Le numéro 100 de la revue « Le Monde des Religions » – mars/avril 2020 – s’intitule « Nos plus belles rencontres en 100 numéros ».
Volte-espace ne vous propose d’en découvrir de manière un peu développée que la première : « Il faut débarrasser Dieu de Dieu – Christian Bobin » et la dernière : « Le spirituel est notre avenir – Leili Anvar ».
Mais ce numéro contient de nombreux autres articles des plus intéressants :
René Girard explicite « La violence et le sacré » et revient sur « Achever Clausewitz ».
« Les Évangiles se présentent comme un choix donné à l’homme entre la violence et la non-violence. Le Christ donne la non-violence comme seul chemin possible. … ce choix est là, toujours. Mais il me semble loin de se réaliser : l’homme d’aujourd’hui est essentiellement plongé dans la consommation. Il ne s’intéresse absolument pas aux choses ultimes puisqu’il a l’impression qu’elles n’existent pas. Ce qu’il faut montrer, c’est qu’elles existent. » (0)
André Comte-Sponville développe les thèmes de « L’esprit de l’athéisme ».
« Qu’est-ce que la spiritualité ? C’est la vie de l’esprit, spécialement dans son rapport à l’infini, à l’éternité, à l’absolu. … Les athées, eux aussi, ont une vie spirituelle : ils habitent comme ils peuvent leur rapport fini à l’infini, leur rapport temporel à l’éternité, leur rapport relatif à l’absolu. Cet absolu, pour eux, n’est pas une personne, mais l’être ou le devenir, le tout ou la nature, disons l’ensemble immanent qui les contient et les dépasse. Ils peuvent s’interroger sur lui, le penser, c’est ce qu’on appelle la métaphysique, mais aussi l’expérimenter, le vivre, c’est ce qu’on appelle la spiritualité. Nous sommes ouverts dans l’Ouvert, comme disait Rilke. Cette ouverture, c’est l’esprit même. … C’est ce que j’appelle une spiritualité de l’immanence. Nous sommes déjà dans le Royaume : l’éternité, c’est maintenant. »¹
Abdennour Bidar – Delphine Horvilleur, un duo comme on en aimerait plus …
« Quand certains aujourd’hui encore citent l’écrit indiscutable, il est utile de rappeler qu’un texte est sacré si l’on accepte que son message n’est pas clôturé par son sens premier et si l’on se refuse à l’instrumentaliser. »
Delphine Horvilleur²
« Je crois que nous sommes sur terre pour passer de la peur à l’amour et de l’ignorance à la connaissance, pour grandir en conscience. Tous les chemins spirituels et philosophiques sont là pour nous y aider. Chacun trouvera celui, ou ceux, qui lui conviendra le mieux. …
Le meilleur antidote au fanatisme religieux, c’est la dimension spirituelle. Plus les croyants seront spirituels, moins ils seront tentés par le repli identitaire ou le fondamentalisme. … Les religions doivent retrouver l’intériorité et la profondeur de leur message pour se sauver elles-mêmes du fanatisme.
Ce qui menace actuellement le monde, c’est donc le culte de l’extériorité, le mépris ou l’oubli de la dimension intérieure de l’être humain. »³
« Je n’ai d’ailleurs jamais séparé le monde spirituel et matériel : les frontières de ma peau me distinguent de vous, mais ma spiritualité me permet de ne faire qu’un avec vous. C’est l’interconnexion, l’interdépendance, et c’est ce dont il faut prendre conscience de nos jours. C’est un de nos plus grands besoins. » (4)
Eric-Emmanuel Schmidt revient sur « La nuit de feu ».
« Ce qu’on appelle l’humanité, c’est le partage des mêmes questions, voire le partage de l’ignorance. Et ce qui nous singularise, ce qui nous différencie ou nous oppose, ce sont les réponses. Il importe de toujours se remettre au niveau des questions. Là est la fraternité humaine, là est l’humanisme. …
Dans mon récit, je montre que le trajet qu’on effectue avec la seule raison ne mène nulle part. Lorsqu’on me demande si Dieu existe, je réponds : “je ne sais pas, mais je crois que oui”. Mon ami André Comte-Sponville dira “je ne sais pas, je crois que non”. Une troisième position serait celle de l’indifférence : “je ne sais pas et je m’en fous” – ce qui est aussi honnête ! L’imposture commence quand des gens disent qu’ils savent : voilà les intégristes – qu’ils soient athées ou religieux. » (5)
Bref une bien belle surprise que ce numéro du confinement ! (6)
Cordialement
0 – Volte-espace s’efforce à sa façon de « montrer que les choses ultimes existent », et qu’elles sont – simplement, concrètement, joyeusement – accessibles. « Le seul espoir » fait écho à ce « seul chemin possible » que, globalement, nous sommes encore très loin d’avoir emprunté.
L’œuvre de René Girard prolonge certaines réflexions (souvent désabusées …) d’Aldous Huxley. Notamment celle-ci : « Le règne de la violence ». Un commentaire de ce billet précisait qu’un sérieux travail reste à accomplir pour montrer à quel point la Vision du Soi selon Douglas Harding peut constituer un excellent outil pour désamorcer la « rivalité mimétique ». Peut-être même bien le seul …
¹ – Belle démonstration, mais … :
- Si Rilke a donné ses lettres de noblesse à « l’Ouvert », la paternité du mot revient sans doute à Hölderlin. La paternité de la … non-chose (!) se perd quant à elle dans la nuit des temps et de ce qu’Aldous Huxley a appelé « Philosophie Éternelle »,
- celle de « Nous sommes ouverts dans l’Ouvert » serait plus à chercher du coté de Heidegger, notamment dans « Pourquoi des poètes ? », un des textes de « Chemins qui ne mènent nulle part » (très mauvaise traduction de « Holzwege », soit dit en passant).
- Pourquoi ne pas être incomparablement plus précis dans la démonstration en adoptant la tripartition anthropologique « Corps & Âme – Esprit » proposée par Michel Fromaget ?
- « Nous sommes déjà dans le Royaume : l’éternité, c’est maintenant », certes. Mais suffit-il d’en être convaincu intellectuellement, c’est-à-dire très partiellement, ou bien avons-nous besoin de moyens habiles (upayas), et notamment ceux de la Vision du Soi, pour vivre l’entièreté de cette dimension d’éternité ?
² – Cette magnifique citation ne se trouve pas dans ce numéro, mais dans la page wikipedia de l’auteure, avec la référence suivante : « Le Monde des religions », novembre 2012. Il ne me semble pas inutile de la rapprocher de celle que cite souvent Marie Balmary dans sa recherche : « Dieu a dit une chose et j’en ai entendu deux ».
Tiens, pas de Marie Balmary dans ces « plus belles rencontres » ? Étonnant !
³ – Comment ne pas être entièrement d’accord avec tout ce qu’écrit là Frédéric Lenoir ? Mais … j’avoue avoir un peu de mal avec les moyens qu’il propose. A chacun de se faire son opinion.
4 – La carte dessinée par Douglas Harding ne figure pas dans « Le Monde des Religions » – ça viendra peut-être – mais elle facilite tellement la compréhension de cette citation. « Les frontières de ma peau » se trouvent dans la zone « je suis humain » du dessin. « Ma spiritualité me permet de ne faire qu’un avec vous », parce que toute spiritualité consiste à coïncider avec le « Je Suis » central. N’en croyez surtout pas un traître mot, essayez, vérifiez !
5 – « … toujours se remettre au niveau des questions », et sans doute au niveau de La question : qui & que suis-je véritablement pour moi-même, dans l’évidence du moment présent, sans faire appel ni à la mémoire ni à l’imagination ?
Et qu’on ne se méprenne pas : la Vision du Soi n’est nullement un savoir, juste une méthode pour voir – simplement, concrètement, joyeusement – le mystère de notre Vraie Nature et, tant bien que mal, parvenir à l’incarner.
6 – Il me semble qu’il est d’un grand intérêt de pratiquer la « Vision » avant de lire René Girard et tous ceux qui vous intéressent dans ce champ de l’expérience humaine. Mais dans un deuxième temps, toutes ces lectures pourront s’avérer précieuses pour nourrir et valoriser la claire vision initiale. Faire l’expérience « Je Suis » d’abord, et vérifier ensuite si « les experts ont bien pigé le truc » ! Voilà me semble-t-il la plus raisonnable manière de procéder. N’en croyez surtout pas un traître mot, essayez, vérifiez !