Pour documenter un atelier de Vision du Soi en lien avec l’Évangile de Thomas, j’ai été amené à reparcourir un livre déjà ancien, et, étant donnée sa grande richesse, peut-être un peu trop oublié :
« Graf Dürckheim – Dialogue sur le chemin initiatique »
La première édition date de 1979 (Éditions du Cerf), et l’ouvrage est désormais disponible en poche chez Albin Michel, collection Spiritualités Vivantes.
Des questions et des réponses précises, exigeantes, dans le cadre d’une relation de grande qualité : un vrai bonheur de lecture pour ceux que le sujet intéresse.
« Ce que j’ai vécu alors, je l’appelle la grande expérience de l’Être … J’avais vingt-quatre ans, … Ma future épouse, Madame von Hattingberg, était assise sur la table, et à côté d’elle il y avait un livre … Et voici qu’elle ouvre ce livre et lit à haute voix le onzième verset du Tao-te-King de Laotse :
Trente rayons autour d’un moyeu : dans le vide médian réside l’œuvre du char. On creuse l’argile et elle prend la forme de vases : c’est par le vide qu’ils sont des vases. On perce des portes et des fenêtres pour créer une chambre : c’est par ces vides que c’est une chambre. Par conséquent : ce qui est sert à l’utilité, ce qui n’est pas représente l’essence.
Et soudain Cela arriva ! … J’écoutais et l’éclair me traversa … Le voile se déchira, j’étais éveillé ! Je venais de faire l’expérience de « Cela ». Tout existait et n’existait pas, ce monde et à travers celui-ci la percée d’une autre Réalité … Moi-même j’existais et je n’existais pas. J’étais saisi, dans l’enchantement, ailleurs et pourtant bien là, heureux et comme privé de sentiment, très loin et en même temps profondément enraciné dans les choses.
Toute la réalité qui m’entourait était tout à coup formée de deux pôles : l’un qui était le visible immédiat et l’autre un invisible, qui était au fond l’essence de ce que je voyais. Je voyais vraiment l’Être … En allemand on dirait avec Heidegger : das Sein in Seienden. Je voyais l’Être dans l’Etant. Et Cela m’a si profondément touché que j’avais l’impression de ne plus être tout à fait moi-même. Je sentais que j’étais rempli d’une chose extraordinaire, immense, qui me remplissait de joie et en même temps me plongeait dans un grand silence. Je restais à peu près vingt quatre-heures dans cet état. … Et, depuis, je crois que cela ne m’a jamais quitté. … »
K. G. Dürckheim n’avait « que » vingt-quatre ans, mais il sortait tout juste de quatre ans de guerre comme officier dans l’armée allemande, en France (Verdun), Serbie, Italie, Roumanie : une expérience décisive pour le reste de sa vie, de son œuvre et de son enseignement.
« Subitement, la vie n’était plus quelque chose d’évident, mais une plénitude surnaturelle sur l’arrière-plan terrifiant de la non-vie », écrit-il suite à la « rencontre » de son premier cadavre.
Le logion 70 de Thomas propose une belle et sobre correspondance avec le « Cela » évoqué ci-dessus :
« Quand « cela » sera engendré en vous, « cela » vous sauvera. Si vous n’avez pas « cela », l’absence de « cela » vous tuera. »
Dans un atelier de Vision du Soi selon Douglas Harding, il n’est question que de « Cela » : faire quelques expériences d’attention simples pour voir que « Tu es Cela« (Chandogya Upanishad) et partager quelques moyens habiles pour transformer peu à peu l’expérience en exercice. Ensuite, c’est à vous de jouer.
NB : Cf. également l’article intitulé « La grande expérience ».
Cordialement