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Sept propositions pour une métaphysique spirituelle – Bernard Besret

La dernière « Chronique de Qiyunshan et de Plougrescant » (0) – avril 2018 – est essentiellement constituée du texte « Sept propositions pour une métaphysique spirituelle » ci-dessous . Voici comment Bernard Besret nous le présente :

« Une amie fidèle m’a confié un texte rédigé dans les années qui ont immédiatement suivi mon départ de Boquen en 1974. Il n’est pas daté, mais compte tenu de sa typographie, je sais qu’il a nécessairement plus de quarante ans. J’ai été moi-même surpris par la continuité de ma pensée depuis ces lointaines années. Aujourd’hui que je suis attentif à ne blesser personne (à écrire du « religieusement correct ») je ne sais pas si j’oserais m’exprimer de façon aussi directe ! »¹

&

« Sept propositions pour une métaphysique spirituelle »

Prise de distance

Le spirituel est universel.

Au-delà des formes culturelles dans lesquelles ils s’expriment, le sage, le mystique, nous parlent de l’universel. Les religions, au contraire, accaparent au profit de leur système particulier (conceptuel, rituel, institutionnel) la puissance de ces intuitions qui sont le patrimoine de l’humanité. Détournement de l’universalité de Dieu au profit d’une terre, d’un peuple, d’une histoire, d’un évènement, d’un livre, d’une institution qui s’imposent comme médiation entre l’homme et sa destinée. Il n’y a ni Terre Sainte, ni Histoire Sainte, ni Livre Sacré, ni caste sacerdotale qui détiennent le monopole des relations de l’homme au Réel Ultime. Il y a, multiple dans ses expressions, l’humanité en quête de son identité.²

Quelque irremplaçable qu’ait été l’apport des religions du Livre (judaïsme, christianisme, Islam³) à l’éveil de cette conscience de l’humanité, nous n’avons nul besoin pour le reconnaître et en bénéficier de nous enfermer dans les systèmes qu’elles se sont secrété comme des carapaces, sans doute par souci de survie historique (4). Je puis m’approprier certains passages de la Bible sans pour autant croire qu’Israël est le peuple élu de Dieu, l’axe privilégié de l’histoire de l’humanité. Je puis recevoir le message évangélique sans nécessairement croire que la personne historique de Jésus est le Verbe-même de Dieu (5) fait chair parmi nous, ni que l’évènement de sa mort est la médiation obligée de ma relation à Dieu. Je peux reconnaître mes aspirations spirituelles dans les textes de l’Islam³, pénétrés de la transcendance de Dieu, sans obligatoirement croire que le Coran a été dicté par Dieu-même au Prophète.

Je suis d’autant plus libre de recourir aux richesses de toutes ces traditions que je ne me laisse enfermer par aucune en conférant à son particularisme historique une valeur universelle et absolue. Est-ce à dire que je vais sombrer dans le syncrétisme et juxtaposer sans critique les croyances des uns aux croyances des autres ? Il s’agit bien plutôt de se mettre à l’écoute de la résonance intérieure qui permet d’entendre dans tel verset de la Bible, telle parole de Jésus, telle sourate du Coran, mais aussi telle page des Védas, telle strophe du Lao Tseu, tel apophtegme zen, tel poème contemporain, une parole qui sonne juste et éclaire nos chemins.

Le passage de la Mer Rouge ne doit pas s’effectuer à sens unique. Si nous avons à recevoir des Hébreux, nous n’en avons pas moins à apprendre des Égyptiens. Dans la quête de Dieu (5), rien de ce qui est humain ne peut nous rester étranger.

Les propositions qui suivent balisent une ligne de départ pour ceux qui, par delà les orthodoxies constituées, par delà les oppositions entre l’Orient et l’Occident, aspirent à conjuguer dans leur vie la perception de l’Un avec la reconnaissance du multiple. (6)

Sept propositions pour une métaphysique spirituelle

1. Ouverture au réel

L’homme de foi vit en état d’alerte. Il sait que toutes les représentations qu’il se forge du réel (qu’elles soient scientifiques, philosophiques ou religieuses) n’ont de valeur que relative et transitoire. Les prendre pour des absolus les transformerait en croyances. La croyance se crispe sur ses positions. La foi accepte d’avoir constamment à remettre en question l’organisation antérieure de sa pensée. Elle est une brèchesur l’inconnu. (7)

2. Le réel ultime comme Dieu

Le réel ultime échappe radicalement à notre mainmise sur lui. Par définition, j’appelle Dieu (5) ce fondement sans fondement, cette origine sans origine. Toutes nos catégories sont infirmes pour le saisir. Vide ou Plénitude ? Néant ou Infini ? Absence du non-être ou présence d’une conscience ? Nous pouvons dire l’un, dire l’autre, tenir les deux à la fois s’il est vrai que nous débouchons ici sur la coïncidence des oppositions. Sur le chemin de sa connaissance, nos pas seront toujours des premiers pas. Il nous faudra apprendre à aller de commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin … (8)

3. Le réel ne peut être qu’Un

La vision orientale du réel qui refuse tout dualisme et affirme que seul le fondement ultime — quelle que soit la manière dont on se le représente — existe en vérité, est pleinement fondée. L’analyse de l’infiniment petit débouche sur le vide. L’analyse sur l’instant présent, ce point sans durée à l’intersection d’un passé qui n’est plus et d’un futur qui n’est pas encore, débouche, elle aussi, sur le vide. Nous sommes comme un mirage sur fond de néant. Le regard analytique de Dieu (5) transperce l’univers dans lequel nous vivons jusqu’au rien qui nous fonde. (9) Le sens de notre histoire se trouve donc en dehors de l’Histoire. Il n’adviendra pas plus tard. Il est présent à chaque instant, dans l’unité perçue avec l’Un qui est à la fois la source et la fin.

4. Et pourtant le multiple existe

La vision biblique du réel qui confère une consistance à l’univers créé, aux hommes et à leur histoire, est, elle aussi, pleinement fondée. Le regard analytique n’est pas le seul. Le regard global de Dieu (5) saisit aussi les ensembles au niveau desquels nous existons. Pour lui, un atome est un atome, une galaxie une galaxie et entre les deux, notre univers terrestre est ce qu’il est en lui-même, avec ses dimensions espace temps. En tant qu’être créés, nous ne sommes pas Dieu, mais pour autant nous ne sommes pas rien. Chaque être est un reflet partiel de la Plénitude incréée. L’erreur serait de penser qu’il nous créée à l’extérieur de lui-même, à la manière d’un artisan qui façonne des objets. Il nous pense. Il nous rêve. L’acte par lequel il nous pose autres que lui-même est encore intérieur à lui-même. L’altérité ici ne signifie pas extériorité. Il n’y a pas d’abîme entre Dieu et sa création. C’est pourquoi il n’est pas besoin de pont. (10)

5. Le jeu trialectique de l’Un et du multiple

Notre réel est conjugaison de l’Un et du multiple. Loin de s’opposer, l’affirmation du premier renforce celle du second et vice versa. La plénitude de l’Un fonde l’existence du multiple et le déploiement de celui-ci, dans l’espace et le temps, enrichit  indéfiniment les reflets de celui-là. Chaque instant, chaque être, apportent leur contribution irremplaçable à cette symphonie cosmique dont le sens ultime transcende cependant chacun de ses éléments. Le sens de l’humanité n’est pas de s’évader de l’histoire mais bien d’en faire le lieu de la manifestation constamment renouvelée de la divinité. Un plérôme. (11)

6. La sagesse de l’éveil

Pour vivre en plénitude chaque instant de sa vie et contribuer au maximum à l’histoire de l’humanité, l’homme doit pratiquer l’éveil au réel (à soi-même, aux autres, au monde, à Dieu) comme art de vivre. (12)

7. L’univers comme symbole

Et, s’il éprouve le besoin légitime d’exprimer dans des signes et par des gestes sa relation à l’UN, il trouvera dans le cosmos tous les symboles susceptibles d’être universellement partagés. » (13)

Bernard Besret

Cordialement

 

0 – Il est possible de s’inscrire à la liste de diffusion de cette lettre en le demandant directement à Bernard Besret :

bernard.besret@me.com

NB : volte-espace propose une étiquette Besret Bernard, et tous ces articles sont bien sûr ouverts aux commentaires.

¹ – Merci Bernard pour ce texte spirituellement direct … et « religieusement incorrect » ! C’est de ce genre d’écrits dont notre époque, trop soumise à la novlangue des « communicants », a désespérément besoin. N’ayez pas peur de « blesser » quiconque, craignez plutôt de ne même pas réussir à l’atteindre avec des propos trop prudents. La plupart d’entre nous a bien besoin d’un « little push » de temps à autre.

² – L’universel spirituel est central, en-deçà du temps et de l’espace. Il concerne notre « identité », notre Vraie Nature, notre Visage Originel … Toutes les tentatives d’accaparement ne sont que des tentatives périphériques, des formes particulières d’identification. Une identification qui se prétend identité n’est qu’une idolâtrie.

Il y a quelques façons justes de réaliser l’identité centrale … la Vision du Soi selon Douglas Harding n’est pas la plus mauvaise. Mais n’en croyez bien sûr pas un traître mot, vérifiez !

Ce paragraphe établit – évidemment – d’étroites correspondances avec « La Philosophie Éternelle » d’Aldous Huxley, et avec son « hypothèse de travail minimale ».

³ – J’ai laissé la majuscule du texte original, mais je pense que le mot « islam » serait ici mieux adapté dans la série : l’islam au sens religieux, et pas la civilisation islamique ou Islam.

4 – « Carapaces qui enferment … » ; Marie Balmary parle de « matrices closes » :

« … Tant d’institutions peuvent ainsi pervertir leur rôle en inversant l’ordre des services : institutions humaines non fragiles, communautés non ouvertes, matrices closes. »

5 – Si ce mot « Dieu » vous gène aux entournures, remplacez-le donc par celui qui vous agrée : « identité », Vraie Nature, Visage Originel, mystère, ?, … De toutes façons le mot sera toujours insuffisant : « Neti neti », « Nada nada », « Le Tao que l’on peut nommer n’est pas le Tao », … Seule l’expérience de la silencieuse coïncidence avec le mystère importe.

Et ne vous inquiétez pas outre mesure de ce qui pourrait sembler transgressif, puisque vous reprenez ainsi le flambeau de toute la tradition apophatique ; vous vous retrouvez aussitôt en excellente compagnie !

6 – Je préfère définitivement l’en-deçà au « par delà » … et à l’au-delà ! Et cette invitation « à conjuguer dans sa vie la perception de l’Un avec la reconnaissance du multiple » me renvoie immédiatement à ce dessin de Douglas Harding qui synthétise si bien la Vision du Soi : l’Un est dans la direction de l’index qui pointe vers Vous – vers l’endroit d’où émane votre attention et votre regard – et le multiple dans la direction inverse, à 180° de la première. Comment imaginer un geste plus simple, et chargé d’une aussi essentielle signification !

7 – Il me semble que la peur de cet éveil si simple, si évident, et que la résistance que nous opposons généralement à la reconnaissance de notre véritable nature d’espace d’accueil illimité et inconditionnel, proviennent d’une crainte absurde de s’ennuyer mortellement une fois qu’il sera advenu … Rappelons-nous plutôt que toutes les traditions spirituelles nous affirment qu’avant l’éveil nous ne sommes pas véritablement vivant – juste dans un état de néoténie comme l’écrit si bien Michel Fromaget – et que seul l’éveil nous ouvre à la vie, à un « festival of newness » comme disait Svâmi Prajnânpad.

8 – Ma réponse à ces quelques questions est … l’esperluette : & ! « Vide & Plénitude. Néant & Infini. Absence du non-être & présence d’une conscience. » Douglas Harding disait : « Être et ne pas être, voilà la réponse ! » Cette esperluette constitue aussi un moyen – habile …? – d’échapper à l’obligation de compréhension, de permettre au mystère de demeurer vivant, en tension créatrice.

Voilà un plus large extrait de la citation de Grégoire de Nysse :

«Ainsi dans l’éternité du siècle sans fin, celui qui court vers Toi devient toujours plus grand et plus haut que lui-même, augmentant toujours par l’accroissement des grâces (…); mais comme ce qui est recherché ne comporte pas en soi de limite, le terme de ce qui est trouvé devient pour ceux qui montent le point de départ de la découverte de biens plus élevés. Et celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin».

8° homélie sur le Cantique des Cantiques

9 -Il n’y a pas que « le regard analytique de Dieu qui transperce l’univers dans lequel nous vivons jusqu’au rien qui nous fonde ». La science occidentale moderne le confirme magistralement, que ce soit vers l’infiniment petit (10 puissance moins 16 mètres : 0,000001 angström) ou vers l’infiniment grand (10 puissance 24 mètres : 100 millions d’années-lumière) comme le montre si agréablement le documentaire « Les puissances de dix ».

 

10 – Énormément de grain à moudre dans ce paragraphe … Je vais me contenter d’abonder dans le sens de la conclusion de Bernard Besret avec cette citation du Père Henri Le Saux & Swami Abhishiktananda :

« La méditation moins que tout est un face-à-face avec Dieu. Face-à-face suppose de chaque coté au moins quelque chose qui soit identique, qui puisse s’additionner, faire deux, faire face. Et il n’y a rien qui puisse se nombrer entre l’homme et Dieu. Je ne dis pas que l’homme est Dieu ni que Dieu soit l’homme, mais je nie que l’homme plus Dieu, cela fasse deux. Et alors ? advaïta, an-advaïta. »

« La Montée au fond du cœur »

« Il n’est pas besoin de pont », effectivement, mais un simple tube en papier peut néanmoins s’avérer très utile … essayez, vérifiez !

Ce « chaque être est un reflet partiel de la Plénitude incréée » me pose un peu problème. L’éveil consiste justement à réaliser dans ce corps& mental limité la « Plénitude incréée » du mystère de l’Esprit … La Vision du Soi me permet de Voir très clairement que – pour le dire en langage chrétien – « le Père et moi nous sommes Un » [Ἐγὼ καὶ ὁ πατὴρ ἕν ἐσμεν] – Jean 10, 30 – et que « le Père est plus grand que moi » [ὅτι ὁ πατήρ μου μείζων μού ἐστιν] – Jean 14, 28. Sans être en mesure de n’y rien comprendre, évidemment ; je ne suis pas théologien, Dieu merci !

11 – Un article wikipedia très insuffisant, juste une « ébauche » comme annoncé clairement. Mais pour une claire représentation du « plérome », cf. le dessin ci-dessous qui résume magnifiquement l’article « Contenant & contenus » :

Cf. également le « Youniverse » construit par Douglas Harding.

12 – Tout un – magnifique – programme que Bernard Besret a su détailler dans ses nombreux livres, notamment dans son ouvrage « Du bon usage de la vie » (réédité en collection de poche en 2006). Un appel au « monachisme invisible », cette vocation constitutive de tout être véritablement humain …

 » … pratiquer l’éveil au réel (à soi-même, aux autres, au monde, à Dieu) comme art de vivre. »

« Est moine celui qui tend à l’unité en lui-même, à l’unité avec les autres, à l’unité avec la planète qui le porte, à l’unité avec le réel qui le soutient dans l’être. »

13 – La Vision du Soi selon Douglas Harding exprime cette « relation à l’Un » par une conscience éveillée, permanente et résolue de l’asymétrie. Toute occasion peut alors devenir « signe et geste ». Comme d’habitude n’en croyez pas un traître mot, vérifiez !

 

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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