Cf. la courte introduction à cette série dans la première partie.
« Les experts ont-ils bien « pigé le truc » – 4/5 – David Lang
« […]
Mais essayons de pousser un peu plus loin le défi de tester les écritures … comme si voir qu’être vide et infini n’étaient que broutilles ! Et attelons-nous au texte majeur du bouddhisme Mahayana, le Sutra du Cœur¹. Son prologue indique que le texte va exposer la plus profonde de toutes les vérités spirituelles :
« Hommage à la sublime et noble perfection de la Connaissance Transcendante »
Selon ce sutra, Avalokiteśvara, « le noble bodhisattva et maître en contemplation » ayant fait l’expérience de l’éveil (littéralement « se mouvant dans le cours profond de la Perfection de la Connaissance Transcendante »), remarque que « Ici, … la forme est le vide et le vide est la forme ; le vide ne diffère pas de la forme, la forme ne diffère pas du vide, tout ce qui est forme est vide, tout ce qui est vide est forme … »
Est-ce que le Sutra du Cœur décrit bien « les choses comme c’est »² ? Autrement dit, est-ce qu‘il vous décrit correctement ? Jetons un coup d’œil.
1 . Placez vos mains à plat de chaque côté de vos tempes, de telle manière que vous puissiez en voir la moitié dans votre champ visuel, comme si vous étiez un cheval équipé d’œillères .
2 . Remarquez d’abord l’absence de visage entre vos mains, voyez entre vos mains ce vide qui n’est pas rempli par votre visage.
3 . Maintenant voyez que dans cet espace vide entre vos mains apparaît la scène que vous regardez, l’écran de votre ordinateur peut-être, ou votre salon.
4 . Regardez attentivement. Dans l’évidence de l’instant présent je vous met au défi de percevoir (il ne s’agit ni de supposer ni d’imaginer) la moindre distance séparant l‘espace vide et la scène. Comme l’image qui ne fait qu’un avec le miroir dans lequel elle se reflète, la scène que vous voyez ne coïncide-t-elle pas parfaitement avec l’espace qui l’accueille ? La non-dualité entre l’espace vide que vous êtes et les formes qui se présentent n‘est-elle pas parfaite ?
Encore une fois, c’est à vous qu’il revient de dire si oui ou non le texte majeur du bouddhisme Mahayana a « pigé le truc » ou non – s’il décrit avec précision ce que vous êtes pour vous-même.
Nous venons de vérifier un certain nombre de propositions d‘experts spirituels : que la réalisation de soi est simple, que nous sommes fondamentalement vide, que le vide que nous sommes est illimité, et que ce vide paradoxal est aussi formes. Pour faire bonne mesure nous allons poursuivre avec deux autres propositions.
La première prolonge le thème du Sutra du Cœur. Si nous sommes vide et si le vide est formes, alors nous sommes un avec tout, y compris tous les êtres humains. Dogen, le fondateur de la lignée Soto du zen, exprime cela ainsi :
« La véritable personne n’est pas quelqu’un en particulier. Mais comme le bleu profond du ciel sans limites, c’est tout un chacun, partout dans le monde. »
Jésus avait une façon bien à lui d’exprimer la même chose :
« Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. »
[Matthieu 18, 20]
Voici l’expérience destinée à vérifier que voir l’absence de notre tête c’est aussi voir que nous sommes un avec les autres.
1 . Trouvez quelques volontaires, au moins trois ou quatre, disposés à participer à cette expérience.
2 . Formez un cercle resserré en position debout. Vous pouvez éventuellement entourer vos voisins de vos bras.
3 . Regardez vers le bas, et maintenez le regard vers le bas tout au long de l’expérience.
4 . Voyez l’absence de votre tête au-dessus de vos épaules. Autrement dit, remarquez que vous ne ressemblez à personne en particulier.
5 . Constatez l’absence de têtes au-dessus de toutes les épaules. Autrement dit, remarquez que tout un chacun ne ressemble à aucune personne en particulier.
6 . Maintenant, soyez très attentifs : remarquez qu’il n’y a aucune frontière entre votre absence de tête et les autres absences de têtes. Il n’y a en fait qu’une seule absence, comme il n’y a qu’un seul ciel. Elle n’appartient à aucun membre du cercle, et pourtant elle appartient à tous (et aussi à tous ceux qui sont en dehors du cercle). Cette absence est la réalité de tous les membres du cercle – ce que chacun est vraiment.
Quand deux ou trois – ou plus – sont réunis, là « Je Suis », « Je », c’est-à-dire le vide, l’espace, le Soi au cœur de chacun d‘entre nous. Vrai ou faux ?
La dernière expérience vous semblera peut-être assez amusante, une espèce de jeu d’enfants. («Enfantin », ce n’est bien sûr pas du tout la même chose qu‘ « infantile ». Jésus a parlé de cette nécessité de redevenir comme des petits enfants si nous voulons entrer dans le royaume des cieux. Et dans la même veine, Lao-tseu, l’auteur du Tao Tö King, a écrit :
« Le Sage ne voit et n’entend rien de plus que ce que voit et entend un enfant. »
Nous devrions peut-être garder cette distinction présente à l’esprit si l’expérience suivante nous paraît particulièrement infantile.
[A suivre …] »
Cordialement
¹ – Eric Rommeluère propose une traduction annotée de grande qualité de ce sutra, Hannya Shingyô en japonais. Si, comme il l’écrit, ce texte est devenu « … une sorte de credo aux vertus magiques », rien n’empêche de le vivre simplement au quotidien grâce à la Vision du Soi. Vous verrez rapidement que c’est nettement plus efficace, quoique moins exotique, que de le psalmodier ! Mais surtout, n’en croyez pas un traître mot, venez vérifier dans un atelier.
² – « Les choses comme c’est », « things as it is », est une formule de Shunryu Suzuki, utilisée à plusieurs reprises dans « Libre de soi, libre de tout » (Éditions du Seuil, 2011), qui me paraît tout à fait adaptée au contexte.