« Comme la plupart des gens, vous devez être frappés par l’absurdité du credo de l’accusé. Il y a longtemps que les philosophes lui ont donné un nom : c’est le solipsisme. Ils appellent ainsi ce subjectivisme extrême, ce mélange de naïveté et d’orgueil, qui crie : « Hé, devinez quoi ! Je n’ai jamais rencontré un autre Je ! Ce sont tous des lui, des elles, des eux – tous des robots, hommes, femmes et enfants sans exception. Moi seul Je suis la Conscience Indivisible, l’Unique ! Hurrah ! » Aucun philosophe digne de ce nom ne perd son temps avec un tel délire. Ils ne songent pas à le réfuter, ni même à le désapprouver, tout simplement ils n’en ont rien à faire. Ça n’a pas de sens, aucune valeur, et c’est une impasse.
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Les psychologues sont encore plus sévères. Ils appellent cela : régression. C’est-à-dire un retour à l’égocentrisme infantile avec ses illusions de toute-puissance, une manière de fuir les tristes et dures réalités de la vie adulte en essayant de retrouver le temps où les choses et les gens n’étaient pas autres, pas séparés de soi. Où tout existait pour nous servir. Et plus loin encore, le temps où nous étions à l’abri dans la chaleur et la sécurité solitaire de la matrice. C’est une maladie née de la peur du monde réel et du refus de relever ses défis. Autrement dit, un refus de grandir, une évasion à grande échelle, le fantasme régalien d’un marginal qui rêve de dominer le monde. Le rêve chimérique d’un toxicomane.
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Si quelqu’un s’est jamais rendu coupable de blasphème, de ce crime suprême contre l’homme et son Créateur, c’est bien cette créature-là sur le banc des accusés. Vous ne pouvez faire autrement que le déclarer coupable du crime dont il est inculpé. »
Cordialement
NB : John a-Nokes n’a pas besoin de moi pour se défendre, il le fera très bien tout seul dans le prochain chapitre.
Mais juste une remarque : l’accusation se transporte d’emblée sur le terrain de la « maladie », philosophique et psychologique. L’ambiance lourde de ce chapitre rappelle les grands procès soviétiques, l’œuvre d’Orwell, l’ « analyse » freudienne du sentiment océanique de Romain Rolland, … Bref, tout cela ne sent pas très bon.