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4 - Méditation

Fleurs du vide dans le zen – Marc De Smedt

Fleurs du vide dans le zen (0)

« Dans l’acte de méditer, la conscience se retrouve face à son propre miroir¹. Et c’est d’ailleurs une des premières révélations de la méditation que ce spectacle de l’agitation mentale personnelle qui se détache et défile sur l’écran blanc de notre esprit². Dès que nous nous asseyons en posture de silence, nous assistons à une pièce dont l’acteur principal est nous-même, nous suivons un film (série B) dont les péripéties sont faites de nos fantasmes, désirs, angoisses, problèmes, espoirs, joies et des mille détails dont se pétrit notre quotidien³. Nous nous rendons compte alors que notre pire ennemi, comme notre meilleur allié, se trouve en nous-même, car nos peurs paralysent notre action en ce monde, car notre manque de détachement nous ligote, car enfin, le lâcher-prise intérieur, l’éveil d’une conscience de soi plus vaste et le regard neuf suscité par notre méditation nous permettent d’avancer dans un nouvel espace de liberté. (4)

Méditation = mot valise, mot fourre-tout

Sur ce terme, le dictionnaire Robert dit : “soumettre à une longue et profonde réflexion » ou encore : “pensée profonde, attentive sur un sujet particulier”. Or le principe même de la méditation, telle qu’on peut la concevoir aujourd’hui, se situe bien au-delà de la pensée : il s’agit au contraire de laisser décanter son esprit, de faire table rase d’aller « de pensée en non-pensée et de non-pensée en pensée », ainsi qu’on le stipule dans le zen, il s’agit d’atteindre le plein-vide, le creux en soi qui est ouverture à l’univers, il s’agit de contacter cet être en soi dont nous parlent tous les mystiques et Heidegger : (5)

“L’Être est un produit de la pensée ?
La pensée est toujours avenant de l’Être.
Apprenez d’abord à remercier.
Et vous pourrez penser.
Rien n’est en vain
Tout est unique”

“Signes” (6)

Perdu dans ses pensées, on ne voit pas le monde

Perdu dans la pensée on oublie l’être qui existe en nous. Ce matin, au lever, impossible d’écrire. Le cheval fou de mes pensées virevoltait dans ma tête et mon corps, hébétés. Je m’assieds alors en posture de méditation, en zazen. Plonge dans l’écoute du silence. Le flot tumultueux alors se tarit, devient vent dans le vent qui dehors souffle. L’aube se lève. Je salue mains jointes, déplie mes jambes, me lève et la présence de la nature, le vert des oliviers, le chant des oiseaux m’envahissent : d’un regard le buisson ardent est là, l’univers vibre et flamboie de ses énergies. La vie éclate partout. La vie déferle en moi, autour de moi. Puis tout rentre dans la norme. Claire.
Je m’assieds alors pour écrire ce texte et la plume court simplement sur le papier. (7)

Méditer : entrer en osmose

Méditer c’est trouver un moment de calme pour se poser et se laisser, immobile, traverser par le flux des pensées et préoccupations qui s’en vont alors et cessent d’occuper, d’envahir le champ de la conscience. Libérée, celle-ci devient plus apte à servir. La méditation n’est pas oubli mais recentrage. Rééquilibrage de nos deux cerveaux. (8)

Méditer c’est comme rentrer au foyer, car on y retrouve et le calme de la maison idéale et la chaleur de l’âtre (être) vivant. Vrai. Mais c’est aussi un acte volontaire, guerrier, qui consiste à briser le moi des habitudes et apparences, sortir de sa coquille égotique et figée, se dégager de l’armure caractérielle. (9)

Méditer : se mettre face à son karma et le laisser s’écouler hors de nous. Vider le récipient de l’esprit.
Méditer = montagne.
Karma = nuages (10)

Gurdjieff le rappelait sans cesse : l’acte d’éveil est un travail.

Dans ce cas précis c’est un :

  • Travail sur la colonne vertébrale, notre axe de vie qu’il faut alors redresser, déployer dans l’assise.
  • Travail sur la respiration : nous préconisons l’expiration profonde et abdominale, vers le hara, tel que pratiquée dans le zen et les arts martiaux.
  • Travail sur la posture : épaules à détendre, nuque à tenir droite, pouces opposés qui ne doivent faire « ni montagne, ni vallée … »
  • Travail sur l’immobilité : par l’arrêt du geste et le silence se développent patience, endurance et pacification nerveuse.
  • Travail sur la conscience : « laisser passer les pensées comme des nuages dans le ciel » sans les entretenir ni les retenir crée un double processus d’auto-analyse et de vidange du trop-plein cérébral.
    Méditer c’est, suivant le koan zen : faire sans faire. (11)

Les écueils

Dans cette pratique existent bien sûr maints écueils :

  • Le manque de patience qui se traduit par l’énervement, l’excitation : on voudrait se lever et fuir, les pouces se lèvent, les nerfs s’exacerbent. Se concentrer sur la respiration, fermer les yeux, rentrer dans l’effort et tout s’arrange.
  • L’assoupissement : on s’endort au sein de sa posture, la tête tombe ou dodeline, les pouces s’écroulent. Respirations profondes, yeux ouverts, et forte détermination y pallient.

Autres écueils majeurs : appelés bonnos dans le zen, ce sont nos traces karmiques, tous nos désirs inavoués, nos blocages essentiels, héréditaires et situationnels, nos frustrations qui se bousculent au portillon et s’attachent, s’agglutinent, pèsent sur notre méditation. La fleur du lotus pousse dans la vase, dit un koan zen. La fleur de l’éveil se développe sur la boue existentielle. C’est la pratique de la posture elle-même qui crée la transmutation du plomb en or. (12)

Méditation = alchimie intérieure

Enfin il faut parler ici des visions diverses qui peuvent survenir : hallucinations, images hypnagogiques, reflets du rêve éveillé, projections mentales qui ont l’air de devenir réalité. Un adage zen dit : “Si le diable vient, donne-lui cent coups de bâtons, si Bouddha vient donne lui cent coups de bâtons’’. Bonne façon de réaliser que même les visions béatifiques ou divines sont finalement des obstacles sur le chemin du silence. Seule voie conduisant à la réalité suprême. Ce silence qui “rend le moi fluide” (Davy) et dissout lentement l’ego mesquin, s’ouvre au mystère et à la reconnaissance du mystère. Plénitude. (13)

“Le silence est le mystère du monde futur.
La parole est l’organe du monde présent.”

Isaac le Syrien

Les pièges

Oui, il faut savoir “prendre refuge” dans le dharma de la méditation, suivant le mot du Bouddha. Mais ne pas tomber dans l’ornière du quiétisme. Il faut considérer la méditation comme un havre de paix qui permet de mieux poursuivre l’effort quotidien, la lutte vitale, la marche en avant : la Voie est sous nos pieds (koan zen).

Car l’acte de méditer peut lui aussi devenir une routine, un confort, une habitude parmi d’autres : “une âme habituée est une âme morte”, disait Bachelard. Sa phrase peut s’appliquer à cela aussi et se rattacher à celle du patriarche qui reprochait à des moines de perdre leur temps à rester assis “comme des grenouilles’’. L’excès en tout nuit. (14)

De même, ce n’est pas parce que l’on médite qu’on doit croire avoir tout compris et trouvé. On ne trouve ni ne comprend jamais assez, on avance, c’est tout. Or, je suis toujours surpris, dans divers colloques ou communautés spirituelles, de voir les mines compassées de rigueur d’un certain nombre d’esprits sectaires qui se prennent pour des êtres réalisés se croient très occupés par leur rôle et toisent les autres du haut de leur nirvana. Les pauvres ne font que refléter le ridicule de leur ego qui a trouvé un nouveau masque. Faut-il rappeler ici que le sens latin du mot personne est : masque ? Personne = masque = personne. De même pour ceux qui se targuent de la véracité unique d’une théorie spirituelle par rapport à une autre. Les principes qui guident toute démarche spirituelle sont simples et se retrouvent, accommodés de sauces diverses, partout. Et une fois digéré l’apport oriental, il suffirait de se rendre compte que méditer c’est aussi naturel que boire et manger. (15)

De plus, notre méditation est nouvelle chaque jour.

Chaque jour, ‘‘ je” est autre. Chaque jour le temps change et chaque instant. De même notre corps-esprit.

Une fois que l’on a commence à pénétrer dans l’esprit unique de la méditation, celui-ci ne nous quitte pas mais attention à la paresse qui nous fait dire : à quoi bon ? Attention au laisser-aller qui nous fait oublier la nécessaire répétition de l’acte, de la pratique. Maître Deshimaru répétait sans cesse que l’effort devait être frais (you must be fresh), sans cesse renouvelé, aussi original que celui du premier jour de découverte et de pratique. Et il ajoutait : “Votre posture ne doit pas être comme une bouteille de bière éventée”. C. Q.F.D. (16)

De même, lorsqu’on vient me demander, à l’issue d’une conférence, et c’est fréquent : “Ma pratique de méditation ne m’apporte plus rien, j’en ai marre, que faire ? J’ai l’impression de tourner en rond. ” Je réponds toujours : “Mais là aussi, lâchez prise, prenez des vacances, cesser de vouloir à tout prix obtenir quelque chose, quittez quelque temps, quelques jours, votre pratique, son esprit ne vous quittera pas et vous vous apercevrez ainsi, et bien mieux, de son absolue utilité dans vos vies : naturellement, automatiquement, inconsciemment pour reprendre trois mots clés de Deshimaru, l’envie de méditer reviendra. ” (17)

Enfin, autre piège sur la voie : avec des amis méditant, créer une tribu exclusive, qui sait tout sur tout, refuse l’expérience d’autrui et la critique. Le fait de tomber dans un clan sectaire se révèle peut-être intéressant pour l’esprit grégaire et le besoin de convivialité, mais contraire à l’ouverture suscitée par une pratique juste. (18)

Mais le pire piège reste celui de se croire illuminé, parvenu à un stade quelconque de sagesse. Car si Dieu est aussi proche de nous que notre veine jugulaire, la folie l’est aussi.

Oui, dans le silence et le vide de la méditation, vie et mort se retrouvent, se relient, fusionnent.

Oui, il existe là un savoir absolu au-delà du savoir. Une proto-conscience primordiale et mystérieuse, que l’on peut, en tout cas, ressentir. Fond secret auquel Maître Eckhart fait allusion.

Oui “la posture exclut l’imposture” (Jacques Brosse), et l’acte même de la méditation sauve et régénère.

Encore faut-il savoir et vouloir s’y plonger, avec courage, détermination, vigueur, patience. Sans rien en attendre que l’effort lui-même, qui, seul, suffit à notre metanoia, notre métamorphose, notre transformation incessante et quotidienne.

La chose la plus insolite que l’être humain puisse rencontrer est peut-être ce silence méconnu que nous portons en nous-même. » (19)

Marc De Smedt

Marc de Smedt

Ce texte est extrait du numéro 67 de la revue Question de parue en 1986 et aujourd’hui épuisée.

 

Cordialement

 

NB : nombreux commentaires en cours, patience ! Mais vous pouvez déjà déposer les vôtres.

0 – Dans le billet « Tirer la couverture … au Soi », j’avais signalé l’existence de quelques textes intéressants & utiles consacrés à la méditation, anciennement regroupés dans un numéro épuisé de la revue « Question de », et désormais accessibles sur le site de la nouvelle revue.

Ces textes ont également été regroupés dans « Méditer et agir » (Albin Michel, collection « Espaces Libres ») et « L’art de méditer et d’agir » aux éditions du Relié.

Comme la curiosité n’est pas un « vilain défaut » si répandu que cela, il me semble que ces textes ont également toute leur place sur volte-espace, assortis de quelques commentaires en lien avec la Vision du Soi selon Douglas Harding.

Bon … j’avoue que déposer celui de Marc de Smedt sur volte-espace ne m’enthousiasmait guère. Cet homme là n’a pas été correct avec la Vision du Soi dans le cadre de ses responsabilités d’éditeur. C’est fâcheux pour cette dernière, mais toutes les choses importantes ne se développent que malgré. C’est surtout dommage pour Marc de Smedt … N’attendez donc pas que je lui fasse le moindre cadeau en commentant son texte.

J’ai aussi hésité à faire figurer sa photo dans ce billet … Puis je m’y suis résolu afin de respecter ma propre charte graphique. Il me semble que cette photo n’est pas vraiment un cadeau …

¹ – Ça commence plutôt mal, avec cette introduction passe-partout qui renvoie, subitement, tous ceux qui connaissent un peu la tradition zen au poème de Huineng :

« Il n’y a aucun arbre dans l’Éveil,
Le miroir n’est pas dressé.
Puisque fondamentalement rien n’a d’existence,
Où de la poussière pourrait-elle se déposer ? »

Il n’y a pas plus « acte de méditer » qu’opposition (« face à ») entre « la conscience » et « son propre miroir ».

² – Ça continue assez mal avec cet « écran blanc de notre esprit » sur lequel défilerait, en noir donc, « l’agitation mentale personnelle ». A défaut d’être traditionnelle cette métaphore a été beaucoup utilisée, mais elle est fausse si on ne la pousse pas jusqu’au bout : jusqu’à la lentille transparente qui laisse passer toute la lumière. Que Marc de Smedt ne fasse pas de distinction claire entre le mental et l’esprit (« l’âme et l’esprit » selon Michel Fromaget) passe encore, puisqu’il se range ainsi dans une majorité. Mais qu’il replace une couleur là où il n’y a que transparence centrale d’accueil de toutes les couleurs périphériques, c’est nettement plus grave.

Et pourquoi conditionner ainsi d’entrée de jeu une « agitation mentale personnelle » obligée ? Des choses très diverses peuvent être observées dans la périphérie de l’être humain.

³ – Et ça ne s’arrange pas ! Pourquoi donc vouloir à tout prix monter, ou soutenir, cette « pièce » ou ce mauvais « film » ? Nous pouvons tout aussi bien constater – immédiatement – que tout cela se joue en périphérie de nous-même et que ce que nous sommes au Centre est d’une nature radicalement différente. Non-dualité parfaite entre Centre et périphérie, certes. Mais absolue différence de nature, j’insiste.

Est-ce qu’il y aurait quelque chose à gagner à convaincre que la situation initiale est catastrophique, qu’elle réclame trente ans d’efforts surhumains et continus pour être redressée, qu’un éventuel « éveil » ne surviendra éventuellement que beaucoup plus tard ? De la renommée (« je suis mieux informé ou plus savant que vous »), de l’argent (« j’ai justement des livres et des abonnements utiles à vous vendre »), du pouvoir (« je peux vous aider à sortir de ce marigot »), … ?

4 – Là c’est mieux. Mais ce « en nous-même » reste encore bien vague. Le corps & mental périphérique n’est peut-être pas tant notre « pire ennemi » que « notre meilleur allié ».

Nous nous rendons compte alors que notre pire ennemi, comme notre meilleur allié, se trouve en nous-même, car nos peurs paralysent notre action en ce monde, car notre manque de détachement nous ligote, car enfin, le lâcher-prise intérieur, l’éveil d’une conscience de soi plus vaste et le regard neuf suscité par notre méditation nous permettent d’avancer dans un nouvel espace de liberté. (4)

5 –

Sur ce terme, le dictionnaire Robert dit : “soumettre à une longue et profonde réflexion » ou encore : “pensée profonde, attentive sur un sujet particulier”. Or le principe même de la méditation, telle qu’on peut la concevoir aujourd’hui, se situe bien au-delà de la pensée : il s’agit au contraire de laisser décanter son esprit, de faire table rase d’aller « de pensée en non-pensée et de non-pensée en pensée », ainsi qu’on le stipule dans le zen, il s’agit d’atteindre le plein-vide, le creux en soi qui est ouverture à l’univers, il s’agit de contacter cet être en soi dont nous parlent tous les mystiques et Heidegger : (5)

6 –

“L’Être est un produit de la pensée ?
La pensée est toujours avenant de l’Être.
Apprenez d’abord à remercier.
Et vous pourrez penser.
Rien n’est en vain
Tout est unique”

“Signes” (6)

7 – Je dirais plutôt : Perdu dans la pensée on oublie l’être en lequel nous existons.

Marc de Smedt fait bien ce qu’il veut de sa vie. Mais faire zazen pour … mieux écrire ou quoi que ce soit d’autre, est une erreur.

la présence de la nature, le vert des oliviers, le chant des oiseaux m’envahissent

Perdu dans ses pensées, on ne voit pas le monde

Perdu dans la pensée on oublie l’être qui existe en nous. Ce matin, au lever, impossible d’écrire. Le cheval fou de mes pensées virevoltait dans ma tête et mon corps, hébétés. Je m’assieds alors en posture de méditation, en zazen. Plonge dans l’écoute du silence. Le flot tumultueux alors se tarit, devient vent dans le vent qui dehors souffle. L’aube se lève. Je salue mains jointes, déplie mes jambes, me lève et la présence de la nature, le vert des oliviers, le chant des oiseaux m’envahissent : d’un regard le buisson ardent est là, l’univers vibre et flamboie de ses énergies. La vie éclate partout. La vie déferle en moi, autour de moi. Puis tout rentre dans la norme. Claire.
Je m’assieds alors pour écrire ce texte et la plume court simplement sur le papier. (7)

8 –

Méditer : entrer en osmose

Méditer c’est trouver un moment de calme pour se poser et se laisser, immobile, traverser par le flux des pensées et préoccupations qui s’en vont alors et cessent d’occuper, d’envahir le champ de la conscience. Libérée, celle-ci devient plus apte à servir. La méditation n’est pas oubli mais recentrage. Rééquilibrage de nos deux cerveaux. (8)

9 –

Méditer c’est comme rentrer au foyer, car on y retrouve et le calme de la maison idéale et la chaleur de l’âtre (être) vivant. Vrai. Mais c’est aussi un acte volontaire, guerrier, qui consiste à briser le moi des habitudes et apparences, sortir de sa coquille égotique et figée, se dégager de l’armure caractérielle. (9)

10 –

Méditer : se mettre face à son karma et le laisser s’écouler hors de nous. Vider le récipient de l’esprit.
Méditer = montagne.
Karma = nuages (10)

11 –

Gurdjieff le rappelait sans cesse : l’acte d’éveil est un travail.

Dans ce cas précis c’est un :

Travail sur la colonne vertébrale, notre axe de vie qu’il faut alors redresser, déployer dans l’assise.
Travail sur la respiration : nous préconisons l’expiration profonde et abdominale, vers le hara, tel que pratiquée dans le zen et les arts martiaux.
Travail sur la posture : épaules à détendre, nuque à tenir droite, pouces opposés qui ne doivent faire « ni montagne, ni vallée … »
Travail sur l’immobilité : par l’arrêt du geste et le silence se développent patience, endurance et pacification nerveuse.
Travail sur la conscience : « laisser passer les pensées comme des nuages dans le ciel » sans les entretenir ni les retenir crée un double processus d’auto-analyse et de vidange du trop-plein cérébral.
Méditer c’est, suivant le koan zen : faire sans faire. (11)

12 –

Autres écueils majeurs : appelés bonnos dans le zen, ce sont nos traces karmiques, tous nos désirs inavoués, nos blocages essentiels, héréditaires et situationnels, nos frustrations qui se bousculent au portillon et s’attachent, s’agglutinent, pèsent sur notre méditation. La fleur du lotus pousse dans la vase, dit un koan zen. La fleur de l’éveil se développe sur la boue existentielle. C’est la pratique de la posture elle-même qui crée la transmutation du plomb en or. (12)

13 –

Méditation = alchimie intérieure

Enfin il faut parler ici des visions diverses qui peuvent survenir : hallucinations, images hypnagogiques, reflets du rêve éveillé, projections mentales qui ont l’air de devenir réalité. Un adage zen dit : “Si le diable vient, donne-lui cent coups de bâtons, si Bouddha vient donne lui cent coups de bâtons’’. Bonne façon de réaliser que même les visions béatifiques ou divines sont finalement des obstacles sur le chemin du silence. Seule voie conduisant à la réalité suprême. Ce silence qui “rend le moi fluide” (Davy) et dissout lentement l’ego mesquin, s’ouvre au mystère et à la reconnaissance du mystère. Plénitude. (13)

14 –

Les pièges

Oui, il faut savoir “prendre refuge” dans le dharma de la méditation, suivant le mot du Bouddha. Mais ne pas tomber dans l’ornière du quiétisme. Il faut considérer la méditation comme un havre de paix qui permet de mieux poursuivre l’effort quotidien, la lutte vitale, la marche en avant : la Voie est sous nos pieds (koan zen).

Car l’acte de méditer peut lui aussi devenir une routine, un confort, une habitude parmi d’autres : “une âme habituée est une âme morte”, disait Bachelard. Sa phrase peut s’appliquer à cela aussi et se rattacher à celle du patriarche qui reprochait à des moines de perdre leur temps à rester assis “comme des grenouilles’’. L’excès en tout nuit. (14)

15 –

De même, ce n’est pas parce que l’on médite qu’on doit croire avoir tout compris et trouvé. On ne trouve ni ne comprend jamais assez, on avance, c’est tout. Or, je suis toujours surpris, dans divers colloques ou communautés spirituelles, de voir les mines compassées de rigueur d’un certain nombre d’esprits sectaires qui se prennent pour des êtres réalisés se croient très occupés par leur rôle et toisent les autres du haut de leur nirvana. Les pauvres ne font que refléter le ridicule de leur ego qui a trouvé un nouveau masque. Faut-il rappeler ici que le sens latin du mot personne est : masque ? Personne = masque = personne. De même pour ceux qui se targuent de la véracité unique d’une théorie spirituelle par rapport à une autre. Les principes qui guident toute démarche spirituelle sont simples et se retrouvent, accommodés de sauces diverses, partout. Et une fois digéré l’apport oriental, il suffirait de se rendre compte que méditer c’est aussi naturel que boire et manger. (15)

16 –

De plus, notre méditation est nouvelle chaque jour.

Chaque jour, ‘‘ je” est autre. Chaque jour le temps change et chaque instant. De même notre corps-esprit.

Une fois quEnfin, autre piège sur la voie : avec des amis méditant, créer une tribu exclusive, qui sait tout sur tout, refuse l’expérience d’autrui et la critique. Le fait de tomber dans un clan sectaire se révèle peut-être intéressant pour l’esprit grégaire et le besoin de convivialité, mais contraire à l’ouverture suscitée par une pratique juste. (18)e l’on a commence à pénétrer dans l’esprit unique de la méditation, celui-ci ne nous quitte pas mais attention à la paresse qui nous fait dire : à quoi bon ? Attention au laisser-aller qui nous fait oublier la nécessaire répétition de l’acte, de la pratique. Maître Deshimaru répétait sans cesse que l’effort devait être frais (you must be fresh), sans cesse renouvelé, aussi original que celui du premier jour de découverte et de pratique. Et il ajoutait : “Votre posture ne doit pas être comme une bouteille de bière éventée”. C. Q.F.D. (16)

17 –

De même, lorsqu’on vient me demander, à l’issue d’une conférence, et c’est fréquent : “Ma pratique de méditation ne m’apporte plus rien, j’en ai marre, que faire ? J’ai l’impression de tourner en rond. ” Je réponds toujours : “Mais là aussi, lâchez prise, prenez des vacances, cesser de vouloir à tout prix obtenir quelque chose, quittez quelque temps, quelques jours, votre pratique, son esprit ne vous quittera pas et vous vous apercevrez ainsi, et bien mieux, de son absolue utilité dans vos vies : naturellement, automatiquement, inconsciemment pour reprendre trois mots clés de Deshimaru, l’envie de méditer reviendra. ” (17)

18 –

Enfin, autre piège sur la voie : avec des amis méditant, créer une tribu exclusive, qui sait tout sur tout, refuse l’expérience d’autrui et la critique. Le fait de tomber dans un clan sectaire se révèle peut-être intéressant pour l’esprit grégaire et le besoin de convivialité, mais contraire à l’ouverture suscitée par une pratique juste. (18)

19 –

Mais le pire piège reste celui de se croire illuminé, parvenu à un stade quelconque de sagesse. Car si Dieu est aussi proche de nous que notre veine jugulaire, la folie l’est aussi.

Oui, dans le silence et le vide de la méditation, vie et mort se retrouvent, se relient, fusionnent.

Oui, il existe là un savoir absolu au-delà du savoir. Une proto-conscience primordiale et mystérieuse, que l’on peut, en tout cas, ressentir. Fond secret auquel Maître Eckhart fait allusion.

Oui “la posture exclut l’imposture” (Jacques Brosse), et l’acte même de la méditation sauve et régénère.

Encore faut-il savoir et vouloir s’y plonger, avec courage, détermination, vigueur, patience. Sans rien en attendre que l’effort lui-même, qui, seul, suffit à notre metanoia, notre métamorphose, notre transformation incessante et quotidienne.

La chose la plus insolite que l’être humain puisse rencontrer est peut-être ce silence méconnu que nous portons en nous-même. » (19)

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

3 réponses sur « Fleurs du vide dans le zen – Marc De Smedt »

Je vois que les affidés du Zen trouvent toujours un « espace » sur votre site, cher Jean-Marc. Après Deshimaru, voici l’un de ses élèves français, apparemment l’un des moins dévots et l’un aussi des plus ouvert d’esprit. Capable même de citer  Maître Eckhart, Heidegger et Isaac le Syrien,  après avoir déjoué les mirages de l’ego jusque chez les pratiquants les plus zélés! La pensée de Jacques Brosse est aussi à l’honneur, presque à la hauteur d’un adage zen qu’on se répétait dans les dojos que j’ai fréquentés, comme un mantra. Est-il pour autant véridique? C’est toute la question que je n’ai cessé de me poser dans mes années zen…  Moi aussi, j’ai apprécié, fut un temps, la prose poétique de M. de Smedt, et cru en dans la profondeur de son itinéraire, en achetant nombre de ses livres et ceux des collections qu’il a dirigés à la suite de Jean Herbert, l’enrichissant indûment de mes achats.   Las! Il aura suffi de le rencontrer une fois et d’en savoir un peu plus sur son mode de vie de grand  privilégié spirituel, profitant d’une existence très dorée, arborant toute l’année un visage de sage bronzé revenant de Morzine ou de Floride, le regard non pas pénétrant ou spirituel, mais avide de réaliser des affaires comme le businessman qu’il est devenu, mettant en pratique l’affirmation juste un peu  limite de Maître Deshimaru selon laquelle  » Zen is good for business », pour qu’il dégringole dans mon estime et apparaisse tel qu’il est et a toujours été : tel un profiteur de la spiritualité, un marchand  du Temple et de la mystique devenu presque incontournable, un sympathique imposteur au sourire séducteur qui rappellerait celui d’un autre sage au « sourire à cran d’arrêt », du même âge, de la même trempe, avec un itinéraire très proche, un peu plus commercial dans sa façon d’être, et donc un peu moins sectaire, sachant cacher sa pensée sous celle des autres, ou plutôt sachant dissimuler la pauvreté de sa pensée par l’emploi de celles d’autrui, mais toujours présent pour retirer tous les bénéfices, financiers et symboliques, d’une bonne affaire où il se montrera un excellent businessman. Eh oui, mon cher Jean-Marc, même dans le champ commercial de la spiritualité, toute occasion est bonne pour celui qui sait en tirer profit. Et Marc de Smedt appartient à cette étrange espèce d’hommes dont l’éloge funèbre devrait ressembler à ce billet d’humeur si la justice existait sur cette terre..
Bruno

Bonjour Bruno,

Ça fait toujours plaisir de voir que quelqu’un jette un œil sur volte-espace ! J’espère que vous allez bien.
Je suis d’accord à 100% avec votre « éloge funèbre ».
J’ai une dent contre Marc de Smedt, exposée poliment ici : « Qu’attendons-nous pour voir la vie autrement ? »
Je comptais saisir l’occasion de ce nouveau billet pour … enfoncer le clou en quelque sorte. Votre commentaire a devancé les miens.
Même sans votre & mes commentaires, la photo du bonhomme en dit beaucoup, suffisamment pour se faire une première impression.
De Jean Herbert à Marc de Smedt … : quelle dégringolade !
J’espère juste que vous ne mettez pas Jacques Brosse dans le même sac que Marc de Smedt ; ce serait vraiment injuste.
Dans quel contexte Taisen Deshimaru a-t-il dit « Zen is good for business » ? Si l’on considère que le seul véritable « business » digne d’un être humain consiste à « passer sur l’autre rive », alors oui, le zen peut aider. Et la Vision du Soi selon Douglas Harding peut contribuer à saisir l’essence du zen et à réaliser une percée décisive dans une optique spirituelle.

Un vrai dilemme que ces quelques textes accessibles sur le site du nouveau Question De. N’en retenir qu’un ? Privilégier une approche au dépens des autres ? Au risque que tout disparaisse un jour pour que le business redémarre. Du coup j’ai décidé de tout prendre, ou plutôt de tout sécuriser.
Mais je vois que vous focalisez sur ce qui ne va pas, au lieu de considérer que j’offre accès à quelques pépites. Avouez que les textes de Lacarrière et de Cazenave sont de vraies perles. Et que celui de JY Leloup, un peu long, n’est pas mal non plus. Sans parler de MM Davy, Bernard Rérolle, Faouzi Skali.

Bonne journée

Cordialement

Jean Marc

Effectivement et je vous donne raison cher Jean-Marc, j’ai toujours été d’ailleurs un admirateur de M.-M. Davy.
Ici, le monde est en léthargie et j’aspire à retrouver non pas la vie d’avant, qui n ‘avait que peu de charmes pour moi, mais un peu de liberté. Et j’espère que vous et votre famille vous portez bien malgré cet état d’exception qui tourne à l’Etat policier… Je suis en train de rédiger un texte (court!) sur une question importante en spiritualité : le rapport problématique entre l’expérience mystique, que vous décrivez fort bien, et l’engagement dans le monde, dont vous-même faites profession sur votre site et par vos activités qui vous honorent… Je vous dis à très bientôt et vous remercie encore pour votre accueil toujours aimable… Bruno

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