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L’Empire de l’or rouge – Jean-Baptiste Malet

Jean-Baptiste Malet, ce jeune, talentueux et tenace journaliste vient de faire paraître un ouvrage aux éditions Fayard :

« L’Empire de l’or rouge – Enquête mondiale sur la tomate d’industrie »

Ne manquez pas la possibilité de lire un extrait, pour mieux comprendre le sujet et apprécier la qualité d’écriture. Et soutenez cet auteur en achetant et faisant connaître son livre¹.

Un grand merci pour cette remarquable enquête : plus personne ne pourra désormais ignorer qu’il consomme des « tomates de combat », c’est à dire des « tomates de sang », lointaines parentes des « blood diamonds »

Il y a quelques temps déjà que de sérieuses suspicions planaient sur cette filière agro-alimentaire, mais maintenant rien ne vous retient plus de suivre le judicieux conseil du regretté Coluche :

« Il suffirait que personne n’achète pour que ça ne se vende pas ! »

Vous pouvez donc faire comme moi si vous avez la chance d’avoir un jardin : cultiver bon an mal an une quarantaine de pieds de tomates² et vous passer intégralement de toutes ces saloperies – au sens large du terme – industrielles. Vous vous en porterez beaucoup mieux, tant physiquement que moralement. Et je suis convaincu que ce sera plus efficace que d’attendre d’hypothétiques « traçabilité totale et transparence absolue ». Il y a beaucoup trop de monde intéressé à la poursuite de ce juteux commerce pour que les choses changent rapidement d’en haut … Un boycott conscient et généralisé sera nettement plus efficace.

A défaut vous pouvez aussi vous procurer des tomates de saison chez un producteur local ou dans un (honnête) magasin bio. Et cuisiner à votre convenance un délicieux jus & concentré de tomates comme indiqué dans cette recette Terre Vivante.

Quelques extraits d’un entretien récent avec l’auteur : « L’histoire du concentré de tomates est un concentré de capitalisme ».

« …

Comment expliquer qu’une marchandise aussi consommée dans le monde ait suscité si peu d’intérêt de la part des grands médias ?

Jean-Baptiste Malet : Raconter les rapports de production d’une marchandise et, de cette manière, dévoiler que l’organisation du monde a pour base une idéologie, cela exige des moyens, de la rigueur, du temps pour travailler au long cours, et un esprit critique qui ne soit pas faussement impertinent. Soit l’exact opposé de ce que sont en mesure de proposer les médias de masse détenus par des milliardaires.

On sait peu que, parmi les migrants qui récoltent les tomates d’industrie en Italie, dans des conditions effroyables, beaucoup viennent du Ghana ou du Sénégal, qui ne sont pas des pays en guerre. La seule guerre qui pousse ces travailleurs à l’exil est la guerre économique et le libre-échange absolu qui dévastent les filières locales de production, dont celle de la tomate.

Vous écrivez que l’industrie de la tomate est si avide de capitaux qu’elle sert de blanchisseuse d’argent sale, tant et si bien que les produits agro-mafieux arrivent jusqu’aux assiettes des consommateurs du monde entier …

Jean-Baptiste Malet : La conserve italienne a toujours été un débouché privilégié des mafias pour blanchir des capitaux. Sa facilité de circulation permet aux agro-mafieux de bénéficier du libre-échange en projetant leurs marchandises sur tous les continents. Ces mafias n’ont rien à voir avec l’image du gangster au pistolet : elles sont parfaitement intégrées aux classes dominantes. Leurs activités sont ainsi devenues une excroissance naturelle du marché. Qui dit laisser-faire et dérégulation dit absence de contrôle douanier et étatique, donc blanc-seing aux activités criminelles.

Vous citez au passage le nom d’enseignes de la grande distribution, parmi lesquelles Carrefour, Auchan, Leclerc ou Intermarché, qui commercialisent des produits d’entreprises aux pratiques douteuses connues de tous. Comment les obliger à rendre des comptes ?

Jean-Baptiste Malet : En les nationalisant ? Tous les acteurs de la filière savent que ces entreprises écoulent des produits opaques. Il suffit de se rendre dans un champ de tomates en Chine ou en Italie pour s’en apercevoir. Il n’est pas utopiste d’imaginer que des États puissent un jour exiger la traçabilité totale des produits et une transparence absolue de leurs chaînes de production. Il faudrait pour cela légiférer. Pourquoi pas avec un référendum ?

En vous lisant, on découvre une filière avec ses traders, ses scientifiques appointés par des lobbies, son conseil mondial … Qui sont ces « maîtres du monde » de la tomate ?

Jean-Baptiste Malet : Ils forment un noyau qui réunit les principaux acheteurs de concentré – les multinationales comme Heinz, Unilever ou Nestlé –, les transformateurs, les généticiens, les semenciers, les vendeurs de machines … Tous se retrouvent à huis clos lors du congrès mondial de la tomate d’industrie. On y chante les louanges du Tafta, des grands projets de libre-échange, en chœur avec des membres du gouvernement italien, de la Commission européenne et des dirigeants patronaux. Mais on n’y parle pas du tout des conditions de travail des migrants du sud de l’Italie qui récoltent l’essentiel des tomates pelées du marché mondial.

L’arrière-plan présent tout au long de votre enquête, ce sont justement les milliers de travailleurs des champs qui récoltent les tomates. Quel rôle joue cette industrie dans l’exploitation des travailleurs migrants ?

Jean-Baptiste Malet : Dans le sud de l’Italie, ces travailleurs sont entassés dans des bidonvilles qui peuvent compter jusqu’à 5 000 personnes, sans eau courante ni système sanitaire. Ce sont dans ces ghettos que les travailleurs vendent leur force de travail. Le marché du travail est quasi exclusivement contrôlé par la criminalité organisée. Les migrants doivent payer pour tout. Ce sont des prolétaires au sens littéral du terme : le salaire qu’ils touchent sera intégralement dépensé dans le ghetto, pour leur survie.

Les conditions de travail sont terribles. Les récoltes se font sous le soleil, durant dix heures par jour, pour 20 à 25 euros. Certains en meurent. L’exploitation est telle qu’entre la machine de récolte et l’esclave migrant, le coût est identique. Et pour peu que l’on exploite encore un peu plus durement les migrants, en volant des journées de travail, ce qui est fréquent, l’esclave sera toujours plus compétitif que la machine. On a ainsi une illustration concrète de la façon dont le capitalisme mobilise le travail humain pour édifier un monde cauchemardesque. Rien ne le justifie, si ce n’est une idéologie obscurantiste et criminelle : le néolibéralisme. »³

 

Cordialement

 

¹ – N’importe où, sauf « En Amazonie ».

² – Si vous êtes un peu inquiet devant cette prévisible avalanche de tomates, vous consulterez avec intérêt le site de Vincent le canneux, qui offre de multiples recettes de cuisine et de conservation.

3 – Mais quel rapport entre l’industrie du concentré de tomates dans l’univers impitoyable du néolibéralisme et la Vision du Soi selon Douglas Harding ? Aucun rapport direct certes. Mais mon véritable « corps » étant l’univers entier et tout ce qui s’y passe, j’en suis en quelque sorte entièrement responsable. A la différence de Ponce Pilate, je ne suis plus en mesure de me laver les mains de quoi que ce soit, surtout lorsque je suis bien informé. Cette petite mise au point explique sans doute le succès encore mitigé de la Vision du Soi … !

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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