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1 - Pratique de la Vision du Soi Fondamentaux Vision du Soi

Méditer – Jean-Marc – Revue VST n°9/07-2001

« Cette voie n’est pas une solution de rechange qui rendrait inutile toute méditation sérieuse. Elle ne nous dispense pas d’un travail convaincu et continuel sur nous-même, mais au contraire elle nous y stimule puissamment. »

Douglas Harding

Il est toujours nécessaire de s’efforcer d’être aussi clair que Douglas sur ce point. Notre difficulté réside dans la patiente valorisation, l’intégration continue et toujours perfectible d’une « Vision » évidente et absolument parfaite dès le départ.

« Trouver n’est rien, ce qui est difficile c’est de s’ajouter ce que l’on trouve. »

prévenait Paul Valéry, et ce bien avant l’avènement d’internet et de wikipedia !

Et Svami Prajnanpad, le maître d’Arnaud Desjardins, martelait quant à lui de précieux avertissements :

« There is no short cut. »  » You will have to pay the full price. »

qui demeurent entièrement valables pour la Voie Sans Tête.

Le zen, quant à lui, a constamment situé le début des choses sérieuses après l’éveil.

Et c’est dans ce sens là que je comprends le logion 81 de Thomas :

« Celui qui est devenu riche, puisse-t-il devenir roi. »

Je veux essayer d’expliquer ci-dessous comment la Voie Sans Tête a contribué à accomplir (et non à abolir … !) « ma »  pratique de méditation, et comment cette dernière m’aide en retour à intégrer la Vision.

En commençant par l’échange avec un maître japonais que rapporte Karlfried G. Dürckheim dans une cassette audio intitulée « Le sens de la vie ». Comment, à la question de son maître : « Quand méditez-vous ? », il ressent intensément qu’une seule des deux réponses lui venant à l’esprit : « Une heure chaque matin » ou « Toute la journée, chaque jour » se révélera insuffisante, vaine. Le silence le rapprochera de la nécessité du « non-deux », qui, là comme ailleurs, signifie beaucoup plus qu’une simple somme des deux parties.

En ce qui me concerne, j’éprouve le besoin de prendre un moment le matin, à l’heure où les conditionnements n’ont pas encore retrouvé leur toute puissance, pour m’asseoir en silence. M’incliner en fermant les yeux devant … les faits, l’évidence de ma propre perception du message de la nature. Audace (d’assumer totalement ma propre subjectivité) et humilité étroitement entremêlées, démarche si simple et si paradoxale. Si puissante aussi puisque le zen c’est zazen, puisque, comme le dit si magnifiquement Jacques Brosse « la posture exclut l’imposture ». Puis me redresser, m’installer confortablement dans mon assiette, abaisser et reculer le menton.

Enfin ouvrir … un œil unique, émerveillé, et découvrir un sol, des genoux, un ventre, un torse et, en poussant l’observation jusqu’au bout, tout au fond du tableau, une absence de tête, transformée instantanément en présence éveillée de l’ensemble de ce tableau, chaque nouvelle fois pour la première fois. Cette découverte … capitale (!), évidente, immédiate, et pourtant si négligée jusqu’à Douglas (bien que présente dans la plupart des traditions spirituelles : cf. Jean-Baptiste, le zen, le soufisme, …) s’accompagne de multiples et bienheureux effets.

Avec la disparition de ce « chef », si habile à poser inlassablement des limites intangibles entre lui et tout le reste, une profonde détente emplit tout le corps, désormais relié (par le ventre) à tout l’univers physique et (par le cœur) à toute la sphère du vivant. C’est la fin de la distance et du temps. Un sourire intérieur découle tout naturellement de cette bonne blague que l’univers vient de se jouer à lui-même. L’énigmatique expression de la plupart des représentations du Bouddha ne proviendrait-elle pas d’une expérience similaire, … renforcée par la prescience de l’adoration future de sa personne et de la multiplication de ses représentations … ?

Le zen, conscient du risque majeur de la fervente admiration (cf. Sœur Marie-Louise dans le chapitre 18 du  » Procès de l’homme qui disait qu’il était Dieu « ), utilise de violentes formules pour tenter de le conjurer : « Si tu rencontres le bouddha, tue le »« Ceux qui croient en la vacuité sont incurables. »

Ma forme vacille : qui est assis là, un homme, une femme, un nouveau-né, un vieillard, un kangourou, un hérisson, un iceberg, une coulée de lave, … ? puis s’écroule pour laisser place à l’absolue certitude du “ Je Suis ” central, entouré d’innombrables attributs périphériques. Une joie très profonde, centuplée par l’impossibilité de son appropriation … plutôt difficile à expliquer… Quelle chance puisque ainsi il ne vous reste plus qu’à essayer ! «… vous en savez la route ».

Voilà ce qu’en dit Yvan Amar dans « L’effort et la grâce » :

« La personne qui vit cette qualité de conscience devient en quelque sorte la salle de méditation de l’univers, le lieu où il médite sur lui-même. C’est un peu comme si elle était l’une des nombreuses portes de sortie de l’univers sur lui-même, mais d’où l’univers peut se contempler de façon beaucoup plus absolue que chez la plupart des individus qui n’ont fait aucune place en eux pour l’avènement de l’univers, que seul habite le bruit du quotidien inachevé, de toutes les relations avortées, de tout le tourment qu’engendre la quête du bonheur personnel. »

S’incliner à nouveau, devant … le Mystère, l’Abîme, l’Ouvert  révélé par l’observation des faits. Et/ou se rassurer en posant la tête au sol ! Se redresser, constater avec délices qu’absolument rien ne change lorsque les objets familiers sont observés en maintenant cette vision à double sens. De même avec les visages aimés autour du petit-déjeuner, et plus tard avec d’autres qui le sont parfois nettement moins … peu importe.

Tâcher de demeurer attentif, présent à ce qui est, “…prier sans cesse ” comme le propose Paul, toujours plus avant dans la journée, sans crispation mais résolument, en appréciant l’intense qualité du vécu qui en résulte.

« Dans notre méthode, méditer en vue de l’Illumination consiste à en jouir. »

Douglas Harding

Voilà pour moi une façon de nourrir cette Vision qui en a tant besoin. S’agit-il toujours de zen ? Peu importe “ au fond ” …

« Ce qui nous concerne ici, ce n’est pas tant le zen traditionnel que son esprit éternel et universel, un esprit éternellement fertile en renouvellements imprévisibles. »

Douglas Harding

Encore un dernier point, notamment pour ceux qui n’apprécient guère quelque posture de méditation que ce soit. Nisargadatta Maharaj propose dans ses ouvrages de s’endormir éveillé, peut-être pour parvenir à se réveiller moins endormi :

« Quand vous vous endormez, restez vigilant et rappelez-vous du “ Je suis le Brahman manifesté ” juste quand vous basculez dans le sommeil. En dormant votre transcendance précède le mental et continue aussi pendant le sommeil. »

« Conscience et absolu »  (page 100)

Cela me semble rejoindre « le concours de ces couches plus profondes sans lesquelles on ne peut faire sur soi-même aucun travail réel » qu’évoque Douglas dans « Vivre sans tête », et là pas besoin d’une méditation “ formelle ”, il suffit d’y penser au creux du lit, juste avant de basculer dans … le Mystère, l’Abîme, l’Ouvert.

 

Bonne pratique !

 

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Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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