« Ouvrir l’espace du Christianisme : Introduction à l’œuvre pionnière de Maurice Bellet », un livre de Myriam Tonus
Publié le 13 février 2019 par Garrigues et Sentiers (0)
&
NB : deux séries de notes de bas de page : celle de l’article, de [1] à [5] et celles du billet, de (0) à
&
« Le livre de Myriam Tonus [1] me paraît à ce jour la meilleure présentation de l’œuvre féconde et fécondante de Maurice Bellet.
Elle est la mieux placée aujourd’hui pour ce rôle de « mémoire vivante » : elle-même, théologienne, a été sa collaboratrice et secrétaire durant de nombreuses années ; elle l’a accompagné dans sa réflexion et la naissance de ses livres. Avant sa mort, il l’avait nommée légataire universelle pour l’ensemble de ses œuvres.
Maurice Bellet a écrit près de 60 livres ; beaucoup de lecteurs ont été marqués à vie par la fulgurance de certains passages [2], mais certains ont pu être rebutés lors d’une première approche par l’originalité du style et de la pensée et n’ont pas continué la lecture, tout en pressentant des richesses enfouies, malheureusement inaccessibles pour l’instant. Le petit livre¹ de Myriam Tonus s’adresse particulièrement à eux, car en un style simple, elle visite la plupart de ses livres ; ce guide contient plus de cinquante longues citations des livres de Maurice Bellet, qui permettent de saisir la cohérence profonde entre les différents livres et le dynamisme qui les relie. Elle propose aussi un parcours de lecture à ceux qui veulent le découvrir [3] et invite à la relecture les lecteurs qui en ont déjà une première connaissance [4].
Mais il ne s’agit pas d’abord de découvrir un simple contenu, un pur savoir sur la lettre du livre pour pouvoir dire « J’ai lu Bellet ! ». Myriam Tonus reconstitue la démarche, la naissance progressive de cette pensée qui n’a jamais voulu se définir comme un système, ses interrogations ses retours en arrière. Le lecteur a l’impression d’assister à l’accouchement d’une pensée.
À travers cette démarche c’est l’homme Maurice Bellet qu’on découvre avec lequel le lecteur se sent vite en connivence :
-
- Un poète dont l’écriture, à certains passages rigoureuse et rationnelle, peut chanter dans des images, des formules et paragraphes qui marquent la vie parce qu’ils ouvrent sur l’invisible et l’infini.
- Un homme qui écoute ses frères : pendant plusieurs années, comme psychanalyste il a entendu la grande détresse de ses frères, l’amour déchiré, la traversée de l’en-bas qu’il a lui-même connu.
- Un mystique qui écoute la parole de Dieu, cette source vive qui donne de vivre. De même qu’il était tout écoute de la parole de ses visiteurs, il passait chaque jour de longs moments à méditer l’Évangile [5].
- Comme philosophe, l’humain est au centre de ses préoccupations, non pas autour des vaines querelles philosophiques ou théologiques, mais de la vie humaine, personnelle et collective. Comment être humain dans le monde d’aujourd’hui ? Qu’est-ce qui assure aux hommes de pouvoir vivre ensemble, sans être écrasés par le chaos ?
Bellet a été témoin de l’horreur des camps de concentration et sait que de telles horreurs peuvent revenir. L’avenir de l’humanité ne va pas de soi². Dans un monde de plus en plus sécularisé, quelle peut être la place de la religion, du christianisme, de l’Église ? Bellet a une certitude : si la bonne nouvelle de l’Évangile a quelque chose à dire aujourd’hui, ce n’est pas d’abord dans des rites, des institutions d’ordre religieux, mais c’est réellement dans notre condition d’homme qu’elle prend sens et qu’elle donne vie. Cette pensée, sans rien récuser de l’Évangile dans toute sa force, commence par déconstruire, enlever tous les faux plâtres accumulés au cours des siècles. Bellet nettoie, non pas pour faire table rase du passé, mais parce que ces oripeaux empêchent l’homme d’aujourd’hui, qu’il soit croyant ou pas, qu’il nomme Dieu ou pas, d’entendre une parole de vie, une source inouïe. Que dit-elle ? Elle dit à chaque homme qu’il est aimé de Dieu, que cet amour vient d’un Père ; que chaque homme est l’objet d’une grande Tendresse, qu’il découvre d’abord dans la relation avec son frère.³
Dernier intérêt de cette lecture : le lecteur lui-même est entraîné dans cette démarche, non pour accumuler des savoirs sur l’œuvre de Maurice Bellet mais pour être entraîné dans cette quête de la vérité, dans ce chemin sans chemin où l’écoute de la parole n’a d’autre but que de permettre à chaque lecteur de dire sa propre parole, issue du fond de lui-même et dans laquelle germe une Parole de tendresse venue d’une source Infinie.
« Ce n’est pas sur ce que tu as été ni sur ce que tu es que te juge la miséricorde, c’est sur ce que tu as désiré être ; il n’y a pas d’hommes condamnés », telle est la dernière citation de Maurice Bellet clôturant le dernier chapitre de Myriam Tonus, « Ouvrir l’espace » ….
Antoine Duprez
[1] Myriam Tonus, Ouvrir l’espace du Christianisme : Introduction à l’œuvre pionnière de Maurice Bellet, éd. Albin Michel, 2018.
[2] Parmi de nombreux témoignages : « Vous m’avez apporté de l’eau pure », « grâce à vous, j’ai pu parler », …
[3] Cf p. 47 et p. 208, où elle présente la démarche d’un « Parcours », itinéraire en groupe inauguré par Maurice Bellet et toujours actif dans l’association Initial.
[4] Je me suis souvent dit après la lecture d’un passage du livre de Myriam Tonus : « Il faudra que je relise ce livre »…
[5] Je l’ai vu en contemplation devant la fresque de Piero della Francesca représentant le Christ sortant en vainqueur du tombeau.
Cordialement
0 – Je comptais consacrer un billet à cet excellent livre, au titre prometteur – « ouvrir l’espace … », pensez donc ! – par un auteur au nom … dynamisant, lorsque dans le désert du wouèbe je suis tombé sur le texte de M. Antoine Duprez. Il était plus simple de le relayer ici, assorti de quelques commentaires.
Garrigues et Sentiers propose également un « Dossier Exceptionnel Maurice Bellet ».
¹ – « Petit livre … » ! Pas tant que cela : la juste taille, dense mais clair et pas du tout un simple étalage de citations. De la belle ouvrage, le fruit d’une longue complicité avec Maurice Bellet.
² – « … de telles horreurs … » n’ont en fait jamais cessé en divers endroits de la planète.
Pour Marie Balmary, « L’accès à l’humanité n’est pas héréditaire. Seule l’aptitude à l’humanité l’est. » (« La divine origine, Dieu n’a pas créé l’homme » – Chapitre 5, début du 2° paragraphe) – Éditions Grasset 1993 et Livre de Poche Biblio Essais).
Cette citation est très souvent reprise sous une forme tronquée : « L’humanité n’est pas héréditaire », qui ne rend pas justice à la précision d’expression de l’auteur.
³ – Maurice Bellet n’était pas seul à effectuer ce travail de désobstruction de la Source « inouïe » … Marie Balmary et d’autres le poursuivent de manière remarquable. L’institution Église ne devrait-elle pas en faire sa première, sinon unique priorité, au lieu de s’épuiser à maintenir des façades Potemkine de toutes façons condamnées à s’écrouler.
Dans « Le Dieu que l’on s’invente est bien plus terrible que le Dieu révélé », Marie Balmary cite ces mots du poète britannique William Blake :
« J’ai cherché mon âme et je ne l’ai pas trouvée.
J’ai cherché mon Dieu et je ne l’ai pas trouvé.
J’ai cherché mon frère et je les ai trouvés tous les trois. »
Je suis désolé de ne pas être en mesure de vous indiquer la référence exacte de cette citation. L’original serait :
“I sought my God and my God I couldn’t find;
I sought my soul and my soul eluded me;
I sought to serve my brother in his need, and I found all three;
My God, my soul, and thee.”
La Vision du Soi selon Douglas Harding propose de « trouver son frère » en voyant clairement que « Je Suis » la Source, que nous le sommes tous. En réalisant la « silencieuse coïncidence » avec notre « autoportrait ». C’est « le seul espoir ».
Cette « entrée principale » s’avère particulièrement simple, concrète, joyeuse … Essayez, vérifiez !