« L’esprit de l’athéisme », ce livre important, paru en 2006 aux Éditions Albin Michel, est sous-titré : « Introduction à une spiritualité sans Dieu ». Comme tous les ouvrages d’André Comte-Sponville c’est du solide, à la fois brillant, argumenté et très bien écrit. Le propos consiste à « … aller plus vite à l’essentiel et s’adresser au plus grand nombre. » En notre époque de grandes ignorance et confusion sur la question centrale de la spiritualité, c’est une lecture indispensable.
Dans le troisième et dernier chapitre, « Quelle spiritualité pour les athées ? », l’auteur relate « une expérience mystique » qu’il a vécu à l’âge de vingt-cinq ou vingt-six ans lors d’une promenade en forêt. Quelques extraits :
« … Il faisait nuit. Nous marchions. […] Je ne pensais à rien. Je regardais. J’écoutais. […] Et soudain … Quoi ? Rien : Tout ! Pas de discours. Pas de sens. Pas d’interrogations. Juste une surprise. Juste une évidence. Juste un bonheur qui semblait infini. Juste une paix qui semblait éternelle. Le ciel étoilé au-dessus de moi, immense, insondable, lumineux, et rien d’autre en moi que ce ciel, dont je faisais partie, rien d’autre en moi que ce silence, que cette lumière, comme une vibration heureuse, comme une joie sans sujet, sans objet (sans autre objet que tout, sans autre sujet qu’elle -même), rien d’autre en moi, dans la nuit noire, que la présence éblouissante de tout ! Paix. Immense paix. Simplicité. Sérénité. Allégresse. Ces deux derniers mots semblent contradictoires, mais ce n’était pas des mots, c’était une expérience, c’était un silence, c’était une harmonie. […] Plus de mots, plus de manque, plus d’attente : pur présent de la présence. C’est à peine si je peux dire que je me promenais : il n’y avait plus que la promenade, que la forêt, que les étoiles, que notre groupe d’amis … Plus d’ego, plus de séparation, plus de représentation : rien que la présentation silencieuse de tout. Plus de jugement de valeur : rien que le réel. Plus de temps : rien que le présent. Plus de néant : rien que l’être. Plus d’insatisfaction, plus de haine, plus de peur, plus de colère, plus d’angoisse : rien que la joie et la paix. Plus de comédie, plus d’illusions, plus de mensonges : rien que la vérité qui me contient, que je ne contiens pas. Cela dura peut-être quelques secondes. J’étais à la fois bouleversé et réconcilié, bouleversé et plus calme que jamais. […] Pas de foi. Pas d’espérance. Pas de promesse. Il n’y avait que tout, et la beauté de tout, et la vérité de tout, et la présence de tout. Cela suffisait. Cela faisait beaucoup plus que suffire ! […] Le salut ? Ce n’était qu’un mot, ou bien c’était cela même. Perfection. Plénitude. Béatitude. Quelle joie ! Quel bonheur ! Quelle intensité ! […] J’avais vécu un moment parfait – juste assez pour savoir ce qu’est la perfection. Un moment bienheureux – juste assez pour savoir ce qu’est la béatitude. Un moment de vérité – juste assez pour savoir, mais d’expérience, qu’elle est éternelle.
[…] C’est le plus beau moment que j’aie vécu, le plus joyeux, le plus serein, et le plus évidemment spirituel. […] »
Aussi magnifiquement relaté, cela fait envie, non ?
Il me semble très intéressant, d’une part, de lire ce récit en regard de « Vision », le texte relatant l’expérience initiale de Douglas Harding.
Mais, d’autre part, il me semble encore plus nécessaire de constater l’incomparable fécondité de la démarche de Douglas, qui, à partir d’une expérience similaire, pour ne pas dire identique, a consacré sa vie à mettre au point et améliorer sans cesse les moyens habiles (upayas) de la Vision du Soi pour permettre à chacun de la vivre à son tour, dans d’innombrables ateliers et éventuellement au-delà.
André Comte-Sponville précise à la fin de ce passage :
« Je ne me suis jamais pris pour un mystique, encore moins pour un sage. J’ai passé plus de temps à penser l’éternité – par exemple à commenter le livre V de l’Éthique de Spinoza – qu’à la vivre. C’est ce qu’on appelle un philosophe. Il n’y a pas de sot métier. »
C’est pourquoi il ne me semble pas vraiment adéquat de qualifier Douglas de « philosophe ».
Cordialement
NB : « The fighting Temeraire » illustre la page de garde de la première édition du livre.
Un tout petit bémol à propos de ce livre : pourquoi ne pas être incomparablement plus précis en adoptant la tripartition anthropologique majeure Corps – Âme – Esprit, rendue très accessible par Michel Fromaget ? Mais comme je me pose la même question à propos de très nombreux auteurs, il faut croire que son heure n’est pas encore venue …
Et puis surtout : pourquoi ne pas vivre l’éternité ici & maintenant, partout & toujours, simplement, concrètement … ?