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6 - Lectures essentielles Balmary Marie

Marie Balmary – Entretien sur psychologie.com en février 2013

Le texte ci-dessous est accessible à cette adresse, … où vous serez assommés de publicités diverses, variées et non désirées. Une certaine vision du progrès, un « élan vers le pire » …  Mais vous avez le choix désormais.

« La psychanalyse et la Bible

La psychanalyste Marie Balmary exerce à Paris depuis une trentaine d’années. On lui doit de nombreux ouvrages, qui allient outil psychanalytique et recherche biblique : Le Sacrifice interdit, La Divine Origine ou encore Le Moine et la Psychanalyste, tous disponibles en poche (LGF, “Le Livre de poche”, 1995, 1998 et 2007). Elle vient de publier, avec le théologien Daniel Marguerat, Nous irons tous au paradis.

Bertrand Révillon

Psychologies : Vous tentez de déchiffrer deux « langages » codés, deux « livres » à l’accès difficile, la Bible et l’inconscient. Comment vous est venu ce double intérêt ?

Marie Balmary : Jeune étudiante, je m’interrogeais sur le sens de mon existence, je  m’intéressais à l’art et aussi aux disciplines  qui cherchent à comprendre l’âme humaine : la philosophie, l’anthropologie… Après quelques échecs et détours, j’ai entrepris une psychanalyse : il me fallait traverser un désert, accéder à plus de vérité. J’ai choisi de faire des études de psychologie. J’ai passé dix ans à lire attentivement l’œuvre de Freud. Ce qui m’a particulièrement retenue dans cette plongée, c’est la question de l’offense faite à l’autre et de ses effets sur la vie psychique. Nous subissons des traumatismes qui nous marquent et nous blessent, et nous voyons parfois apparaître symptômes et angoisses dans notre vie. Je me suis trouvée devant la problématique du bien et du mal. Qu’est-ce qui fait du bien ? Qu’est-ce qui fait du mal ? Je me suis dit que le moment était peut-être venu de ré-entendre les commandements de Moïse, de m’approcher de certains grands textes et grands mythes bibliques. Et, pour tenter d’écouter au mieux ces paroles fondatrices, j’ai appris l’hébreu et le grec anciens.

Était-ce une redécouverte du christianisme de votre enfance ?

Marie Balmary : Élevée dans une famille catholique ouverte, j’ai baigné dans une culture chrétienne, entendu des textes de la Bible et du Nouveau Testament qui me touchaient. Je pressentais qu’il y avait là une  « source » qui avait nourri le génie d’artistes, Bach ou Fra Angelico. J’avais l’intuition que, loin des sermons moralisateurs qui m’horripilaient, la parole biblique révélait mystérieusement l’âme humaine. Aujourd’hui, je crois qu’effectivement la Bible en sait largement autant que Freud sur la maladie et la guérison.

Cette alliance de la Bible et du divan peut surprendre…

Marie Balmary : J’aurais bien aimé rencontrer les auteurs de la Bible. Ils ont cheminé en conscience et en humanité d’une manière souvent fulgurante. Prenez Abraham : voilà un homme qui commence par penser que son Dieu lui demande de sacrifier son propre fils Isaac. Puis il découvre que ce Dieu est celui qui interdit le sacrifice. Abraham, en se libérant de croyances obscures et oppressives, prend conscience qu’il y a une profonde correspondance entre son désir vivant de père et le désir divin. Voilà un récit qui parle au psychanalyste. Dieu n’est pas ce Père surpuissant et pervers qui exige notre souffrance et notre cruauté comme gage de fidélité … Freud peut dire ce qu’il veut sur sa non-croyance en Dieu, il n’en demeure pas moins pétri – tout juif mécréant qu’il affirme être ! – de la parole biblique. Il n’est donc pas si étonnant que Bible et psychanalyse se rencontrent.

Il y a, dans l’Évangile selon saint Jean, cet épisode du paralytique au bord de la piscine de Bethesda, dont vous faites une lecture surprenante…

Marie Balmary : C’est l’histoire d’un homme paralysé qui attend au bord d’une piscine dont l’eau aurait, dit-on, des propriétés miraculeuses. Dès qu’elle se met à remuer, il faut être le premier à s’y plonger pour guérir. Notre homme rate chaque fois le rendez-vous. Jésus s’approche et lui demande : « Veux-tu guérir ? » Comment ose-t-il poser une telle question à un grand malade ? Pourrait-il ne pas vouloir guérir ? Pourtant, cette question provocante révèle un appel à la vie. La poser, c’est déjà signifier sa confiance au paralysé : « Oui, en te posant cette question, je suis persuadé que tu peux trouver en toi la force pour te mettre debout. »

Cependant, un détail apparemment anodin du texte nous en apprend davantage : notre homme attend là depuis trente-huit ans. Tiens, pourquoi trente-huit années ? Lisant un jour ce texte avec un ami gynécologue, le chiffre trente-huit lui a immédiatement évoqué les trente-huit semaines d’aménorrhée d’une grossesse. Puis, en allant relire de près l’épisode de l’Exode, où le peuple hébreu erre pendant quarante années dans le désert, je me suis aperçue qu’il y avait un seul passage dans le texte où le chiffre n’est pas quarante, mais trente-huit. Il est dit qu’il a fallu trente-huit ans pour que meurent les derniers guerriers présents dans ce peuple. Voilà qui est intéressant : la porte de la Terre promise ne s’ouvre que lorsque le peuple ne compte plus de guerriers dans ses rangs, lorsqu’il est désarmé. C’est parce qu’il a « rendu les armes » que le peuple hébreu va enfin trouver l’accès à la Terre promise. Voici donc qu’il faut aussi, à notre paralysé, une longue gestation pour cesser de batailler contre lui-même, laisser tomber ses défenses, sortir de son enfermement psychique ; pour s’autoriser, grâce à la parole d’un autre – Jésus, qui s’adresse vraiment à lui –, à en finir avec cette attente. Ce paralytique, qui ne se croit pas capable, lui, de se bien porter, finit par s’éveiller à lui-même, par se lever et accéder enfin à sa « Terre promise », celle, sans doute, qu’il n’osait pas désirer. Un tel éveil à lui-même n’est-il pas le miracle par excellence ?

Cet épisode illustre-t-il ce que le patient éprouve à un certain moment de la cure analytique : des résistances, qui semblent mettre le verrou sur la guérison ?

Marie Balmary : Le psychanalyste constate effectivement des résistances chez le patient pris entre le désir de guérir et la peur de la voie à emprunter pour aller mieux. Il est pénible de ramener vers la conscience des souvenirs douloureux, des blessures, des culpabilités. Il est pénible d’accepter aussi de voir se briser une certaine image de soi, de laisser craquer le personnage gonflé et fantasmé de l’ego sous les poussées de l’être nouveau en train de naître. Tout cela coûte. Inconsciemment, nous tenons à notre symptôme.

La voie de la guérison passerait-elle par la mise en mots de notre symptôme ?

Marie Balmary : Le cheminement analytique va consister en un travail de relation entre le patient et le psychanalyste, qui vont s’accorder progressivement sur des mots et sur des significations. Le paralytique de notre passage d’Évangile va peu à peu trouver les mots pour dire pourquoi il ne marche pas, pourquoi il ne compte que sur les autres pour que « ça marche », pourquoi il lui était jusqu’à présent interdit de marcher par lui-même. Il attend des années un miracle qui le ferait marcher sans que ce soit lui qui marche. Sa conception magique de Dieu le laisse littéralement à terre.

La Bible et la psychanalyse nous apprennent, chacune à leur manière, à casser l’image que nous avons d’un Dieu tout-puissant ?

Marie Balmary :  Il n’est pas étonnant que nous ayons spontanément l’image d’un Dieu tout-puissant. Enfant, nos parents nous sont longtemps apparus comme tout-puissants. C’était rassurant pour les petits que nous étions. Cette longue dépendance infantile, nous pouvons la projeter sur un Dieu Père. Mais, peu à peu, notre relation à nos parents va changer, nous allons mettre dehors l’image fantasmée, idéalisée de parents et éducateurs ; de même que va changer notre image de Dieu. L’histoire biblique ne fait que raconter ce lent changement de regard sur Dieu, qui passe d’une posture de toute-puissance à une posture de relation et d’amour. Personnellement, je pense que, dans l’expression « Père tout-puissant », il y a une contradiction dans les termes : soit il est tout-puissant, soit il est père. Mais on ne peut pas être les deux en même temps ! Si Dieu est relation, amour, il n’est pas tout-puissant. On peut faire une première lecture de la Bible via le prisme de la toute-puissance et rester dans une relation infantile vis-à-vis d’un Dieu gendarme, d’une sorte de gigantesque surmoi, cet œil qu’évoque Victor Hugo. Dieu surveille tout, contrôle tout. Mais on peut aller progressivement vers une autre pensée sur ce Dieu, qui devient alors un éveilleur, un accoucheur ; et non plus un « castrateur ». Je ne suis plus la chose d’un Dieu dont il fait ce qu’il veut, je suis un sujet, parlant à la première personne, qui lui répond librement…

Le Dieu « juge », « Père tout-puissant » semble s’être fortement effacé aujourd’hui au profit d’un Dieu proche, gentil, qui ne juge plus personne, presque « impuissant ». Dans votre nouveau livre, écrit avec le bibliste Daniel Marguerat, vous vous interrogez : « Y a-t-il encore quelque part une instance de jugement ? »

Marie Balmary : D’abord, Daniel Marguerat confirme que les images terrifiantes du Jugement dernier n’ont pas d’appui dans la Bible ! Puis nous allons visiter en profondeur les figures du Dieu juge et les paraboles du jugement dans les textes bibliques.

Et que découvrez-vous ?

Marie Balmary : Devant ce juge, si la responsabilité humaine est bien là, la culpabilité disparaît au profit d’un appel à devenir soi, avec les autres. Le feu du jugement ne brûle que ce qui en nous peut brûler, c’est-à-dire ce qui, en nous, nous empêche l’accès à notre propre cœur.

Quand on est croyant, ne peut-on craindre que l’analyse introduise le doute en nous ?

Marie Balmary :  L’analyse vient très certainement briser certaines images que nous avons de Dieu. La cure analytique donne un grand coup de balai dans le Ciel ! Faut-il en conclure que celui-ci est désormais irrémédiablement vide ? Comment l’affirmer sans sombrer dans l’idéologie ? L’entrée en analyse témoigne d’une souffrance que ni notre propre volonté ni une croyance en un Dieu n’ont pu soigner ou apaiser. L’image que nous avons de nous et de Dieu – si nous sommes croyants – est en fait déjà fêlée lorsque nous entrons en analyse. Fêlure que l’analyse ne va pas colmater mais, au contraire, accentuer. On peut même parler de « destruction » de ce que l’on croyait sur soi et sur Dieu. Mais au profit de la naissance du sujet. C’est lui qui pousse au dedans et fait craquer le « vieil homme »…

Ainsi, la psychanalyse ferait advenir un « homme nouveau ». Et que devient l’image du « vieux Dieu » ?

Marie Balmary :  Ce « vieux Dieu », comme vous dites, va vraisemblablement disparaître. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour les systèmes religieux basés sur la culpabilité et la peur, à commencer par tous les intégrismes. Ces systèmes font tout pour que nous n’expulsions pas l’image du Dieu tout-puissant, qui leur permet d’asseoir leur pouvoir et de « régimenter » les consciences. Mais je crois qu’il vaut mieux des chaises vides dans les églises et que ceux qui s’y trouvaient soient vivants, en chemin.

L’expérience analytique conclut-elle à l’impossibilité de toute croyance ?

Marie Balmary : Je me demande si le Dieu qui demeure après que nous l’avons défait de ses oripeaux d’idole toute-puissante est encore « au Ciel ». Peut-être découvre-t-on alors que le Ciel est descendu sur Terre, au cœur de la relation humaine, qu’il est « en nous », comme disent les grands mystiques. Saint Augustin, lors de sa conversion, découvre que Dieu était « en » lui, mais que lui-même était « hors » de lui. L’entrée en soi nous fait découvrir que nous sommes à la fois tout à fait seuls et « habités », qu’il y a, en nous, de la présence ; libre à nous de la nommer « Dieu », « amour », « vérité » ou « désir »… Si Dieu existe, s’il nous aime, je crois – et je lis dans les textes bibliques – qu’Il nous parle de la même façon que notre conscience la plus profonde, que notre désir le plus intime. »

NB : Concernant « Nous irons tous au paradis » voir aussi cet billet.

 

Cordialement

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

4 réponses sur « Marie Balmary – Entretien sur psychologie.com en février 2013 »

Bonjour,

Elle exerce sa profession de psychothérapeute sur Paris. Je n’ai pas d’adresse précise à vous communiquer.
Cordialement

Bonjour,
J’ai rencontré Marie Balmary au Salon « Écritures et Spiritualités ».
J’aimerais la recontacter au sujet de son livre « La psychanalyse et la Bible ».
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me communiquer son e-mail.
Merci.
Sincèrement,
René C h a i l l i é

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