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6 - Lectures essentielles

Les « bonnes nouvelles » de Marie Balmary – Jean-Marc – Revue VST n°10/01-2002

L’avant-propos d’un livre important, « Corps, Âme, Esprit  », m’a donné l’occasion de découvrir Marie Balmary et l’interrogation fondatrice de son œuvre  :

« Quel est donc le secret si dangereux enfermé dans la Bible, pour que celle-ci soit si impitoyablement refoulée, soit rabâchée sans cesse, soit pas ouverte ? »

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Cette œuvre, difficile parce que bâtie autour de questions simples, me semble présenter de singuliers rapprochements avec la Vision du Soi selon Douglas Harding, et c’est pourquoi je souhaite vous en présenter quelques extraits, quelques « bonnes nouvelles », afin de vous donner envie de la lire … et de la relire.

Au chapitre 8 de « Le sacrifice interdit », « Un fils libre », Marie Balmary commence sa relecture du sacrifice d’Isaac par un détour à l’Évangile de Mathieu, 5-38, qu’André Chouraqui traduit ainsi : « Vous avez entendu qu’il a été dit : “Œil pour œil” et “Dent pour dent”. Or moi je vous dis : ne vous opposez pas au pervers. Mais à qui te gifle sur la joue droite, tourne lui l’autre aussi. »

Donc au départ une symétrie dans la non-relation, idéale pour entretenir le feu de la violence. Puis l’alternative classiquement acceptée : se sacrifier, se laisser faire du mal par amour, sans réagir, que Marie Balmary, thérapeute avisée, estime contraire aux lois du psychisme et « capable de détruire l’âme humaine ». Elle va donc s’efforcer de s’approcher le plus possible du sens concret des mots grecs, voire parfois de l’hébreu qu’ils véhiculent.

Ainsi « œil-anti-œil » et « dent-anti-dent » vont la conduire à « ne vous anti-posez pas », ne vous posez pas en face comme pour la lutte. Rien à voir avec la passivité, la résignation, mais bien plutôt une attitude aussi subtile qu’exigeante, la seule qui permettra de rétablir la relation avec ce prochain très particulier.
A condition néanmoins de ne pas s’anti-poser à soi-même, au Soi …

Je ne résiste pas à l’envie de relier cette attitude à la très paradoxale proposition de Svami Prajnanpad : « Intérieurement soyez activement passif, extérieurement soyez passivement actif » … que vous voudrez bien laisser activer, affoler, exploser les rouages de votre mental !

Ce « pervers », parfois traduit par « méchant », « mauvais », c’est d’abord « celui qui est dans la peine, qui souffre, malheureux, infortuné » (« poneros » en grec). Marie Balmary retient donc « malheureux/méchant », certes moins littéraire mais plus signifiant.

Avec « tends-lui aussi l’autre » (La Pléiade), « tourne-lui l’autre aussi » (Chouraqui) elle retourne au mot à mot suivant : « tourne à lui aussi autre ». Cependant cet « autre » n’est pas « eteros », celui, attendu, de l’un et l’autre, qui conforterait la symétrie, mais « allos », c’est à dire pas une seconde joue, une autre, différente, quelque autre « chose » permettant d’éviter l’impasse de la symétrie. Pour sortir du face à face, implacable générateur de plaies, bosses, pleurs et grincements de dents, la seule issue consiste à se tourner vers l’espace d’accueil, le no-thing, radicalement autre … s’adosser au mystère.

[C’est, soit dit en passant, tout le projet de volte-espace …]

Enfin dans ce « tourner vers » elle retrouve la racine hébraïque du mot « visage » (panim), mot pluriel, toujours traduit « les faces » par Chouraqui. Visages du petit et du Grand, visage d’identification et Visage Originel, face mortelle, prise dans les rets du temps, de l’espace et de la causalité, et Espace d’accueil éternellement libre. L’homme aurait ainsi le choix … d’orienter la flèche de son attention vers l’un ou l’« autre »… avec des conséquences elles aussi radicalement opposées. D’un coté « le salaire du péché (mot dont une étymologie signifie : manquer la cible) c’est la mort » (Épître aux Romains, 6-23), de l’« autre » : transfiguration, métamorphose, métanoïa, éveil, nouvelle naissance, résurrection, vie éternelle, … les synonymes ne manquent pas pour désigner une réalité qui les dépasse infiniment.

Le retour au mot à mot se révèle ainsi prodigieusement fertile. « A lui aussi » indique presque une pédagogie dans le « retournement » : m’éveiller à cet espace d’accueil, puis le partager avec des proches, … et finalement avec « lui aussi », ce malheureux/méchant, pour qu’il s’éveille à son tour.

La suite de Matthieu est d’ailleurs sans équivoque : « Aimez vos ennemis » (5-44) ; « Soyez parfaits comme votre Père des ciels est parfait » (5-48).

Marie Balmary nous met aussitôt soigneusement en garde en ce qui concerne cette perfection : il ne s’agit ni de « faire tout bien », ni d’ « être tout à fait bien dans sa peau » conformément aux modèles moralisant, religieux ou psychologique, mais d‘être parfaitement autre. D’être non-chose, d’être ce que vous êtes vraiment, vraiment, vraiment … Il se pourrait bien alors que, par surcroît, vertu et bonheur s’ensuivent …

Voilà quelques premières passerelles jetées entre une œuvre qui me semble vraiment essentielle et la Vision du Soi. Je me propose de poursuivre avec un extrait de chaque autre livre, mais l’œuvre elle-même est immensément plus riche que le peu que je vous en laisse entrevoir, et surtout, très généreusement, Marie Balmary associe le lecteur à sa méthode, ce qui fait qu’à la joie de la découverte s’ajoute le plaisir de la recherche. Un grand bonheur.

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« Le Sacrifice interdit – Freud et la Bible  » – Marie Balmary – Éditions  Grasset 1986

Également disponible en Livre de Poche, Biblio Essais

Cordialement

 

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Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

2 réponses sur « Les « bonnes nouvelles » de Marie Balmary – Jean-Marc – Revue VST n°10/01-2002 »

J’espère, cher Jean-Marc, que le covid vous a épargné. Je découvre cette page de votre site, voici ce qu’elle m’a inspiré:
1/ La loi du talion : toujours incomprise et dénaturée, voire ridiculisée, notamment par ceux qui se croient supérieurs à toute forme de justice humaine et divine. Il s’agit, en fait, déjà d’échapper au cycle interminable de la vengeance, et un Code, celui d’Hammourabi, l’avait spécifié 1850 ans avant la naissance du délinquant palestinien en question et de ses affidés. Excusez du peu ! Rarement pratiqué à la lettre, ce système de réparations a immédiatement été équilibré par des compensations pécuniaires (du latin pecunia : bétail), pour éviter que le sang ne coule à nouveau… Même Jésus de Nazareth ignorait cette réalité juridique pourtant largement répandue dans l’Orient ancien depuis au moins deux millénaires (les références bibliographiques existent sur ce sujet, je peux vous les fournir à votre demande…) ! Et M. Balmary, qui n’est pas à une « faute trouvable » près, renchérit sur ce sujet, étalant son ignorance que vous prenez, en bon « groupie », pour un savoir mystique !
2/Ne pas « s’anti-posez au méchant » !
Tel est le conseil avisé que M. Balmary et vous-même nous donnez, comme si nous l’ignorions…. Merci à vous ! Toutefois, ce conseil très sage n’a-t-il pas été suivi à la lettre par de nombreuses personnes assagies, qui, au lieu de s’opposer aux méchants, se sont imaginées qu’elles pouvaient les convertir par une attitude bienveillante et non-violente ? On sait ce qui est advenu de ces mêmes personnes, par exemple lors des révolutions politiques au XXe siècle, lorsque des juifs, par exemple, ne se sont pas opposés à leur ennemi qui en a largement profité pour les éradiquer… Eût-il mieux valu pour eux que, dès la naissance du national-socialisme, ils se fussent opposés, même et surtout de manière violente, à cette vague de terreur, au moins pour ne pas mourir dans des conditions atroces, et tenter de sauver ceux et celles qui auraient pu l’être ?… Ou ont-ils manqué à ce point de « subtilité » et d’ « exigence » pour n’avoir pas réussi à convaincre leurs ennemis ? Je laisse ces questions « activer, affoler, exploser les rouages de votre mental», questions pour le moins cruciales et auxquelles votre égérie ne s’est jamais vraiment confrontée… Quant aux jeux de paradoxes néo-vedantiques, sont-ils vraiment à la hauteur de ces enjeux vitaux ? On peut raisonnablement en douter…
3/ Enfin, je note que, tout en affirmant, de façon très théorique, qu’il existerait un espace ouvert à l’altérité, vous n’envisagez jamais que celle-ci pourrait être suffisamment autre pour refuser d’entrer dans vos injonctions spirituelles, les discuter, voire les contredire. Et vous n’hésitez pas à prendre la place de ce même autre, totalement imaginaire au demeurant, pour lui signifier le dilemme auquel selon vous il serait confronté et lui indiquer la voie la meilleure, toujours selon vous, qu’il devrait impérativement emprunter. La répétition de l’injonction à être « vraiment » ce que l’on est, en un double bind, participe de cette appropriation de l’espace d’autrui pour lui imposer vos vues…
De quelle nature est donc cet espace d’accueil auquel vous nous conviez si instamment, qu’il ne se sache reconnaître d’autre altérité que celle qu’il décrit ou définit a priori, et qu’une non-dualité doit effacer en dernière instance ? Cette incapacité à reconnaître une véritable altérité qui ne soit pas conforme à vos idées ni à celles de votre spiritualité n’est-elle pas génératrice elle aussi, sous couvert de non-violence, de « plaies, bosses, pleurs et grincements de dents » …, alors qu’elle est censée nous ouvrir au « radicalement autre » et « s’adosser au mystère » ?
Bruno

Bonjour,

Vous remontez loin dans le temps, plus de vingt ans. Mais peu importe. Ce qui me désole c’est de constater que vous persistez dans une attitude de critique agressive qui ne mène nulle part. Vous choisissez, j’ignore pour quelles raisons, de demeure dans « l’anti-position ». C’est votre choix … et voici ma courte et dernière réponse. J’ai suffisamment perdu de temps avec vous. Allez donc ennuyer quelqu’un d’autre.

1 – « La loi du talion : toujours incomprise et dénaturée, voire ridiculisée … » Disons simplement que Marie Balmary, suite à une relecture attentive, vient proposer une correction qui permet d’accomplir la loi et non de l’abolir. De retrouver l’originalité de la posture, mentale & spirituelle, du « délinquant palestinien » qui ne se place pas sur le plan de la justice des hommes, aussi nécessaire soit-elle … Ce qui nous concerne ici dépasse infiniment le plan de l’histoire.

2 – « juifs … national-socialisme » : vous êtes en train de valider l’hypothèse du point Godwin. La recherche de Marie Balmary s’origine pourtant dans ce moment du nazisme, survenu dans un des peuples les plus « avancés » sur les plans de la « culture », de la technologie, de l’économie, etc … Ce moment nous ne l’avons ni suffisamment étudié ni compris en profondeur, et ses germes continuent donc d’infecter et de menacer notre modernité. Le vedanta ne vous agrée guère non plus, on l’aura compris … mais, mis à part le fait de vous « anti-poser » systématiquement, qu’est-ce que vous proposez ?

3 – Et bien si, « j’envisage » cette possibilité puisque je vous réponds encore ! Ici au Centre dans l’espace d’accueil illimité & inconditionnel que Je Suis, que nous sommes tous, il y a suffisamment de place pour le contradicteur borné, de mauvaise foi et rétif à toute expérience de dépassement et d’accomplissement de l’ego que vous êtes. Mais rassurez-vous, vous n’êtes obligé à rien, votre liberté de demeurer confiné dans votre mode de fonctionnement et votre ignorance de l’espace d’accueil, de votre « essence qui est capacité », est et restera entière.

Bon dimanche

Jean Marc

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