Catégories
6 - Lectures essentielles

Des religions pour les servir ou pour qu’elles nous servent – Marie Balmary

« Des religions pour les servir ou pour qu’elles nous servent »

Conférence de Marie Balmary à l’Institut Français de Barcelone, le 12 mars 2008 (0).

« L’éditeur attentif qui accueille en catalan mon dernier livre¹ a choisi dans ce livre une phrase et me l’a proposée comme titre pour ce soir avec l’entière liberté de parole².

J’ai donné mon accord. Puis, je me suis aperçue ensuite qu’il n’était pas si facile de développer cette phrase. Aussi, je suis heureuse d’être bien assistée par ceux qui viennent de s’adresser à vous et par vos questions ensuite³.

J’ai préparé pour vous non pas une présentation de mon livre mais plus généralement de la recherche qui est la base de ce livre.

Darwin et le dieu tyrannique

A propos de religions – les servir ou qu’elles nous servent – je prends tout de suite un exemple que nous connaissons tous : les funérailles religieuses d’une personne qui, pourtant, disait ne pas croire en Dieu. La famille du défunt le souhaite. Je suppose qu’en Espagne comme en France, les églises ne refusent pas leur service dans ce cas-là.
J’ai choisi cependant un exemple particulier qui m’a beaucoup frappée lorsque je l’ai découvert. Il s’agit du grand savant dont l’œuvre se trouve au centre d’un combat encore actuel entre science et religion, Charles Darwin.

Le jeune Darwin se préparait à devenir pasteur, mais à ce moment-là, passionné de sciences de la nature, il se joignit à un long voyage (4) scientifique au cours duquel il recueillit toutes ses observations sur les espèces. Il eut le temps de beaucoup réfléchir et de remettre en question sa soumission à l’autorité de la Bible. Voici quelques phrases de son autobiographie qui racontent comment et pourquoi est devenu athée, à contrecœur, dit-il … Je le cite :

“… j’en étais peu à peu venu ultérieurement à considérer que l’Ancien Testament n’est pas plus digne de confiance que les livres sacrés des Hindous, ou les croyances d’autres barbares, de par son histoire du monde manifestement fausse, avec la tour de Babel, l’arc-en ciel comme signe, etc. et parce qu’il attribuait à Dieu les sentiments d’un tyran vindicatif.

[…] Ainsi l’incrédulité m’envahit-elle très lentement pour devenir finalement totale. L’évolution fut si lente que je ne ressentis pas d’angoisse, et je n’ai pas depuis douté une seule seconde de la vérité de ma conclusion. En fait, je peux difficilement admettre que quelqu’un puisse souhaiter que le christianisme soit vrai ; car si c’était le cas, la lettre semble clairement indiquer que les hommes qui ne croient pas, donc mon père, mon frère et presque tous mes meilleurs amis, seront punis éternellement. Or, cette doctrine est condamnable.”
[C’est moi – Marie Balmary – qui souligne]

Lorsque son livre fameux, L’origine des espèces, parut (1859), il y eut un débat à Oxford en 1860 et les évolutionnistes gagnèrent contre les religieux au cours d’une mémorable séance où Thomas Huxley, l’ami de Darwin et l’évêque Samuel Wilberforce eurent cet échange devenu célèbre (5) :

L’évêque, terminant son intervention : «Mr. Huxley, est-ce par votre grand-père ou par votre grand-mère que vous prétendez descendre du singe ?»

Thomas Huxley : «Je prétends qu’il n’y a pas de honte pour un homme à avoir un singe pour grand-père. Si je devais avoir honte d’un ancêtre, ce serait plutôt d’un homme : un homme à l’intellect superficiel et versatile qui, au lieu de se contenter de ses succès dans sa propre sphère d’activité, vient s’immiscer dans des questions scientifiques qui lui sont totalement étrangères, ne fait que les obscurcir par une rhétorique vide, et distrait l’attention de ses auditeurs du vrai point de la discussion par des digressions éloquentes, d’habiles appels aux préjugés religieux.»

L’enterrement à Westminster

Vingt deux ans plus tard, Darwin mourut. Un des vainqueurs du clan évolutionniste, John Lubbock, sans voir là aucune incohérence apparemment, adressa à la Chambre des Communes cette demande : «Votre Honneur, un très grand nombre de nos concitoyens de toutes classes et opinions trouveraient sans doute convenable que notre illustre concitoyen le Dr Darwin soit enterré à l’abbaye de Westminster.» On fit donc à Darwin de solennelles funérailles religieuses. Puis on enterra son corps dans la plus prestigieuse église d’Angleterre, bien que son œuvre serve aujourd’hui encore à disqualifier la Bible.

Darwin nous a raconté comment il a cessé de croire en Dieu. Une question se pose : de quel Dieu s’agissait-il ? «Un tyran vindicatif», dit-il. Pour croire à ce dieu totalitaire, il aurait fallu que Darwin renonce à sa liberté de pensée, son intelligence, et qu’il accepte que tous les hommes qu’il aimait soient damnés puisqu’ils ne croyaient pas au divin tyran.

Cependant, sa femme, Emma, était croyante. Seulement, son dieu à elle n’était pas du tout le dieu que son mari refusait, comme on peut le lire dans leur émouvante correspondance. Or, la foi d’Emma Darwin touchait profondément son mari. Ainsi, je pense que l’enterrement religieux à Westminster ne fut pas une pure formalité voire une hypocrisie selon les usages du temps.

On peut remarquer au passage la délégation de croyance, je m’explique : les disciples de Darwin qui avaient tourné en ridicule l’évêque vingt ans auparavant, se sont cachés derrière leurs concitoyens pour demander l’enterrement religieux : «Un très grand nombre de nos concitoyens de toutes classes et opinions trouveraient sans doute convenable que notre illustre concitoyen le Dr Darwin soit enterré à l’abbaye de Westminster.» Eux ils ne croient pas mais un très grand nombre de leurs contemporains croient. De même Darwin : il ne croit pas. Mais quand sa femme lui adresse les belles lettres d’amour où elle lui parle de sa foi à elle, il a écrit au bas de la lettre : «God bless you». Dieu te bénisse.

Les disciples athées ont donc demandé pour le grand savant la bénédiction de l’Église, les paroles et les signes de la foi en une vie éternelle. C’est à peu près comme s’ils disaient : certes, l’homme descend du singe mais on ne peut pas enterrer Darwin comme un chien. (On dit cela en français, je ne sais pas si la même expression existe en catalan et en castillan).

L’enterrement : on dit que c’est à cela qu’on reconnaît que l’homme s’est séparé de l’animal : qu’il enterre ses morts. Du moins, c’est la première trace que nous déchiffrons lorsque nous cherchons les premiers signes d’humanité.

sepultureteviec

Sépulture de Teviec

Dans le cas de Darwin, la religion de façon posthume a servi l’homme, elle lui a apporté la gloire de sa pompe et peut-être les promesses de l’au-delà. Au moment où la religion ne pouvait plus rien lui imposer puisqu’il échappait à toute tyrannie par la mort, la religion était convoquée pour témoigner de ce dont le sacré témoigne : que l’homme, que la vie de l’homme a une autre dimension que celle que lui donne la nature. Cette religion a accepté de servir sa mémoire sans être servie par lui.

Ceci est une premier niveau pour répondre à notre question de ce soir.

Lorsque j’ai commencé à lire avec des amis la Bible en hébreu et avec Freud, si je puis dire, j’ai bien des fois pensé : dommage que Darwin n’ait pas eu la moindre idée qu’une toute autre lecture de la Bible était possible, dommage qu’il n’ait pas eu le moindre accès à une lecture symbolique – et non pas historique – de la Genèse. Un accès à la «lettre». Pas la lettre telle qu’il la comprend, mais la littéralité du texte. Quand je lis ce qu’il croit être le dieu de la Bible et la Bible elle-même, j’ai l’impression d’un homme qui ignore que pour trouver du pétrole, il faut creuser la terre. Tant de choses précieuses ne se trouvent pas à la surface du sol. Les champs doivent être labourés, les puits et les mines doivent être creusées. Est-ce si étonnant que les textes fondateurs d’une culture aient aussi besoin de l’être (6) ?

Pour ma part, c’est à la fois la psychanalyse – et particulièrement l’analyse des rêves – et la tradition juive qui m’ont appris que le sens vivant des paroles ne se trouvait pas en surface. Je crois que les deux choses sont liées. Freud, lui-même athée, reconnaissait que la psychanalyse ne pouvait être inventée que par un juif.

Toute libération est une bonne nouvelle. La femme d’Abraham, Sarah

Je vais prendre un exemple à un autre niveau, cette fois tiré de la Bible et de mon expérience. Il y a bien des façons de lire la Bible. Par exemple, on entend souvent dire : la Bible est misogyne, c’est une religion faite par les hommes pour les hommes. Car les hommes doivent être soumis à Dieu mais les femmes, elles, sont soumises à Dieu et à leurs maris … Je prends l’exemple de deux mots qui concerne une femme, dont le sens avait disparu dans toutes les Bibles françaises. Encore un enterrement mais les traducteurs ne nous ont pas dit qu’ils enterraient une parole divine. Là encore, il y a deux religions dans le même texte selon la façon dont on traduit. Une religion qu’on doit servir et une autre qui nous sert.

Je vous raconte ce qui m’est arrivé le matin où j’ai découvert la première traduction de la Bible par André Chouraqui. Ce juif qui a traduit en français deux fois toute la Bible, et non seulement la bible hébraïque mais aussi le Nouveau Testament. Il a traduit ensemble, je veux dire, les deux testaments comme si c’était le même fleuve de parole. Ce qui pour un juif est unique dans l’histoire, je crois.

A l’époque je ne lisais pas l’hébreu. Donc, un matin, je venais d’acheter le premier volume, la Genèse évidemment, et je lisais 17, 15.

Elohim dit à Abraham :
Saraï, ta femme,
Ne clame plus son nom Saraï, ma princesse,
Car son nom est : Sarah, la princesse.

Je rencontrais dans l’escalier de la bibliothèque une collègue incroyante et qui avait envers les religions les préventions ordinaires d’une psychanalyste. Voyant le livre que je tenais à la main, elle lut le titre et s’étonna : – «Tu lis la Bible maintenant ?» – «Oui, dis-je, et ce que je viens d’y lire est incroyable. Connais-tu un dieu qui demande à un homme de ne plus appeler sa femme “ma princesse”, car “la princesse” est son nom ?» – «Tu veux dire qu’il demande au mari de ne plus considérer sa femme comme sa possession ?»

Nous nous sommes arrêtées dans l’escalier comme nous l’aurions fait si je lui avais raconté un événement important qui venait d’avoir lieu. Cette parole nous saisissait toutes les deux aussi fortement. Croyante ou incroyante, là n’était pas la question. Pour ma collègue comme pour moi, cela constituait une heureuse nouvelle. Simplement qu’il soit écrit dans la Bible cette parole divine : «Ta femme … ne l’appelle plus ma princesse.»
Ce qui m’a beaucoup frappée, lorsque j’ai cherché à approfondir cette histoire de changement de nom, c’est qu’aucune des autres traductions auxquelles j’avais accès n’avait retenu ce «détail».
Partout, je lisais : «… tu ne l’appelleras plus Saraï car Sarah est son nom» avec, souvent en note de bas de page, le commentaire suivant : «Ce sont deux états du même mot qui signifie “princesse”.»
Le changement de nom de Sarah n’a donc pas de sens pour ces traducteurs et ne sert à rien.

Alors, ou bien cet Elohim parle pour ne rien dire, il est au sens propre in-signifiant (sa parole n’a pas de signification) et cette religion ne nous éclaire pas, ne nous sert pas. Pourquoi s’y intéresser ?

Ou bien, si l’on veut sauver ce dieu, il faut le servir ainsi : le croyant refoule l’impression d’absurdité, il abaisse son niveau d’intelligence critique et il rationalise la défaite de sa propre intelligence en refusant d’interroger : Dieu a parlé, Abraham n’a qu’à obéir – changer le nom de sa femme sans comprendre et sans consulter celle-ci.

(Ce Dieu est bien le tyran auquel Darwin ne voulait pas croire. Je pense qu’il rendait hommage à Dieu, s’Il est, en refusant de le reconnaître dans ce dieu-là. La tradition juive dit bien que l’athéisme peut être l’avant dernière étape avant la véritable foi car c’est le libération de l’idolâtrie). (7)

Quand grâce à Chouraqui, j’ai découvert le sens de ce changement de nom, il m’a paru important pour l’homme et la femme, pour la conception du mariage. Pourquoi les autres traductions n’en n’avaient-elles pas rendu le sens ? Fallait-il que le texte biblique demeure «de l’hébreu» pour ceux qui ne lisent pas l’hébreu (On dit cela en français quand on ne comprend rien : pour moi, ce que tu dis là, c’est de l’hébreu. (8) ?

Pourquoi cet enterrement du sens ?

Logique symbolique

La psychanalyse offre ici un outil de pensée, c’est la notion de refoulement. Sans doute les autres traducteurs en langue française – le plus souvent, du côté catholique en tout cas, des prêtres ou des religieux célibataires – sans doute n’avaient-ils pas été rejoints dans leur expérience par cette histoire conjugale. Ou bien ne pouvaient-ils imaginer leur Dieu s’occupant d’une chose aussi triviale que cette affaire de ménage ; ou à l’opposé, s’occupant d’une chose aussi révolutionnaire que la libération des femmes de la domination des hommes. Une libération, non par suppression du mariage, mais par une modification telle que, au lieu de lier une femme à un homme, cette alliance la délie de lui. Abraham devenait maintenant, non plus le maître et possesseur, mais l’époux de Sarah. L’écrivain français Montaigne parle d’une offense faite aux femmes lorsqu’elles sont mariées sans être épousées.

Si cette hypothèse est juste – qu’Abraham et Sarah étaient mal mariés auparavant – cela pourrait être alors la raison de la stérilité du couple, alors la stérilité devrait pouvoir disparaître maintenant qu’ils sont vraiment mariés. Et en effet, Elohim – Dieu – continue (16) :

« Je l’ai bénie,
D’elle, je te donnerai aussi un fils. »

Le psychanalyste trouve là une logique symbolique sans défaut : Saraï, ma princesse, possédée comme une chose est stérile ; Sarah, princesse, libérée par son homme à la demande de son dieu, princesse épousée, sera féconde. Le symptôme parlait d’une souveraineté sur elle-même que Sarah ne pouvait réclamer autrement. Cette souveraineté une fois reconnue, le symptôme avait fini son travail, il pouvait disparaître. Et ce symptôme, qui l’avait entendu ? Elohim. Dieu thérapeute. Religion qui sert, religion qui guérit.

Les religions des autres

Que peut faire une femme, un homme, d’une telle histoire s’ils ne sont pas croyants ? Déjà ce que chacun de nous fait de ce qu’on lui raconte de la vie des autres. Un usage de parabole. L’histoire d’un dieu qui demande à un homme d’affranchir sa femme ; l’idée que les relations homme-femme pourraient être autre chose que domination et servitude ; l’autorisation pour toute femme – et même tout homme – de désirer cela. Car ce qui arrive à un humain peut arriver à tous.
Il y a là un mystère de l’humanité. Les histoires qu’on nous raconte peuvent nous faire du bien – ou du mal. Même si elles ne parlent pas de nous.

Les religions peuvent nous servir ou nous aliéner. Nous réduire à la soumission ou nous raconter des naissances à la parole. Et parfois, c’est une parole qui vient d’une autre tradition que la nôtre qui nous libérera davantage, parce que justement, elle ne nous a pas été donnée avec contrainte. Nous n’avons jamais été obligés de la croire. Aussi, ce qui nous touchera en elle, c’est qu’elle puisse correspondre à un désir secret en nous, qu’elle puisse apaiser une crainte secrète. (9)

Un jour, j’ai trouvé dans le Coran cette phrase – qui se situe au Jugement dernier – (Sourate 14 verset 22) :

Et quand tout sera accompli, le Satan dira : «Certes, Allah vous avait fait une promesse de vérité ; tandis que moi, je vous ai fait une promesse que je n’ai pas tenue. Je n’avais sur vous aucun pouvoir si ce n’est que je vous ai appelés, et que vous m’avez répondu …»

Il m’est arrivé de redire cette parole à d’autres. Ils l’ont aimée. Parce qu’il nous est bon de penser que le Mal n’a sur nous, finalement, aucune autorité, aucun pouvoir. Que nous n’avons pas à le servir et qu’à la fin du monde – même si nous ne croyons pas à quelque chose comme la fin du monde – ceci sera dit à tous.

J’aurais encore tant d’exemples à vous donner de textes qui réduisent notre intelligence et nous mettent dans une position de serviteurs soumis – ou bien les mêmes textes qui, repris à leur source, peuvent au contraire nous servir, nous éveiller, nous permettre de grandir intérieurement. Certains diraient, psychiquement. Je dirais encore : spirituellement.

Une inconnue : aimer son prochain comme soi-même

Un dernier exemple d’une des phrases les plus connues de nos religions : aimer son prochain comme soi-même.
Est-ce simplement un commandement du dieu, arbitraire ? Sans comment ni pourquoi ?
Freud lui se révolte contre cette ordre, disant qu’il est impossible à accomplir. Freud est d’accord pour aimer son prochain si l’autre l’aime lui-même. Mais bien souvent, dit-il, j’ai tant de reproche à lui faire qu’il m’est impossible de l’aimer.

Ce désaccord de Freud (dans Malaise dans la civilisation) m’a amenée à chercher d’où venait cette phrase, ce que lui-même ignore : il pense qu’elle est venue par les chrétiens mais qu’elle doit être bien plus ancienne. Dommage qu’il n’ait pas été davantage juif. Il aurait su que “aimer son prochain comme soi-même” vient du Lévitique, chapitre 19, versets 17 et 18. Et que ce qui est écrit est bien différent de ce qu’il croit écrit, en étant si proche de ce qu’il dit lui-même. Je lis :

« Tu n’auras pas dans ton cœur de haine pour ton frère. Tu dois réprimander ton compatriote et ainsi tu n’auras pas la charge d’un péché. (18) Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Éternel – YHWH. »

Mon commentaire : un frère, un compatriote, du même peuple, a commis une faute : je le haïrai si cette faute, c’est moi qui la porte et ceci arrivera si je ne lui reproche pas la faute qu’il a commise envers moi, si je ne lui dis pas que cette faute est sienne.
Que se passera-t-il si je porte sa faute, ne lui ayant pas fait reproche et que je le hais? : je me vengerai. Ayant gardé sa faute sur moi, j’essaierai de la lui rendre en le rendant victime à son tour du mal qu’il m’a fait. Le mal aura alors triomphé de la parole, puisque le faute ne sera pas dite mais commise à nouveau.

Dans mon premier livre sur la Bible, Le sacrifice interdit, j’ai fait une étude clinique de cette phrase qui donne raison à Freud. Freud en effet croit qu’on ne peut pas aimer parce qu’on a des reproches à faire. Il réinvente ainsi sans le savoir ce que dit le Lévitique : on ne peut aimer son prochain comme soi-même que si on peut faire des reproches à celui qui a commis une faute envers vous.

Reprocher pour aimer. Quelle religion a osé vraiment pratiquer cela et l’enseigner ? La psychanalyste que je suis confirme avec tous mes collègues que sans cette possibilité du reproche, la vie de la personne devient haine et souffrance. C’est une conquête et une guérison lorsque le patient en psychanalyse peut enfin dire le mal qu’on lui a fait, d’abord au psychanalyste, puis à ceux qui ont fait ce mal – bien souvent sans en avoir conscience. On passe alors au-delà de la haine, là. La parole de vérité sur la faute permet la réconciliation, comme on le voit se faire dans les familles et aussi dans les populations qui se sont entre-tuées.

L’interdit de servir

Vous pourriez me dire : mais enfin, Madame, la Loi, la Loi divine ne nous commande-t-elle pas d’obéir à Dieu, de le servir ?
Pour répondre, je n’ai pas besoin d’autre chose que de la loi elle-même. Cette loi donnée à Moïse au Sinaï, les dix commandements – ou les dix paroles comme disent plus justement les juifs – sont vraiment en plein dans notre thème de ce soir : je lis littéralement de l’hébreu (Exode 20, 1 à 4)

Elohim parle toutes ces paroles pour dire :

«JE YHWH, Elohim de Toi qui t’ai fait sortir de la terre d’Égypte, de la maison des esclaves (de ceux qui ne font que servir)
Il ne sera pas pour toi d’autres Elohim devant les faces de JE
Tu ne feras pour toi ni sculpture ni toute image de ce qui est dans les ciels en haut, sur la terre en bas et dans les eaux sous terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas.

  • d’abord un récit de libération : un dieu qui fait sortir du pays où l’on servait ;
  • et tout de suite après l’interdit de se faire des dieux – des images comme dit le texte – alors que la seule image de Dieu, c’est l’humain – et des les servir.

La Bible donne raison à ceux qui refusent de servir des images – le dieu tyrannique de Darwin.

Il ne leur reste plus qu’à trouver le dieu qui libère de la maison des esclaves. Et qui donne, comme le dit le psychanalyste Jacques Lacan, dans ces dix paroles de la Loi, les lois de la parole elle-même.

Jésus n’a-t-il pas dit lui- même : «Je suis parmi vous comme celui qui sert» ?

Il sert comme un servant (diakonos), pas comme une esclave. Que sert-il, sinon la croissance spirituelle de chacun jusqu’à ce qu’il puisse dire lui aussi : «Je suis» avec d’autres «Je suis», comme lui-même a pu le dire ?« 

Cordialement

 

0 – Article bien trop long pour figurer sur volte-espace, j’en conviens. Mais d’une part cela me permet d’ajouter quelques commentaires en lien avec la Vision du Soi selon Douglas Harding, et de rassembler des communications de Marie Balmary un peu dispersées sur le wouèbe d’autre part.

Si vous préférez le texte d’origine, voici le lien : conferencia-de-marie-balmary-en-frances_4409

¹ – Fragmenta

² – A dire vrai j’ai beaucoup de mal à imaginer que Marie Balmary accepte de parler sans être assurée d’une « entière liberté de parole » !

³ – Rarement des paroles de Marie Balmary isolées : toujours un travail de relations, toujours un « nous » en marche, à égalité dans la dignité de sujets. Nous sommes ici très loin des consultations d’un Emmanuel Macron !

4 – « Un long voyage … » : je désamorce illico l’offensive des climatosceptiques souhaitant s’emparer de cet exemple pour justifier l’intérêt des voyages actuels, en leur rappelant que ces voyages de Darwin ont eu lieu « by fair means », à la force du vent. Le voyage lointain hyper-carboné détruit le climat, la planète et tous ses habitants. Oser prétendre le contraire est criminel.

5 – Douglas Harding cite régulièrement Thomas Huxley dans ses écrits, notamment :

« Observez les faits avec les yeux d’un petit enfant, et soyez prêt à renoncer à toute idée préconçue. Suivez humblement la Nature où que ce soit et quel que soit l’abîme où elle vous entraîne, ou vous n’apprendrez rien. »

Thomas Henry Huxley

Et il a donné le nom de Wilberforce à l’avocat de la Couronne responsable de l’accusation lors du « Procès de l’homme qui disait qu’il était Dieu ».

6 – Pareillement la Vision du Soi ne propose pas de décoller mais de « creuser », de descendre jusqu’au fondement qu’est notre Vraie Nature. Il ne s’agit pas d’une expérience de crête (« peak experience ») mais d’une descente « au fonds du puits » dans l’esprit de l’évangile de Thomas.

Ceci est vrai pour la ou les expériences initiales, mais ça l’est encore plus pour la phase d’intégration qui s’ensuit. Aucune de ces deux phases ne se déroule en surface … La voie de la Vision nous offre un champ de « labour » pour le restant de notre vie.

7 – De la même façon Douglas a du apostasier la religion excessivement étroite des Frères Exclusifs de Plymouth avant de parvenir à mettre au point une méthode de compréhension et surtout de réalisation d’une relation vraie, « en esprit et en vérité », avec ce Centre, cet « ? » que certains choisissent de nommer « Dieu ».

8 – CF. « Les quatre bacheliers » de Georges Brassens :

« Et si les chrétiens du pays,
Sans vergogne,
Jugent que cet homme a failli,
Homme a failli.

Ça laisse à penser que, pour eux,
Sans vergogne,
L’Évangile, c’est de l’hébreu,
C’est de l’hébreu. »

9 – Marie Balmary pointe là un très intéressant usage des autres traditions que celle dont on a en quelque sorte hérité. Espérons qu’elle creuse ce sillon là pour notre plus grand profit à tous.

A la suite d’Aldous Huxley et de sa « Philosophie Éternelle », mais avec l’avantage considérable de ses expériences – simples, concrètes, joyeuses … mais sans échappatoire – Douglas Harding va directement au cœur de la plupart des grandes traditions pour nous permettre de réaliser l’essentiel de la notre, quelle qu’elle soit. N’en croyez surtout pas un traître mot, essayez, vérifiez … !

 

by-nc-sa

Par Jean-Marc Thiabaud

Jean-Marc Thiabaud, 65 ans, marié, deux fils, un petit-fils.
La lecture de "La philosophie éternelle" d'Aldous Huxley m'oriente précocement sur le chemin de la recherche du Soi.
Mon parcours intérieur emprunte d'abord la voie du yoga, puis celle de l'enseignement d'Arnaud Desjardins.
La rencontre de Douglas Harding en 1993 me permet d'accéder à une évidence que je souhaite désormais partager.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.