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Freud et l’inceste : l’abandon d’une découverte – Marie Balmary

Freud et l’inceste : l’abandon d’une découverte

Il me semble essentiel de reprendre ici sans tarder cette tribune de Marie Balmary publiée le 25 janvier 2021. Merci de faire à ce texte important toute la « réclame » qu’il mérite. (0)

NB : je suis le seul responsable des sur & soulignages, des liens, illustrations et commentaires.

&

« Le livre de Camille Kouchner – “La Familia grande” (Seuil, 2021) – n’est pas seulement la révélation d’un inceste, il est une alerte à la culture. Avec Vanessa Springora (“Le Consentement”, Grasset, 2020), on découvrait qu’on avait laissé faire des abus sexuels sur des enfants il y a quelque quarante ans, avec l’argument de leur prétendue liberté, puis considéré le récit odieux de ces abus comme de la littérature (Matzneff)¹. Le livre de Camille Kouchner, lui, fait le récit d’un monde tragiquement trompé par l’idéologie du “tout est permis”. Avec son écriture vive d’aujourd’hui, le livre a la fonction de la tragédie grecque : avertir la cité d’un grave danger².

Dans la suite de ces publications, je viens apporter un élément d’histoire des sciences³. Sur “l’air du temps”. Expression odieuse lorsqu’elle sert à innocenter des actes pervers (4). Dans cet air des années 1970-1990, il ne faisait pas bon ramener des mots comme “interdit” ou “ faute”. Ni de présenter une thèse sur la réalité des abus sur les enfants. De cela, j’ai fait l’expérience : une thèse refusée qu’un éditeur, Grasset, a bien voulu publier.

Cela s’est passé ainsi : comme je rendais visite au philosophe-journaliste Maurice Clavel, il me demanda ce que nous devenions, ma thèse et moi. Je lui dis qu’elle venait d’être refusée.

– Qu’avez-vous donc dit de si affreux pour qu’on vous ait jetée de la Sorbonne ? m’a-t-il demandé.

J’avais eu quelque temps auparavant – juin 1976 – avec mon professeur de thèse, un psychanalyste renommé, un entretien décisif. Après cinq ans de recherche en doctorat, il m’avait demandé de venir lui exposer le point actuel de mes recherches. Je lui fis part de ce que je pensais être une hypothèse nouvelle : que Freud aurait renoncé non pas à une erreur, comme il l’a dit et comme on l’a répété après lui, mais à une découverte : celle de l’abus sexuel à l’origine de troubles qu’on nommait hystériques à cette époque. – “Je ne peux pas vous laisser écrire ça, me dit-il. Vous jetez l’anathème sur la psychanalyse.” (5)

Je lui proposais naïvement : qu’il me soit permis de défendre ma thèse et l’on verrait bien si elle tiendrait dans le débat. Si je me trompais, mon hypothèse s’écroulerait, mais si j’avais raison, cela mettrait dix ans peut-être, mais cela finirait par passer. Il refusa.

Ce refus me barrait une carrière universitaire, mais d’abord, n’était-ce ce pas, dans le fond, un honneur d’être mise dehors d’un lieu où le débat était impossible ? (6)

Puis s’est ouvert pour moi une autre voie, celle qui s’ouvre encore aujourd’hui pour qui veut faire connaître une vérité cachée : publier.

Maurice Clavel m’emmena chez son éditeur. Ma recherche parut en 1979 (“L’homme aux statues, Freud et la faute cachée du père”, Grasset, édition revue et augmentée en 1997). Dans la presse, les critiques de psychanalystes ne me furent guère favorables. Maurice Clavel mourut d’une crise cardiaque quinze jours après la sortie du livre. (7)

La première avancée vers la découverte refoulée par Freud est venue en 1986, dix ans en effet après le refus de la Sorbonne ; non pas de l’Université mais d’une victime d’inceste,Eva Thomas, la première à témoigner publiquement. Elle avait trouvé divers points d’appuis pour oser parler, oser écrire. Dont mon livre. Je l’ai encouragée à publier le sien, “Le viol du silence, à toutes celles qui ont connu la prison de l’inceste” (Aubier, 1986). Au moment de sa parution, Eva Thomas, fut invitée aux “Dossiers de l’écran”, émission qui déclencha émotion et vif intérêt. Ce fut le début du retournement de l’opinion publique : ainsi donc l’inceste était un abus des plus graves. (8)

En quoi Freud, pouvait-il être mêlé au déni des abus sexuels durant tant d’années ?

En 1896, il découvre que les femmes considérées comme hystériques qu’il reçoit ont été victimes d’abus sexuels, principalement d’incestes. Il écrit à son ami Fliess :

“l’hystérie me semble toujours davantage résulter de la perversion du séducteur (…) Il s’agit en effet dans l’hystérie plutôt du rejet d’une perversion que d’un refus de la sexualité.” (“Naissance de la psychanalyse”, P.U.F. 1969, .p.158, 159)

Cependant, il hésite à continuer de soutenir cette hypothèse malgré les constats déjà faits. Une telle extension de l’inceste dans les familles de sa clientèle viennoise lui semble incroyable. Et un jour, à la fois le poids de son histoire familiale, connue et inconnue de lui, et l’accueil glacial fait par la société de son temps (le “conte de fée scientifique du Dr Freud”) (9), le feront basculer. En septembre 1897, il écrit à Fliess : “ je ne crois plus à ma neurotica” (sa théorie du trauma sexuel à l’origine des névroses). Il donne à cet abandon trois raisons principales dont ces deux-ci :

– “la surprise de constater que dans chacun des cas il fallait accuser le père de perversion, le mien non exclu”. (id. p. 191, quatre mots supprimés dans la première édition française)

– “la conviction qu’il n’existe dans l’inconscient aucun ’indice de réalité’.” Autrement dit, pas de preuve objective. (Il a raison mais il n’a que ça. La justesse clinique n’apporte pas une  “preuve”, cependant elle a des effets.)

–  “… je ne crois plus…” Là, de nouveau, des mots de la foi.

Je prends un des cas cliniques de Freud, le cas Dora :

Envoyée par son père, une jeune fille de dix-sept ans vient voir Freud. Elle lui raconte un jour un épisode pour elle traumatique.

Alors que Dora est âgée de 13 ans, un certain M. K, ami de son père, s’arrange pour être seul avec elle dans son magasin et brutalement l’embrasse sur la bouche. “Elle a éprouvé un violent dégoût et s’est enfuie.” Freud juge cette réaction pathologique (10):

“Le comportement de cet enfant est déjà complètement et totalement hystérique. Je tiendrais sans hésiter pour une hystérique toute personne chez qui une occasion d’excitation sexuelle provoque principalement ou exclusivement des sentiments de déplaisir” («Cinq psychanalyses», PUF, 1970, p. 208)

Freud a écrit : “L’enfant est capable bien avant d’avoir atteint la puberté de réaliser la plupart des exploits psychiques de la vie amoureuse (la tendresse, le dévouement, la jalousie). L’irruption de ces états d’âme accompagne aussi assez souvent les sensations somatiques de l’excitation sexuelle, si bien que l’enfant ne peut douter davantage de la connexion entre les deux ; bref, bien avant la puberté, l’enfant est prêt pour l’amour excepté pour la reproduction.” («La vie sexuelle», PUF, 1969, p. 9.)

La psychanalyse n’est donc pas innocente de “l’air du temps” où elle s’est développée. Elle a pesé de tout son poids contre la vérité des enfants abusés.

Freud construira la théorie du complexe d’Œdipe sur l’abandon de sa première découverte : ce ne sont pas les pères qui sont incestueux et indignes, ce sont les enfants qui imaginent selon leur désir inconscient de relations incestueuses.

Cependant, parce qu’on ne trompe pas si aisément l’esprit, il se trouve que la vérité abandonnée par Freud est cachée dans le mythe qu’il choisit pour la démolir. (11) En effet, lorsqu’il s’appuie sur l’histoire d’Œdipe, meurtrier de son père et époux de sa mère, il croit voir représenté ce qu’il en est du désir de chacun. Mais Freud passe sous silence ce qui est arrivé avant la naissance d’Œdipe. Son père, Laïos, lorsqu’il était lui-même un jeune prince dont le trône avait été usurpé, a dû quitter son pays. Il est recueilli par un roi voisin, Pélops, dont il va séduire et violer le fils. Le jeune homme se suicide. Le roi son père maudit alors Laïos : s’il engendre un fils, sa maison entière s’abîmera dans le sang. (12) 

Certes, tout enfant a des fantasmes et doit trouver sa place entre ses deux parents, mais la légende d’Œdipe n’en est peut-être pas la meilleure figure, surtout si l’on en ignore le début.

Il y a eu heureusement des disciples de Freud pour retrouver la première découverte, refonder la pratique clinique sur elle et la développer autrement, comme Férenczi et ses descendants parmi lesquels je me situe. (13) 

Peut-être est-ce le moment de dire que la psychanalyse qui a apporté au monde la précieuse découverte de l’inconscient et de la cure par la parole a pu en même temps ouvrir la porte au déni d’une perversion. (14) 

La science ne sort pas grandie de cet épisode. Ou plutôt disons que, contrairement à cette “dictature de la raison”, chère à Freud, il convient aujourd’hui de ramener la science à la raison modeste. Abandonner la science comme religion, écouter le cœur humain. Il a ses raisons, le cœur. Il est plus fort pour démasquer le mal. Comme en témoignent Camille Kouchner et ses frères. Le cœur humain : on ne fera pas de science de l’homme sans lui. » (15) 

Marie Balmary, « psyahanalyste »

Cordialement

 

0 – Et pourquoi donc de la « réclame » ? Parce que d’une part ce texte essentiel  risque d’avoir un peu de mal à émerger du déluge d’informations exponentiel qui nous submerge désormais, surtout en contexte de pandémie et de crises associées diverses. Et d’autre part parce qu’il risque aussi de susciter une puissante conspiration du silence … Je vous remercie donc par avance de le partager aussi largement que possible.

¹ – Effectivement, Matzneff ne mérite ni une civilité ni un prénom. J’ai découvert son existence au début des années 80 par de petits billets consacrés à l’orthodoxie dans le journal « Le Monde ». Et j’ai lu un peu plus tard « Ivre du vin perdu » … Qu’écrire de plus ?

Dans le film « Spotlight », l’avocat des familles des victimes déclare simplement ceci :

« S’il faut tout un village pour élever un enfant, il faut tout un village pour en abuser. »

Dans « Les âges de la vie » Christiane Singer livre une magistrale réflexion sur la responsabilité de l’artiste :

« Les représentations d’horreur … ouvrent à la machette, dans les forêts vierges de l’imaginaire, les pistes où s’engouffreront, demain, les cavaliers de l’apocalypse. … L’imaginaire est le talon d’Achille, le point vulnérable par lequel pénètrent dans le monde des vivants aussi bien le poison que la panacée. Aussi n’est-il pas d’œuvre innocente. »

La société en général et le monde de la culture en particulier feraient bien de méditer longuement & soigneusement ces deux citations.

² – Ce « tout est permis » constitue peut-être moins une « idéologie » que l’expression d’une ignorance et d’une inconscience poussées à leur paroxysme. Ignorance de l’interdépendance absolue de tous et de tout, scientifiquement établie mais encore très loin d’être universellement reconnue. Inconscience d’un « moi-je » qui se prétend central (« Je Suis ») alors qu’il n’est que périphérique (« je suis humain ») . Toute spiritualité authentique ne propose rien d’autre que de remettre le « moi-je » à sa juste place, et pas de l’améliorer ou de « l’augmenter » …

En général tout ce que je viens d’écrire semble assez théorique jusqu’à la rencontre de la Vision du Soi selon Douglas Harding et de sa carte maîtresse, la représentation de notre véritable nature :

Et comment ne pas établir de lien entre ce « tout est permis » et le personnage de Don Juan … ? Marie Balmary a elle aussi signalé « un grave danger » avec son « avertissement du Président ».

³ – Un des commentaires déposé sur Bibliobs conteste le statut de « science » à la psychanalyse. Je ne suis pas qualifié pour trancher le débat. Mais il me semble qu’aucune époque n’a jamais eu autant besoin que la notre d’écoute attentive & bienveillante, de recul cultivé, de dialogue sincère, de conscience … pour essayer de désamorcer la bombe de « l’inconscientifique », pour « déniaiser la science ».

« La connaissance isolée qu’a obtenue un groupe de spécialistes dans un champ étroit n’a en elle-même aucune valeur d’aucune sorte ; elle n’a de valeur que dans la synthèse qui la réunit à tout le reste de la connaissance et seulement dans la mesure où elle contribue réellement, dans cette synthèse, à répondre à la question : τίνες δὲ ἡμεῖς (“qui sommes-nous”) ? »

Question synthèse et réponse à la question « qui sommes-nous ? », je n’ai rien trouvé de mieux que la Vision du Soi, « Science de la Première Personne ». N’en croyez surtout pas un traître mot, essayez, vérifiez !

4 – Dans ses divers ouvrages – auxquels je vous renvoie – Marie Balmary prends le temps d’explorer soigneusement l’étymologie et les significations du mot « pervers », « ponéros » en grec. « Méchant & malheureux, malheureux & méchant » … où est-ce que ça commence, quand est-ce que ça finit, comment … ? Vertigineuses questions.

« L’air du temps des années 1970-1990 », ne correspond-t-il pas à ce que nos cousins du Québec ont décrit comme un « heureux naufrage » ? Nous prétendons pouvoir nous passer d’un « Je Suis » central, pouvoir nous réduire au seul complexe corps & mental de la zone périphérique « je suis humain » du dessin ci-dessus, et nous nous étonnons ensuite que de cette erreur anthropologique fondamentale découle un « air du temps » particulièrement nauséabond … ?

5 – « Vous jetez l’anathème sur la psychanalyse. » Je crains que, quarante cinq ans plus tard, de nombreuses personnes soient, malheureusement, encore capables de réagir de même à la lecture de ce texte de Marie Balmary. Encore capables de ne pas voir que c’est justement grâce aux outils de la psychanalyse que Marie Balmary a réussi à vérifier la validité d’une « découverte » qui aurait sans doute contribué à éviter bien des souffrances …

Ce « professeur de thèse, … psychanalyste renommé » ne se contente pas d’utiliser un mot du contexte religieux. Il excommunie celle qu’il juge hérétique envers le seul dogme alors reconnu : l’idolâtrie de la sacro-sainte personne du Docteur Freud ! Mais qui peut donc bien être ce fieffé imbécile ?

6 – Si seulement plus de personnes réagissaient aussi courageusement en considérant que c’est « un honneur d’être mise dehors d’un lieu où le débat était impossible » … De nombreuses institutions imploseraient aussitôt, pour le plus grand profit du débat, d’un progrès véritablement humain … et des finances publiques !

7 – « L’homme aux statues, Freud et la faute cachée du père » est un livre exigeant et nécessaire, et à mon humble avis plutôt de nature à améliorer la santé globale du lecteur. J’écris ceci pour ceux que la concomitance entre sa parution et le décès prématuré de Maurice Clavel inquiéterait !

« Maurice Clavel, journaliste transcendental », conférence du 15 mars 2016 au Collège des Bernardins, avec la participation de Marie Balmary.

8 – Les avancées proviennent rarement des institutions, conservatrices par nature, maux nécessaires …

Madame Eva Thomas :

  • « Le viol du silence, à toutes celles qui ont connu la prison de l’inceste », 1986
  • « Le sang des mots. Les victimes, l’inceste et la loi », 2004

Association SOS Inceste & Violences sexuelles

9 – C’est ce qu’aurait déclaré le psychiatre Richard von Krafft-Ebing après la conférence de Freud sur « l’étiologie des névroses » du 2 mai 1869.

10 – « Freud juge cette réaction pathologique … » !!!

Ici je ne peux que partager cette utile citation :

« Qui médit se raconte,

Qui accuse se dénonce,

Qui juge se condamne. »

11 – De quel « esprit » est-il question ? J’ai raconté ici ma première rencontre avec la recherche de Marie Balmary. Dans un livre essentiel qui distingue soigneusement les trois dimensions de l’être humain : corps, âme, esprit. Disons pour peut-être être un peu mieux compris : corps, mental (conscient & inconscient), esprit.

Serait-ce cette troisième dimension, désormais quasiment occultée par la société moderne, qui permet à un mental parfois (souvent …) mensonger de retrouver la voie de la vérité des relations viables … ? Cet esprit dont nous ne savons « ni d’où il vient ni où il va », il conviendrait sans doute de prêter un peu plus attention à sa « voix » … Et ce sans nécessairement en passer par une religion. « L’esprit de l’athéisme » est tout aussi réel.

12 – Marie Balmary fait preuve avec ce paragraphe d’une capacité de synthèse remarquable, mais … Mais la lecture des quinze pages serrées du premier chapitre de “L’homme aux statues, Freud et la faute cachée du père” vous convaincra bien mieux encore que « Œdipe nous en apprend encore » (titre du chapitre). Que l’archétypale malédiction des Labdacides sous-tend toujours des questions actuelles … Que la question de la transmission du « mal » est vertigineuse …

13 – Heureusement qu’il se trouve toujours (enfin, au moins jusqu’à présent …) d’audacieux francs-tireurs pour revenir à l’observation et à l’écoute directes du malade. Des êtres humains touchés par la souffrance d’autres humains, leurs frères.

Pour information : « Sándor Ferenczi – L’enfant terrible de la psychanalyse » de Benoît Peeters. Et : « Ferenczi, l’autre Freud » … !

14 – « Peut-être est-ce le moment … », en effet. Quarante années de gâchées depuis la parution de « L’homme aux statues … » … Le relatif silence autour du travail courageux de Marie Balmary – et de celui d’autres chercheurs également moins obnubilés par le respect de la théorie – a contribué à maintenir sous le boisseau le fait que « la psychanalyse … a pu ouvrir la porte au déni d’une perversion ».

15 – « Ramener la science à la raison modeste »« abandonner la science comme religion » : ce sera sans doute encore moins facile après cette pandémie de Covid-19 qui place la science médicale (ou plutôt « une » science médicale …) et l’industrie lourde des vaccins au … pinacle.

« L’État idéal résiderait naturellement dans une communauté d’hommes ayant assujetti leur vie instinctive à la dictature de la raison. Rien ne pourrait créer une union aussi parfaite et aussi résistante entre les hommes, même s’ils devaient pour autant renoncer aux liens de sentiment les uns vis à vis des autres. Mais il y a toute chance que ce soit là un espoir utopique. »

Lettre de Sigmund Freud à Albert Einstein, Vienne, septembre 1932

« Le cœur humain : on ne fera pas de science de l’homme sans lui. » Il ne se fera pas de science de l’homme viable en dehors d’une conception anthropologique complète, tripartite : « corps & âme – Esprit ». La Vision du Soi selon Douglas Harding pourrait considérablement y contribuer …

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

9 réponses sur « Freud et l’inceste : l’abandon d’une découverte – Marie Balmary »

Bonjour Michel,

Ma lettre d’information est des plus rares … Même s’il y en a une en préparation pour … bientôt, suite à la disparition de Catherine Harding.
Je n’aime guère « pousser » de l’information vers l’extérieur. Je préfère que des personnes sincèrement intéressées par la « Vision » viennent … Voir de plus près de quoi il retourne. Le seul propos de volte-espace est d’inviter à participer à un atelier de Vision du Soi, et étant donné les circonstances je suis obligé de préciser : en présentiel !

Mais vous pouvez aussi déposer vos commentaires sur toutes les pages et tous les billets de ce site.

Cordialement

Jean Marc

Merci cher Jean-Marc pour ce bel exemple de rebondissement à l’heure des délations collectives. Pour autant, et même si Freud s’est parfois trompé dans ses analyses sur certaines de ses patientes, il n’en demeure pas moins qu’il a su identifier dans les complexes et les symptômes quelque chose qui résiste même aux tentatives de corrélation directe avec les faits : à savoir l’existence et la persistance au sein de nos psyché de fantasmes et de désirs inavoués. Ceux des parents comme ceux des enfants. A cet égard, le danger d’une analyse comme celle de M. Balmary est d’innocenter ses patientes de tout désir et de tout fantasme. Seuls les adultes, et bien évidemment les pères, coupables parfaits, sont dénoncés et toujours fautifs. (et l’inceste maternel, le plus grave, identifié par Lacan en fonction phallique, que devient-il?), Les enfants demeurent, quant à eux, purs et innocents. C’est justement cette fable, répandue dans les milieux libertaires des années 60, que la psychanalyse a démystifiée.
Une référence biblique permet d’apporter un éclairage plus crucial sur ces phénomènes liés à la perversion et au mal. Un verset d’un psaume le dit explicitement ;
« Moi, je suis né dans la faute, j’étais pécheur dès le sein de ma mère. » (Psaume 50, 7). Comment expliquer un tel aveu de la part d’un homme ayant vécu il y a plus de 25 siècles? Comment un enfant, un nourrisson, ou un bébé, pourrait-il être fautif avant même d’avoir vécu et d’être né? Ce mystère ne s’explique pas à partir des théories ni des témoignages des patientes de M. Balmary. Pour ce faire, il faut revenir à la doctrine du péché originel qui affirme que le mal nous est connaturel ou consubstantiel, qu’il est en nous dès notre conception. Exit les fantasmes d’innocence pure de l’enfant nécessairement corrompu par les adultes. Et ce, quoi qu’il en soit des crimes possibles que ces derniers peuvent commettre sur les enfants. Nous appartenons à une même humanité, corrompue dès ses origines, peccamineuse en soi. C’est cette faute qu’il nous faut avouer pour accéder à notre « véritable nature », et tenter de l’effacer par un pardon. Et nous ne provenons pas d’un paradis perdu et parfait dont la petite enfance ou la vie intra-utérine seraient les modèles suscitant une nostalgie dont les spiritualités transgressives et les mystiques non-duelles ne font que réactiver par leurs pratiques amorales.
Bruno

Bonjour Bruno,

Désolé de mettre autant de temps à approuver votre commentaire et, comme souvent, à lui apporter de nécessaires nuances.

La position soutenue par Marie Balmary dans sa tribune demeure inchangée : c’est la thèse que la psychanalyse officielle lui a refusé de soutenir et qu’elle expose dans « L’homme aux statues. Freud et la faute cachée du père ». Ce livre date de 1979, avec une réédition en 1997.
La « faute cachée » est celle du père de Freud, et pas celle de tous les pères.

C’est un livre important, toujours de la plus brûlante actualité malheureusement. Une meilleure réception aurait sans doute pu favoriser une évolution plus rapide du sort des victimes d’abus … Mais il semblerait que la tribune de 2021, submergée dans le déluge informationnel, ne soit pas mieux reçue que l’ouvrage de 1979. Pourquoi ? Pourquoi l’église psychanalytique refuse-t-elle de reconnaître cette fondamentale erreur de départ, « l’abandon d’une découverte » alors que cela ne remet pas en cause les nombreuses avancées de cette méthode ? Après tout l’Église catholique repose bien sur le triple reniement de Pierre !

Je préfère nommer libération de la parole des victimes ce que vous appeler « délation collective ». Il y a eu, il y a, et il y aura sans doute encore des excès dans ces témoignages, mais généralement ils relatent des faits qui se traduisent par de très douloureux effets dans la vie de ceux qui les ont subis. Que des comptes soient demandés à leurs « responsables », pères ou mères, puissants ou misérables, connus ou inconnus, me semble vraiment la moindre des choses.
La justice des hommes devrait d’ailleurs, à mon humble avis, plus s’inspirer de Matthieu 18, 6 lorsque des preuves suffisantes sont établies …
Il n’est pas juste que de pseudo-adultes répondent au légitime besoin de tendresse et d’amour (philia,agapé) des enfants par des abus sexuels (pornéia). Et, par pitié, ne considérons surtout pas que ces errements se limitent aux seules sixties … ou aux seules « spiritualités transgressives et … mystiques non-duelles ». Je crains d’ailleurs qu’ils ne s’amplifient en notre époque « moderne », de plus en plus confuse et soumise à la seule loi de l’argent … Et dans laquelle la voix de l’Église, déconsidérée de bien des manières, est devenue inaudible …

Concernant la « faute originelle » il me faudrait plus de temps … Ou alors aller au plus court. L’erreur, louper la cible (hamartia), c’est de se contenter de trop peu, des seules dimensions corps & mental (âme), les seules dans lesquelles – apparemment – nous naissons, et de ne pas réaliser celle de l’Esprit. La Vie en plénitude exige l’éveil – simple, concret, joyeux – à notre véritable nature, « divine », « Corps & Âme – Esprit », et pas de s’auto-flageller avec une « nature peccamineuse en soi », une imaginaire « faute qu’il nous faut avouer et tenter d’effacer par un pardon ». Cette faute-là, il me semble bien que Marie Balmary a prouvé qu’elle était « introuvable » : cf. « Cherchez la faute ».

Voilà pour ce matin. Mais je pense qu’il devrait y avoir une suite à cet échange …

Dites-moi à l’occasion votre impression concernant les écrits de François Cassingena-Trévedy.

Cordialement

Jean Marc

J’espère que vous allez bien cher Jean-Marc. En revisitant votre site, je suis tombé sur cette page tout en hommage à M. Balmary. mais je n’avais pas lu votre demande au sujet de F. Cassingena-Tréverdy que vous tenez aussi en très haute estime. J’ai parcouru l’un de ses livres, petit opuscule intitulé : « Nazareth, maison du Livre ». Il y fait l’apologie, en bon moine bénédictin, du mystère marial qu’il assimile à l’oraison et à la lectio divina, toutes activités inventées par la tradition monastique. Etrangement, il fait de Marie la figure de la rumination de la lecture, de ce qui est en germe dans le livre et qui peut faire sens. Hormis dans une certaine iconographie chrétienne tardive, médiévale ou de l’époque de la Renaissance, nulle part dans les Evangiles il n’est spécifié que Marie était en train de lire lors de l’Annonciation. Et nulle part, il n’est mentionné qu’une femme de son milieu savait lire et pouvait même posséder quelque ouvrage, codex ou rouleau, chez elle. Cette invention des peintres de la Renaissance reflète une volonté de placer la Vierge sur un trône quasi surhumain dans une dévotion qui a pris des formes pour le moins délirantes jusqu’aux apparitions et sur lesquelles la psychanalyse aurait beaucoup à dire. « Ecouter » (pp.12-13), ce n’est pas lire, même mentalement. Les deux opérations s’excluent, et si la Vierge est à l’écoute de l’ange, c’est parce qu’elle est position passive, mélancolique, comme sont aussi les moines lors de leurs dévotions et de leurs oraisons ainsi que j’ai pu le vérifier cent fois. Même attitude de regard contemplatif, qui n’est pas l’activité la plus noble, contrairement à ce qu’une tradition depuis Platon nous a inculqué (avec le Bouddhisme, le Yoga, le Vedânta aussi…), mais une attitude passive, mélancolique, attentiste, voyeuriste, attitude de spectateur (comme au théâtre, au cinéma) et qui prend son plaisir, sa jouissance souvent morbide, dans la contemplation de la vie d’autrui… J’ai développé ces idées dans quelques articles consultables sur mon site… Je ne trouve pas que F. Cassingena renouvelle l’approche de cette conception, ni qu’il apporte quoi que ce soit de neuf au sujet de cette dévotion mariale pour le moins trouble, très développée chez des hommes qui ont fait vœu de chasteté, et qui ont substitué à leur mère et aux femmes réelles, humaines, une icône irréelle et imaginaire, qui comble de sa présence fantasmatique les fantasmes assez peu spirituels de ces moines. L’emploi du terme « archétypique » par l’auteur (p.33) pour remplacer celui d’ « archéologique » dit bien la nature de son approche monastique qui ne se confronte jamais au réel et préfère les productions de l’imaginaire ou de l’imaginal (H. Corbin), inattaquables dans leur forteresse de fantasme… Bruno

Bonjour Bruno,

Je suis heureux d’avoir de vos nouvelles … même si je constate que vous restez dans le registre aigre-doux !
J’approuve votre commentaire, sinon vous allez croire que je vous censure … Et j’essaierai d’y répondre d’ici une dizaine de jours.
Concernant Marie vous avez déjà quelques éléments ici : Les noces de Cana.
Hors Marie Balmary, point de salut !

Bonne fin de semaine

Cordialement

Jean Marc

merci à vous. Encore une fois, rien ne vous oblige à poster mes commentaires ou à y répondre. Je ne les ajoute que parce qu’ils me semblent avoir quelque pertinence, mais je peux me tromper… J’ai regardé les « Noces de Cana ». je suis toujours surpris du peu de regard critique de la part de M. Balmary. Celle-ci n’interroge jamais les textes, elle les lit avec empathie, par un acte de compréhension herméneutique. Elle leur attribue toujours des vertus de sainteté mais ne les soupçonne pas d’occulter des vérités plus difficilement audibles et qui contrediraient sa vision spirituelle et croyante. Lire dans la foi un texte évangélique déjà écrit dans la foi, c’est redoubler l’effet de croyance qu’il exerce naturellement, et non pas le déchiffrer, ni l’expliciter ou le rendre intelligible. Cela même qu’exigerait une lecture vraiment psychanalytique, moins complaisante. « Hors M. Balmary, point de salut! » Vraiment? Mais quel salut? M. Balmary est-elle donc une prophétesse, une pythie, une géomancienne? Ou mieux encore un Messie pour vous? Comme le fut D. Harding et A. Desjardins, et d’autres figures féminines aussi qui ont visiblement compté pour vous?… Je croyais pour ma part que cette psychanalyste était juste une femme, mais elle a des effets sur vous que je trouve un peu inquiétants… Prenez votre temps pour me répondre, rien ne presse… Bruno

Bonjour Bruno,

Ma réponse aura pris un peu plus de temps que prévu.
Vous m’étonnez avec votre jugement de ce commentaire de Marie Balmary sur le texte des Noces de Cana ! Il semblerait que vous ayez « regardé » sans réellement lire ni voir …
Car enfin, quel plus bel exemple de « regard critique » ne nous offre-t-elle pas là, en relevant cette erreur du « tout » surajouté, tout aussi matérielle que spirituelle. Gravissime erreur s’il en est, assez peu discernée par d’autres jusque là.

Les caractéristiques de sa lecture que vous dénoncez, « empathie … compréhension », sont en fait des clés d’accès à l’ensemble des textes « anthropogènes ». Sans un minimum de confiance initiale en eux, ils ne nous diront jamais rien. Et la recherche de Marie Balmary permet, souvent, de se rendre compte que ces textes nous disent à peu près l’inverse de ce que nous pensions … de ce qu’on nous disait qu’il fallait croire …

« lecture vraiment psychanalytique, moins complaisante … » … ? Dans son roman « Le moine et la psychanalyste » elle écrit cette remarque savoureuse de Simon, ancien analysant désormais moine : « Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ? Et bien l’Esprit justement ! ». Cette façon de pousser la psychanalyse classique jusqu’au bout de ses possibilités, examinée de plus près dans son « Freud jusqu’à Dieu », a assez peu été tentée jusqu’à aujourd’hui. Le champ de sa recherche peut vous déplaire, mais il semble assez difficile de contester sa qualité.

« Hors M. Balmary, point de salut! » C’était de l’humour un peu provocant. Avec un fond de vérité toutefois : les instances officielles de l’Église feraient bien de reconnaître la qualité & l’utilité de ses recherches, avant de se retrouver dans un décalage de plus en plus marqué avec de nombreux laïcs qui la lisent et l’apprécient.

« Mais quel salut? » Il n’y en a pas 36, ses caractéristiques sont identiques même si elles semblent parfois culturellement assez éloignées. Douglas Harding aurait dit simplement : reconnaître notre véritable nature d’espace d’accueil illimité & inconditionnel.

Marie Balmary compte au rang de mes « amis de bien », de mes « amis spirituels », de ceux qui me « nourrissent et m’aident à Voir et dont j’apprécie et le travail et la personne. Voilà. Pas d’inquiétude à avoir !

Bonne journée

Merci à vous. Mais c’est justement pour avoir trop longtemps accordé ma confiance en ces textes que les désillusions sont advenues et en ont réfuté les présupposés comme elles en ont contredit les « signes », aussi évidents fussent-ils…
Je relis les Noces de Cana et le commentaire de votre égérie. Le « tout » dont elle parle est aussi évoqué par d’autres commentateurs. Malheureusement, comme toujours, M. Balmary ne s’autorise que d’elle-même dans ses appréciations. Aucune référence à un autre commentaire que le sien, Et ce n’est pas P. Valéry qui comblera ce manque. Le texte en grec dit exactement « Quoi qu’il vous dise…. » Ce « quoi que » signifie l’ensemble de ce que le Christ pourrait dire, et vise donc une totalité. Le reste est extrapolation (« le vin de la confiance »?…). Mais que vise ce texte sinon à dire que le Christ commence son ministère par un miracle? Et qu’est-ce qu’un miracle sinon un signe surnaturel? Or, les miracles, ceux du Christ ou d’autres, sont toujours ambigus, car ils flattent immédiatement nos désirs les plus profonds comme nos fantasmes les plus secrets: par exemple, vouloir échapper à notre finitude comme aux lois de la vie humaine et terrestre. Malheureusement (ou heureusement!), jamais personne n’a marché sur les eaux, ressuscité les morts ou d’entre les morts, transformé de l’eau en vin, multiplié à volonté des aliments, guéri des aveugles par un simple geste ou une parole… A quoi pourrait-on comparer cette fascination pour les miracles? Peut-être à quelque technique néo-vedantique qui nous propose de nous délester de cet « insupportable fardeau » que représentent notre corps et notre finitude? Et par une vision « sans tête », où l’on peut tout aussi bien être Tout (la totalité) que n’être Rien (le néant), et s’identifier miraculeusement au « Je suis », celui de l’autofondation divine, réservé pourtant à Dieu seul…. Vision aussi fascinante que les promesses de miracles en ce qu’elle flatte notre imaginaire et qu’elle semble à portée de main… Un Pascal, dans son génie, avait parfaitement vu que si l’homme pouvait osciller entre le Tout et le Rien, il était lui-même d’abord un juste milieu entre les extrêmes. Et Thomas d’Aquin s’est élevé contre les visions mystiques averroïstes, très proches des spiritualités orientales, qui affirmaient que l’intellect humain ne se différenciait pas en son essence de l’intellect divin. Qu’est-ce qu’une vision mystique, sinon un état de conscience modifié et non pas une fenêtre ouverte sur un Au-delà merveilleux qui comble nos attentes et épouse nos désirs les plus secrets? Le vrai travail spirituel ne consisterait-il donc pas à démystifier précisément ces attentes fantasmatiques et ces promesses illusoires, à revenir à soi et dans ce soi ou en ce moi qui est notre seul et unique lieu d’humanité? Et non pas à tenter vainement d’y échapper par des voies de traverse ou des raccourcis spirituels qui ne mènent nulle part?… Je vous laisse, cher Jean-Marc, sur ces questions en vous espérant en bonne forme (la soixantaine est une étape cruciale et délicate à traverser, j’en sais quelque chose…) Bruno.

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