Cf. la courte introduction à cette série dans la première partie.
« Les experts ont-ils bien « pigé le truc » – 3/5 – David Lang
[…]
Dans un de ses enseignements, le maître zen Ta-hui¹ décrivit ainsi cette vision de notre absence :
« Elle est vaste et dégagée, totalement vide. »
Revenons donc à notre observation pour voir si sa description correspond à notre expérience, pour voir si oui ou non il avait « pigé le truc ».
1 . A nouveau désignez de l’index votre absence de tête.
2 . Remarquez les contours de votre doigt. Il est petit et limité. Mais qu’en est-il de ce que votre doigt désigne ? Est-ce qu’il pointe vers quelque chose avec des bords, une petite chose, une chose limitée ? N’est-il pas dirigé vers un espace tel que Ta-hui le décrit, « vaste et dégagé, totalement vide » ? Regardez attentivement. Pouvez-vous voir quoi que ce soit là où vous êtes ? Et lorsque votre doigt pointe vers vous, n’êtes-vous pas réellement un espace vaste et dégagé, totalement vide ? N’est-ce pas une bonne description de vous tel que vous vous voyez ?
Alors, pensez-vous que Ta-hui avait « pigé le truc » ? (Je m’abstiens d‘ajouter un «Bien joué, Ta-hui » qui risquerait de sembler un brin condescendant !)
Voir que nous sommes un espace vaste et dégagé revient en fait à dire que nous sommes infini. Rûmî l’exprime poétiquement ainsi :
« Dans cette maison est un trésor que l’univers est trop petit pour contenir². »
Le maître zen Yung-chia Hsuan-chueh affirme :
« Comme le ciel vide, Cela n’a pas de limites, mais Cela est parfaitement à sa place, à jamais profond et clair. »
Et dans des termes quasi identiques un autre maître zen, Yung-chia Ta-shih, constate :
« Comme l’espace Cela n‘a aucune limite, et pourtant c’est bien ici, en nous. »
Vérifions notre infinitude avec l’expérience suivante :
1 . A nouveau, désignez de l’index votre absence de tête, et remarquez comme cet espace vide n’a, littéralement, aucun bord.
2 . Vérifiez en plongeant la main dans l’espace puis en la ressortant. (D’aucuns diront que vous ne faites que déplacer votre main sur le côté de votre tête, dans votre champ de vision et en dehors. Merci bien, mais il ne s’agit là que d’un point de vue extérieur sur votre expérience. Alors que la vérification ne concerne que votre vécu intérieur.)
3 . Votre main limitée ne disparaît-elle pas dans cet espace sans limites, et n’en réémerge-t-elle pas ? N’êtes-vous pas en train de plonger votre main dans l’infini que vous êtes et de l’en ressortir ?
Alors, est-ce que nos experts – Rumi, Yung-chia Hsuan-chueh et Yung-chia Ta-shih – ont « pigé le truc » ? N’êtes-vous pas sans bords ? Ce qui revient à demander : n‘êtes-vous pas infini ?
[A suivre …] »
Cordialement
¹ – Pour y voir clair dans ces nombreux maîtres zen, le mieux consiste sans doute à commencer par lire « Les maîtres zen » de Jacques Brosse, Albin Michel, collection Spiritualités Vivantes. (Et de manière plus générale, l’œuvre entière de Jacques Brosse est très éclairante, du monde végétal au monde de l’esprit, en passant par celui des « grandes personnes ».)
Ta-hui, ou Tai-Houei Tsong-Kao, 1089-1163
Yung-chia Hsuan-chueh, ou Yong-Kia Hien-Tsiue, surnommé « le maître de l’éveil d’une nuit », 665-713
Quant à Yung-chia Ta-shih, c’est peut-être bien le même que le précédent, d’où la similitude dans l’expression … Mais cela ne remet nullement en cause la démonstration.
² – Dans cette même veine, j’apprécie également beaucoup cette citation de Huang-Po :
« Mon chapeau peut sembler petit, mais quand je le mets sur ma tête, il recouvre l’univers entier. »
Et ce logion 56 de l’évangile de Thomas :
« Jésus disait : Celui qui connaît le monde découvre un cadavre. Et celui qui découvre un cadavre le monde ne peut le contenir. »