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6 - Lectures essentielles Balmary Marie

À la recherche de connaissances cachées – Marie Balmary

À la recherche de connaissances cachées 1

« Depuis bien des années, je m’étais mise en quête de nos origines à nous, êtres parlants. Et j’avais constaté que la science, qui peut tant nous apprendre sur les origines de la matière et de la vie, ne peut rien nous dire sur les origines de l’humanité en tant qu’humanité. Elle ne peut nous faire découvrir comment la parole nous est venue au commencement, ni comment chaque être humain en vient à se lever, comment il trouve accès, en tant qu’être qui dit “Je”, à cet autre monde, invisible, celui de l’esprit.2

Je me suis donc tournée vers d’autres sources de connaissance, qui ne fournissent pas un savoir clair sur des faits ou des phénomènes, mais qui apportent sur l’être humain des connaissances non objectives, connaissances “cachées” qui doivent être soumises, non pas à l’expérimentation comme faits scientifiques, mais à l’interprétation comme faits symboliques.3 Deux de ces sources de connaissance m’intéressent particulièrement pour étudier nos origines : les mythes fondateurs de nos cultures, d’une part, et, d’autre part, la parole inconsciente en l’homme que l’on entend dans les rêves, les symptômes, les actes manqués …4

Je suis partie de l’hypothèse suivante, partagée par bien des psychanalystes à la suite de Freud : la parole originaire de l’humanité conservée dans les mythes et les Écritures, et la parole inconsciente enfouie dans la mémoire de chaque homme, ces paroles, toutes deux mystérieuses et demandant à être interprétées, devaient pouvoir être entendues et déchiffrées de la même façon. Qu’elles seraient éclairées l’une par l’autre pour peu qu’on les puisse entendre toujours dans leur langue, au plus près de leur lettre, dans l’écoute attentive et sans a priori qui permet de déchiffrer un rêve, de traduire un symptôme.5

Ces mythes, ces récits des origines, qui n’offraient plus selon notre culture aucune information sur la création du monde physique (et on avait pu à cause de cela les juger obscurs et dépassés), m’apparurent d’une richesse inégalée pour révéler les origines d’un autre monde ; disons, pour le moment, le monde humain.

Par l’expérience de la psychanalyse aussi bien que par la lecture du texte biblique, je trouvais la même évidence :

  • Il n’y a pas d’objet “homme” dans le monde ; il y a bien, dans la Genèse, un être appelé Adam, le terrien, mais il n’y a pas d’“espèce humaine” comme il y a des espèces animales ; l’Homme – je veux dire “l’homme-et-la-femme” – n’est pas un fait de la nature, il n’apparaît, selon la Genèse comme dans la vie humaine, que par leur rencontre.6
  • L’Homme – homme et femme – n’est pas un objet qui existe mais un sujet qui advient. Il advient peu à peu, dès le début et tout au long de sa vie, dans un autre monde – situé pourtant dans ce monde-ci – que nous, nous appelons “culture”, où les objets du premier monde (la nature) sont utilisés, transformés, multipliés, et servent aux relations et aux échanges entre les hommes selon les alliances, ou les luttes, qu’ils instaurent entre eux. » 7

Marie Balmary


  1. Ce texte se trouve dans le dossier de presse d’une pièce de théâtre de François Rancillac, « Cherchez la faute », « librement et largement inspirée de l’essai “La Divine Origine/ Dieu n’a pas créé l’homme” de Marie Balmary ».

    « A partir de toutes ces questions, qui surgissent pas à pas de la lecture attentive du texte (dans la traduction régénérante car quasi littérale d’André Chouraqui), s’élabore en direct, sous les yeux et les oreilles des spectateurs complices, une interprétation originale (celle de Marie Balmary), à mille lieux des versions véhiculées ici et là depuis des siècles, à l’encontre d’un discours culpabilisant, moralisant, misogyne et autoritaire : Et si, au jardin d’Éden, nous était racontée l’expérience essentielle et si difficile, et si souvent ratée, et mille fois recommencée, de l’Altérité ?« 

    « Ce que Marie Balmary (à la suite d’Emmanuel Levinas et Martin Buber, notamment) décrypte patiemment dans son essai, verset par verset, presque mot par mot, et que nos trois exégètes semblent réinventer sous les yeux des spectateurs, est que l’avènement du JE coïncide exactement avec celui d’un TU, grâce à la parole échangée entre eux : un TU à la fois égal au JE (“os de mes os, chair de ma chair”) et radicalement autre, ne serait-ce que par sa différence sexuelle.

    Ce serait donc à la grande aventure de l’altérité dans l’égalité (donc de la démocratie ?) que nous serions conviés par cet étrange dieu jardinier, invitant ainsi ses créatures à atteindre à la souveraineté (divine ?) du Sujet libre : épreuve si délicate et difficile, et si souvent ratée (ce qui aurait eu lieu en Éden), expérience à recommencer encore et encore tout au long de nos vies.

    À l’heure où les intégrismes de tout poil s’imposent de plus en plus dans l’espace laïque de notre République (laïque, c’est-à-dire neutre dans ses institutions, afin de préserver la liberté de conscience et de croyance de tout un chacun), il est urgent et salutaire de rappeler que toutes les questions humaines sont bonnes à débattre. Et notamment celles qui sont travaillées depuis des millénaires dans les textes dits « sacrés ». Car c’est à nous, citoyens et citoyennes, dans la diversité de nos croyances et de nos conceptions, de ne pas s’en laisser compter par ceux qui voudraient nous imposer autoritairement, voire violemment, leur prétendue « Vérité » unique et indiscutable. C’est à nous tous de se réapproprier en pleine responsabilité ces textes fondateurs, de les interroger (avec rigueur et pleine liberté), afin d’un peu mieux comprendre grâce à eux, avec eux, l’animal étrange et fascinant qu’est l’être humain … »
    François Rancillac ↩︎
  2. J’ai découvert l’existence de Marie Balmary et de sa recherche dans le livre majeur de Michel Fromaget, « Corps, Âme, Esprit ». « Cet autre monde, invisible, celui de l’esprit » n’est donc évidemment pas celui du mental – ou de l’âme dans une tripartition anthropologique rigoureusement exprimée. Quoiqu’en dise une science résolument matérialiste, « l’humanité de l’humanité » s’origine dans cette dimension de l’Esprit et nulle part ailleurs.
    Une « Science de la Première Personne » existe bel et bien, mais sa diffusion reste malheureusement beaucoup trop restreinte … Comme d’ailleurs l’ensemble de la Vision du Soi selon Douglas Harding, à la fois « entrée principale » et « seul espoir ». ↩︎
  3. Le génie de Douglas Harding n’a-t-il pas consisté à trouver une « troisième voie » – simple, concrète, joyeuse – entre les deux alternatives évoquées ici par Marie Balmary ? Un accès à « un savoir clair » par « l’expérimentation » … qui ne dispense pas de la joie féconde de « l’interprétation des faits symboliques », bien au contraire.
    N’en aurions-nous pas – désespérément – besoin, aujourd’hui plus encore qu’hier ? ↩︎
  4. Je ne suis absolument pas spécialiste de ces « deux sources », mais cette phrase m’amène à me demander ceci : la psychanalyse en tant que méthode structurée n’est-elle pas apparue au moment où « les mythes fondateurs de nos cultures » étaient de plus en plus oubliés, négligés, relégués ? Et où leur nécessité intrinsèque cherchait d’autres chemins, moins conscients mais pas moins efficaces, pour parvenir néanmoins aux humains. Plutôt qu’une rupture, on peut voir là une étonnante continuité : à sa façon « Freud veut éveiller les hommes » … ! Ce que Swâmi Prajnânpad avait remarqué très rapidement. ↩︎
  5. Cette « hypothèse » avait fait sursauter Camille & Céleste Brunnquell dans la série « En thérapie » : « mais depuis quand est-ce que les psys s’intéressent à la Bible !? » (de mémoire). Apparemment … depuis le début de l’aventure psychanalytique. Marie Balmary s’est appliquée – avec l’aide précieuse d’autres lecteurs – à creuser soigneusement cette « hypothèse » ; leurs heureuses découvertes prouvent la fécondité de cet « éclairage » mutuel. ↩︎
  6. Serons-nous un jour capables de nous convaincre de cette vérité fondatrice : « Il n’y a pas d’objet “homme” dans le monde » ? Ce serait le commencement d’un véritable humanisme, et à peu près tout changerait dans nos relations, avec nous-même, les autres et le monde … Force est de constater qu’une immense partie de l’activité inhumaine persiste toujours à la nier, parce que … « business as usual », lourde inertie du mépris de l’humain, déficit de véritable éducation, …
    Et comme nous restons, globalement, éloignés de cette évidence : « l’Homme – je veux dire “l’homme-et-la-femme” – n’est pas un fait de la nature ». Les viols & tortures perpétrées aussi bien sur tous les théâtres d’« opérations spéciales » que dans des sociétés « policées » (j’écris ceci au 5° jour du procès des viols de Mazan) démontrent à quel point « L’humanité n’est pas héréditaire. Seule l’aptitude à l’humanité l’est. » Il reste un long chemin à parcourir pour y parvenir, et seule une infime partie de tout ce qui est regroupé sous le chapeau « culture » y contribue … ↩︎
  7. Tout au long de l’histoire de ses diverses cultures, l’homme a inventé & testé bien des moyens pour « advenir » comme sujet. La Vision du Soi n’est assurément pas le plus connu, mais certainement pas le moins efficace. Pour découvrir que « l’homme – homme et femme » n’est qu’un « objet » s’il est réduit à sa seule dimension corps & mental, un objet périphérique, particulier et précieux certes, mais néanmoins assimilable aux « dix mille choses » du zen. Que seule la découverte & réalisation de sa plénitude corps & mental – Esprit (« corps & âme – Esprit ») lui permet d’advenir véritablement comme « sujet ». Sujet de sa parole, sujet de relations « en esprit et en vérité », sujet réellement porteur de conscience & porté par La Conscience … Qu’accéder à cette qualité de « sujet » me semble constituer pour les humains non pas un droit mais un devoir ; sans elle, aucune « alliance » possible, la « lutte » toujours recommencée. Mais … vérifiez ! ↩︎

Cordialement

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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