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L’homme moderne s’enivre de dissipation – Paul Valéry

« Tout se passe dans notre état de civilisation industrielle (0) comme si, ayant inventé quelque substance, on inventait d’après ses propriétés une maladie qu’elle guérisse, une soif qu’elle puisse apaiser, une douleur qu’elle abolisse. On nous inocule donc, pour des fins d’enrichissement, des goûts et des désirs qui n’ont pas de racines dans notre vie physiologique profonde¹, mais qui résultent d’excitations psychiques ou sensorielles délibérément infligées.

L’homme moderne s’enivre de dissipation².

Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d’excitants … Abus de fréquence dans les impressions ; abus de la diversité ; abus de merveilles ; abus de ces prodigieux moyens de déclenchement, par l’artifice desquels d’immenses effets sont mis sous les doigts des enfants. Toute vie actuelle est inséparable de ces abus³. »

Paul Valéry

« Le Bilan de l’intelligence »

 

« Le bilan de l’intelligence » (4) est le texte d’une conférence prononcée le 16 janvier 1935 à l’université des Annales par Paul Valéry. Il a paru pour la première fois dans Conferencia le 1er novembre 1935, puis a été repris dans « Variété III », Gallimard 1936, puis récemment en petit format,aux Éditions Allia en 2011.

 

Cordialement

 

NB : texte découvert par hasard & nécessité sur Tiandi. Comme quoi les arts internes chinois ouvrent très largement, bien au-delà de ce que l’on pourrait – limitativement – penser !

0 – Le texte date de 1935, mais, globalement, nous sommes toujours dans cet état de « civilisation » là, voire bien pire !

¹ – Paul Valéry entend sans doute par « vie physiologique profonde » le complexe corps & mental. Il n’est sans doute pas inutile de rajouter la troisième dimension, celle de l’esprit, pour mesurer plus complètement ce défaut d’enracinement.

² – Vous connaissez sans doute aussi bien que moi le poème de Baudelaire :

« Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !

Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge ; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront, il est l’heure de s’enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise. »

Mais vous aurez également remarqué que la « dissipation » ne figure pas dans sa liste. Le poète rejoint sans doute dans ce magnifique « Petit poème en prose » la « sobre ivresse » célébrée par de nombreux mystiques soufis.

³ – La méditation dans l’esprit du zen et la Vision du Soi prennent exactement le cap opposé de cette logique d’abus. Mais on n’en sera vraiment convaincu qu’à condition d’avoir l’audace de les essayer. Toutes deux remplacent « l’abus de – pseudo – merveilles » par l’émerveillement de re-trouver sa véritable nature d’espace d’accueil illimité & inconditionnel. Encore une fois, n’en croyez pas un traître mot, essayez, vérifiez !

4 – Ce lien permet d’accéder à la totalité d’un texte qui mérite une lecture attentive.

« Les conditions du travail de l’esprit ont, en effet, subi le même sort que le reste des choses humaines, c’est-à-dire qu’elles participent de l’intensité, de la hâte, de l’accélération générale des échanges, ainsi que de tous les effets de l’incohérence, de la scintillation fantastique des événements. Je vous avoue que je suis si effrayé de certains symptômes de dégénérescence et d’affaiblissement que je constate (ou crois constater) dans l’allure générale de la production et de la consommation intellectuelle, que je désespère parfois de l’avenir ! Je m’excuse (et je m’accuse) de rêver quelques fois que l’intelligence de l’homme, et tout ce par quoi il s’écarte de la ligne animale, pourrait un jour s’affaiblir et l’humanité insensiblement revenir à un état instinctif, redescendre à l’inconstance et à la futilité du singe. Elle serait gagnée peu à peu à une indifférence, à une inattention, à une instabilité que bien des choses dans le monde actuel, dans ses goûts, dans ses mœurs, dans ses ambitions manifestent, ou permettent déjà de redouter. Et je me dis (sans trop me croire) : Qui sait si toute notre culture n’est pas une hypertrophie, un écart, un développement insoutenable, qu’une ou deux centaines de siècles auront suffi à produire et à épuiser ? »

 

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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