Voici encore une réflexion de Carolyn Baker, extraite de la deuxième partie de son livre « L’effondrement ». Ces 52 réflexions hebdomadaires à propos de l’effondrement de la civilisation industrielle sont publiées sous la rubrique « Carolyn Baker » du site internet du Réseau Transition Québec (0).
Carolyn Baker commente une réflexion de Rilke, assez incomplètement à mon sens du fait de la confusion, assez habituelle, entre les mots « âme » et « esprit » …
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« Que pouvons-nous accomplir de plus maintenant que la survie de l’âme¹ ? Le mal et la dégradation ne sont pas plus présents qu’avant, peut-être, seulement plus apparents, plus visibles et mesurables. Parce que la douleur que l’humanité vit quotidiennement depuis le début ne peut pas augmenter. Mais il y a de plus en plus de compréhension de la capacité de l’humanité à causer des dommages indicibles² et peut-être aussi de l’endroit où cela nous mène. Une multitude dans l’effondrement, une multitude qui cherche de nouvelles façons d’en sortir. Espace pour ce qui peut se produire de nouveau³. »
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« Peu importe le nombre de fois où j’écris et enseigne que la survie de l’âme est plus importante que notre survie physique, il semble que certaines personnes refusent de composer avec cette réalité et insistent pour se concentrer exclusivement sur la préparation logistique en vue de cette époque troublée.
Rilke demande : « Que pouvons-nous accomplir de plus maintenant que la survie de l’âme ? » Lui aussi a vécu une époque turbulente, entre la montée au pouvoir de l’empereur Guillaume et l’émergence du Troisième Reich, puis avec la Première Guerre mondiale qui a éclaté en 1914. Comme son contemporain William Butler Yeats, Rilke a été profondément troublé par la trajectoire qu’il a vu prendre la civilisation industrielle. Rilke et Yeats ont tous deux compris que des millions de personnes allaient devenir des victimes de la civilisation et que les démons de celle-ci ne pouvaient que se multiplier. Pourtant, les deux ont compris que l’âme ne pourrait pas être détruite. Ils se sont néanmoins rendu compte que l’âme peut dépérir en raison de l’obsession de l’humanité pour le pouvoir, le contrôle et l’accumulation matérielle (4).
On peut ne pas être d’accord avec Rilke au sujet de l’augmentation du mal dans notre monde, mais ce qui importe le plus est de saisir les deux dernières phrases de la citation ci-dessus :
« Une multitude dans l’effondrement, une multitude qui cherche de nouvelles façons d’en sortir. Espace pour ce qui peut se produire de nouveau. »
Si l’âme n’est pas nourrie et développée en préparation de l’effondrement et pendant qu’il survient, elle se retrouvera profondément menacée au milieu du chaos, de la confusion, de la panique, de la rage, de la terreur, du désespoir et du nihilisme des masses qui n’ont pas tenu compte de leurs âmes, si elles ne les ont pas vendues en échange des promesses vides de la civilisation industrielle. Seule la fréquentation assidue de l’âme peut nous permettre de faire de la place pour tout ce qui peut arriver (5). »
Cordialement
0 – Les initiatives de transition sont nées en Angleterre à l’initiative de Rob Hopkins. Il existe donc un site anglais, of course, mais aussi des sites français, belge, locaux …
La transition doit beaucoup à Ernst Friedrich Schumacher évoqué ici et là.
Cette démarche intelligente, nécessaire et incontournable intègre la dimension psychologique, mais encore insuffisamment, à mon humble avis, la dimension première qui est spirituelle. La Vision du Soi selon Douglas Harding serait en mesure de venir combler cette lacune …
¹ – Il me semble … que cette citation (dont je n’ai pas encore trouvé la référence exacte) et son commentaire sont incompréhensibles avec l’utilisation du mot « âme », vraisemblablement utilisé pour traduire l’allemand « Seele ». Il me semble … que si l’on ne se place pas dans le cadre anthropologique rigoureux Corps & Âme -Esprit, revisité avec bonheur par Michel Fromaget, il devient rapidement impossible de parler sereinement et utilement de l’articulation de ces trois termes. Et il ne s’agit pas là de discours à propos du sexe des anges : cette tripartition anthropologique concerne tous les aspects de la vie, inclut même ses aspects apparemment les plus triviaux. Vérifiez …
Ce cadre, s’il n’offre aucun espoir de survie pour l’Âme, n’a aucun souci quant à l’éternité de l’Esprit. Mais ce que nous « pouvons accomplir de plus maintenant« , c’est apprendre à l’Âme à opérer ce retour(nement) vers l’Esprit, vers le Centre, vers la Source, vers le Visage Originel, … à très exactement 180° de la direction habituelle et mécanique de l’attention. Cette « ascèse », proposée par tous les courants spirituels depuis la nuit des temps, est devenue accessible à tous ceux qui le veulent vraiment grâce aux expériences – simples, concrètes, joyeuses, sans échappatoire – de la Vision du Soi selon Douglas Harding. N’en croyez pas un traître mot, essayez, vérifiez …
² – « Dommages indicibles » : Rilke a bien sûr vu l’Europe s’engouffrer dans la 1° Guerre mondiale, mais sa prescience (sensibilité & imagination & intelligence & …) de poète majeur lui a également soufflé que la « civilisation industrielle » était capable de bien pire … Polluer à peu près tout et jusqu’aux tréfonds de l’âme justement, pour parvenir – in fine …? – à déstabiliser le climat planétaire de manière décisive et durable …
Est-ce que grâce aux poètes et aux scientifiques « il y a de plus en plus de compréhension de la capacité de l’humanité à causer ces dommages indicibles » … ? J’en doute souvent. Nos comportements ne parlent encore guère en cette faveur. Les humains n’y parviendront pas tant qu’ils ne feront pas l’expérience d’Être le tout, d’avoir pour véritable corps l’univers entier, tant qu’ils ne seront pas libérés de l’illusion fatale de n’être qu’un corps & mental séparé d’un « environnement ».
NB : Vous connaissez sans doute le bon mot du Mahatma Gandhi qui, lors d’un voyage au Royaume-Uni, avait répondu à un journaliste qui lui demandait ce qu’il pensait de la civilisation occidentale :
« Ce serait bien. »
La civilisation occidentale ne semble pas encore être vraiment advenue … La Vision du Soi pourrait y contribuer très utilement. Comment … ?
³ – …tout simplement en permettant à celui qui le veut vraiment et qui a l’audace d’aller au bout de sa recherche de Voir clairement par lui-même, im-médiatement, qu’il EST en réalité cet « Espace pour ce qui peut se produire de nouveau ».
NB : tout le monde EST en réalité cet Espace, même ceux qui n’en ont pas conscience et/ou s’en défendent avec acharnement. Mais être consciemment et volontairement cet Espace change assez considérablement la donne. Essayez, vérifiez …
« Ce qui peut se produire de nouveau » : sans la conscience d’être cet Espace de conscience, il ne se passera effectivement rien de nouveau, « money and murder », as usual …
L’extrait ci-dessous de l’avant-dernier chapitre du « Très-Bas » de Christian Bobin – déjà bien présent sur volte-espace – décrit magnifiquement la « mère » de tous les cercles vicieux :
« Le monde veut le sommeil. Le monde n’est que sommeil. Le monde veut la répétition ensommeillée du monde. Mais l’amour veut l’éveil. L’amour est l’éveil chaque fois réinventé, chaque fois une première fois. Le monde n’imagine pas d’autre fin que la mort, cette extase du sommeil, et il considère tout à partir de cette fin. … L’enfant va à l’adulte et l’adulte va à sa mort. Voilà la thèse du monde. Voilà sa pensée misérable du vivant : une lueur qui tremble en son aurore et ne sait plus que décliner. C’est cette thèse qu’il te faut renverser. »
« Une multitude qui cherche de nouvelles façons d’en sortir » : il me semble que pour l’instant une multitude rabâche encore les anciennes façons … « de faire toujours plus de la même chose », ce qui bien entendu est le meilleur moyen pour « réussir à échouer ».
Cette formulation paradoxale de l’école de Palo Alto peut prêter à sourire, elle n’en demeure pas moins indépassable. Quand on procède ainsi à titre individuel, ce n’est grave que pour soi. Mais quand, comme Alain Chevillat entre autres, on persiste à maintenir ce cap erroné, on fait perdre du temps, de l’argent et de l’énergie à beaucoup de personnes … « Corruptio optimi pessima. » : « La corruption du meilleur engendre le pire ».
4 – Une civilisation digne de ce nom ne devrait-elle pas avoir pour principal, sinon unique, objectif de soigner et guérir cet « … obsession de l’humanité pour le pouvoir, le contrôle et l’accumulation matérielle » ? Notre « civilisation industrielle » qui entretient avec une vigueur toujours renouvelée (servitude « volontaire » envers la technostructure financière et techno-scientifique, publicité, consommation & compensation ostentatoires, …) ce processus, qui, pour une bonne part, repose sur des peurs très profondes risque tout simplement d’être « détruite » par lui. La confusion âme/esprit, l’ignorance de la tripartition corps & âme – esprit participe d’ailleurs très activement à ce processus de destruction.
Seule l’« âme » (re)tournée vers l’Esprit, en prise directe avec cette dimension intérieure aussi évidente qu’inconnaissable, mystérieuse …, serait peut-être en mesure de l’enrayer …
5 – NON. « Seule la fréquentation assidue de » l’Esprit – au sens de la tripartition anthropologique éminemment traditionnelle Corps & Âme -Esprit – « peut nous permettre » d’Être Espace « pour tout ce qui peut arriver ».