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4 - Méditation

Le besoin de méditer – Aude Zeller

« Le besoin de méditer » est le titre de l’avant-dernier numéro de la défunte revue « La Chair et le Souffle ».

Il m’a semblé utile de proposer ci-dessous l’éditorial d’Aude Zeller, puisque d’une part le sujet, en lien direct¹ avec la Vision du Soi selon Douglas Harding, me passionne de longue date, et que d’autre part il n’est plus possible d’accéder aux différents éditoriaux puisque le site de la revue n’existe plus.

« Chaque tradition spirituelle offre à l’être humain une forme de méditation² lui permettant ainsi de s’unir éternellement à la vie dans la présence de l’instant. Se détachant de son passé et de son futur par cette discipline de l’esprit qui est source de joie, le méditant peut prendre refuge dans la Réalité divine³. Il s’immerge alors dans un néant riche de plénitude ou s’abandonne à la vastitude de l’amour. Mais avant de se sentir affranchi de toute attente — essence même de la méditation —, il cherche dans ce retrait intérieur à se libérer de l’inutile, à creuser un ciel pour la transcendance au cœur même du calme et de la clarté. Silencieusement, il respire avec ampleur son aspiration à cette vérité qui rend libre (4) :

« Fais naître cet amour véritable qui apaise toute souffrance ; établis cette paix immuable dans laquelle réside la vraie puissance ; donne-nous la connaissance qui dissipe toute obscurité [1]… »

Ces quelques mots, extraits d’une prière méditative de Mère [2], traduisent la qualité d’ouverture d’une méditation.

En ce temps où la spiritualité s’oriente profondément vers l’être humain et non vers le Divin, la méditation connaît un nouvel engouement sous une forme laïque (5). Des pratiques sont proposées dans les écoles, les hôpitaux et les prisons afin de réduire l’angoisse et le stress (6), particulièrement présents dans nos sociétés modernes. En effet, la méditation accompagne la traversée des hautes eaux émotionnelles d’où émergent peurs et monstres intérieurs, ouvrant ainsi à la connaissance de soi (7) et à l’expérience de la sérénité. Mais au cœur de cette descente dans les profondeurs de l’être, le Divin peut préparer et attendre avec respect l’heure de l’éveil d’une âme sincère, assoupie dans son incrédulité. Qui cherche l’être humain s’expose à rencontrer la présence divine (8).

Le besoin de méditer est inhérent à l’âme et touche de plus en plus consciemment et largement notre humanité. Les neurosciences témoignent d’ailleurs des bienfaits durables de la méditation sur le fonctionnement cérébral. Ainsi, méditer provoque une stimulation du cortex frontal gauche, responsable des émotions positives comme la joie, la sérénité, la compassion et inhibe les sentiments négatifs comme la colère, la tristesse, la dépression, associés à l’activité de l’aire frontale droite. De plus, des courants cérébraux oscillatoires de haute fréquence (environ 40 hertz) apparaissent dans un cerveau en méditation. Ces ondes gamma synchroniseraient et unifieraient les aires cérébrales distantes. Elles déclencheraient ainsi une vigilance extrême, une forte concentration et des capacités cognitives supérieures, en un mot un élargissement de la conscience.

Méditation spirituelle ou laïque, méditation de pleine conscience et contemplation, toutes ces formes de recherche intérieure révèlent l’être dans sa grandeur. Et pourtant il lui faut être humble comme l’enfant qui naît « méditant ». Le Christ connaissait le pouvoir du mental et de l’orgueil qui éloigne de la voie de l’entendement et de l’intériorité. Dans sa prière, il osait dire :

« Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25).

Certes, une sagesse trop humaine est folie aux yeux de Dieu. Or il suffit de voir comment des enfants se laissent emmener dans l’apaisement et la puissance sacrée d’une méditation, ou comment un être empli de l’esprit d’enfance, mais non infantile, évolue dans l’immensité de l’amour et de la compassion. La bienveillance prend effectivement racine dans un cœur simple. Elle laisse éclore une vraie sagesse, incluant le pardon dans une réhabilitation de l’autre comme de soi-même.

La méditation est un art qui transforme l’esprit. Elle est un état de simplicité, de liberté et de bien-être acquis par un entraînement exigeant. Elle n’en demeure pas moins un processus complexe qui, dans sa limite ultime, appelle l’union intime avec le divin et invite aussi à une disponibilité généreuse pour autrui :

« Celui qui a […] éveillé en lui la force de la véritable compassion sera tout à fait capable de mettre son corps, sa parole et son esprit au service des autres [3] . »

La méditation est donc un souffle de bénédiction pour la terre et au sein même du monde.

Si méditer éclaire le chemin de conscience de l’être humain, la méditation peut être comparée à la lumière d’un diamant dont l’éclat jaillit de ses multiples facettes. Puissent les différents articles de ce numéro de La Chair et le Souffle être le reflet de la diversité et de la cohésion d’une réalité spirituelle déclinée sous un regard authentique !

* * *

Pour Jacqueline Kelen, écrire est un art tout comme méditer. Née d’un intense recueillement, l’écriture est avant tout une manière d’être au monde faite de gratitude, dans une harmonie et un désencombrement personnels. Cette création, ascèse exigeante, est soutenue par une force intérieure en intimité avec le temps. Elle s’origine dans l’écoute de la source des mots et dans la puissance du silence. Elle devient œuvre d’incarnation dans l’alliance du ciel et de la page blanche, par la réceptivité d’une main vivante et la vibration d’un cœur ouvert. Accueillir l’inspiration, sans pour autant être vide de pensées, invite à s’élever dans « la présence de la Présence ». Cette force de concentration de l’écrivain devient contemplation et fait alors de l’écriture une méditation sacrée.

C’est à « un voyage vers l’intérieur » que Bernard Durel compare la pratique méditative ouvrant la voie de l’éveil. Une voie tout simplement humaine avant d’être chrétienne, soufie ou bouddhiste. Forte de son vif succès actuel, la méditation, la « pleine conscience », serait-elle une activité supplémentaire au cœur des vies trépidantes, une http://eveilphilosophie.canalblog.com/archives/2010/10/10/19291386.htmlproposition de mieux-être rivalisant avec la pharmacopée, les antidépresseurs, l’alcool et la drogue ? À moins que dans un retour au réel qui est là depuis toujours, la voie méditative ne permette de quitter les opacités, les illusions, les encombrements pour retrouver, comme celle de l’enfant, la transparence de l’esprit et sa simplicité. Alors « immunisé contre les marchands de bonheur », l’être humain pourrait habiter sa demeure de paix sachant qu’il ne manque de rien et qu’il est aimé inconditionnellement, en pleine conscience.

Après avoir retracé les racines lointaines de la méditation, Yvon R. Théroux montre comment cette pratique séculaire n’est pas l’apanage de l’Orient ni une vogue adoptée par l’Occident judéo-chrétien. Méditer au cœur de la laïcité, ou selon les traditions religieuses hindoue, bouddhiste, juive, chrétienne et soufie, relève d’une aventure intérieure. Cette expérience intime implique le corps, le cœur, l’esprit et l’âme. Après avoir cerné la nature de la méditation jusque dans sa dimension contemplative, l’auteur met en exergue différents supports de méditation tels que le mantra, la mudra, l’icône ou la peinture. S’appuyant sur certaines observations des neurosciences, il clarifie le besoin de méditer notamment en rappelant les nombreux fruits de la méditation.

Pour comprendre la réalité complexe de la méditation, et plus précisément la cohérence des méditations bouddhique et chrétienne, Dennis Gira articule leurs spécificités autour de l’importance des Écritures, du Bouddha et du Christ, de la compassion et de l’amour. Ainsi, les textes « canoniques » instruisent fondamentalement la méditation bouddhique par leurs enseignements. La Bible parle moins directement de méditation, mais elle constitue un support pour méditer la Parole de Dieu dans une dynamique relationnelle. Inspiré par les expériences intérieures du Bouddha, le méditant bouddhiste recherche la discipline de l’esprit afin de purifier son mental et découvrir sa vraie nature. Nourri par la vie du Christ, le méditant chrétien aspire à la puissance de la prière et à la communion avec le Père. C’est peut-être dans l’expérience de la compassion et de l’amour que ces deux méditations se rejoignent ou se complètent, même si les raisons qui génèrent l’amour chez un chrétien diffèrent de celles qui encouragent la pratique de la compassion chez un bouddhiste.

À la question portant sur le bien-fondé de l’enseignement de la méditation, Benoît Billot répond par une apparente contradiction inhérente à toute voie spirituelle : l’enseignement est nécessaire mais insuffisant, voire impossible. En effet, prenant soin de l’intériorité de la personne, la méditation exige une rigueur, un entraînement, une pédagogie. Le méditant a besoin d’être guidé autrement que par les livres et la rationalité. Il ressentira la nécessité d’être accompagné spirituellement pour ouvrir son corps, son cœur et son esprit à une vibration plus essentielle et se faire aider dans la confrontation à ses fragilités psychiques. Mais l’éveil de l’âme humaine se fera essentiellement par le surgissement imprévisible de la Réalité — heureuse ou éprouvante — ainsi que par l’Infini lui-même, au-delà de toute limite pédagogique.

TempeteApaiséeVoir une allégorie de la méditation dans le récit évangélique de la tempête apaisée, telle est la proposition de mon article. Ainsi, la méditation apparaît comme une voie sobre et royale pour passer sur l’autre rive, celle de la profondeur de l’être habitée par la présence du Divin. Mais au cœur de la traversée de l’expérience humaine, l’agitation mentale, émotionnelle et corporelle appelle le réveil du Maître intérieur et laisse la place à son enseignement soutenu par la grâce. S’ouvre alors l’accès à la transcendance, là où prière et méditation se répondent, en dépit des forces adverses. Accueillant la vérité et la liberté de son être intérieur et de ce qui le dépasse, le méditant découvre également l’ampleur de son être cosmique. Passer sur l’autre rive, c’est aussi expérimenter que la chair du monde est une.

S’appuyant sur les bienfaits psychologiques, thérapeutiques et spirituels des « sciences contemplatives », Patrice Gourrier pose une question d’actualité : le succès croissant de la méditation de pleine conscience constitue-t-il une chance à saisir pour la spiritualité chrétienne ? Certes, il existe des analogies fondamentales entre la tradition chrétienne et certains postulats de la méditation de pleine conscience. Mais, contrairement aux bouddhistes, les chrétiens semblent souvent prudents face aux apports des neurosciences, réticents vis-à-vis d’une certaine quête d’intériorité. Le christianisme ne devrait-il pas proposer des voies et des méthodes qui ont fait leurs preuves au cœur de sa propre tradition ? Ravivant ses racines, il pourrait ainsi mieux répondre à ce besoin actuel de méditer, partager certaines recherches avec les méditants bouddhistes et participer à des échanges interreligieux ou œcuméniques sans risque de syncrétisme.

En tant que femme et pasteure, Ursula Tissot témoigne de sa pratique des Exercices spirituels et explique comment les protestants peuvent se laisser séduire par saint Ignace. La discipline, les exercices de prière, la nécessité d’accepter un accompagnement pourraient décourager les sensibilités spirituelles très attachées à leur liberté dans leur relation à Dieu. Or l’efficacité de la pédagogie d’Ignace apprivoise le silence. Les méditations des textes bibliques, vécues à travers les sens, l’imaginaire et le ressenti, redonnent le goût de la Parole. L’écoute de l’Esprit et le partage avec l’accompagnateur renouvellent la vie spirituelle. L’oraison ignatienne offre donc une richesse d’expérience méditative adaptée au besoin des temps actuels, au-delà de toute frontière confessionnelle.

Face au besoin universel de méditer pour retrouver une dimension fondamentale de l’Être, Jean-Luc Champougny regarde les différents risques de déviation qu’encourt la méditation. Menacée d’être récupérée à des fins consuméristes, elle peut se voir transformée en parts de marché zen mises à la disposition de l’anxiété humaine. Elle peut aussi se prêter à une forme d’instrumentalisation de l’esprit dans le monde des entreprises, au travers de propositions de performance et de rentabilité. Avant de pouvoir méditer pour « rien », le méditant peut rester prisonnier d’un excès de centrage sur lui-même, d’une identification à des techniques d’amélioration de sa personne lui permettant de revivifier ses anciens schémas de vie. La dépendance à l’égard d’un enseignement est aussi une tentation. Transcendant la performance, le méditant trouvera alors l’ouverture pour quitter le statut de disciple en devenant capable de « voir le Maître autour de lui, en lui et au-dessus de lui ».

[1] Mère, Prières et méditations, 4e éd., Pondichéry, Sri Aurobindo Ashram, 1973, p. 243.

[2] Compagne spirituelle de Sri Aurobindo.

[3] Jamgön Kongtrul, cité par Yongey Mingyour Rinpotché, Bonheur de la méditation, Paris, LGF, coll. « Le Livre de Poche », no 31349, 2007, p. 305.

Aude Zeller, ancienne élève de Sciences-Po Paris et licenciée en psychologie, est psychothérapeute, psychanalyste transgénérationnelle et praticienne en mémoire cellulaire. Elle est aussi conférencière et enseignante dans différents cycles de développement de l’être. Elle a écrit, en collaboration avec Françoise Arati, « Le Pèlerinage du Mat » dans le tarot de Marseille (Monaco, Éd. du Rocher, 1996) et « À l’épreuve de la vieillesse » (Paris, DDB, 2003). Elle est chrétienne orthodoxe.

 

Cordialement

 

¹ – « Cette voie n’est pas une solution de rechange qui rendrait inutile toute méditation sérieuse. Elle ne nous dispense pas d’un travail convaincu et continuel sur nous-même, mais au contraire elle nous y stimule puissamment. »  Douglas Harding

² – Parler ou écrire à propos de la méditation c’est se heurter immédiatement aux limites du langage. Toute méditation a certes une « forme » spécifique, mais son essence même consiste à permettre au méditant de n’en avoir intérieurement aucune afin d’accueillir inconditionnellement toutes les formes extérieures. Certains parviennent à une expression assez juste :

« La méditation est le lieu où l’univers se réjouit d’être l’univers. »

Yvan Amar

… mais le plus simple consiste à se jeter à l’eau et à méditer !

³ – Que ce « … prendre refuge dans la Réalité divine » ne vous inquiète pas plus que cela. Comme indiqué une douzaine de lignes plus haut, Aude Zeller est chrétienne orthodoxe. Elle utilise donc des expressions conformes à sa tradition.  En ce qui me concerne l’adjectif est inutile, le mot « Réalité » suffit amplement … ou est déjà de trop ! L’expérience du Grand Silence se passe de mot.

4 – « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera. » (καὶ γνώσεσθε τὴν ἀλήθειαν, καὶ ἡ ἀλήθεια ἐλευθερώσει ὑμᾶς.) Évangile de Jean, 8. 32

5 – La méditation court de grands risques du fait de cet « engouement », mais elle a de quoi traverser l’épreuve. D’intéressantes réflexions sur la « méditation 2.0 » dans l’excellent livre d’Eric Rommeluère : « S’asseoir tout simplement ».

6 – « Réduire l’angoisse et le stress … » Pourquoi ne pas plutôt chercher et trouver le « lieu » où ils n’ont tout simplement pas de place, Ici au centre dans cet espace d’accueil illimité et inconditionnel que nous sommes tous en réalité ? « Vivre sans stress », le livre et l’atelier du même nom, peuvent vous y aider de manière décisive.

7 – Peut-il y avoir « connaissance de soi » sans connaissance du Soi ? Le logion n°3 de l’évangile de Thomas formule assez joliment la chose, et la complète durement :

« … Quand vous vous connaîtrez vous-même, alors vous serez connus et vous connaîtrez que vous êtes les fils du Père le Vivant ; mais si vous ne vous connaissez pas vous-même, vous êtes dans le vain et vous êtes vanité. »

8 – S’expose à rencontrer, pas nécessairement une « présence divine », mais une Réalité mystérieuse sur laquelle il me semble bien difficile et délicat de poser un nom, un mot … L’apophatisme me semble constituer une attitude nettement plus prudente … « Neti, neti » de l’hindouisme, ou encore « Nada, nada … » de St-Jean de la Croix.

A propos de ce dernier, un article : « Le chemin du rien chez Saint-Jean de la Croix », sur le blog de José Le Roy.

Et encore : « Dieu ignore quelle chose il est, car il n’est pas quelque chose. » de Jean Scot Érigène.

Ultime recommandation : méditez !

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Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

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