Ce serait faire insulte au prodigieux Lecteur – oui, avec L majuscule – qu’a été George Steiner que de se contenter de son image. Il convient plutôt de lire et relire son œuvre sans plus tarder, en commençant – pourquoi pas – par « Errata – Récit d’une pensée ».
Quelques extraits de « Ceux qui brûlent les livres », éditions de L’Herne, collection Carnets :
« Le lecteur sérieux travaille avec l’auteur. Comprendre un texte, l’ « illustrer » dans le cadre de notre imagination, de notre mémoire et de notre représentation combinatoire, c’est dans la mesure de nos moyens, le re-créer. Les plus grands lecteurs de Sophocle et de Shakespeare sont les acteurs et les metteurs en scène qui donnent aux mots leur chair vivante. Apprendre un poème par cœur, c’est le rencontrer à mi-chemin dans le voyage toujours merveilleux de sa venue au monde. Dans une “lecture bien faite” (Péguy), le lecteur fait de lui quelque chose de paradoxal : un écho qui reflète le texte, mais aussi qui y répond avec ses propres perceptions, ses besoins et ses défis. Nos intimités avec un texte sont donc bel et bien dialectiques et réciproques : nous lisons le livre mais, plus profondément peut-être, le livre nous lit.
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Nous avons plus que jamais besoin du livre, mais les livres, aussi, ont besoin de nous. Quel plus beau privilège que d’être à leur service ? »
Turin, 10 mai 2000
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« En 1821, en Allemagne, commentant une vague d’autodafés nationalistes, Heine observa :
“Où l’on brûle des livres aujourd’hui, ce sont des êtres humains qu’on brûlera demain.”
… Les fondamentalistes de tous crins sont d’instinct des brûleurs de livres. »
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« Moi qui suis enseignant et pour qui la littérature, la philosophie, la musique et les arts sont l’étoffe même de la vie, comment vais-je traduire cette nécessité en conscience morale concrète de la nécessité humaine, de l’injustice qui contribue si largement à rendre possible la haute culture ? Les tours qui nous isolent sont bien plus coriaces que l’ivoire. Je ne sais aucune réponse convaincante. »
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Zara Steiner, son épouse depuis 65 ans, l’aura suivi de très peu …
Cordialement
Le miracle « Steiner » nous aide à comprendre dans quelle barbarie économico-technocratique sont tombées nos sociétés modernes, et la quasi inutilité de la culture face à la barbarie (Cf. « Dans le château de Barbe-bleue »). Sa disparition va sans doute être l’occasion de vendre un peu plus quelques-uns de ses livres, mais je doute que l’on en entende vraiment les implications …
Les livres de Douglas Harding connaîtrons-t-ils un sort meilleur ? Leur unique objectif consiste à renvoyer le lecteur au Centre d’où émerge son regard, à rigoureusement 180° de la direction extérieure.
Quelle que soit la qualité du contenu, la « vérité » de l’expérience ne se situe jamais là-bas en périphérie, à environ 30 ou 40 centimètres, mais Ici au Centre, dans cet espace d’accueil illimité & inconditionnel qui, en réalité, est l’unique Lecteur.
« Si éloquent, si instructif soit-il, le savoir glané dans les livres et la lecture est de seconde main : il parasite l’immédiateté. »
George Steiner
Rappels :
- « Le procès de l’homme qui disait qu’il était dieu » est un livre à lire comme indiqué ci-dessus, certes. Mais aussi selon la technique du psychodrame, en endossant tour à tour le rôle des différents personnages.
- « L’immensité intérieure – Redécouvrir notre nature originelle » constitue à mon avis la meilleure introduction, à la fois la plus complète et la plus vivante, à la Vision du Soi selon Douglas Harding.
- « Vivre Sans Tête » demeure un texte incontournable, à condition de prendre très au sérieux son sous-titre : « Une contribution au zen en Occident ». Et de prendre bien entendu également le zen au sérieux.
- Enfin, si vous pensez être trop pressé, « Vision », premier chapitre du livre évoqué ci-dessus & fondement de la Vision du Soi, ne vous demandera que quelques minutes de lecture … et, je l’espère car je ne peux rien vous souhaiter de meilleur, toute une vie de mise en pratique !