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Le visage, 2/4 – Les nouveaux chemins de la connaissance

Nouveaux chemins … le thème du visage, suite …

Le visage demeure quant à lui un immémorial chemin de connaissance de soi, et la méthode de la Vision du Soi selon Douglas Harding est venue récemment – enfin, début des années soixante quand même – apporter une contribution décisive à cette démarche qui, peut-être, nous définit comme êtres humains.

Une semaine de radio, soit cinq entretiens de Raphaël Enthoven avec divers invités :

  1. Claudine Haroche et Jean-Jacques Courtine
  2. Dan Arbib
  3. Noëlle Chatelet
  4. Nadeije Laneyrie-Dagen
  5. David Le Breton

Que retenir du deuxième ? Beaucoup … peut-être trop pour un seul billet. Tant pis, car c’est pour moi l’occasion de me rapprocher de la pensée d’Emmanuel Lévinas. Voici quelques années une personne avait balayé l’éventuel intérêt du face-à-espace de la Vision du Soi selon Douglas Harding en se référant à la conception du visage chez ce philosophe incontournable. Je crois bien qu’elle l’avait assez mal lu … Mais il est vrai que ce n’est pas un auteur facile.* Je choisis donc de bien séparer les extraits du dialogue de mes commentaires et questions ?

Dan Arbib est notamment l’auteur d’une thèse : « Dieu et l’infini dans la métaphysique de Descartes : origines, significations, prolongements ».

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D. A. : … lorsque vous vous trouvez en face de quelqu’un, vous vous trouvez en face de son visage : l’humanité qui est en face de vous est concentrée dans le visage. … chez Lévinas, c’est le visage qui concentre tout l’humain. Le visage arrête le geste. Il faut violer cet ordre de ne pas tuer pour pouvoir enfin tuer si l’on veut vraiment tuer. Mais il y a d’abord l’ordre donné par le visage de ne pas tuer.

D’où le paradoxe pointé par Lévinas : le visage appelle au meurtre parce qu’il est nu et qu’il me dit : « Tu peux me frapper, je suis devant toi et tu peux le faire parce que je suis nu et fragile. » Mais en même temps le visage me commande aussi de ne pas le faire. C’est le premier commandement. En un sens c’est le seul, celui dont découlent tous les autres …

Raphaël Enthoven : qu’est-ce que cette universalité qui se manifeste dans un face-à-face ?

D. A. : … L’infini c’est le visage puisque le visage c’est l’infini qui s’est phénoménalisé, c’est l’infini qui perce à travers le sensible …

… puisque je philosophe, je pense de ma place et les places ne sont pas échangeables. Je ne suis pas l’autre, l’autre n’est pas moi, il est autre précisément parce qu’il n’est pas moi et cette structure-là, moi face à l’autre, ne peut pas se regarder d’en haut. Reste à comprendre comment cet infini qu’est le visage peut ne pas être individualisé.

Le visage n’est pas chez Lévinas une portion d’espace, de corps. C’est la présence de l’autre.

… Quand je vois, je projette sur les choses une lumière qui fait qu’elles entrent tout à fait dans mon cercle ; donc je les totalise, elles sont en ma possession, rapatriées dans ma sphère humaine.

… C’est pour cette raison que le visage nous parle, mais à la manière d’un ordre qu’il nous donne, et qu’on entend. C’est biblique, si vous y réfléchissez. Abraham entend Dieu lui parler et Abraham répond : « Me voici. » Tout à fait comme le sujet lévinassien répond « me voici » à l’appel d’autrui. Et vous avez dans les deux cas la transcendance.

… observons que détailler les traits du visage de quelqu’un, c’est précisément « dévisager » quelqu’un. Le dévisager, c’est se priver de ce qui en lui fait visage.

R. E. : Quand on le dévisage, on le défigure ?

D. A. : … Je dirais qu’au moment où on le dévisage il prend figure, parce qu’il n’est plus visage. Il n’est plus autre, le voici réduit à la portion d’espace et de corps, à la couleur de ses yeux, aux caractéristiques physiques …

… Si vous décrivez l’autre comme une chose, parce que vous pouvez décrire le visage de l’autre, comme ce cahier ou ce verre, alors précisément ce n’est pas devant un visage que vous vous trouvez. Et le plus grand signe de respect, c’est lorsqu’on se trouve en face de quelqu’un et qu’on ne peut pas même le regarder dans les yeux.

… Une expression, dans « Totalité et infini », explique ce que vous dites. Lévinas écrit que le visage est à la limite de la sainteté et de la caricature. Que veut-il dire ? En ce qui concerne la caricature, Lévinas avait écrit en 1948 un texte qui s’appelle « La Réalité et son ombre », où il expliquait que la caricature est le moment où l’être se ressemble, où il est en adéquation avec lui-même. En un sens le visage, parce qu’il apparaît à travers le sensible, se ressemble lui-même, porte le double de soi. Mais en même temps il est la transcendance même, donc la sainteté. Je rappelle que « sainteté » en hébreu – Lévinas pense dans l’horizon hébraïque – se dit kédoucha, la séparation. La séparation de moi et d’autrui, puisque, encore une fois, moi et autrui ne sommes pas totalisables en une totalité synoptique.

… le projet de Lévinas … appartient au mouvement de la phénoménologie … Il en vient du coup à décrire l’origine même de tout l’apparaître. Soit un degré de radicalité dans la description, qui est responsable pour une part de la difficulté de son style. La difficulté de Lévinas ne tient pas au fait qu’il aurait voulu faire de la poésie et que nous n’avons pas l’âme d’un poète, mais au fait qu’il procède à une description si radicale qu’on affleure, avec lui, quelque chose qui peut-être ne nous apparaîtra jamais si l’on ne prend pas le temps de se poser pour en faire l’expérience.

R. E. : … Comment parler de ce qui est au-delà de ce qu’on est, de la transcendance, de l’infini, etc., dans le cadre des mots ? Si Lévinas est difficile à lire, c’est parce que l’objet qu’il essaie de saisir n’est pas un objet que les mots sont capables de saisir.

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Et bien sûr quelques questions et commentaires en lien avec la Vision du Soi.

  • pour dire tout d’abord qu’il me semble que la Vision du Soi de Douglas Harding s’inscrit dans le droit fil de la pensée de Lévinas, mais qu’en quelque sorte elle l’accomplit, elle permet de la réaliser, de la vivre tout simplement …
  • d’Où provient cet ordre de « ne pas tuer » ? Peut-être bien du Grand, de ce mystère situé dans la profondeur du visage qui nous établit dans une fraternité fondamentale.
  • et qu’est-ce qui appelle au « meurtre » ? Peut-être bien justement la position dualiste de ce face-à-face totalement illusoire.
  • le face-à-espace n’est-elle pas la seule posture permettant une universalité qui ne soit pas totalisatrice ?
  • la « perception » depuis l’espace d’accueil inconditionnel que je suis n’est-elle pas la seule façon de ne pas « prendre possession, « totaliser », « manger » l’autre, de ne pas le « dévisager » en le transformant en objet ?
  • l’évocation d’Abraham me renvoie à Marie Balmary : « Dieu a dit une parole et j’en ai entendu deux ». Et en général on entend la « mauvaise d’abord ; ou plus exactement le petit, la 3° personne, l’ego entend en général avant le Grand, la Première Personne, le Soi. Parfois le Grand parvient à rattraper à temps l’erreur de compréhension du petit : cf. Abraham et Isaac.
  • pourquoi prétendre à grands frais que nous sommes cette « caricature » du petit, alors qu’il est si évident que nous sommes d’abord, essentiellement, le mystère radical du Grand ?
  • et, pour éviter l’injustice et le risque de la violence déchaînée de tous contre tous, avons-nous un autre choix que de prendre « le temps de se poser pour faire l’expérience » non pas d’une chose, mais de la non-chose absolue qu’est l’espace d’accueil que nous sommes ? C’est-à-dire de prendre le temps de consacrer quelques heures à un atelier de Vision du Soi.
  • parler reste bien sûr possible, et tellement agréable, mais après avoir pris ensemble « le temps de se poser pour faire l’expérience ». Essayez … !

 

L’émission Philosophie d’Arte du 30/11/2008  réunissait Raphaël Enthoven et Dan Arbib sur le thème du visage. (Mais la vidéo n’est plus disponible en ligne.)

ArbibEnthovenDan Arbib et Raphaël Enthoven
Face à face … ou face à espace …

Cordialement

* : je vous propose l’approche raisonnée qui suit :

  • Tout est disponible au Livre de Poche – Collection Biblio Essais

 

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Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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