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L’Inde de Modi : national-populisme et démocratie ethnique

Voici la présentation du livre « L’Inde de Modi : national-populisme et démocratie ethnique » sur le site des éditions Fayard.

« Au terme d’une longue enquête, Christophe Jaffrelot livre le portrait saisissant d’une Inde nationaliste, dont les dirigeants ont su profiter du jeu électoral pour exclure et mettre en place une véritable démocratie ethnique (0).

En Inde comme dans bien d’autres pays, la nation ne se définit pas seulement sur le mode ouvert de la citoyenneté, mais aussi sur celui, fermé, de l’ethnicité. Le premier a longtemps été représenté par le parti du Congrès de Gandhi puis de Nehru, et le second par les nationalistes hindous, pour lesquels la communauté majoritaire, faite de fils du sol, incarne l’Inde éternelle¹, tandis que les chrétiens² et les musulmans³ sont des pièces rapportées devant prêter allégeance aux symboles hindous pour être reconnus comme des Indiens à part entière.

Né dans les années 1920, le nationalisme hindou n’a pris son essor que dans les années 1990 avant de conquérir le pouvoir en 2014. Ce tournant doit beaucoup au populisme de son leader, Narendra Modi, une personnalité atypique qui a d’abord gouverné la province du Gujarat –  où il s’est imposé, suite au pogrom antimusulman de 2002, grâce à ses succès économiques et au soutien des milieux d’affaires, avant de conduire son parti, le BJP, à la victoire.

En cinq ans, les nationalistes hindous ont changé la face de l’Inde. Non seulement ils ont mis au pas les tenants du sécularisme (universitaires, ONG …), mais ils se sont aussi attaqués aux chrétiens et aux musulmans au point de les marginaliser dans les assemblées nationales et régionales, et, surtout, de mettre en place une police culturelle. Ce dispositif, s’il ne s’est pas traduit par des réformes constitutionnelles, donne aujourd’hui naissance à une démocratie ethnique de fait. »

Christophe Jaffrelot, ancien directeur du CERI, est directeur de recherche au CNRS et enseignant à Sciences Po. Il est le grand spécialiste de l’Asie du Sud et s’intéresse plus particulièrement à sa politique, au carrefour des dynamiques sociales et religieuses.

 

Cordialement

 

0 – Oxymore majeur, au moins autant que celui de « démocratie illibérale » !

« Indolâtre progressiste » en serait-il un autre … ?

¹ – Tous ces connards (appelons-les résolument par leur nom) qui prétendent indûment se référer à « l’Inde éternelle » feraient mieux de lire soigneusement ses textes – les Upanishads notamment – au lieu de les brandir comme des pamphlets et d’appeler à la haine de l’autre en leur nom. (Et bien sûr cela vaut aussi pour les divers ultraorthodoxes du sol et des valeurs éternelles, soi-disant religieuses, dans … la quasi totalité des pays.)

« La grandeur de l’Inde » selon Svami Prajnanpad, consiste plutôt en ceci :

« Ébranlez et faites tomber tous les murs qui divisent. Serrer chacun contre son cœur comme s’il était un membre de sa propre famille, cela seul est digne d’un homme. »

Comme tous les populistes « aveugles » qui l’ont précédé dans l’histoire, Narendra Modi – « maudit » … – entraînera vraisemblablement son pays dans la ruine. Ce n’est qu’un minable exemplaire de plus de la catégorie « gangster jouvenceau ». Un de trop … La roue éternelle de la loi, du « dharma », représentée sur le drapeau national de l’Inde par le chakra de l’empereur (bouddhiste) Ashoka, tournera, mais son mouvement sera assurément accompagné de violences …

Quelques jours avant l’Indépendance de l’Inde le 15 août 1947, l’Assemblée constituante adopte un drapeau acceptable par tous les partis et toutes les communautés. Sarvepalli Radhakrishnan, qui devient plus tard le premier Vice-président de l’Inde, déclare :

« Bhagwa, la couleur safran, exprime la renonciation et le désintéressement. Nos leaders doivent être indifférents aux gains matériels et se dédier entièrement à leur travail. Le blanc au centre est la lumière, le chemin de la vérité qui guide notre conduite. Le vert montre notre relation avec le sol, notre relation avec la flore de laquelle dépend toute autre vie. Le chakra d’Ashoka au centre est la roue de la loi de dharma. Vérité ou satya, dharma ou vertu doivent être les principes de ceux qui travaillent sous ce drapeau. De plus la roue exprime le mouvement. La mort est dans la stagnation. La vie est dans le mouvement. L’Inde ne devrait plus résister au changement, elle doit bouger et aller de l’avant. La roue représente la dynamique d’un changement paisible »

² – Que serait-il advenu d’une grande âme comme Henri Le Saux & Swami Abhishiktananda dans une telle « démocratie ethnique » ? Il aurait sans doute été froidement assassiné par un jeune « fils du sol » lors d’une de ses nombreuses pérégrinations …

Que va-t-il advenir des ashrams du Shantivanam et de Kurisumala, hauts-lieux du dialogue hindou & chrétien ? Les chrétiens hindous vont-ils subir le même sort que les chrétiens d’Orient ?

³ – Et que pensent tous les connards interpellés ci-dessus de cette « pièce rapportée » nommée Kabir, considéré comme « le père de la langue et de la littérature hindi », vénéré comme un saint hindou & musulman ? Mais ces gens-là ne pensent pas, ils accusent, dénoncent et condamnent. Sont-ils véritablement humains … ?

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Une Revue de presse accompagne la présentation de l’ouvrage, et comporte notamment un article d’une grande spécialiste de l’Inde : Catherine Clément.

Comment l’Inde perd son âme – Chronique

« Du 11 avril au 19 mai se tiennent les élections législatives en Inde : pour recueillir 900 millions de voix, une caravane de votation parcourt le pays entier. « L’Inde de Modi », excellent livre de Christophe Jaffrelot (Fayard), tombe à pic pour évaluer l’enjeu.

Comme l’auteur, j’ai vu naître en 1990 un parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti du peuple indien. D’emblée, ce parti a rejeté la profonde tolérance qui a permis jusqu’en 2014 à huit religions de coexister en Inde : l’hindouisme (900 millions de personnes), l’islam (presque 200 millions), le christianisme (27 millions), la religion des sikhs (20 millions), le bouddhisme (8 millions), le jaïnisme (4,5 millions), le zoroastrisme (en déclin), le judaïsme (résiduel), auxquelles il faut ajouter les religions autochtones, 100 millions de citoyens animistes qui ont maintenant leurs États.

Et cela s’est vite vu : un grand pèlerinage partant de New Delhi a rejoint la mosquée de Babour, dans le nord de l’Inde. À chaque étape, des pèlerins hindous ont tué des musulmans ; la mosquée fut détruite à l’explosif par une armée de yogis en 1992 – ­oubliez les yogis paisibles ! De ce moment, l’Inde de Gandhi et de ­Nehru commença à perdre son âme. À mes yeux, l’âme de l’Inde vient tout à la fois du brahmanisme, du bouddhisme et du jaïnisme, c’est la non-violence, l’ahimsa. Jamais acquise, la non-violence dont le mahatma Gandhi s’était fait non sans mal le porte-drapeau avait gagné de grandes batailles politiques et morales. Présente sur le drapeau de l’Inde avec le sceau de l’empereur bouddhiste Ashoka, non seulement la non-violence a fait progresser l’Inde, mais aussi la conscience du monde. C’est cela que Modi est en train de liquider.

En 1990, une commission du gouvernement augmenta largement les postes de fonctionnaires réservés aux Dalits (une entité comprenant les parias, les castes inférieures, les autochtones et les « Other Backward Classes » – autres castes arriérées, formulation toute britannique). Un groupe d’étudiants brahmanes s’immolèrent par le feu, estimant qu’ils n’avaient plus d’avenir. Dans la foulée, les Dalits s’organisèrent en partis politiques et la révolution démocratique commença dans les urnes. Les hautes castes réagirent en fondant le BJP : ils trouvèrent des boucs émissaires, chrétiens et musulmans, tous coloniaux. Un projet ressuscita : l’Hindutva, « hindouité », mot inventé en 1923 par le parti anti-musulman qui fit assassiner le mahatma Gandhi en 1948. Qu’est-ce que l’hindouité ? On retire le droit de vote aux chrétiens et aux musulmans. Les autres, issus de l’hindouisme, resteront de vrais citoyens.

Ce projet inégalitaire est en route. Christophe Jaffrelot l’appelle « démocratie ethnique ». Nommé premier ministre en 2014, Narendra Modi, fils d’un marchand de thé, a appliqué le programme. Au menu : l’assassinat d’un pasteur devant son église, les persécutions à l’université ­Jawaharlal-Nehru à New Delhi, la disparition physique de profs ou d’étudiants encombrants, la réécriture de l’histoire indienne en oubliant Gandhi et Nehru, une guéguerre avec le Pakistan pour faire peur, des milices armées pour lyncher les musulmans transporteurs de bétail ou pour menacer l’Indienne hindoue qui va épouser un musulman… « Si elle ne nous écoute pas, nous la frappons. On la fait battre. On se comporte mal », dit Sanjay Agarwal, candidat BJP en 2014.

Car le BJP a inventé le Love Djihad et le Love Gospel. Love Djihad : de jeunes musulmans, toujours supposés plus virils que les hindous (eh oui !), séduisent des filles hindoues « pour démoraliser la communauté hindoue ». Love Gospel : même scénario avec de beaux jeunes chrétiens. Le BJP affirme qu’il prend pour modèle l’État d’Israël, mais en vérité, c’est le modèle nazi qui est à l’œuvre. J’ai entendu Bal Thackeray, un ancien leader de Bombay aujourd’hui disparu, féliciter Adolf Hitler pour avoir gazé des millions de juifs, et promettre qu’il en ferait autant aux musulmans de l’Inde s’il était au pouvoir. Il y a des centaines de Bal Thackeray en Inde.

Modi peut-il être battu ? Peu de progrès économiques, déception de la « neo-middle class », jeunes à qui Modi avait fait toutes les promesses. Les stars de Bollywood s’appellent Salman Khan, Shah Rukh Khan, Aamir Khan, acteurs musulmans toujours populaires. Et pour le vieux parti du Congrès, social-démocrate, Priyanka Gandhi, petite-fille et sosie d’Indira, est enfin entrée dans la bataille. Ah ! J’oubliais. Le Taj Mahal, trop musulman, a été retiré des circuits touristiques officiels. Et l’assassin de Gandhi a maintenant ses statues. »

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Un extrait du livre de Christian Jaffrelot :

« De fait, le sécularisme indien s’enracine dans une civilisation multiséculaire qui a vu cohabiter toutes sortes de religions sur le sol de l’Inde et dont certains chefs politiques ont écrit les plus belles pages, qu’il s’agisse d’Ashoka, le premier empereur bouddhiste, ou Akbar, le Grand Moghol qui fit dialoguer l’islam avec l’hindouisme et le christianisme.

À l’époque contemporaine, l’homme politique le plus prestigieux ayant hérité de ce legs, dont les maîtres spirituels, tant yogis que soufis, restèrent longtemps les dépositaires, n’est autre que le Mahatma Gandhi qui, dès son premier (et unique) livre, publié en 1909, « Hind Swaraj », a défendu une conception de la nation indienne excluant toute identification de celle-ci à une religion :

« Si les hindous croient que l’Inde devrait n’être peuplée que d’hindous, ils vivent dans un rêve. Les hindous, les musulmans, les parsis et les chrétiens qui ont fait de l’Inde leur pays sont tous compatriotes, et ils devront vivre unis, ne serait-ce que dans leur propre intérêt. Nulle part au monde religion et nationalité ne peuvent être synonymes ; et cela n’a jamais été le cas en Inde. »

À cette définition de la nation indienne, qu’on peut qualifier d’universaliste, même si elle n’est pas individualiste et repose sur une collection de communautés, se sont opposées très tôt des écoles de pensée considérant que certaines des communautés en question étaient des nations en puissance. Du côté musulman, cette approche a suscité un mouvement séparatiste d’où est issu le Pakistan ; du côté hindou, elle a donné naissance à un nationalisme ethnique assimilant la majorité hindoue à la nation indienne, en arguant – comme tant d’autres mouvements xénophobes de « fils du sol » de par le monde – de son antériorité sur un territoire que ses idéologues considéraient en outre comme sacré.

L’apport idéologique de « Hindutva, who is a Hindu ? » a été complété dans les années 1930 par un ouvrage lui aussi destiné à définir la nation hindoue – il s’intitule d’ailleurs « We, or Our Nationhood Defined » – que l’on attribue à un autre champion de l’Hindutva, M.S. Golwalkar. La cible de ce dernier n’est pas seulement l’Autre, le musulman ou le chrétien, mais aussi le Congrès de Gandhi et sa « théorie ahurissante […] suivant laquelle une nation se compose de tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, se trouvent vivre dans le pays à un moment donné ». Il mentionne l’échec de la Tchécoslovaquie comme État multiculturel pour justifier « les craintes de nombreux politologues quant au rassemblement au sein d’un même État d’éléments contredisant la vie nationale ». Le modèle de Golwalkar, c’est l’Allemagne et ses « politologues » qui ont donné à leur pays une définition ethnique de la nation, promise, sur ces bases, à la domination. Pour lui, les musulmans doivent se soumettre ou se démettre :

« [Ils] doivent ou bien adopter la culture et la langue des hindous, apprendre à respecter et à vénérer la religion hindoue, n’avoir d’autre idée que de glorifier la race et la culture hindoues […], ou bien rester dans le pays, totalement subordonnés à la nation hindoue, sans rien demander, n’ayant droit à aucun avantage, encore moins à un traitement de faveur – pas même au statut de citoyen. »

Le choix est donc entre l’assimilation et un statut pas même digne de citoyens de seconde zone, la première option signifiant que les musulmans pouvaient continuer à vouer un culte à l’islam comme foi, en privé, mais qu’ils devaient prêter allégeance à l’hindouisme en société. »

Le modèle de cette « démocratie ethnique » s’inspire donc directement des théories & pratiques mortifères de l’Allemagne … nazie !

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Et un complément, toujours de Christian Jaffrelot, à propos des pogroms antimusulman de 2002.

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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