De nombreux ouvrages proposent d’entrer en intelligence avec les Yoga-sutras attribués à Patanjali. Ces « Quatre chapitres pour la liberté »¹ font vraiment partie des lectures essentielles, que l’on s’adonne ou non aux exercices du hatha-yoga. [Si vous êtes clients des « festivals de yoga », ce qui suit ne vous intéressera guère …]
J’apprécie beaucoup la traduction commentée de Francoise Mazet. C’est un livre de poche bien conçu et bien écrit, simple et soigné, aisé à consulter et à garder près de soi.²
Et c’est aussi un texte qui dès la deuxième page invite chacun à « réaliser » le texte à la lumière de son expérience, à se « l’approprier ». C’est à cette invitation que je souhaite commencer à répondre, en commençant par le sutra II, 37 :
« Quand le désir de prendre disparaît, alors les joyaux apparaissent. »
Ce sutra tient une place particulière dans l’esprit de l’auteur, au point de figurer sur la page de garde de l’ancienne édition (ci-contre), et en exergue sur les pages d’accueil des sites dédiés aux structures d’enseignement où l’auteur occupe une place importante : Le fil du Yoga à Toulouse et l’École Française de Yoga Midi-Pyrénées.
Ce sutra, cette parole située dans le fil d’un aide-mémoire aussi précis que concis, me tient également tout particulièrement à cœur.
Je le cite volontiers pour évoquer « ma » découverte du « joyau » de la Vision du Soi de Douglas Harding, à l’issue de plus de vingt cinq années d’une recherche … :
- initiée par la lecture de « La philosophie éternelle » d’Aldous Huxley,
- prolongée par la pratique, l’étude (notamment à la Ste-Baume) et un peu d’enseignement du hatha-yoga,
- et approfondie auprès d’Arnaud Desjardins
Que s’est-il alors passé ? Le « petit » Jean-Marc a-t-il accompli un saut évolutif radical qui l’a définitivement délivré du « désir de prendre » ? A-t-il réussi par des efforts héroïques de compréhension et d’intégration à s’établir dans le désintéressement parfait, cet « asteya » présentée comme troisième grande règle universelle (« yamas ») ? Non, je vous rassure tout de suite, bien sûr que non.
En fait le « petit » Jean-Marc a simplement eu un aperçu très clair du « Grand » qui est « sa » véritable nature, en passant de la zone périphérique « Je suis humain » du dessin ci-dessous à la zone centrale « Je Suis ». Très provisoirement, certes, mais par une expérience d’attention suffisamment convaincante pour qu’un changement radical d’approche, un retournement, s’opère.
Relisez soigneusement les Yamas et les Niyamas, soit quinze aphorismes (YS II 30 à 45), et vous verrez clairement que toutes ces préconisations ne sont pas du ressort direct du « petit », de la troisième personne située dans la zone « je suis humain ». Comme l’indique de manière si radicale le zen : « Impossible de polir une brique pour en faire un miroir. »
L’exemple d’« asteya » parle de lui-même. Dans cette zone périphérique, je suis un « petit » humain isolé parmi des milliards d’autres, soumis aux lois implacables de l’espace, du temps et de la causalité. Je suis donc habité par une angoisse foncière qui ne me laisse aucun autre choix que « prendre ». Je « pense » que mettre le grappin sur des « biens », grossiers ou subtils, peu importe, pour alimenter les compartiments vivres et munitions de la « forteresse » ego va me permettre d’échapper à cette angoisse … Regardez en vous et autour de vous : cette « solution » constitue en fait le cœur d’un problème qui s’aggrave de jour en jour !
Le désir de prendre ne peut disparaître que lorsque « je » demeure au Centre, que lorsque Je Suis consciemment cet Espace d’accueil inconditionnel et illimité, que lorsque la Conscience de n’être « rien » Ici au Centre devient instantanément celle d’être également Tout l’univers … Cela peut sembler un peu grandiloquent en se contentant de lire cette page, mais dans un atelier de Vision du soi, un peu d’attention lors de quelques géniales expériences de Douglas suffisent à le Voir clairement. Mais … n’en croyez pas un traître mot, vérifiez !
Ainsi Yamas et Niyamas constituent deux premières étapes, fondamentales, sur lesquelles repose tout l’édifice de la voie spirituelle du Yoga, clairement définie en YS II, 29. Impossible de prétendre y progresser en les passant par pertes et profits comme c’est assez souvent le cas. Essayez donc de bâtir quoi que ce soit en commençant par le troisième étage !
Trop souvent traduites approximativement par « règles de relation aux autres et avec soi-même » ou « réfrènements et observances », ces deux premières étapes ne sont ni des options facultatives, ni des parties vers lesquelles revenir ultérieurement. Un vrai yoga ne peut se construire que sur « le terrain solide du voir », ainsi que l’affirmait Svami Prajnanpad.
Cordialement
¹ : « Four chapters on freedom », ce commentaire des Yoga sutras par S. Satyananda Sarasvati, a été traduit en français par Micheline Flak, et publié sous le titre « Propos sur la liberté – Commentaires des yoga-sutras de Patanjali » en 1984 par l’UEFNY.
² : N° 89 de la collection Spiritualités Vivantes aux éditions Albin Michel
Une deuxième traduction commentée toute aussi éclairante est celle de Jean Bouchard d’Orval : « Patanjali et les Yogas Sûtras » aux éditions du Relié Poche 2005 (cliquer sur l’avant-dernier item). Mais pourquoi n’avoir pas conservé, au moins en sous-titre de l’édition de poche, le magnifique titre original : « La Maturité de la Joie » ?
Un site intéressant offre une autre version des Yoga-sutras.