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1 - Pratique de la Vision du Soi Fondamentaux Vision du Soi

La solitude – Douglas Harding

La solitude

« Il va presque sans dire que le sentiment de solitude, le stress¹ et la souffrance se tiennent compagnie dans les ténèbres des profondeurs, et que la communion, la légèreté et la joie – ou du moins le détachement par rapport à la souffrance – se trouvent sur les sommets radieux. “Riez et le monde rira avec vous, pleurez et vous pleurerez seul.” S’il ne le résume pas, ce vieil adage est du moins une bonne introduction à cet article.

On en trouve l’expression classique dans la Divine Comédie de Dante. Au dessus des étoiles, le Ciel des Ciels recouvre le chaudron bouillonnant de l’univers du plus magnifique des couvercles. C’est un vaste amphithéâtre où des myriades d’âmes bienheureuses sont rassemblées en une communion éternelle, resplendissantes dans leur corps de résurrection – foule immense de personnes unies dans un tel amour qu’elles ne se lassent jamais les unes des autres, ne fut-ce qu’un instant. Excepté Lucifer et sa bande, aucune d’entre elles ne quitte jamais la pièce pour prendre l’air, encore moins pour aller visiter ce lieu si étriqué où, bon gré mal gré, nous nous sentons isolés ici-bas. Il semble que ces âmes bienheureuses n’éprouvent jamais le besoin de s’éloigner un moment de ce paradis merveilleux, où règne une entente paisible et unanime, pour aller faire l’expérience stressante de la pensée et des émotions indépendantes.

C’est précisément cette sorte de comportement rebelle qui a provoqué la chute de Lucifer en Enfer, tout au fond du chaudron où il n’y a aucune harmonie, où tout le monde est à couteaux tirés, où chacun est seul et soumis à un stress terrible. Entre ces deux pôles, à mi-chemin entre le zénith de l’unité et le nadir de l’aliénation, se trouve la scène terrestre qui nous est familière – compromis instable entre ces deux extrêmes. Ici réflexe de séparation et désir de communion se livrent un combat dont l’issue reste toujours indécise, tels de vieux époux qui ne peuvent ni vivre ensemble, ni se séparer.

Eh bien, si cette image (abstraction faite du décor théâtral et de la licence poétique) nous donne une idée de la situation dans laquelle vous et moi nous trouvons, notre avenir semble bien sombre. Apparemment nous devons choisir entre trois maux : l’union monolithique tout là-haut, la séparation et la solitude tout en-bas, et ici au milieu, un mélange des deux fort peu satisfaisant. Telles sont les apparences. Mais il devrait y avoir, et il y a bel et bien un moyen d’échapper à ce “trilemme”.

Le sentiment de solitude est l’une des formes les plus déprimantes que puisse prendre le stress. Certains d’entre nous en souffrent beaucoup, d’autres peu, en tous cas consciemment. D’où vient cette différence ? Qu’est-ce qui fait qu’une personne ne se sente pratiquement jamais seule, pas même sur son lit de mort, alors qu’une autre souffre de la solitude presque constamment, même dans une foule, même en famille – peut-être même encore plus dans ces occasions là ?

La première réponse, qui n’en est pas vraiment une parce qu’elle est trop facile et élude la question, c’est que certains d’entre nous sont nés solitaires et d’autres avec l’instinct grégaire. Certains d’entre nous seraient du type Clint Eastwood et d’autres du genre des braves citoyens sociables que ce dernier est heureux de quitter lorsqu’il part au galop vers le désert. En d’autres termes, chacun de nous a un caractère dont il ou elle doit s’accommoder, et nous n’y pouvons pas grand chose.

En réalité, ce n’est pas vrai : nous y pouvons beaucoup. Il y a une solution.

Comment vous et moi allons reconnaître cette solution idéale lorsque nous la rencontrerons ? A deux signes infaillibles. D’abord, il nous apparaîtra qu’elle n’est pas seulement la solution de ce problème particulier, mais celle de tous les problèmes², et surtout celui de notre véritable identité, de notre véritable raison d’être, de notre véritable destinée. Et deuxièmement, nous découvrirons qu’elle est bien plus que cela en fait, et qu’elle consiste moins à nous débarrasser d’un vieil obstacle qu’à déterrer un trésor que nous cherchions depuis longtemps. Plus les racines de la maladie sont profondes, plus le traitement doit être puissant. Dans ce cas, c’est le plus puissant et le meilleur. Tout se passe comme si, alors que vous tracez au bulldozer une déviation tant attendue pour contourner une ville, vous tombez sur un gisement d’or assez important pour vous permettre de construire une ville toute neuve et dans un site beaucoup plus sain.
De même pour le traitement de la détresse de solitude.

Le seul véritable remède à cette angoisse est la découverte de votre Solitude Suprême. Votre souffrance est la porte ouverte à Dieu, l’occasion favorable qui permet à l’Unique de se manifester en vous. Le pire annonce le meilleur. Sans implosion, il ne peut y avoir d’explosion.

Je conçois que ces affirmations brutales peuvent vous paraître extravagantes. Elles exigent plus que des explications. Je vous propose de les vérifier en faisant avec moi une expérience :

Vous sentez – vous solitaire en ce moment ? Alors localisez ce sentiment. Cherchez à voir exactement où vous le trouvez dans ce vaste monde, où il se situe. Je vous demande de vous incliner devant l’évidence, d’accepter humblement ce qui vous est donné.

Regardez le ciel immense. Est-ce là que vous vous sentez enfermé et solitaire ? J’imagine que non. Bien au contraire. Regardez la vue qui s’offre à vous, que ce soit des collines et des forêts, ou des maisons, des immeubles et la foule qui se presse. Est-ce là votre sensation d’isolement ? Certainement non. Abaissez maintenant votre regard sur ces pieds et ces jambes inversées. Votre détresse est-elle là, quelque part dans ces chaussures ou dans ces jambes de pantalon ? Quelle question stupide! Maintenant, abaissez encore votre regard…

Ah! nous chauffons! ou ressentons nous plutôt un froid glacial ? N’est-ce pas ici que s’est concentré votre sentiment de solitude ? Ici qu’il pèse lourdement, de tout son poids sur vous ? Sur votre cœur surtout ? Votre cœur si lourd, si froid, votre cœur serré, brisé ? Dans les chansons et la littérature populaires, ne retrouve-t-on pas souvent l’expression cœur solitaire ? Pour une bonne raison. C’est qu’au fond de notre cœur nous savons où se niche notre solitude : c’est au tréfonds de nous-même, à notre point le plus bas, ce puisard de notre vie où se déverse toute l’angoisse de la séparation et du manque d’amour, cette véritable Fosse, le Puits empoisonné de la Solitude, au Bout du Monde.

Ne soyons pas trop pressé de bondir hors de ce Puits si froid et déprimant. Acceptons un moment d’être honnête avec nous-même, de cesser de prétendre que notre solitude est ailleurs, que c’est la faute des autres, ou qu’elle n’est pas si terrible que cela après tout. Acceptons d’être la solitude même, abandonné de tous dans ce Puits au Bout du monde …

Et maintenant, n’essayons pas de remonter pour sortir du Puits, mais descendons tout au fond, tout au fond… et… voici la percée ! Comme Dante et Virgile se glissèrent, à travers la plus étroite des fissures pour déboucher sur le vaste monde étincelant, notre implosion dans l’infiniment grand …

Avez-vous le cœur brisé ? Avez-vous perdu courage ? Alors reprenez courage. La vie vous a finalement broyé assez fin, vous pouvez désormais passer par le chas de l’aiguille au sortir duquel vous serez le Cœur qui bat dans toutes les poitrines.

Ce n’est qu’un discours prétentieux ? Alors transformez-le en expérience. Désignez ce Point, ce lieu d’où vous regardez. Et observez sa disparition totale. Et continuez de désigner l’Immensité que vous êtes, là où vous êtes. Cet Espace éveillé, illimité, transparent, immaculé. Non pas l’Espace vide infini, ni même l’Espace plein infini – plein de cette scène qui s’offre à vous – mais l’Espace qui est tout cela, qui est ce monde merveilleux, et qui tout seul n’est qu’une abstraction dénuée de sens. Ne vous contentez pas de me lire. Faites-le.

Voilà ce que vous êtes maintenant. Vous étiez une tête d’épingle dans le monde, minuscule, pesante et refermée sur elle-même. Désormais vous êtes le monde entier. Dans votre explosion, vous êtes devenu l’immensité et la légèreté mêmes. Vous qui rejetiez tout et vous sentiez rejeté, voici que vous contenez le tout. Le solitaire que vous étiez, celui qui exclut tout, est devenu Celui qui inclut tout, le Seul, l’Unique, à nul autre pareil. Regardez bien : pouvez-vous trouver votre égal ou vos pairs ? Quelqu’un qui vous ressemble ? Regardez bien : en explosant vous êtes devenu le monde : existe-t-il dans ce monde une explosion comparable à celle-ci ? En vous fiant uniquement à ce que vous percevez en ce moment, n’êtes-vous pas, à l’évidence, absolument sans égal ?

Vous ne comprenez pas un mot de tout ceci ? Moi non plus ! Mais vous le voyez (n’est-ce pas ?) et de manière si claire que votre vue habituelle semble être devenue soudain synonyme de cécité.

Oh, je sais bien que toutes sortes d’objections vous viennent à l’esprit. Par exemple la question rabat-joie par excellence : “Bon, et alors …” Ou l’argument que cette merveilleuse nouvelle est bien trop bonne pour être vraie. Ou que, même si la vision est brillante tant qu’elle dure, elle n’est qu’à moitié convaincante précisément parce qu’elle est fugitive. Ou tout autre raisonnement qui vous permette de refuser l’évidence. Je vous suggère de changer de procédé et d’avoir le courage³ de faire face à votre Solitude Suprême dans toute sa majesté.

Pour conclure, je voudrais vous offrir quelques encouragements et confirmation, et non pas preuves supplémentaires. N’oubliez jamais que la moindre expérience vécue, réelle, profane et concrète vaut mille fois plus que les discours, même si leur contenu est très positif et leur auteur très sage. Néanmoins, je vous soumets ici, à titre d’information, un échantillon de la philosophie éternelle concernant notre véritable identité.

Bien que la découverte merveilleuse, parfaitement claire, simple et stupéfiante qui est au cœur de toutes les traditions spirituelles soit ensevelie, négligée et très souvent niée avec véhémence par les experts religieux, elle n’en reste pas moins la racine commune, l’âme même de toutes ces traditions. C’est une proclamation qui mérite d’être saluée par toutes les trompettes et toutes les cloches du Ciel et de la Terre, et elle vous concerne vous personnellement. Oui, personnellement. Elle vous annonce que plus proche de vous que n’importe quoi d’autres, “plus proche de vous que votre souffle, vos mains et vos pieds”, se trouve l’Un, l’Unique que vous êtes vraiment, vraiment, l’Être de votre être, le Soi et la Source et la Substance de tous les êtres.

Et vous n’êtes pas seulement une étincelle de ce Feu Éternel, ni un simple rayon de la Lumière Unique qui brille en tout homme, toute femme et tout enfant en lesquels le monde se produit. Ni une partie du Tout qui (pour citer Dante) “rassemble les feuillets éparses de tout l’univers et les relie par amour en un seul volume”. Vous êtes ce Volume lui-même. Vous êtes l’ensemble de ce Tout qui est strictement indivisible. Je répète : indivisible.

Je vous entend d’ici : “Indivisible peut-être, incroyable sûrement!” A cela je réponds : si vous suivez l’avis de Huang-Po, le grand maître Zen :

“Observez les choses telles qu’elles sont et ne prêtez aucune attention à ce que disent les autres.”,

… que trouvez-vous ? Cherchez autant que vous pourrez, où vous voudrez et aussi longtemps que vous voudrez : que la Conscience prenne la forme implosive du Je-ne-suis-rien ou la forme explosive du Je-suis-Tout, vous ne la trouverez nulle part ailleurs que là où vous êtes, à l’instant où vous êtes. Et je vous pose à nouveau cette question-clé : regardez ce qui regarde en vous et voyez, y a-t-il une seule explosion dans le monde qui soit de loin comparable à votre propre explosion qui vous fait devenir le monde ? Non : je crains bien que vous ne soyez condamné à Ce Que vous êtes, à votre unicité absolue, à votre incomparable grandeur, et vous n’avez aucun moyen d’y échapper.

Quoi ? Vous ne me croyez toujours pas ? Dieu merci ! Ne croyez que vous-même. Et non pas ce que vous pensez, mais ce que vous voyez.

Mais peut être ne croyez-vous pas ce que je viens de vous dire sur le cœur de toutes les grandes religions ? Alors, à la lumière de l’exercice que vous venez certainement de faire consciencieusement, lisez ce qui est reconnu comme les Écritures saintes les plus inspirées du monde et vous changerez vite d’avis.

En attendant, voici quelques citations. Je pourrais en trouver des dizaines pour illustrer cette Nouvelle embarrassante qui vous concerne personnellement, mais je suis obligé de me limiter à trois d’entre elles, choisies parmi les pensées des Sages contemporains les plus respectés sur la scène internationale :

“Quand il n’y a rien que Vous-Même, vous êtes heureux. C’est là toute la vérité.”

Ramana Maharshi

“Quand vous trouverez tout en vous et qu’il n’y a rien d’autres que votre propre Soi, c’est la Réalisation complète, parfaite, qui embrasse tout. L’union Suprême signifie que l’univers entier est en vous.”

Anandamayi Ma

“Vous êtes la Source et le Cœur de tout … Tout est en vous et vous appartient. Il n’y a personne d’autre.”

Nisargadatta Maharaj

Que dîtes-vous ? “C’est la mégalomanie orientale, en Occident nous sommes plus avisés et plus modestes” ? Alors, laissez-moi vous citer cette phrase de Sainte Catherine de Gênes (notez bien : Sainte Catherine) :

“Mon MOI est Dieu, et je n’en reconnais pas d’autre.”

Donc, si vous ne recherchez pas simplement un remède provisoire à l’angoisse de la solitude mais une guérison radicale, il faudra bien que vous laissiez le bourgeon de votre petite solitude s’épanouir en cette fleur merveilleuse qui est la Solitude Suprême. Dès maintenant. Qu’attendez-vous ?

Peut-être que je vous rassure encore avec quelques précisions sur cette Solitude Suprême ?
Il y en a deux sortes. L’une qui est mauvaise : on essaie d’être conscient de soi en tant que conscience nue, vide de tout objet. C’est la conscience d’un moi solitaire qui est lavé de toute pensée. D’aucun ont tenté sincèrement d’atteindre cet état. Il est très difficile d’y arriver, encore plus d’y rester. Mais dans la mesure où on réussit à s’en approcher, c’est une véritable tentative de suicide.

L’autre sorte qui est la vraie, c’est la Solitude Suprême pleine à ras-bord. Regardez en vous ce qui regarde et voyez : pouvez-vous exclure qui que ce soit ou quoi que ce soit ? Ayant explosé à l’infini, ne contenez-vous pas absolument tout ? Quant à chacune de ces myriades de créatures que vous avez accueillies en vous, ce qu’elles sont réellement, intrinsèquement, n’est-ce pas ce que vous êtes vous-même intrinsèquement ? Si votre Nature Véritable était différente de celle d’une seule de ces créature, eh bien vous ne seriez pas le Seul, l’Unique. Regardez-les, vous avez leur apparence. Regardez en vous ce qui regarde, vous êtes ce qu’elles sont. Le monde est en vous et vous êtes Un avec toutes les créatures. »

Cordialement

 

¹ – Je n’ai pas vérifié de près, mais ce texte se trouve sans doute peu ou prou contenu dans « Vivre sans stress », un des livres de Douglas aussi génial que les autres. En dépit d’un titre fleurant mauvais la pensée positive et le développement personnel, il s’agit là d’un ouvrage à la fois pratique et hautement spirituel … Si si, cela existe ! Mais pour en être convaincu il est nécessaire de lire le livre ET de faire les expériences qu’il propose … Désolé : ni raccourci, ni soldes !

² – Arnaud Desjardins disait à peu près la chose suivante : une véritable voie spirituelle se reconnaît au fait qu’elle « marche » dans tous les domaines, de la cuisine à la chambre, de la cave au plafond …

³ – De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace … Ou, plus sobrement : « Be bold ! »

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Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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