Le samedi 3 février, alors que je vaquais tranquillement à quelques tâches ménagères en écoutant France Culture, et encore partiellement dans la chaleureuse ambiance de « Cherchez la faute » – la pièce de François Rancillac à laquelle j’avais assisté la veille – l’émission Concordance des temps m’a soumis à une douche froide ayant pour thème : « Violences conjugales : la justice au pied du lit » …
Celle-ci commença par le rappel des statistiques – françaises – concernant ce « fléau », tellement ahurissantes que la tendance à les oublier s’avère des plus tenaces (0) :
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- une femme décède en France tous les trois jours des suites de violences conjugales
- un homme tous les douze jours
- une femme sur dix est victime de violences conjugales
Elle continua avec cette superbe chanson de Marie-Paule Belle, qui devrait assurément être beaucoup plus programmée par les chaînes de radio et de télévision :
Puis, peu avant la 10° minute de l’émission, Jean-Noël Jeanneney et son invitée, Victoria Vanneau¹, ingénieure de recherche au CNRS, historienne des systèmes judiciaires, évoquèrent – brièvement mais sur le ton d’une évidence qui ne méritaient pas de plus amples développements – la généalogie de la domination maritale …
- « Ceux qui défendent le principe de cette autorité maritale … les juristes du 19° siècle, pétris de culture classique … peuvent se référer à la² Genèse » – (Jean-Noël Jeanneney) :
« Puis le Seigneur dit à la femme : Je multiplierai et multiplierai tes gémissements et tes douleurs ; tu enfanteras dans les douleurs, tu attendras le commandement de ton époux, et il te maîtrisera. »
[καὶ τῇ γυναικὶ εἶπεν Πληθύνων πληθυνῶ τὰς λύπας σου καὶ τὸν στεναγμόν σου, ἐν λύπαις τέξῃ τέκνα· καὶ πρὸς τὸν ἄνδρα σου ἡ ἀποστροφή σου, καὶ αὐτός σου κυριεύσει.]
- « L’influence du christianisme rappelle la toute puissance de l’homme … et que la femme lui doit obéissance et respect » – (Marie Vanneau)
Nous nous retrouvions là au plus loin d’une Genèse – camp de base de Marie Balmary ! Si elle écoutait l’émission, je l’imagine bien lever un sourcil des plus attentifs à l’évocation de cette « toute puissance », signal d’alarme infaillible d’une incompréhension, voire d’une radicale inversion, de ce texte « anthropogène », de tout texte « anthropogène ».
Alors, devant l’ampleur de ce « fléau des violences conjugales » ne serait-il pas important & urgent que, individuellement & collectivement, nous – laïques & croyants – accordions enfin l’attention la plus sérieuse aux travaux de Marie Balmary qui nous disent, en gros, que notre interprétation « habituelle » de ce texte – de ces textes, Ancien et Nouveau Testaments – se situe à 180° de leur propos, de leur projet.
Face à cette grave maladie sociale, ne serait-il pas important & urgent de retrouver « les fondations des lois de la parole », de retrouver la capacité de guérir dans ces mots mêmes dont la mésinterprétation nous a rendu malades ?
Confrontés à cet échec de la brutalité et de la violence, à cette incapacité d’accéder à notre humanité, à notre entière dignité d’être humain, ne serait-il pas important & urgent de nous atteler sans plus tarder à rétablir « la cause des … humains » en nous replongeant intelligemment, avec Marie Balmary, André Chouraqui et quelques autres dans l’épreuve du jardin d’Éden raconté par la Genèse … ? En relisant & revivant cette épreuve, ce point de passage obligé pour l’accès à une pleine humanité de l’homme, qui, comme chacun devrait le savoir, n’est pas héréditaire³.
Rien n’est plus étranger à la Genèse que cette « conception » d’une femme comme un « objet » sur lequel l’homme aurait tous les droits, et plus largement d’une possibilité de relation entre des sujets qui ne seraient pas égaux. Tant que des mammifères bipèdes en sont encore à ce stade infra-relationnel, la femme et l’homme ne sont pas encore advenus … Vaste sujet !
« Ce n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je ferai une aide contre lui. »
Genèse, 2, 18
« Élohim dit à Abraham :
Saraï, ta femme, Ne clame plus son nom Saraï, ma princesse, Car son nom est : Sarah, la princesse. »
Genèse, 17, 15
NB : Depuis le temps que je le répète, vous devez commencer à le savoir : je suis convaincu que la Vision du Soi selon Douglas Harding constitue une aide précieuse pour la compréhension & intégration de ces textes parfois difficiles, et qu’elle pourrait utilement précéder leur lecture … Comme d’habitude n’en croyez pas un traître mot, essayez, vérifiez.
Cordialement
0 – Comme si la réalité de ces violences et de toutes celles qu’il est impossible de mesurer et de chiffrer : l’impact sur les enfants, les familles … comme une onde de choc et de défiance qui traverse et « informe » négativement tout l’espace de la société, le temps successif des générations … était trop importante, trop dérangeante.
Il semblerait que le temps soit enfin venu, après avoir trébuché sur cette vérité des violences conjugales de ne plus « s’éloigner d’un pas vif, comme si de rien n’était. »
Dorothée Werner rappelle dans son dernier éditorial d’Elle : « Pour Alexia Daval et toutes les autres », que « le seuil de tolérance collectif a changé. Sur le front des violences conjugales, c’est un bon début ». Rien qu’un début, mais il commençait à être grand temps.
Rappel : la Première Personne compte toujours à partir de 0, moyen habile (upaya) de, notamment, transformer les groupes de quatre personnes en groupe de trois … Et également de réduire à néant le concept erroné d’« environnement ». Essayez, vérifiez … n’en croyez pas un traître mot !
¹ – Auteur d’un livre intitulé par antiphrase « La Paix des ménages : Une histoire des violences conjugales du XIXe au XXIe siècle ». Anamosa, 2016.
« Elle y démontre que les archives des tribunaux ont beaucoup à nous apprendre sur l’ensemble des drames dont ils ont eu à se saisir d’âge en âge et sur les évolutions de la manière dont, en face d’une société elle-même en mouvement, entre la morale et le droit, entre la justice pénale et la justice civile, ils ont tâché de maîtriser quelque peu le fléau dont il s’agit. »
² – La suite de cet article s’efforce de montrer qu’il y a bien des lectures possibles de « la » Genèse, et au moins deux qui se situent aux antipodes l’une de l’autre. Il y a également bien des traductions de « la » Genèse, et celle d’André Chouraqui n’est pas la moins intéressante. Ainsi comparez sa version de Genèse 3, 16 avec celle, classique, proposée un peu plus haut :
« À la femme, il a dit : “Je multiplierai, je multiplierai ta peine et ta grossesse, dans la peine tu enfanteras des fils. À ton homme, ta passion : lui, il te gouvernera”. »
³ – « L’accès à l’humanité n’est pas héréditaire. Seule l’aptitude à l’humanité l’est. »
« La divine origine, Dieu n’a pas créé l’homme » (Chapitre 5 – début du 2° paragraphe) – Éditions Grasset 1993 et Livre de Poche Biblio Essais.
Cette citation est très souvent reprise sous sa forme tronquée « L’humanité n’est pas héréditaire », qui ne rend pas justice à la précision d’expression de l’auteur.
NB : nombreuses pétitions à signer et soutenir …