Voici le texte du premier projet de chronique mensuelle de l’association A Ciel Ouvert Maurienne dans l’hebdomadaire local, La Maurienne.
Comme ce texte n’a pas (encore … ?) été retenu pour des raisons plutôt mal élucidées – « … pas assez compréhensible par une majorité de lecteurs … » … ? – nous le soumettons à l’appréciation d’un large public sur le wouèbe.
« Éclairer une lanterne plutôt que maudire les ténèbres
Cette chronique d’A Ciel Ouvert Maurienne voudrait prendre le relais de l’ultième Récit d’Yves. Le 1/09/2016 Posit’Yves invitait d’une part à « Éclairer une lanterne plutôt que maudire les ténèbres », d’autre part à nous « engager dans un monde plus ouvert, plus beau, plus fraternel, plus solidaire, plus spirituel … (0) »
Chiche ! Mais … comment ? De nombreuses personnes de bonne volonté se consacrent déjà, chacune à sa façon, à la tâche évoquée par Albert Camus : « empêcher que le monde se défasse¹ ». Qu’elles soient remerciées de rendre ce monde vivable.
Nous souhaitons faire notre part en proposant quelques moyens un peu passés de mode, mais qui ne manquent pas de cohérence².
L’objet de notre association³ est :
« l’étude et la transmission des sagesses du monde pour un développement de la sagesse dans la société moderne ».
Si cette dernière déborde de connaissances et d’efficacité techniques, elle ne brille guère par l’ouverture et la fraternité (4). Pourquoi ? Peut-être parce que nous n’avons pas vraiment commencé par l’essentiel : nous relier à notre dimension la plus profonde, source de sagesse, de vision et d’action justes. Et que nous ne semblons toujours pas décidés à investir sérieusement – individuellement et collectivement – dans cette direction là (5). Si une sortie de « crise » existe, ne serait-elle pas d’abord d’ordre intérieur, pour réinsérer harmonieusement l’homme au sein de la nature, lui rendre sa dignité de conscience, refonder des relations fraternelles, … ?
Cette chronique voudrait également s’inscrire dans la continuité des précédentes, Généalogie et Patrimoine :
« S’intéresser à ceux qui nous ont précédés et continuent de vivre en nous … »
Oui, mais sans négliger la longue liste des chercheurs en humanité de tous les temps et de toutes les cultures : sages, poètes, philosophes, … (6) La qualité de notre avenir commun dépend étroitement de l’exemple de ces grands vivants, orientés vers l’être plus que vers l’avoir et le pouvoir. Comme nos « clochers et clochetons » s’enracinent pour la plupart dans leurs réflexions et leurs vies, il serait sans doute très utile de préserver aussi ce patrimoine de sagesse, clé d’un avenir pleinement humain.
Pour éviter un éparpillement – tout aussi risqué dans ce domaine que dans ceux de la Généalogie et du Patrimoine – nous proposons :
- premièrement de se recentrer sur l’expérience d’une méditation (7) aussi ouverte et utile que possible, et …
- deuxièmement, de se référer à un texte court, pratique et laïc : la Charte de l’Europe des Consciences.
C’est à la lueur de ces « lanternes » que nous essaierons d’éclairer l’actualité de la vallée au long de l’année. »
« Le monde veut le sommeil. Le monde n’est que sommeil. Le monde veut la répétition ensommeillée du monde. Mais l’amour veut l’éveil. L’amour est l’éveil chaque fois réinventé, chaque fois une première fois.» (8)
Christian Bobin – Le Très-Bas
Cordialement
0 – Le mot « spirituel » constitue un bon indicateur du degré d’ouverture (d’esprit … !) des médias, et pas que de la presse de province. Yves a pu se permettre de l’employer in fine dans sa dernière chronique. Apparemment il était hors de question de commencer une autre série à partir du même mot …
Ce petit signe confirme, s’il en était encore besoin, cette juste remarque de Georges Bernanos :
« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. Hélas ! la liberté n’est pourtant qu’en vous, imbéciles ! »
La France contre les robots, VI
Pléiade Essais et écrits de combat tome II, 1995, p. 1025
¹ – Discours de réception du Prix Nobel de littérature, prononcé à Oslo le 10 décembre 1957 :
« … Mais il reste que la plupart d’entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d’une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l’instinct de mort à l’œuvre dans notre histoire.
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.«
Sommes-nous véritablement sortis du « nihilisme », d’un autre genre de nihilisme, plus doux, plus « soft » et de ce fait d’autant plus redoutable ? La spiritualité, n’est-elle pas tout simplement un « art de vivre par temps de catastrophe », un art de « naître une seconde fois » pour désamorcer « l’instinct de mort à l’œuvre dans notre histoire », dans toute histoire qui se réduit au corps & mental, à la production & consommation ?
² – Cette cohérence, cet appel de Gandhi à être soi-même le changement que l’on souhaite voir dans le monde, c’est sans doute cela qui dérange le plus nos contemporains. Pour la plupart ils ne voient aucune incohérence à vouloir « le beurre et l’argent du beurre », à vouloir la croissance sans la pollution et les maladies de civilisation, à vouloir l’inégalité sans l’insécurité, etc … (Très longue liste !)
³ – A Ciel Ouvert Maurienne est un groupe local, parmi d’autres, de A Ciel Ouvert. Notre objet associatif commun est notamment soutenu par la revue Sources – Pour une vie reliée.
4 – Cf. la réflexion de Marie Balmary dans « Abel ou la traversée de l’Éden » :
« La fraternité, seul devoir parmi nos droits, cette fraternité, dernier vœu de la devise française, en avons-nous les moyens ? Connaissons-nous les voies pour atteindre ce bonheur ? Et même, plus radicalement, notre culture n’a-t-elle pas construit une autre image de l’homme, image dans laquelle la fraternité n’a, en fait, plus sa place ? »
5 – Ce ne sont pas seulement des journaux locaux comme La Maurienne et le Dauphiné Libéré, mais la plupart des grands médias qui continuent de nous servir « toujours plus de la même chose », sans la moindre ouverture, sans la moindre espérance. Ou alors une espérance en la technologie … « qui elle finira bien par trouver une solution aux désordres du monde … et de l’homme ». Cela serait presque risible si ce n’était autant pitoyable, et surtout dangereux : à force de proposer « toujours plus de la même chose », on finit par « réussir à échouer ».
Une des forces de la Vision du Soi selon Douglas Harding est sans doute d’offrir une possibilité simple, rapide, concrète, efficace, … pour réorienter l’histoire humaine vers l’intérieur … L’avenir le dira … s’il y en a un !
6 – Il existe des anthologies plus récentes, mais ma préférence continue d’aller à celle d’Aldous Huxley : « La Philosophie Éternelle ».
7 – Chaque mardi à 19 H dans la salle 1 – 3 du Centre Louis Armand à St-Jean de Maurienne. Merci d’être là dès 18 H 55.
8 – La version complète de la citation est la suivante :
« Le monde veut le sommeil. Le monde n’est que sommeil. Le monde veut la répétition ensommeillée du monde. Mais l’amour veut l’éveil. L’amour est l’éveil chaque fois réinventé, chaque fois une première fois. … L’enfant va à l’adulte et l’adulte va à sa mort. Voilà la thèse du monde. Voilà sa pensée misérable du vivant : une lueur qui tremble en son aurore et ne sait plus que décliner. C’est cette thèse qu’il te faut renverser. »
Je crains fort que cette version n’ait quelque peu effrayée la (trop) sage rédaction de La Maurienne ! Et pourtant … Bobin n’a t-il pas entièrement raison ?