Le mercredi 11 septembre 2013, j’ai assisté à une conférence donnée par frère John Martin, sur le thème :
Une spiritualité au-delà des religions.
Cela se passait à la maison diocésaine de Chambéry, devant une salle comble, avec la présence de Monseigneur Ballot, évêque de Savoie, et de frère Jean-Pierre de l’abbaye de Tamié.
L’ensemble : l’homme, le thème et l’assistance, constituait une belle reconnaissance pour le travail de fond et d’ouverture réalisé depuis 1998 par l’association ETEL : Échanges Théologiques En Liberté, qui organisait la soirée conjointement avec Les Chemins de Shanti.
Que puis-je dire de cette belle réussite ?
- Que l’accueil, l’exposé, la séquence de questions & réponses, l’ambiance, … témoignèrent d’une grande qualité de présence et d’écoute.
- Que le travail magistral et encore trop peu connu initié il y a plus de cinquante ans en Inde par Jules Monchanin, Henri Le Saux, poursuivi par Bede Griffiths, se perpétue et se développe magnifiquement en la personne de John Martin, avec l’aide de tous ceux qui le soutiennent.
- Que l’exigence, la profondeur, l’absolue nécessité du travail de ces pionniers, semblent, enfin, commencer à trouver un public attentif et réceptif. Comment nommer cette recherche : advaïta chrétien, christianisme advaïtin, … ?
« Advaïta chrétien » : c’est difficile de poser noir sur blanc ce qui pourrait sembler être une « nouvelle » catégorie, un syncrétisme de plus dans une époque où ils pullulent, voire une chimère, … Et pourtant, qu’est-ce qui pourrait être plus non-duel que ces paroles relatées par Jean :
« Le Père et moi nous sommes un. » (10, 30)
« Ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père, vous en Moi Moi en vous. » (14, 20)
« Que tous soient Un, comme Toi, Père, tu es en Moi, et Moi en Toi, qu’eux aussi soient un en Nous … » (17, 21)
[Traduction de Jean-Yves Leloup]
Henri le Saux exprime de façon percutante son point de vue :
« L’advaîta n’est pas au-delà de l’Église, du christianisme, il est au-dedans. L’advaîta n’est pas un dépassement du christianisme, mais l’atteinte de son fond, de son dedans. L’advaîta ne détruit rien du christianisme, il l’accomplit. »
« La Montée au fond du cœur »
Cette parole : « Le Père et moi nous sommes un. », a été abondamment citée ce soir là par John Martin. Personnellement il me semble assez nécessaire de lui adjoindre presque systématiquement cette autre parole : « Le Père est plus grand que moi. » (Jean 14, 28). Le paradoxe ainsi établi me semble de nature à déjouer toute tentation de « -logie », de raisonnement, de conceptualisation. Seule l’expérience est propre à le … vivre.
Il me semble évident que les évangiles de Jean et de Thomas sont traversés par ce leitmotiv qui pourrait les résumer, qui pourrait même résumer l’aventure du christianisme, si ce n’est toute l’aventure véritablement humaine : faire le deux un, Un …
Mais, ce soir là, je me suis retenu de poser la seule question qui vaille :
Comment faire ?
Jean-Christian Gunsett, l’organisateur de la tournée de conférences, et impeccable traducteur, avait alerté l’assistance sur la nécessité de ne pas trop prolonger la soirée afin de ne pas rajouter à la fatigue, plus que perceptible, de John Martin.
Et ce comment faire pour rejoindre une spiritualité, peut-être moins au-delà qu’en-deçà des religions aurait risqué de nous emmener beaucoup trop loin. La seule réponse utile consiste à vivre l’expérience de l’unité, à VOIR, à réaliser, comme le propose la Vision du Soi de Douglas Harding, que n’étant rien, non-chose, Ici, au centre de moi-même, je deviens également et instantanément tout, toutes choses, là-bas, en périphérie. A faire cela par soi-même, directement, mais jamais au grand jamais exclusivement pour soi-même !
Voilà, vous connaissez le principe, il ne vous reste plus qu’à le tester lors d’un atelier. « Viens et vois. » (Jean 1,46) … !
Les vocabulaires qui seront ensuite utilisés pour parler, si nécessaire, de cette expérience importent finalement assez peu. Chrétien ou hindou, chrétien teinté d’hindouisme ou hindou teinté de christianisme, il convient surtout qu’ils s’efforcent de rester au plus près de l’expérience, qu’ils demeurent aussi simples, aussi « pauvres » que possible. Le facétieux conseil de Paul Valéry : « Entre deux mots il faut choisir le moindre » s’avère ici on ne peut plus pertinent.
« Faut-il chercher à découvrir en un advaïta chrétien un au-delà de l’advaïta védantin ? Dès qu’il y a qualification, l’advaïta s’évanouit. Les dvandva [opposés, dualismes] réapparaissent, et l’on a chu du Réel. »
Henri Le Saux, « La Montée au fond du cœur »
NB : En recherchant cette expression « Advaïta chrétien » sur le net, j’obtiens ce lien étonnant comme deuxième réponse … ! Il me semble qu’il y a déjà largement de quoi découvrir la vie et l’œuvre d’Henri le Saux, et, ce qui n’est pas le moins important, dans une présentation faite par un de ses frères en esprit et en recherche. [Ce site est foisonnant : impossible de vous donner un avis sur la qualité de ce que je n’ai pas lu.]
La même recherche propose également un lien vers le site officiel de Raimon Panikkar, qui propose un beau texte sur ce qu’il préfère nommer, avec sa précision habituelle, l’a-dualité.
Quelques articles sur le site christ3000.org, et la revue Terre du Ciel propose également ce beau texte : « Vous êtes la lumière du monde « .
Toutes les personnes intéressées par cette démarche liront avec profit, en plus des livres de John Martin, les deux ouvrages de Marie Madeleine Davy chez Albin Michel : « Henri Le Saux le passeur entre deux rives » et « Écrits choisis » . Ce dernier est un magnifique livre de vie proposant un florilège de citations, souvent explosives, classées par thèmes. J’apprécie tout particulièrement celle-ci, en pleine résonance avec l’expérience du face-à-Espace de la Vision du Soi :
« La méditation moins que tout est un face-à-face avec Dieu. Face-à-face suppose de chaque coté au moins quelque chose qui soit identique, qui puisse s’additionner, faire deux, faire face. Et il n’y a rien qui puisse se nombrer entre l’homme et Dieu. Je ne dis pas que l’homme est Dieu ni que Dieu soit l’homme, mais je nie que l’homme plus Dieu, cela fasse deux. Et alors ? advaïta, an-advaïta. »
Henri Le Saux, « La Montée au fond du cœur »
Cordialement