Le 20 avril 2014, Les Racines du Ciel recevaient Sylvie Germain et Nathalie Sarthou-Lajus, deux des auteur(e)s de « Cinq éloges de l’épreuve – Regards croisés sur l’espérance » qui vient de paraître aux éditions Albin Michel.
Lors de cette belle émission, Sylvie Germain, après avoir précisé : « Tout est dit à travers cela », cite, de mémoire « … quatre vers¹ très brefs de Rainer Maria Rilke » :
« Que cela est petit,
Avec quoi nous luttons,
Comme cela est grand,
Ce qui lutte avec nous. »
Impossible de ne pas faire immédiatement le lien avec la Vision du Soi selon Douglas Harding. Toute l’exceptionnelle efficacité des expériences de cette méthode n’a d’autre objectif que permettre de réaliser l’asymétrie absolue entre ce « petit », à quoi à peu près tout – du langage à la plupart des structures sociétales, vecteurs de notre propre ignorance de nous-même – s’efforce de nous réduire, et ce « Grand », cet espace d’accueil illimité et inconditionnel qui est ce que nous sommes tous, notre vraie nature.
Oui, ce « petit » figuré dans la zone « je suis humain » de ce dessin majeur de Douglas ne dispose que de ressources étroitement limitées, celles du Corps et de l’Âme (selon la terminologie de Michel Fromaget). Ses facultés physiques et mentales déclinent inéluctablement lors de l’avancée en âge. Certaines assez rapidement d’ailleurs, et il n’est que trop certain que ce « petit » nous laissera définitivement tomber un jour ou l’autre …
Comme ce « petit » occupe cette zone avec 7,2 milliards d’autres, et qu’il n’envisage guère d’autre mode de relation avec son semblable que le « face à face », rien d’étonnant que sa principale activité soit la lutte. Cette zone ressemble ainsi, globalement, à un immense ring …
Que cela est petit, avec quoi nous luttons, …
Wie ist das klein, womit wir ringen, …
Seul un déplacement² effectif d’environ un mètre – depuis son apparence périphérique perçue à distance par les autres jusqu’à sa Réalité intime perçue par lui-même – lui permet de revenir Ici au centre, dans le « Je Suis » qu’il n’a jamais vraiment quitté … l’Esprit … l’Ouvert …, dans cet espace d’accueil illimité et inconditionnel, ce vide absolu qui se remplit instantanément des autres et de tout l’univers …
Plutôt que de prolonger inutilement ce que Douglas appelait le « bla-bla-bla », et si nous nous retrouvions prochainement lors d’un atelier de Vision du Soi ? Vous seriez alors en mesure de faire plusieurs expériences de première main – celle de la Carte notamment, qui réunit sur un même support le « petit » et le « Grand » – et de tester, vérifier, mettre en doute, … l’incroyable hypothèse³ :
comme cela est grand, ce qui lutte avec nous ;
was mit uns ringt, wie ist das groß ;
Toutes contraintes d’assonance et de versification mises à part, il est aussi possible de se demander si « cela » lutte à nos cotés ? Cela, n’est-ce pas plutôt la seule possibilité de déposer enfin les armes, de se détendre et de demeurer dans … la paix véritable ? Cela, n’est-ce pas ce en quoi nous avons « … la vie, le mouvement et l’être … » (Actes des apôtres 17,28), « … une place dans le Repos » (Thomas, logion 60) ou encore « l’être, la conscience et la béatitude » (sat – chit – ânanda) ?
Comment expliquer que nous soyons encore majoritairement assez idiots au point de refuser cette grande parole, cette parole agrandissante de la Chandogya Upanishad adressée à chacun d’entre nous : « Tu es Cela – Tat tvam asi » … ?
L’évangile de Thomas formule assez simplement l’équation :
« Quand Cela sera engendré en vous, Cela vous sauvera.
Si vous n’avez pas Cela, l’absence de Cela vous tuera. »
Logion 70
Cordialement
¹ – Ces vers figurent dans le poème « Der Schauende » : « Le contemplateur » – parfois également traduit « Le visionnaire » – dans « Le livre des images » (Deuxième partie du deuxième livre).
Comme Sylvie Germain a évoqué quatre vers, j’ai conservé la présentation ci-dessus qui met bien en valeur « petit » et « grand » et facilite la mémorisation.
En réalité il s’agit de deux vers, dont il existe de multiples traductions … fort diverses :
« Combien petit ce contre quoi nous luttons,
mais ce qui lutte contre nous, comme c’est grand ! »
Traduction de Jean-Claude Crespy dans l’édition de La Pléiade
C’est pourquoi l’original figure au bas de cet article. L’Ouvert étant, par nature, une source inépuisable … que chacun établisse la traduction qui correspond le mieux à son niveau d’être.
² – Un atelier de Vision du Soi n’a d’autre ambition que de vous faciliter ce trajet. Douglas et tous les amis qui partagent la Vision du Soi sont en quelque sorte des tours-opérateurs spécialisés dans ce merveilleux et essentiel voyage d’un mètre, du moi au Soi, de l’apparence périphérique à la Réalité centrale, … Et comme en fait aucun d’entre nous n’a jamais quitté le Centre, ce voyage est également le plus écologique qui soit !
³ – « The Toolkit For Testing The Incredible Hypothesis » (La Trousse à Outils pour Tester l’Incroyable Hypothèse), est un manuel d’atelier pour deux personnes, conçu par Douglas Harding en 1972. « L’Incroyable Hypothèse » fait référence à une citation de Tennyson :
« Plus proche que la respiration, plus proche que les mains et les pieds, c’est là où Il demeure. »
&
« Der Schauende », sur le site rilke.de
Ich sehe den Bäumen die Stürme an,
die aus laugewordenen Tagen
an meine ängstlichen Fenster schlagen,
und höre die Fernen Dinge sagen,
die ich nicht ohne Freund ertragen,
nicht ohne Schwester lieben kann.
Da geht der Sturm, ein Umgestalter,
geht durch den Wald und durch die Zeit,
und alles ist wie ohne Alter :
die Landschaft, wie ein Vers im Psalter,
ist Ernst und Wucht und Ewigkeit.
Wie ist das klein, womit wir ringen,
was mit uns ringt, wie ist das groß ;
ließen wir, ähnlicher den Dingen,
uns so vom großen Sturm bezwingen, –
wir würden weit und namenlos.
Was wir besiegen, ist das Kleine,
und der Erfolg selbst macht uns klein.
Das Ewige und Ungemeine
will nicht von uns gebogen sein.
Das ist der Engel, der den Ringern
des Alten Testaments erschien :
wenn seiner Widersacher Sehnen
im Kampfe sich metallen dehnen,
fühlt er sie unter seinen Fingern
wie Saiten tiefer Melodien.
Wen dieser Engel überwand,
welcher so oft auf Kampf verzichtet,
der geht gerecht und aufgerichtet
und groß aus jener harten Hand,
die sich, wie formend, an ihn schmiegte.
Die Siege laden ihn nicht ein.
Sein Wachstum ist : der Tiefbesiegte
von immer Größerem zu sein.
[NB : le site rilke.de est un véritable trésor en langue allemande, mais si vous allez sur l’onglet « Gedichte » et descendez un peu dans la page, vous découvrirez bon nombre de poèmes écrits directement en français sous la rubrique « Gedichte in französischer Sprache ». Il ne semble pas possible d’établir un lien direct, d’où ces explications.]