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1 - Pratique de la Vision du Soi Fondamentaux Vision du Soi

« Exagérer … » – Marie Balmary

L’échange ci-dessous est extrait d’un entretien entre Ruth, la psychanalyste en convalescence, et Simon, le moine bénédictin, dans « Le moine et la psychanalyste », chapitre 4.

Ayant avancé – en quelque sorte par antiphrase – dans le billet précédent : « Les noces de Cana », que Marie Balmary se plaît à « exagérer », pour le plus grand bonheur de ses lecteurs, il me fallait nécessairement proposer cet extrait. Ne serait-ce que pour établir un lien hypertexte entre les deux !

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« Ici, la parole est partout chez elle.(0) Il ne me vient qu’un mot pour dire tout ça et il m’ennuie bien parce que je ne sais pas ce qu’il signifie : c’est le mot “grâce”¹. Un mot de chez vous. Pas de grâce chez les psys !

Ruth poursuivit plus lentement :

– Savez-vous pourtant à quoi je reconnais cette “grâce” dont j’ignore le sens ?

– Pas la moindre idée, dit Simon.

A ce que personne ici ne dit jamais à l’autre : tu exagères². Ce verbe n’a tout simplement pas cours dans cette maison. Alors que, du moins pour les plus désirants d’entre-nous, on nous en a mille fois fait le reproche depuis que nous sommes venus au monde, n’est-ce pas ? Les analystes et leurs patients peuvent en témoigner. Ici, au contraire, personne n’arrête personne avec ce verbe, si loin qu’on aille dans la parole. Tandis que je soupçonne Freud et ses disciples – mais tout autant les religieux – d’avoir cru de leur devoir de ramener l’humanité à la raison – la raison de la science aussi bien que la raison de la foi. Les uns et les autres semblent s’être fait un même devoir de dire aux humains qu’ils exagéraient – autant leurs souffrances que leur … Ruth s’arrêta : un mot lui faisait défaut.

– … leur gloire³ ?

– Oui, c’est cela.

[…]

Le désir humain d’être bien traité, c’est-à-dire au fond, traité comme un dieu, serait, d’après eux tous, abusif ; et exagérée la souffrance que provoque chez l’homme le fait de ne l’être pas. Quand je dis “être traité comme un dieu” (4), je ne parle pas des exigences illimitées du fameux “moi infantile” qui voudrait tout, comme on le dit souvent. Je parle d’un désir premier de l’humain d’être accueilli et reconnu ; ce qui peut s’appeler encore le désir d’être aimé (5). Bien que la science ait cru s’opposer à la religion et la combattre, elle a voulu elle aussi – et même peut-être plus radicalement que la religion – éradiquer en l’homme un désir infini, le désir d’être. Devant et avec autrui.(6)« 

Marie Balmary

Cordialement

 

0 – Cet « ici » désigne la maison de vacances de ses amis Noémie & Dan où Ruth a été accueillie pour se rétablir, mais plus largement tous les espaces de dialogue véritable entre les différents sujets de ce roman.

Personne ne m’interdira d’exagérer à mon tour pour écrire qu’Ici, en ce « Je Suis » central (cf. dessin ci-dessous), en cet espace d’accueil illimité & inconditionnel que nous sommes, tous, « la parole est partout chez elle ». Que c’est seulement à partir de Là qu’elle peut circuler librement entre nous et parfaire son œuvre de libération.

¹ – Vaste, passionné et parfois sanglant débat que celui concernant la « grâce » ! Voici un accès à ses nombreuses occurrences dans la Bible.

² – Dire à l’autre « tu exagères », correspond assez bien à l’étymologie de ce verbe : construire un obstacle (une levée de terre, de mots, de convenances, … très nombreux matériaux disponibles !) pour se protéger. En ce qui nous intéresse sur volte-espace, pour maintenir l’illusion de n’être que ce si petit complexe corps & mental confiné dans la zone périphérique « je suis humain » du dessin ci-dessus, l’ego.

Les dialogues de Ruth et Simon n’ont pas du tout vocation à la protection de leurs ego respectifs car tous deux ont réalisé qu’il n’est plus temps pour ce triste jeu, il y est véritablement question de vie ou de mort. Ils laissent donc libre cours à une sorte d’exagération exploratoire, sans jamais s’en faire mutuellement reproche. Méthode éminemment productive pour tomber le masque. Lisez, vérifiez !

³ – Autre mot devenu rare, et complexe : « gloire ». Kabôd en hébreu, doxa en grec. La racine hébraïque est plus proche du sens de « faire le poids ». (La racine indo-européenne « gr », présente aussi bien dans gravité, gravide, etc … que dans guru !)

Les humains peuvent ainsi être « gros » d’Esprit, lestés de sagesse et de compassion, Un avec la Source, le « Je Suis » central … « Contenant » illimité. Ou bien « creux » comme lorsqu’ils sont réduits au seul « corps & mental » … Avoir les mots pour cette possibilité n’est pas tout à fait inutile.

4 – Un peu plus loin dans le texte, Simon précise : « “Exagérer” au sens où on vous l’a reproché, c’est oser désirer au-delà de cette condition, souvent humiliante, injuste, écrasante ; oser désirer d’être traité autrement qu’un animal, autrement qu’une créature et qu’un pêcheur … »

Il rappelle également à Ruth cette parole attribué à Dieu :

« Vous êtes des dieux, Vous êtes tous des fils du Très-Haut. »

Psaume 82, 6

En ajoutant aussitôt : « D’ailleurs, dans ce psaume 82, il est expressément prévu que les hommes n’y croiront pas. »

5 – Ce « désir premier de l’humain d’être accueilli et reconnu … désir d’être aimé » est certes éprouvé et exprimé par le « petit » corps & mental exilé dans la zone périphérique « je suis humain » du dessin ci-dessus. Mais peut-il être comblé autrement que par la réalisation d’être, essentiellement, le « Je Suis » central, l’espace d’accueil illimité & inconditionnel et donc l’ensemble du dessin … et de l’univers ?

6 – J’apprécie beaucoup ce « devant et avec autrui » : parce que cette position n’est déjà plus celle du face-à-face. C’est assurément moins précis que « face à espace » [« face to no-face, face to space »], mais cela constitue un sacré premier pas.

Serait-ce par dépit que religion et science souhaitent ainsi « éradiquer en l’homme un désir infini, le désir d’être. Devant et avec autrui » ? Parce qu’il faut bien constater que si « être infini devant et avec autrui » (d’accord, j’ai très légèrement modifié ce que Ruth dit … !) est bien leur But ultime – beaucoup moins clairement et consciemment formulé que par Marie Balmary – ni l’une ni l’autre n’y parviennent.

Douglas Harding a beaucoup réfléchi à ce constat d’échec et l’a résumé en un dessin (regardez bien et ne négligez pas les pointillés) :

Et bien sûr il a également proposé une solution – simple, concrète, joyeuse – dans l’article « La Troisième Voie », premier chapitre du livre éponyme (Éditions du Relié, 2000 et Albin Michel Espaces Libres poche). En voici la première phrase, histoire de susciter votre curiosité :

« Ce chapitre, comme tout ce livre, est consacré aux trois voies qui mènent à notre but : la première et la deuxième, qui vont presque jusqu’au bout, et surtout la troisième, qui nous y conduit vraiment. …

Et l’avant-dernier paragraphe :

« La science et la religion sont toutes deux responsables de nombreuses souffrances humaines, comme nous l’avons déjà remarqué. Si elles rejoignaient la troisième voie, une grande partie de ces souffrances serait allégée. Voir et être QUI l’on est vraiment ne peut pas faire de mal. »

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Je répète ici que « Le moine et la psychanalyste » est un livre majeur de Marie Balmary, la meilleure clé d’accès possible à ses livres plus exigeants. N’en croyez pas un traître mot, lisez-le … crayon de papier en main ! Et relisez-le. Si lire … délivre de manière générale, « ce récit atypique et passionnant nous introduit dans un monde de relations libératrices, autre nom du “ciel”. » (4° de couverture)

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Est-ce que Douglas Harding exagérait avec sa « Vision » ? Est-ce que les quelques (rares) personnes qui proposent des ateliers de Vision du Soi prolongent cette exagération … ? Je ne crois pas, je suis même certain du contraire.

Reconnaître sa véritable nature d’espace d’accueil illimité & inconditionnel, son « autoportrait », c’est – simplement, concrètement, joyeusement – découvrir sa « gloire ». C’est réaliser cet « infini désir d’être. Devant et avec autrui. » C’est, comme aimait le formuler Douglas, « donner une chance à l’amour ». N’en croyez surtout pas un traître mot, essayez, vérifiez !

Ce « désir d’être infini … devant et avec autrui », c’est « le seul espoir ». La Vision du Soi selon Douglas Harding, associant subtilement démarche d’observation scientifique & confirmation par la lecture des diverses écritures spirituelles, représente une « entrée principale » qu’il serait dommage de négliger …

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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