoqué dans ce dernier couplet, « rentrer chez soi » permet à chacun d’entre nous d’être Un … avec tous, de sortir enfin de la « misère » liée à cette illusion de la séparation, de guérir de la « colère » engendrée par cet exil en périphérie du « Je Suis ». La possibilité – simple, concrète, joyeuse – de la communion et de l’amour & agapé … Vérifiez ! ↩︎
Cordialement
2 réponses sur « Je ne peux pas rentrer chez moi – M. Aznavour »
Belle analyse, merci. Effectivement, on est affligé en fin de film de voir le Grand Charles pris par l’obsession des hauteurs. Avoir beaucoup de talent semble souvent un fardeau. Une de mes chansons préférées : « Tout s’en va ».
Quelle est donc la source du schéma en bas d’article ?
Merci
Eric
Bonjour Eric,
Merci de votre intérêt pour le site volte-espace, merci de le faire connaître.
Et bravo pour le vôtre. J’irai l’explorer … après les fêtes.
« … la source du schéma en bas d’article ? » Peut-être bien La Source tout simplement, à travers le génie et l’opiniâtreté de Douglas Harding. Ce dessin est la carte maîtresse de la Vision du Soi, expression que je préfère à celle de Vision Sans Tête. Il figure dans la plupart des ouvrages de Douglas Harding. Après « Vivre Sans Tête » je me permets de vous conseiller « L’immensité intérieure ».
Ce dessin est notre « autoportrait » à tous ; vous avez un lien dans le billet consacré à la chanson du « grand Charles ». Ce dernier n’a – semble-t-il et malheureusement – pas pu/su/voulu … accéder à sa propre grandeur. Comme nombre de nos contemporains, ce qui est fort dommage.
Cordialement
Jean Marc