Vous aurez sans doute remarqué que nous sommes aujourd’hui cernés par le « yoga » : tout un chacun en a fait, en fait, en fera … Il en est très souvent question à peu près partout dans les médias, en général pour célébrer ses vertus « thérapeutiques ». Les festivals de « yoga » se multiplient. Un livre intitulé – sobrement … – « Yoga » vient d’être publié et rencontre un réel succès (0) …
C’est en quelque sorte : « yoga urbi et orbi », ou encore « hors du yoga point de salut » … !
M’étant intéressé sérieusement au yoga, et ayant en quelque sorte poursuivi ce projet d’abord par l’étude de « l’adhyatma yoga » de Svâmi Prajnânpad & Arnaud Desjardins, puis avec le partage de la Vision du Soi selon Douglas Harding¹, je reste pour le moins dubitatif devant cette … prolifération invasive, et je me permets d’attirer l’attention de tous ceux qu’elle inquiète aussi sur l’existence d’un vieux livre, toujours très utile :
« Introduction aux voies du yoga »²
Je ne vous en propose ci-dessous que l’introduction. L’ouvrage entier est à lire … et relire !
NB : 3 notes sont propres à cette introduction ([1], [2], [3]) en plus de celles que je vous propose.
&
« Pour la pensée indienne traditionnelle, l’époque actuelle représente non pas une période de progrès de l’humanité, mais une phase de dégénérescence, celle où le “taureau de la Justice”, ayant été privé successivement, dans chacun des trois âges précédents, de l’un de ses pieds, d’abord de “l’Effort sur soi-même” (tapas), puis de la Pureté (çauca), et ensuite de la Compassion (dâyâ), repose maintenant en équilibre instable sur l’unique jambe qui lui reste, celle de la Vérité (satya), sur laquelle il essaie péniblement de se maintenir, en butte aux attaques du démon Kali qui, encouragé par le mensonge, tente de lui dérober même ce dernier support [1].³
Des textes sanskrits remontant aux environs de l’ère chrétienne [2] prévoient que, dans ce dernier âge, la “confusion des castes” sera telle que ceux qui détiennent la connaissance (les brahmanes) délaisseront l’enseignement pour se livrer à des besognes lucratives sans rapport avec leur vocation, ou bien “vendront les Veda”, c’est-à-dire prostitueront leur savoir, tandis que des personnes non autorisées, incompétentes (les çudrâ), les ignorants et les charlatans s’approprieront les textes sacrés et prétendront les interpréter. (4)
On n’est pas forcé d’adopter le point de vue indien ; toutefois, il faut reconnaître qu’en ce qui concerne le yoga cette prédiction n’est pas sans fondement : tandis que l’Inde s’engage à fond dans la poursuite des intérêts matériels, dont la conquête laisse l’Occident plus ou moins désabusé et insatisfait, la popularité dont commence à jouir le yoga dans les pays occidentaux n’est-elle pas le pire danger qui le guette ? Car il faut admettre que cette popularité, bien qu’elle soit le signe d’une aspiration réelle à un dépassement de soi par les méthodes que le yoga est susceptible d’apporter, ne va pas sans une déformation sans cesse croissante. (5)
N’importe qui, pourvu qu’il soit doué de souplesse physique, d’énergie et d’un peu de bagout, peut s’improviser en six mois “professeur de yoga”, et le yoga de consommation courante auquel on aboutit n’est rien d’autre qu’une gymnastique de bonne santé. Il ne s’agit pas d’en contester les effets bénéfiques sur le psychisme d’individus voués à la station assisse prolongée, et soumis à tant de tensions nerveuses et à l’action débilitante du confort moderne, mais de regretter qu’elle soit si éloignée de ce qu’est originellement et dans sa complétude le Yoga [3]. Les quelques pages de ce livre cherchent à replacer le lecteur dans la perspective indienne, et, l’arrachant aux ambitions bornées du “yoga pour être en forme”, à élargir sa vision en lui faisant redécouvrir le Yoga dans son ampleur, sa profondeur et ses multiples applications ». (6)
1 – Bhâgavata-Purâna, I, 17, 24-25.
2 – Livres de lois, épopées, etc., entre 500 avant et 500 après J-C.
3 – Nous emploierons ce mot avec une majuscule lorsqu’il est replacé dans le contexte indien, car le Yoga y figure, aux côtés du Nyâya, du Vaiçeshika, de la Mimâmsâ, du Vedânta et du Sâmkhya, comme l’un des six « points de vue » (darçana) valides, l’un des six modes fondamentaux de la connaissance dans la tradition brahmanique.
Cordialement
0 – Dans le prolongement de « yoga-spirine », il semblerait qu’il va me falloir écrire un billet « yoga-(a)ntidépresseur » … J’attendrais pour ce faire d’avoir lu « Yoga », le livre d’Emmanuel Carrère, … qui, lui, serait sans doute bien inspiré de lire & mettre en œuvre ceux de son ami Hervé Clerc. Cf. « L’ascension d’Hervé Clerc ».
Donc « yoga » en italique et entre guillemets pour avertir le lecteur que, bien souvent, il y a tromperie sur la marchandise …
¹ – Je rencontre de temps à autre des personnes intriguées par ce parcours. C’est tout simplement parce qu’elles n’ont pas l’audace d’essayer la Vision du Soi. Pas plus qu’elles n’ont eu auparavant l’audace de s’ouvrir à l’immensité d’un véritable Yoga …
² – Ce livre a été constamment réédité depuis … 1975 : c’est plutôt bon signe !
- Clefs pour le Yoga – Tara Michae͏̈l – Seghers, 1975
- Introduction aux voies de yoga – Tara Michaël – Éditions du Rocher, 1980
- Yoga, repris en poche du précédent – Tara Michaël – Seuil, 1995
- Les voies du yoga – Tara Michaël – Seuil Points, 2011
- Introduction aux voies de Yoga – Tara Michaël – Desclée de Brouwer, DL 2016
- …
³ – La « vérité » se trouve fort malmenée à l‘ère de la post-vérité !
4 – Marie-Madeleine Davy a fustigé dans ses ouvrages ceux qui « n’enseignent que leurs propres balbutiements ». Je m’efforce de vous retrouver la référence …
5 – La situation actuelle du « yoga » ne fournirait-elle pas une réponse à cette question posée en 1975 ? Le foisonnement des « méthodes » et des « événements » ne serait-il pas le symptôme d’une « déformation sans cesse croissante » plus que d’une saine créativité ?
6 – Parfois même un bref séjour en Inde suffit … à obtenir un certificat !
Bref, pour le yoga comme pour le reste, ne succombez pas à « La plus grande tentation humaine … se contenter de trop peu. »