Catégories
7 - Actualité des valeurs monastiques Fondamentaux Actualité des valeurs monastiques

La spiritualité dans un monde sécularisé – Bernard Besret

« La spiritualité dans un monde sécularisé (0)

Bernard Besret

Je ne peux aborder ce thème sans évoquer tout d’abord l’anthropologie¹ sur laquelle se fondent mes propos. Pour certains philosophes et plusieurs religions, l’être humain est composé d’un corps et d’une âme. Des philosophes comme Descartes ont contribué à faire de cette croyance, une sorte d’évidence acceptée bien au-delà des cercles religieux.

Je suis de ceux qui ne partagent pas cette opinion qui, à mes yeux a le tort de « chosifier » le concept d’âme en en faisant une véritable entité. Pour moi, au contraire, l’homme est un tout, avec plusieurs fonctions :

– fonction corporelle,
– fonction émotive
– fonction intellectuelle et fonction spirituelle

Toutes ces fonctions sont étroitement interdépendantes et il est impossible de les séparer les unes des autres. Un mauvais état de santé peut avoir des répercussions sur nos émotions, peut entraver notre réflexion et rendre difficile une élévation spirituelle. Mais cela peut aussi jouer dans l’autre sens ou encore entre chacune d’entre elles. Si je suis affecté par une passion amoureuse, je peux porter des jugements erronés sur l’objet de ma passion. Etc …

Le corporel dans la vie spirituelle

Ma première affirmation est que la vie spirituelle est profondément ancrée dans le corps. Les dualistes, corps/âme, ont longtemps pensé que la première ne pouvait se développer qu’en matant le second. Le corps est alors perçu comme cet âne bâté, qu’il faut soumettre sans pitié. Quand je suis entré dans un monastère, en quête de vie spirituelle, avec le désir d’accéder, selon le très beau titre d’un ouvrage de l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan, à la plénitude du vide, on a commencé par me parler de mortification alors que je venais au contraire y chercher une vivification.

Nous n’avions pas la même conception de l’homme et, si j’acceptais volontiers de me soumettre à certains exercices, à ce qu’on appelle d’un mot général l’ascèse, (dont on oublie trop souvent l’étymologie grecque, askêsis, qui veut dire exercice²) ce n’était pas pour punir mon corps, mais bien comme un pianiste s’astreint à faire ses gammes pour devenir un musicien virtuose, en m’astreignant à certaines disciplines de vie pour devenir, si ce n’est un être pleinement éveillé, comme disent les bouddhistes, du moins un homme accompli dans toutes ses dimensions, y compris la dimension spirituelle.

Christiane Singer

Christiane Singer, femme pleinement humaine s’il en est, en même temps que grande spirituelle, déclare :

« Toute démarche spirituelle est avant tout un bain de matière ».

Comment je dors, comment je marche, comment je mange, tout a une incidence sur ma vie émotionnelle, sur ma vie intellectuelle et sur mon épanouissement spirituel. Et surtout, comment je respire !

Quand j’étais étudiant à Rome, un de nos professeurs nous expliqua un jour comment les moines orthodoxes qui pratiquaient une certaine forme de prière, étaient invités à regarder le bout de leur nez et à compter leurs respirations. Je me souviens de l’éclat de rire qui secoua l’amphithéâtre tant il semblait incongru à mes condisciples que regarder le bout de son nez et compter ses respirations pouvaient comporter quelque chose à voir avec la vie spirituelle ! Il aurait fallu pouvoir leur expliquer, que la respiration a la même racine spir que le mot esprit (spiritus en latin) et donc la même étymologie que le mot spiritualité.

En vérité la spiritualité est, entre autres choses, une question de souffle. Les différentes traditions sont unanimes à le considérer : en Inde on parle de prana. En Chine on évoque le Qi³. Un homme ou une femme spirituel(le) est donc un homme ou une femme qui a du souffle ! Un souffle dont, comme du souffle du vent, on ne sait ni d’où il vient ni où il va (4) !

Un être spirituel est un être ouvert à toutes les énergies qui traversent le monde et, plus particulièrement, le corps humain. Les Chinois aiment à considérer l’homme comme TianDi, c’est à dire comme un aimant entre le ciel (Tian) et la terre (Di), captant et condensant en lui-même, les énergies de l’un comme de l’autre (5).

Les énergies sexuelles ne sont pas laissées de côté. Les taoïstes font même de la rencontre du Yin (féminin) et du Yang (masculin) un sommet de la spiritualité. Un Maître de l’Inde en a traité avec humour : “Est-ce que c’est bon de faire l’amour quand on médite ? Évidemment non ! Mais est-il bon de méditer, c’est-à-dire d’élever son esprit, quand on fait l’amour ? Évidemment oui !” (6)

La conscience au cœur de la spiritualité

Enracinée dans le corps, animée par le souffle, habitée par toutes les énergies, la spiritualité est affaire de conscience. Le mot est ambigu et je ne parle pas ici de conscience morale. Mais de la conscience que nous avons d’exister. De notre conscience d’être conscient, si possible sans aucun autre objet de conscience. Et, s’il nous arrive un jour d’être totalement éveillés, nous nous ressentons comme purement et simplement conscience. C’est alors un point culminant de notre parcours spirituel … (7)

Certaines pratiques venues d’Orient, peuvent nous y aider comme le yoga ou comme le Qi Gong, qui veut dire “maîtrise de l’énergie” ou “maîtrise du souffle”. Mais nous pouvons y parvenir en restant tout à fait occidentaux, en commençant par fermer les yeux, fermant ainsi la porte à la plus grande partie de nos informations sensorielles et nous permettant de tourner le regard de l’extérieur vers notre intériorité.

La spiritualité ainsi entendue est une dimension de toute vie humaine, à laquelle on apporte plus ou moins d’attention, à laquelle on consacre plus ou moins d’énergie, mais qui n’a nul besoin des religions, avec leur exigence d’appartenance, leurs croyances mythologiques, leurs propositions rituelliques (8) (dont certaines peuvent cependant être très utiles), leur diktats d’ordre moral, pour s’épanouir en chacun de nous. Bref, nous pouvons par nous-mêmes, développer une spiritualité laïque. »

PS 1. : Ce texte reprend pour l’essentiel l’allocution prononcée dans le cadre du colloque « Religions et République » organisé au Sénat le 15 octobre 2016.

PS 2 : au moment d’expédier cette Chronique, j’apprends la sortie du n° 3 de la revue Question de (Albin Michel) consacré au rôle du corps dans la spiritualité et intitulé : “Notre corps. Une exploration de l’infini”.

Bernard Besret

 

Cordialement

 

0 – Voici une « Chronique de Qiyunshan et de Plougrescant n°2 » déjà ancienne. Il est possible de s’y abonner en s’adressant directement à Bernard Besret :

bernard.besret@me.com

Rappel : la Première Personne compte toujours à partir de 0, moyen habile (upaya) de, notamment, transformer les groupes de quatre personnes en groupe de trois … Et également de réduire à néant le concept erroné d’« environnement ». Essayez, vérifiez … n’en croyez pas un traître mot !

¹ – Comme Bernard Besret ne l’écrit pas de manière explicite, je choisis de préciser que son œuvre me semble s’inscrire dans le « cadre » de l’anthropologie ternaire, « Corps & Ame – Esprit », que Michel Fromaget notamment a étudiée avec brio. Ce dernier aurait plutôt et plus exactement écrit que « l’homme est un tout, avec plusieurs fonctions :

– fonction corporelle,
– fonction émotive et fonction intellectuelle
– fonction spirituelle ».

Le changement de plan n’intervient pas au même « endroit » et cela change … à peu près tout. Essayez, vérifiez, n’en croyez pas un traître mot !

² – Je sais bien que les langues anciennes ne sont plus guère en odeur de sainteté … mais je persiste à répéter consciencieusement qu’il est préférable de traduire « ascèse » par « exercice bien ordonné sur soi-même ». On y trouve l’indication de la direction juste, vers l’intérieur, et la notion de qualité (« bien ordonné »), de loin préférable à celle de quantité. Cette bonne définition est généralement attribuée à St-Thomas d’Aquin

Bernard Besret a rassemblé ses propositions de « gammes vivificatrices » dans « Du bon usage de la vie », aux éditions Albin Michel. Il n’est pas question dans ce livre « du bon usage » de la Vision du Soi (Vision sans Tête) … même si celle-ci est de nature à favoriser la compréhension & mise en pratique de ses seize chapitres. Essayez, vérifiez … n’en croyez pas un traître mot.

³ – J’ai, bien sûr, respecté la mise en forme de cette Chronique pour la relayer sur volte-espace. Mais si l’on met une majuscule au Qi, il en faut également une pour le Prana, le … Souffle & Énergie & Conscience. Et si l’on en met deux au Qi Gong, il en faut au moins une pour le Yoga !

4 – Référence à l’entrevue – assez discrète – entre Jésus et Nicodème, relatée dans l’Évangile de Jean en 3, 8 :

« Le vent souffle où il veut, et tu en entends sa voix ; mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. Il en est de même de quiconque est né de l’Esprit. »

« Τὸ πνεῦμα ὅπου θέλει πνεῖ, καὶ τὴν φωνὴν αὐτοῦ ἀκούεις, ἀλλ’ οὐκ οἶδας πόθεν ἔρχεται καὶ ποῦ ὑπάγει: οὕτως ἐστὶν πᾶς ὁ γεγεννημένος ἐκ τοῦ πνεύματος. »

Question … pas si annexe que cela : serions-nous, globalement, des « dégonflés » pour si peu nous consacrer à la dimension spirituelle de notre vie ? Il n’est alors pas étonnant que, comme nous sommes « à plat », les choses « roulent » si mal !

5 – Il serait sans doute un peu long de développer ici les correspondances entre TianDi, ce fondement de la pensée & praxis chinoise, et la proposition chrétienne « sur la terre comme au ciel », mais cela constitue un bel axe – vertical – de travail … !

« Que ton règne vienne. Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »

« Ἐλθέτω ἡ βασιλεία σου. Γενηθήτω τὸ θέλημά σου, ὡς ἐν οὐρανῷ, καὶ ἐπὶ τῆς γῆς. »

Évangile de Matthieu 6, 10

L’Esprit semble encore assez loin de souffler suffisamment sur la terre comme au ciel … La Vision du Soi selon Douglas Harding pourrait contribuer à aider un peu. Essayez, vérifiez … n’en croyez pas un traître mot.

Petit complément : la métaphore de « l’aimant … captant et condensant en lui-même, les énergies de l’un comme de l’autre » me semble un peu trop mécanique pour être totalement satisfaisante … Mais un « aimant » c’est aussi quelqu’un qui aime, et il est bon de se souvenir que tout ce travail énergétique a, d’abord, l’amour véritable pour finalité.

6 – Même remarque que ci-dessus : que vaut une méditation qui ne conduit pas à une aptitude plus grande à aimer inconditionnellement ? … Rien. Ce qui clarifie assez considérablement le marché de la soi-disant « méditation » !

7 – Pour avoir gravi pas mal de sommets alpins, cheminé sur bien des crêtes plus ou moins escarpées, je peux vous assurer que les points « culminants » ne sont guère confortables. Plutôt que de courir après des « peak experiences », préférez les expériences de vallée, « stables & confortables », comme celles qu’assure la Vision du Soi … Conseil d’ami !

8 – Sic … ! Peut-être que « ritualiste » conviendrait aussi bien.

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.