« L’art roman semble célébrer le mystère de la présence, dire : ici. N’étant pas mystique, je le préfère de beaucoup au gothique qui dit : là-bas. … L’église romane, qui compose avec le paysage, est faite des pierres du pays par les gens du lieu, elle est un produit local comme le fromage ou le vin … Elle vient de la terre, elle est du monde au sens de mundus : la profondeur ténébreuse par où l’on accède à la lumière. »
« Histoire personnelle de la France », François George
Étonnant d’être tombé « par hasard » sur ce passage alors que, négligemment, je feuilletais ce livre avant de l’emballer pour le vendre !
Je reviendrai ci-dessous sur la dialectique du « Ici » et du « là-bas », chère à la Vision du Soi selon Douglas Harding. Mais situons d’abord le passage : après avoir cité la fameuse remarque de Raoul Glaber à propos du commencement du deuxième millénaire*,
« C’était comme si le monde entier se libérait, rejetant le poids du passé et se revêtait d’un blanc manteau d’églises. »
… l’auteur développe ce commentaire à propos de l’église abbatiale de Ste-Foy de Conques. Une abondante littérature a été consacrée à ce monument, que vous trouverez sans difficulté. Mais permettez moi de vous offrir cette visite virtuelle de Ste-Foy de Conques, d’une grande qualité. Ce site vous offre également énormément d’informations sur l’art roman.
« Ici » et « là-bas » : tout atelier de Vision du Soi constitue un va-et-vient entre ces deux « lieux », et plus exactement entre l’espace d’accueil d’une part, et tout ce qu’il contient d’autre part. Les diverses expériences d’attention proposent de voir clairement cet « Ici » – « profondeur ténébreuse par où l’on accède à la lumière » – de le voir d’abord, d’échanger ensuite en toute liberté sur ses implications concrètes, et, seulement dans un troisième temps, de faire le lien, si nécessaire, avec diverses expressions traditionnelles qui l’évoquent.
Voir parfaitement cet « Ici » … alors que les autres options généralement proposées se rattachent à une des trois catégories suivantes :
- « Ici » n’existe pas, pas la peine de perdre son temps avec ces élucubrations provenant d’un passé révolu
- « Ici » est un merveilleux prétexte pour parler, écrire, créer, … mais y accéder risquerait de mettre fin à toutes ces activités passionnantes … et parfois lucratives. Mieux vaut rester soigneusement à distance.
- « Ici » est parfaitement réel mais nécessite pour un disciple qualifié des dizaines d’années d’efforts soutenus, guidé par un « maître » certifié et clairement inséré dans sa lignée … C’est loin d’être accessible au commun des mortels.
… quelle prétention insensée me direz vous ! Que puis-je vous répondre d’autre que : participez à un atelier de Vision du Soi, et vous verrez … bien ! Vous verrez ce que vous verrez, et pas ce que l’animateur de l’atelier « veut dire » ! Tout ce que Douglas, Catherine, Richard, José, Philippe, Magali, quelques autres … et moi-même avons écrit ou écrivons n’est pas à croire mais à tester, à vérifier soigneusement par votre expérience personnelle.
Cette vision parfaite d’« Ici » rétablit instantanément l’unité avec le « là-bas ». Plus exactement la silencieuse coïncidence d’« Ici » et de « Là-bas » est reconnue (cf. le satori, du verbe japonais satoru : reconnaître) dès lors que vous réalisez (kensho) l’illusion de la dualité entre le « petit » et le « Grand », entre le « Je Suis » et tout l’univers, dès lors que vous dé-couvrez votre « visage originel », votre vraie nature.
Il me semble que le Christ ci-dessus représente dans le plan du tympan l’union du haut et du bas, du « Ici » et du « là-bas ». Il me semble plus efficace de la représenter en volume par ce geste simple matérialisant la Vision conjointe vers l’intérieur, « Ici », et vers l’extérieur, « là-bas ». Encore une fois, faites ce geste, vérifiez …
C’est peut-être cela qui est véritablement mystique, ce mystère de l’évidence de la réconciliation, de la non-dualité, du Ici et du là-bas.
* : Je ne résiste pas au plaisir de compléter cet article par un extrait un peu plus large, généralement oublié, plus ou moins volontairement … :
« Trois années n’étaient pas écoulées dans le millénaire que, à travers le monde entier, et plus particulièrement en Italie et en Gaule, on commença à reconstruire les églises, bien que pour la plus grande part celles qui existaient aient été bien construites et tout à fait convenables. Il semblait que chaque communauté chrétienne cherchait à surpasser les autres par la splendeur de ses constructions. C’était comme si le monde entier se libérait, rejetant le poids du passé et se revêtait d’un blanc manteau d’églises. Presque toutes les églises épiscopales et celles de monastères dédiées aux divers saints, mais aussi les petits oratoires des villages étaient rebâtis mieux qu’avant par les fidèles. ».
Donc il semblerait bien, à lire Raoul Glaber, que rien n’a vraiment changé, que le poids du passé continue de dicter leur conduite aux hommes, continue d’alimenter l’éternelle rivalité mimétique chère à René Girard. Que cette frénésie de construction soit parfumée de christianisme ne change rien au fond de l’affaire : l’homme ne change pas, le « petit » essaye toujours vainement de se consoler de la perte, illusoire, du « Grand » en s’efforçant de surpasser les autres.
Je ne connais pas assez bien l’œuvre de René Girard pour savoir si elle évoque et étudie la Vision du Soi de Douglas Harding, qui représente peut-être la seule alternative simple, concrète et aisément partageable à l’effondrement programmé par la rivalité mimétique … Je vous laisse commencer la recherche sur les sites de l’Association Recherches Mimétiques.
Douglas qualifiait parfois ces innombrables édifices « religieux » de « pots-de-vin sur l’absolu » …
Cordialement