Je ne partage ci-dessous que la fin du texte (0) d’Alexandre Grothendieck, consultable intégralement ici.
« Au début, nous avions démarré sous la hantise d’une possible fin du monde où l’impératif essentiel, pour nous, était l’impératif de la survie¹. Depuis lors, par un cheminement parallèle chez beaucoup d’entre nous et d’autres ailleurs hors du groupe, nous sommes parvenus à une autre conclusion. Au début, nous étions si l’on peut dire overwhelmed, écrasés, par la multiplicité des problèmes extrêmement enchevêtrés, de telle façon qu’il semblait impossible de toucher à aucun d’eux sans, en même temps, amener tous les autres.
Finalement, on se serait laissés aller à une sorte de désespoir, de pessimisme noir, si on n’avait pas fait le changement d’optique suivant : à l’intérieur du système de référence habituel où nous vivons, à l’intérieur du type de civilisation donné, appelons-la civilisation occidentale ou civilisation industrielle, il n’y a pas de solution possible ; l’imbrication des problèmes économiques, politiques, idéologiques et scientifiques, si vous voulez, est telle qu’il n’y a pas d’issues possibles².
Au début, nous pensions qu’avec des connaissances scientifiques, en les mettant à la disposition de suffisamment de monde, on arriverait à mieux appréhender une solution des problèmes qui se posent. Nous sommes revenus de cette illusion. Nous pensons maintenant que la solution ne proviendra pas d’un supplément de connaissances scientifiques, d’un supplément de techniques, mais qu’elle proviendra d’un changement de civilisation. C’est en cela que consiste le changement d’optique³ extrêmement important.
Pour nous, la civilisation dominante, la civilisation industrielle, est condamnée à disparaître en un temps relativement court, dans peut-être dix, vingt ou trente ans … une ou deux générations, dans cet ordre de grandeur ; parce que les problèmes que pose actuellement cette civilisation sont des problèmes effectivement insolubles. Nous voyons maintenant notre rôle dans la direction suivante : être nous-mêmes partie intégrante d’un processus de transformations, de ferments de transformations d’un type de civilisation à un autre, que nous pouvons commencer à développer dès maintenant. Dans ce sens, le problème de la survie pour nous a été, si l’on peut dire, dépassé, il est devenu celui du problème de la vie, de la transformation de notre vie dans l’immédiat ; de telle façon qu’il s’agisse de modes de vie et de relations humaines qui soient dignes d’être vécus et qui, d’autre part, soient viables à longue échéance et puissent servir comme point de départ pour l’établissement de civilisations post-industrielles, de cultures nouvelles. »
Alexandre Grothendieck
Cordialement
0 – Plus exactement du cours, qu’Alexandre Grothendieck dispensa en tant que professeur associé au Collège de France, plutôt que d’enseigner les mathématiques … Son affectation n’a pas été renouvelée, une majorité de professeurs du Collège de France ayant voté contre, une première dans l’histoire de la vénérable institution.
¹ – En 1970 A. Grothendieck fonde le groupe écologiste et politique « Survivre et vivre » dans le but de propager ses idées antimilitaristes et écologistes.
NB : la collection complète des 19 n° de « Survivre et vivre » est accessible en pdf suite à la présentation générale.
Le plus célèbre de ses ouvrages est « Récoltes et Semailles », une autobiographie de près d’un millier de pages, écrite vers 1985, qui ne trouve pas d’éditeur. Il y montre comment sa vie a été successivement traversée par trois passions : les mathématiques, la quête de la femme et la méditation.
² – Cette réflexion rejoint celles de Vittorio Hösle, de Pierre Thuillier, de Thoreau, de Schumacher, de Masanobu Fukuoka … et de bien d’autres visionnaires.
Elle peuvent paraître un peu « raides » de prime abord, mais si nous prenions le temps de ralentir et de réfléchir, nous constaterions aisément que l’alternative à toutes ces réflexions & propositions consiste à persévérer dans l’erreur – business as usual -, à poursuivre la course à l’abîme …
³ – Un « changement d’optique » radical, c’est justement ce que propose la Vision du Soi selon Douglas Harding : une « vision » à double-sens, une vision ancrée dans notre Vraie Nature, dans le fondement de notre autoportrait, ce que le zen nomme le Visage Originel.
Est-ce que ce recours à cette méthode, à la fois novatrice et profondément traditionnelle, apparue à l’heure où les périls croissent et font système, sera susceptible d’éviter l’effondrement ou d’en limiter les effets les plus dévastateurs … seul l’avenir le dira.
C’est peut-être simplement de l’audace de quelques chercheurs & trouveurs que dépend la possibilité d’établir « des modes de vie et de relations humaines … dignes d’être vécus, … viables à longue échéance et qui puissent servir comme point de départ pour l’établissement de civilisations post-industrielles, de cultures nouvelles. »
Et si l’on essayait … pour de bon ?
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